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Mam'zelle Ardoise

Mam'zelle Ardoise, chef de meute !

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Voici le début du second volet de mes aventures...
Vous y ferez la connaissance de nouveaux venus dont vous avez peut-être déjà entendu parler par les posts de Scouby : Geisha, Cendrillon, Scoubidou, Charlot… et d’autres encore.

Allez, c’est reparti !


Chapitre 1 : ME REVOILA, ARDOISE



En ce moment de mes mémoires, j’ai pris mes quartiers d’hiver… c’est-à-dire que je somnole toute la journée, bien roulée en boule dans celui de mes paniers « Félix » qui n’est pas encore complètement mou. Celui-ci, Scouby ne l’a lavé qu’une seule fois, ce qui fait qu’il se tient encore à peu près droit !
Quand j’ai envie de me déplacer, c’est facile : les yeux toujours clos (c’est trop fatigant de les ouvrir pour vérifier où le destin me mène), je joue de la tête et des pattes pour faire rouler le panier…

La première fois qu’elle m’a vue à l’œuvre, Scouby n’a pu en croire ses yeux !
- Ca alors ! Quelle fainéante tu es ! a-t-elle lâché, aimable comme toujours.
Je ne me suis pas troublée pour autant. C’est la jalousie qui la fait parler, je le sais. Elle sauterait à pieds joints pour être à ma place, si elle le pouvait !

Pour me faire courir, elle a acheté deux nouvelles petites souris en tissu. Toutes les vieilles ont disparu, allez savoir où ! Je suppose qu’on en retrouvera une ou deux lors du déménagement. Les autres se sont volatilisées dans l’espace… ou, qui sait, dans mon estomac ?
Comme je suis une chatte conciliante et obligeante, je cours consciencieusement derrière les bestioles que Scouby jette aux quatre coins de l’appartement. Elle s’extasie sur mon esprit joueur. Qu’est-ce qu’il lui faut ? Si je dédaignais ces menus plaisirs, elle croirait que je suis malade. Et puis, il faut dire que cela me plaît bien d’envoyer, d’une patte précise, une souris sous un meuble bien bas. Alors je me mets devant la cachette, me couche sur le dos et gigote frénétiquement des quatre pattes, histoire de prouver que je fais de louables efforts pour récupérer mon jouet. Ensuite, je pousse un profond soupir éploré.
- Ma souriiiiis ! Je n’peuxs plus la faire sortiiiiir !
Ca ne rate jamais : Scouby se met à quatre pattes, comme moi, jette un coup d’oeil dans l’obscurité poussiéreuse où se tapit ma proie, avance une main exploratrice… L’instant d’après, je récupère ma souris et peux me livrer au plaisir de la pousser sous le divan, bien bas lui aussi.
C’est pour ça, finalement, que j’en possède plusieurs : pas pour me faire plaisir à moi, non non ! C’est pour Scouby qui n’a pas envie de passer ses soirées à ramper dans le salon ou la salle à manger !

Donc, quand je suis à l’appartement, je passe le temps de cette manière paisible et conviviale… Du moins, à partir du moment où ma famille rentre de son travail. Avant, inutile de me chercher, je dors ! Je me réveille quand j’entends une clé tourner dans la serrure de la porte d’entrée. Alors, je me dirige vers la cuisine pour vérifier si on remplace bien ma vieille gamelle par une fraîche. Après quoi, rassurée, je pirouette sur la table de la salle à manger et jette allègrement sur le sol le courrier que Daniel ou Scouby y ont déposé. Je suis, en effet, une fanatique de l’ordre : j’aime que cette table soit bien nette pour me permettre de l’arpenter à grands pas décidés, la queue bien droite et ondulante !
Aïe ! Un de ces prochains soirs, je vais devoir passer la visite médicale obligatoire : j’ai détecté, sur le buffet, une carte illustrée représentant un chat. Au dos de cette carte, ma vétérinaire a soigneusement indiqué, de sa petite écriture appliquée : « Je vous signale qu’il y a lieu de procéder aux rappels de vaccins pour votre chatte Ardoise, contre… » là suit une litanie de termes scientifiques retraçant les maladies que l’on veut m’éviter. Il y en a beaucoup ! Du typhus au coryza (que j’ai déjà eu quand j’étais petite) en passant par la leucose, la rougeole, la scarlatine, la coqueluche, les oreillons… Je vois d’ici votre air épouvanté. J’exagère, d’accord ! Il n’empêche que je n’y couperai pas, à la corvée, d’autant plus que maintenant, on n’a plus besoin de voiture pour aller me faire « soigner » : la nouvelle vétérinaire, piqueuse sanguinaire, habite à deux maisons de la nôtre !
Pauvre Ardoise ! Sainte martyre !



Chapitre 2 : SCOUBY A LE CORYZA



Le vendredi soir (sauf quand, par chance pour moi, ma « mère » travaille le samedi, ce qui arrive une fois par mois), mes parents prennent des airs de conspirateurs. Moi, toujours tombée de la dernière pluie, je mets des heures à m’apercevoir qu’ils ont subrepticement fermé la porte des chambres et que mon panier Félix « Titanic » m’attend dans un coin du hall de nuit. Je n’ai plus d’autre issue que la cuisine (où se trouve ma gamelle) et la salle de bains (où je puis, si je le souhaite, satisfaire un petit besoin urgent). Toutes mes cachettes habituelles, si ingénieuses, me sont fermées !
Quand je vois Scouby se saisir du frigo-box rouge et y entasser des tonnes de victuailles, un sinistre déclic se fait dans mon esprit. En un éclair, j’entrevois l’inéluctable : nous partons pour la campagne !
Je pousse un miaulement lugubre, plus impressionnant qu’une corne de brume.
Mes parents bêtifient à qui mieux mieux :
- Où c’est kelle va aller jouer la mignonne ? Dans le jardin ! Hou que c’est gai le jardin ! Hou la bonne herbe bien fraîche !
- Arrêtez de vous payer ma bobine, que je réponds du tac au tac. « Je vais pas aller claquer des castagnettes dans le jardin en plein hiver, rien que pour vous faire plaisir, sales sadiques ! »
Et gnagnagna et gnagnagna… Je râle sec.
Evidemment, j’ai beau dire, personne ne m’écoute ! On m’enfourne dans mon panier et en avant pour la tournée des sept douleurs !
C’est la ballade du chat hurleur… car je ne me prive pas de manifester mon déplaisir, à grands trémolos, comme vous le savez déjà !
Inutile de préciser qu’une fois sur place, je m’amuse comme une petite folle…

En rentrant du dernier week-end, j’ai eu le plaisir de constater qu’un destin justicier avait frappé : Scouby a récolté un énorme RHUME !
Hilare, je me juche sur le dossier du canapé où agonise l’intéressée.
- Atchoub ! Atchoub !
- Alors comme ça, tu as aussi attrapé le coryza ? Comme moi quand j’étais petite ? dis-je avec une fausse compassion.
Je penche la tête pour la fixer d’un regard innocent. Je soupire ostensiblement.
- Tu sais, cela peut être très dangereux, le coryza !
A l’époque, je parlais comme ça, je ne savais pas ce que ce fléau de coryza allait, quelques années plus tard, infliger à ma future meute… Mais n’anticipons pas.
- Dangereux, un rhube ? Tu crois ?
- Oh oui !
Atterrée, elle ferme les yeux. Quand elle les rouvre, l’oiseau de mauvais augure n’est plus perché sur le dossier du canapé. Silencieusement, il est descendu tout près d’elle et tend le bec… pardon, le museau à deux centimètres de son nez. Au lieu du paysage familier et rassurant du salon, Scouby ne distingue que deux grands yeux verts en face des siens.
- Ardoise, tu be pompes l’air ! proteste-t-elle.
- Je venais tâter ton museau pour prendre ta température, dis-je obligeamment. C’est vrai qu’il est chaud, ton museau ! Et tout rouge ! Et tout gonflé ! On dirait une tomate…
- Ude tobate !...
- Pas une grosse tomate, rassure-toi. Une moyenne…
- Oh, que je be sens boche, boche ! gémit-elle.
- Boche ? Ah oui, moche ! Tu as peut-être trop respiré l’air pur du jardin ce week-end !
L’être humain est ainsi fait que lorsqu’on lui assène une vérité qui le vexe, il répond par des insultes. Scouby ne déroge pas à cette règle.
- Stupide adibal ! fait-elle.
- O réveils d’Hannibal ! Lendemains d’Attila ! déclamé-je avec sentiment, puisant sans vergogne dans l’œuvre d’un auteur connu.
Elle a compris qu’elle n’aurait pas le dernier mot. Elle referme les yeux et s’absente en esprit. Je reste seule sur le champ de bataille.
Mais qu’elle ne s’en tienne pas quitte pour autant ! Le lendemain matin, très tôt, je m’introduis dans le chambre et saute sur le lit. Confortablement installée sur la couette et, par la même occasion, sur l’estomac de ma mère d’adoption, j’attends que Scouby se réveille.
Pour l’y inciter, je tapote délicatement de la patte la tomate citée plus haut.
Un rugissement répond à mon initiative.
- Ardoise ! Bon dez ! Tu be fais bal ! Rentre ta griffe !
Ravie, je prends un petit air contrit, typiquement ardoisien.
- Je n’avais pas vu que cette griffe était sortie, comme c’est bizarre ! Je venais simplement vérifier si tu allais mieux… (à l’évidence, non) et si l’heure de mon petit déjeuner n’avait pas sonné…
Elle jette un coup d’œil au réveil-radio encore silencieux.
- Y be reste encore un quart d’heure ! Laisse-boi dorbir !
- Bon… Je vais prendre mon mal en patience… Mais que j’ai faim ! Que j’ai FAIIIIIM ! Miaou ! Miaou ! Et puis tu sais, il y a encore ma litière à changer ! Miaou ! Miaou ! Miââââââou !
Rien à faire, elle reste encore immobile comme une statue pendant quinze minutes. C’est fou ce qu’elle peut être butée, parfois !
Le fichu quart d’heure académique étant écoulé, j’obtiens enfin satisfaction.
Puis, comme d’habitude, je me recouche pendant qu’elle part à son travail, le nez gonflé et le cheveu en bataille.
C’est bon d’être un animal domestique !

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Chapitre 3 : NEGATIF A DES PROBLEMES



- A quoi vous pensez là, Mam’zelle Ardoise ?

Ca, c’était au cours de l’avant-dernier week-end, quand Scouby ignorait encore tout des méfaits du vilain virus qui allait faire d’elle sa prochaine victime. Je méditais sur mon rebord de fenêtre lorsque Négatif a sauté d’un bond devant ma vitre, de l’autre côté évidemment. Gardons nos distances sociales, même si celles-ci ne se symbolisent que par une paroi transparente.

Toujours joyeux et plein d’entrain, cet animal ! Même moi, je ne puis totalement résister à son charme, mais je dissimule jalousement cette faiblesse, indigne de la noble et vaillante chatte Ardoise !

- Je réfléchis à des réalités supérieures, dis-je en levant bien haut le museau vers les étoiles, encore invisibles puisque nous sommes en plein jour.

Négatif prend un air inspiré.

- Ah oui, les mystères de l’existence ! opine-t-il en hochant la tête. Quels problèmes, hein, Mam’zelle Ardoise ? Moi aussi, je suis confronté à certains dilemmes fondamentaux…

- Ah tiens ? On peut savoir ?

Mes oreilles se tendent, s’allongent… Qu’a donc à raconter le digne fils d’Orca ?

- Les relations mère-fils sont rarement au beau fixe ! soupire-t-il.

- Ah bon ? Très intéressant !

Je suis alléchée. Les potins, y a que ça de vrai ! Enfin quelques nouvelles croustillantes à se mettre sous la dent !

- M’man est peut-être une chatte adorable, mais elle en a toujours après moi !

Ca, je l’avais déjà remarqué : quand on entend des cris retentir sur la terrasse, on peut être sûr que Néfer est en train d’houspiller Négatif. La semonce se termine généralement au sommet du grand noyer où Négatif s’est réfugié pour avoir la paix et où Néfer, impitoyable, le rejoint. Quand elle a terminé ses récriminations, elle redescend, calmée, et retourne chez elle, dans son buisson. Négatif ne repose la patte sur le sol que lorsqu’il est sûr qu’elle est partie et ne s’occupe plus de lui.

- Depuis qu’elle a retrouvé son nom complet de Néfertiti, elle se monte la tête, continue-t-il. Elle est persuadée qu’elle est vraiment la réincarnation d’une reine d’Egypte.
- Z’avez pas de chance avec les femmes de votre vie, remarqué-je. Votre petite amie se prenait pour la princesse Diana, votre maman…
- Et c’est pas tout ! Elle trouve que Négatif, ça fait coiffeur…
- ?????????
- Ben oui… Néga-Tif… Non aux tifs … Compris ?
- C’est un peu tiré par les cheveux, à mon avis ! dis-je sincèrement.
- Vous pouvez le dire ! Maintenant, elle m’appelle « Amen-au-Fils ». Vous y comprenez quelque chose, Mam’zelle Ardoise ?

Mes oreilles et ma queue dessinent des points d’interrogation dans l’air. Je suis perplexe.
Flash ! La lumière se fait dans mon esprit.
Amen-au-Fils… Aménophis…
Elle fait un joyeux patchwork de l’histoire d’Egypte, la Néfer !

Négatif reparti en promenade, je coule un œil vers le Roublard, blotti dans un tout petit coin de notre terrasse.
D’une griffe affûtée, je tape sur la vitre.
- Hé, venez ici, vous !

Il regarde derrière lui avec espoir, en pensant que c’est un autre chat que je vise. Pas de chance, il n’y a personne. Personne d’autre que lui.
Il approche tout doucement, comme s’il avait du plomb à chaque patte. Son regard se fait encore plus méfiant que d’habitude, ce qui n’est pas peu dire.

Scouby vient se mettre près de moi, devant la fenêtre. Nous observons toutes deux la bestiole qui n’en mène pas large.
- Pauvre Roublard, dit ma mère d’adoption, je me suis bien trompée sur son compte, au début ! Je croyais qu’il était une grosse brute rusée… et il n’y a pas plus innocent que lui ! Ce n’est pas sa faute s’il ressemble à un ours polaire.
- Ca t’apprendra à juger les gens sur la mine ! dis-je sévèrement.

J’admets qu’elle a des excuses : l’animal n’est pas précisément mignon ou craquant. On peut tout juste le qualifier d’original, avec ses étranges marques noires sur sa fourrure blanche et sa grosse voix dont on a du mal à croire qu’elle soit d’un chat ! Et de plus, en ce moment, il a un énorme furoncle qui lui pousse sur le crâne. Ca fera un cratère dans son pelage, plus tard !
- C’est vrai que l’est vraiment pas beau, baragouiné-je en mon langage.
- Mais quand même assez attendrissant, marmonne Scouby, pas trop haut étant donné qu’elle est la seule de cet avis.
Elle retourne vaquer à ses occupations pendant que je m’installe confortablement sur le rebord de la fenêtre.

- Pourkoike vous m’avez appelé, mam’zelle Ardoise ? s’enquiert la bestiole, toujours debout comme un cierge sur la terrasse.
- Pour bavarder, dis-je gracieusement. Pour savoir si vous avez des problèmes avec votre M’man, vous aussi. Il faut tout me confier, vous savez : Ardoise voit tout, sait tout, comprend tout !

Là, j’exagère un peu. Mais c’est vrai que j’aime être au courant de tout ce qui se passe, c’est mon côté pipelette.
Il a l’air soulagé par mon apparente bonhomie : je ne suis peut-être pas si terrible que ça, après tout !
- Moi, j’ai pas de problème avec M’man, Mam’zelle Ardoise ! Elle dit toujours, M’man, que je suis un cas désespéré, sans amélioration possible, alors elle me laisse tranquille ! Elle m’appelle son petit Babar. Pourtant, Mam’zelle Ardoise, j’ai rien d’un nez-léphant, nespa ?
- Heu-hum ! fais-je sans me compromettre.
- Alors, puisque pour moi c’est pas possible, M’man veut que de tous les chats du village, Négatif soit le plus intelligent, le plus beau, le plus… tout, quoi ! Elle est toujours occupée à lui dire : « Amène-Office, tiens-toi droit et garde la tête haute ! Amène-Office, essuie-toi les pattes ! » Et patati et patata ! Et Négatif il en a marre ! Quand M’man se balade dans la rue, il fait le tour par les jardins, pour pas risquer de tomber sur elle…

Pauvre Néfer ! Son épouvantable timidité l’ayant empêchée peut-être de réaliser ses propres rêves, elle essaie de les concrétiser en la personne de son rejeton le plus doué.

Mais elle s’y prend mal, comme tout le monde dans ce cas-là…

C’est la féline nature !

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Chapitre 4 : MALHEUREUSE ARDOISE !





Je suis une victime, je l’ai toujours dit !

Jeudi passé, j’étais bien confortablement couchée sur la table de la salle à manger lorsque Scouby est rentrée de son travail. Daniel n’était pas là.
- Bonjour, ma gentille Ardoise !
J’ai levé languissamment la tête pour accuser réception, puis me suis à nouveau plongée dans ma coutumière méditation.

Lorsque j’ai repris contact avec la réalité, Scouby posait à côté de moi mon panier « Félix », vous savez, la prison ambulante dans laquelle s’effectuent mes trajets Bruxelles-Campagne et vice-versa.

Je fais un rapide calcul mental. Nous sommes rentrés il y a quatre jours, donc il n’est pas possible que nous repartions déjà. Et puis, je ne vais jamais à la campagne avec Scouby toute seule : nous partons toujours en famille.

Par conséquent, je peux méditer tranquille : ce panier n’a manifestement rien à voir avec moi !

J’en suis tellement convaincue que je ne réagis même pas quand elle me soulève et me pose dans le « Félix » ! Elle ferme la grille de ma prison avant que je ne puisse réaliser ce qui m’arrive !
Que se passe-t-il ? Que se passe-t-il ?
Nous prenons l’ascenseur. Je suis muette de surprise.
Nous sortons. Elle marche d’un bon pas, moi balancée dans le panier au bout de son bras. Je commence à paniquer : Daniel et elle se seraient-ils disputés ? Serais-je victime d’un rapt parental ? Ca arrive ces choses-là, on en a beaucoup parlé à la télé récemment.

Vous voyez le topo, hein : les parents se chamaillent et l’un des deux s’empare du pauvre enfant (moi). Et le pauvre enfant est attiré dans un endroit inconnu, sans ses petites souris, sans son radiateur bien chaud, sans son repose-pied, sans… Je me mets à gémir. Le vrombissement des voitures qui passent sur le boulevard couvre le son lugubre de ma voix.

Nous dépassons la porte du garage. Bon ! On ne prend pas la voiture… Scouby a peut-être loué, pour nous deux, un logis pas trop loin de mon paradis perdu ? Je pourrai toujours essayer de m’enfuir et de rentrer à pattes ? J’imagine la joie de Daniel quand je sonnerai à la porte ! Comme il sera heureux de retrouver sa pauvre chatte kidnappée !

Tandis que je peaufine mon scénario, nous pénétrons dans un autre immeuble. Je hume l’air, autour de moi. Ne serais-je pas déjà venue ici ?
Une petite blonde ouvre une porte d’appartement… et j’ai le cœur qui fait boum !

La vétérinaire ! Mon Dieu quelle horreur !...

Je me pelotonne dans mon panier « Titanic » qui, subitement, me paraît le plus doux refuge qui soit au monde. Sans pitié, la vétérinaire m’en extrait comme un escargot de sa coquille. Me voilà sur la table d’examen. Je veux sauter à terre, on me retient. Pendant une seconde, je me sens complètement affolée : où est Scouby ? Je ne la vois plus ! Ah, la voilà, juste derrière moi ! Je me retourne et me serre contre elle, lui entourant le cou de mes pattes antérieures.
- Allons, ma Minette, n’aie pas peur ! dit-elle.
- Oh, ils savent tous bien où ils se trouvent ! remarque la toujours souriante petite blonde.
Elle m’examine, comme d’habitude : les oreilles, les yeux, les dents… Rien à signaler.
La vétérinaire prépare une seringue, l’emplit d’un liquide incolore. Je m’agrippe à ma mère d’adoption et ferme les yeux.
Tiens, c’est fini et je n’ai rien senti ! Je suis à nouveau protégée contre tous les microbes qui pourraient me prendre pour cible !
Immensément soulagée, je ne me fais pas prier pour réintégrer mon panier.
- Vous avez un très gentil chat ! dit aimablement la vétérinaire.
Elle complète mon petit livret de santé, tandis que Scouby règle le prix de la consultation tout en constatant en son for intérieur que la santé du chat fidèle est beaucoup plus onnéreuse que celle de la modeste humaine attachée à son service !

Enfin, nous traversons la salle d’attente pour sortir. Un affreux molosse est installé là et, visiblement, il n’éprouve pas une folle affection pour les chats ! Il me fixe avec des yeux de fauve, injectés de sang, en secouant ses babines. Un aboiement aigu retentit : « Wouiiif ! Wouiiiif ! Miam ! Y a bon matou ! Miam ! »

On ne pourrait plus clairement exprimer ses intentions. Je me rencogne, terrorisée, tout au fond de mon panier.

- Oncque ne cherche noyse à la vaillante chatte Ardoyse ! chevroté-je d’une voix tremblante.

Ah, il est loin le temps où je claironnais à l’oreille d’Orca la fière devise de ma noble famille ! Aujourd’hui, les mots ont du mal à passer…

Lorsque nous nous retrouvons sur le trottoir, je me sens mieux. Quand je pense que ce monstre sanguinaire a dû se poser après moi sur la table d’examen ! Ma petite odeur l’a sûrement rendu fou de rage !


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b]

Chapitre 5 : PETITS CHERIS ET FIERES DEVISES
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Et voilà, l’hiver s’écoule peu à peu et le réveillon de Nouvel An s’est passé au fameux village de prédilection de mes parents d’adoption, dans la maison sans chauffage central, kaï kaï kaï !

Evidemment, comme d’habitude, il paraît que j’exagère ! Quand je me mets à grelotter ostensiblement, en grattant des pattes le tissu qui recouvre le canapé afin de m’en recouvrir, j’ai droit aux commentaires désobligeants.

- Voyons, Ardoise ! Tu ne vas quand même pas dire qu’il fait froid ? Avec le poêle, la température est plus élevée qu’à l’appartement !
- Possible, Madame, mais moi j’ai besoin de la chaleur qui vient d’en bas ! Et comme je ne peux pas me coucher sur le poêle (pas si folle la bête), je me glace le ventre et les coussinets !
- Mais le carrelage est chaud ! On ne peut presque pas y poser la main !
- C’est le « presque » qui est de trop ! Chez MOI, le radiateur est brûlant !

Je tourne dédaigneusement la tête d’un autre côté et pousse un profond soupir. Puisque c’est comme ça, l’Ardoise martyre ne voit qu’une solution un pis-aller : se coucher dans son Titanic, devant le feu et s’y lover tout au fond ! C’est une honte d’ainsi maltraiter une pauvre chatte qui n’a même pas droit à la parole ! A moi toutes les ligues de défense des animaux ! Offrez-moi un avocat pro deo ! Et un bon, hein ! Parce que Daniel et Scouby sont tellement obtus qu’il faudra bien un maître Vergès pour les convaincre que, pour la bonne santé physique et morale de leur chatte bien-aimée, il faut qu’ils fassent installer le chauffage central dans leur maison des champs !

Le matin, quand j’ouvre un œil, bien pelotonnée sous la couette du grand lit familial, Daniel est déjà debout, apparemment plein de vitalité.
- Alors, on se lève, on se lève ? J’ai déjà allumé le feu !
- Compte pas sur moi, dis-je en refermant l’œil que je venais d’entrouvrir.
A présent que je me sens bien, je ne vais quand même pas me déranger !

C’est d’une oreille sereine que j’entends Scouby se lever à son tour, rabattre l’édredon sur le petit tas de béatitude que forme la chatte adorée et quitter la chambre, non sans avoir demandé, pour le principe : « Eh bien, Ardoise, tu ne te réveilles pas ? »

- Pas de danger, marmonné-je. Laisse-moi dormir, je vais encore piquer un petit roupillon. Mais tu peux revenir d’ici une heure ou deux, quand il fera potable en bas. Alors, j’accepterai peut-être de me lever…

Elle quitte la chambre, pendant que je m’étire voluptueusement. Ah, les petits matins sous la couette, c’est chouette !

Dans un demi-sommeil, j’entends Scouby descendre l’escalier. Apparemment, je ne suis pas la seule à avoir l’oreille fine, car sur la terrasse se déchaîne un concert.
- Miââââââââ ! Miaâââââââââ ! M’dame Scouby, on est là, on est lààààà ! Roublard et moi, tous les deux !
- Ouais, moi aussi j’suis lààààààààààààààààààà ! Ouiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiin !
- Comment, déjà levés, les petits chéris ? s’exclame Scouby.
Sous la couette, je lève les yeux au ciel. Les petits chéris !
- On attend depuis quatre heures du matin, M’dame Scouby !
- Mais c’est pas vrai ça, on n’attend que depuis une demi…
- Tais-toi, cornichon !
- Mais…
- Si on lui dit qu’on est là depuis longtemps, on recevra à manger plus vite, Babar !
- Ah bon, comme ça je comprends ! On est ici depuis une heure du mat ‘, M’dame Scouby !
- Hé, faut quand même pas exagérer non plus ! Elle va nous prendre pour des potiches !
Jamais content ce Négatif !

Pendant cet intéressant dialogue, Scouby s’est rendue à la cuisine pour y ouvrir une appétissante boîte (format économique), de marque Delhaize, Spar ou Carrefour. Pas du produit blanc, non, les petits chéris n’aiment pas…

Elle revient avec deux assiettes copieusement garnies, qu’elle dépose sur le sol de la terrasse. Aussitôt, c’est la ruée. Roublard avale une bouchée d’une assiette, puis se précipite sur l’autre, en un incessant va-et-vient. Négatif, plus calme, attend que la frénésie de son frère s’apaise. Quand Roublard est fatigué de sauter d’un point à l’autre, Négatif s’installe posément devant la gamelle restée libre.

Puis Scouby apporte un grand bol de lait tiède dans lequel les deux frères plongent leurs museaux. Ils sont gâtés… mais quoi ! Ils sont logés à la même enseigne que feu leur pauvre papa : bombance le week-end uniquement !

Il est visible qu’ils n’ont pas de famille humaine. Je pense que Négatif pourrait se faire adopter facilement, mais voilà : il y a Roublard qui ne le lâche pas d’une patte ! Ils sont unis comme les doigts de la main et, si je ne craignais de faire un mauvais jeu de mots, je dirais que ce sont de vrais chats siamois (sauf votre respect, Seigneurie !). Celui ou celle qui aurait le coup de foudre pour Négatif devrait prendre Roublard en prime. Et Roublard, c’est un fameux paquet à adopter, ça vous pouvez le croire ! Le malheureux est peu gracieux, pas très malin et doté d’une grosse voix qui porte loin ! Les fées qui se sont penchées sur son berceau s’appelaient toutes Carabosse, hélas…

Il fait pourtant de gros efforts, il faut le reconnaître. Quand Scouby met le pied dehors, il ne mugit plus comme une sirène d’incendie, il essaie d’articuler correctement : Miaou ! Miaou ! Le résultat, bien sûr, c’est MIAAOU ! MIAAAAOU ! mais ce n’est pas bien grave. L’important n’est pas de gagner, mais de participer !
C’est ça que je lui dis souvent, à Roublard, pour l’encourager. Evidemment, il ne saisit pas l’astuce.
- PARTICIPER A QUOI ?
- Mais… à la vie ! A tout ! Etre là, et bien là ! Comme moi !
Il se perd dans un abîme de réflexions.

Cet hiver, comme d’habitude, il a élu domicile près de notre haie. Mais quand même pas par terre, non ! Il ne tient pas à se geler les pattes : il a trouvé un arbuste sur lequel il demeure juché.

Quand nous regardons par la fenêtre, nous voyons un gros ballon blanc, à un mètre de hauteur. Roublard est bien installé dans son arbre : il y rêve, il y dort, il observe les alentours, il est aux premières loges quand Scouby sort sur la terrasse : il n’a que trois bonds à faire ! Quand il veut un peu se réchauffer, il joue, avec Négatif, à courir aussi vite que possible sur les branches du petit saule qui frémit sous ce double poids de chats sautillants.

Dans le jardin, un gros merle passe ses loisirs à se moquer de Négatif.
Il se perche sur une branche du prunier, siffle quelques mesures et attend.
Négatif s’approche de l’arbre en rampant, silencieusement. Je ne sais pas si c’est Néfer qui lui a appris ça ou s’il est, comme son père, un self-made-cat, mais c’est du travail bien fait, du boulot de professionnel.

De mon rebord de fenêtre, je contemple le spectacle.

Négatif se coule contre le tronc de l’arbre et se met à grimper tout doucement. Pour l’encourager, le merle sur sa branche fait : « Tuit ! Tuit ! »
Négatif atteint la branche où se trouve l’oiseau. A peine a-t-il effectué un mouvement coulant très réussi que… fffrrrrt ! Voilà la proie qui s’envole et va se poser au sommet du grand sapin, en se tenant visiblement les côtes de rire : ‘Tuîîîît ! Je t’ai vu, le chat blanc et noir ! »
A peine Négatif, tout déconfit, a-t-il regagné le sol que le merle se repose sur la même branche du prunier !
- Je ne vois pas pourquoi vous voulez absolument attraper ce merle, fais-je remarquer du haut de ma supériorité intellectuelle. Avec tout ce que vous mangez sur MA terrasse, vous n’avez tout de même plus faim !
- C’est pour entretenir la souplesse de mes muscles et l’acuité de mon cerveau, rétorque modestement l’animal. C’est toute une tactique, attraper un oiseau, vous savez, Mam’zelle Ardoise ! Il faut être intelligent, prévoir les coups de l’adversaire…
- Dans ce cas, c’est raté ! dis-je avec une secrète satisfaction.
- Négatif jamais ne s’avoue vaincu ! Toujours sur le métier remettez votre ouvrage ! C’est en forgeant qu’on devient forgeron ! Point n’est besoin d’espérer pour entreprendre, ni de réussir pour persévérer !

La tête m’en tourne. A mon avis, il a dû potasser le dictionnaire des citations, ou alors il s’est acheté « Comment briller en société, en dix leçons » ou « Comment épater la chatte Ardoise ».

- C’est fini ? demandé-je.
Mais non, ce n’est pas fini !

- Vous savez, Mam’zelle Ardoise, moi aussi je me suis trouvé une fière devise, comme vous et mon P‘pa !
Ca devient d’un commun, maintenant, les fières devises ! Tout le monde en a. Je soupire.
Prenant mon silence pour un encouragement, la bestiole se campe fièrement sur le sol de la terrasse, ferme les yeux d’un air inspiré, rejette en arrière une cape imaginaire et déclame :

« Chéri de toutes les dames,
Hardi et imaginatif,
Plein de fougue et de flamme,
Tel est le charmant Négatif ! »

Je manque défaillir sous le coup. La dépression me menace, je le sens. Moi qui étais si fière de l’orgueilleuse devise de ma noble famille !
Vous vous souvenez, hein ? « Oncque ne cherche noyse à la vaillante chatte Ardoyse ! »
- Et puis, vous avez remarqué le jeu de mots ? s’enquiert mon tortionnaire.
- Lele… jjjeu de mots ? répété-je d’une voix expirante, submergée par une jalousie galopante.
Quel jeu de mots ?
- Oui, CHArmant Négatif ! CHA-rmant ! CHAT ! CHAT !
- Heu, chat en effet… Bien sûr, c’est la première chose que j’avais remarquée… Beuh heu !
Il me regarde, semble hésiter. Puis s’exclame :
- Vous savez, Mam’zelle Ardoise, je voulais d’abord dire « Vaillant et imaginatif », puis je me suis souvenu que « vaillant » était déjà pris ! C’est vous la « vaillante » chatte Ardoise, hein ? Alors j’ai dû trouver autre chose… Evidemment, ma devise n’est pas aussi belle que la vôtre ! La vôtre, elle est super ! Géniale !

Il multiplie les adjectifs enthousiastes.
Je me sens revivre. C’est quand même vrai, ce qu’il dit !

Roublard, qui a suivi bouche bée ces brillants propos, se risque timidement :
- J’aimerais bien aussi avoir une… heu ! … devise, moi ! C’était quoi, celle de P’pa ?
- « Orca, Maître-Chat ! » dis-je avec attendrissement, tandis que me revient à la mémoire ce lointain jour d’été, où l’Orca était venu claironner à mes oreilles son fameux « slogan ». Où est donc passé ce temps-là ? Ah, nostalgie, nostalgie…
Ardoise, secoue-toi !
- MAIS MOI JE PEUX PAS PRENDRE LA MEME, HEIN ? JE SUIS PAS ENCORE UN MAITRE-CHAT ! SEULEMENT UN PETIT ELEVE !
- Et même le cancre du fond de la classe, ne puis-je m’empêcher d’ajouter finement, reprise par le temps présent.
Mes aimables propos glissent sur sa conscience comme l’eau sur les plumes d’un canard. Il ne pige rien au second degré, cet obtus ! Ca ne vaut pas la peine de gaspiller mes talents avec lui.
- J’en ai une pour toi, dit soudain Négatif : « Roublard, cas à part ! » ou « chat à part », comme tu voudras.
- TU CROIS QUE CA M’IRAIT ?
- C’est tout toi, sois tranquille !

Il est fier comme un paon, le Roublard ! Son principal souci, maintenant, c’est le choix, cornélien comme il se doit : CAS ou CHAT ? Cruel dilemme !
Souveraine, je tranche.
- « Cas à part », c’est mieux, dis-je péremptoirement. On le voit bien, que vous êtes un chat, c’est pas la peine de le préciser !

En fait, j’ai quelques doutes : le Roublard pourrait aussi passer pour une baleine blanche ou un ours polaire… Mais il n’y en a pas en Belgique, sauf au zoo d’Anvers peut-être. Alors, je suppose quand même que les gens remarqueront les oreilles pointues, les moustaches, les quatre pattes et la queue formant, dans l’ensemble, un félin !

Il y a bien des individus peu aimables qui osent me comparer, moi, la belle Ardoise, à un phoque ! C’est de la jalousie, bien sûr… Néanmoins, même en admettant le fait, personne n’a encore dit, en me voyant : « Tiens, un phoque ! Comment est-ce possible ? » Non, on dit : « Tiens, c’est marrant ! Un CHAT qui ressemble à un phoque ! »

Donc, je suppose que le Roublard aussi peut compter sur la reconnaissance de son statut de chat.

C.Q.F.D.

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Chapitre 6 : ROUBLARD A LA PAROLE


Comme je suis une brave chatte, j’ai décidé d’offrir un cadeau au Roublard. Par pure bonté d’âme, je lui ai permis de vous écrire quelques mots de sa plus belle patte.

Il a eu l’air complètement paniqué.

- MAIS QU‘EST-CE QUE JE LUI DIRAIS, MOI, A VOTRE FOROME ? HEIN, MAM’ZELLE ARDOISE, HEIN ?
- N’importe quoi ! Bavardez à tort et à travers ! Racontez votre vie !
- MA VIE, HEU !
- Et surtout, il ne faut pas en parler à Négatif, c’est un secret ! dis-je d’un ton pénétré.
- UN SECRET ?????????
- Oui, parce que sinon il voudrait écrire lui-même sur le forum et il ne vous laisserait plus tracer un mot ! (et à moi non plus ! ajouté-je in-petto)
- AH, MAIS J’AIME AUTANT ! PARCE QUE MOI, JE SAIS PAS QUOI DIRE !
- Non, non, ça fait partie de votre psychothérapie ! C’est pour vous dégager du ghetto moral où vous vous êtes imprudemment fourvoyé ! Il faut dégager votre moi profond, vous exprimer !
- JE COMPRENDS RIEN A CE QUE VOUS RACONTEZ, MAM’ZELLE ARDOISE !
- Motus et bouche cousue, compris ? Vous écrire au forum n’importe quoi qui passe dans votre tête ronde et vide, pigé ? Exécution ! Je surveille !
- OUIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIN !


Bon, heu, alors je vous écris, vu qu’elle surveille ! Et c’est vrai, vous savez, elle a l’œil !

Faut pas vous étonner si je suis timide avec vous, c’est parce que c’est la première fois que ça m’arrive, une aventure comme ça.

Puisque je dois raconter ce qui passe dans ma tête, comme a dit Mam’zelle Ardoise, ce sera vite fini, parce que j’ai beau courir après, je crois qu’il y a rien qui passe dans ma tête !

C’est pas comme Négatif ! Il sait miauler de belles phrases, longues, avec des mots bizarres. Il ferme les yeux et il lit tout ça derrière ses paupières. J’ai essayé aussi : j’ai serré fort les yeux et j’ai regardé à l’intérieur de ma tête. Mais j’ai rien vu, à part de noir ou alors un peu de rouge à cause du soleil.

Négatif, il court partout, il connaît tout le monde. Moi, quand je suis pas occupé à jouer avec lui, je reste avec M’man, dans le fourré où je suis né, ou alors dans la haie de M’sieur Dan et M’dame Scouby, là où on a une bonne vue sur les gamelles.

C’est pour ça que c’est si difficile pour moi de parler avec les gens. Mon grand talent, c’est pas parler, c’est manger. Là, je suis imbattable. Un chef.
Ou plutôt, je le croyais… mais paraît que c’est pas tout à fait vrai.

Ca, c’est une histoire que je peux raconter !

Un jour, j’étais bien occupé, toute la figure enfoncée dans l’écuelle que M’dame Scouby venait de déposer, quand j’ai entendu un miaulement : « Bonjour, intéressant jeune homme ! »

Je me suis effrayé, vous pensez ! J’ai regardé en tremblant, et j’ai vu une jolie dame tricolore qui se tenait près de moi. Elle avait l’air gentille, alors je ne me suis pas enfui. Et puis, la gamelle n’était pas vide, ça compte aussi, vous savez !
- Voyons, jeune homme, qu’elle m’a dit la dame chatte, ce n’est pas ainsi que l’on mange, allons !
- AH NON ? que j’ai fait.
Pourtant je croyais que je me débrouillais bien !
- Manger est un art ! Il faut le maîtriser à bon escient ! Allons, faisons une petite démonstration : mangez, que je voie comment vous faites.
Ca, je comprenais, c’était pas difficile. J’ai sauté tête baissée sur mon assiette et j’ai commencé à dévorer.
- Et voilà, qu’elle a dit au moment où je relevais le nez, vous êtes déjà tout essoufflé et la gamelle est encore à moitié pleine ! Vous y mettez trop de fougue, jeune homme ! Vous ne mangez pas, vous engloutissez ! Ce n’est pas du tout pareil !
- EUH ?
- Regardez comment on fait !

Elle s'est mise à déguster à toutes petites bouchées, tranquillement. Quand elle s'est arrêtée, y restait plus rien !

-Voilà le secret de l'art du mangeur de fond : prendre son temps et ne pas avaler de trop grosses quantités à la fois! Vous remarquerez, intéressant jeune homme, que je n'ai pas le souffle court !
Je remarque.
Je remarque surtout que l'assiette est vide.

Mais elle est gentille, cette dame! Et puis, personne n'a encore dit "intéressant jeune homme" en parlant de moi !

Voilà que la porte de la maison s'ouvre. Quelle joie ! M'dame Scouby apporte une autre gamelle !
-Bonjour, ma petite Gourmande, dit-elle en se penchant pour donner une petite caresse à la dame.
Maintenant je la reconnais : je l'ai vue parfois se promener avec P'pa. Elle habite dans le bas de la rue, là où y a des chiens qui aboient quand je passe. Mme Gourmande, qu'elle s'appelle.
-Je vous laisse cette pâtée, mon jeune ami, qu'elle dit de sa petite voix (Comme si elle avait pas déjà mangé la mienne !). Vous avez vu comment on fait, n'est-ce pas ? Et vous remarquerez que, malgré tout ce que je mange, je garde la ligne ! Croyez-moi, si vous appliquez mes méthodes, avec vos dispositions innées, vous deviendrez un grand artiste !
Elle s'en va tranquillement.
Un grand artiste, moi ? J'en reviens pas !

J'essaie. Je fais des efforts. Mais c'est difficile, difficile! J'ai beau faire, ma bouche s'ouvre toute grande pour tout enfourner à la fois! Ah, que c'est compliqué, la vie d'artiste !

Vous le savez peut-être pas, j’ai oublié de vous le dire, mais Négatif, c'est mon frère. On a deux ans et demi, tous les deux! On est toujours ensemble, sauf quand il va faire ses promenades dans le village et que moi je reste dans mon fourré. A part ça, on dort ensemble, on mange ensemble, on joue dans les arbres, on parle, on se bagarre... On peut pas se quitter, quoi ! Je me sentirais tout bizarre si j'avais plus Négatif. Et c'est la même chose pour lui. On serait chacun comme coupé en deux.

Et puis, y a la chatte Ardoise. Vous la connaissez ? Ah oui, bien sûr, que j'suis bête ! C'est elle qui m'a donné votre adresse, pour ma psyki… psykotérafie ! Paraît que si je dis tout ce qui passe dans ma tête, et même tout ce qui y passe pas, je serai un autre chat! C'est ça qu'elle a dit, Mam'zelle Ardoise !

Moi, j'ai un peu peur d'être un autre chat. Qu'est-ce qui arriverait si je me reconnaissais pas ? Je passerais à côté de moi sans me voir et je me perdrais ! C'est ça que je lui ai répondu, à Mam'zelle Ardoise! Elle m'a répliqué : " Andouille !"

C'est pas vraiment une réponse, je trouve! Ca me laisse avec mes angoisses !

Elle est bizarre, la Mam'zelle. Au début, je voulais pas croire que cette chose grise, là, derrière la vitre, avec son regard tout glacé, était un chat.
- Ca ressemble pas à un chat ! que j'ai dit à Négatif.
- Pourtant, c'en est un! qu'il m'a répondu. C'est même une chatte !
- L'a de drôle de z-yeux ! Comme la grenouille de l'étang !
- C'est une manoeuvre d'intimidation ! a dit gaiement Négatif. Dans sa tête, elle n'est pas comme ça, rassure-toi !
Quand je l'ai un peu mieux connue, c'est vrai, j'ai été rassuré. Mais pas à ce moment-là, vous savez ! Il a fallu du temps !

Et même, encore maintenant, parfois, quand elle me regarde fixement, je me sens devenir tout petit et j'essaie de m'enfoncer dans un mur. Ca ne marche pas, évidemment. Alors Mam'zelle Ardoise tourne la tête et, juste quand je suis un peu remis de mes émotions, elle me relance un sale regard qui dit: " J'vous tiens à l'oeil, vous !"
J'en tremble !
-Sois pas si cloche, c'est du cinéma! dit Négatif.

Elle est un peu gendarme, aussi, Mam'zelle Ardoise. Quand elle a décidé, il faut sauter ! Et quand elle sort au bout de sa corde, y faut se tenir pas trop près d'elle, pour pas lui "pomper l'air" comme elle dit, et rester droits comme des piquets, Négatif et moi. Moi, c'est pas difficile, elle me donne les jetons et j'en reste sans pouvoir bouger, mais Négatif rigole en douce. Il trouve ça très drôle, Négatif !

Elle dit qu'elle va faire mon éducation, que M'man a complètement ratée. Je crois que quand elle va voir quel travail que c'est, elle va laisser tomber. J'espère.

Et M'man ! Elle est super-gentille, ma M'man, mais à côté de ses pompes, comme dit Négatif. Elle est aussi timide que moi, mais elle essaie de se soigner. Ca réussit pas toujours. Dernièrement, elle s'est trouvé une vraie maison, alors elle ne sort presque plus. Elle préfère être timide à l'intérieur, là où personne ne la voit, sauf son Monsieur qui la prend pour une reine d'Egypte. Et elle en est persuadée aussi, M'man, vous savez !

Y a qu'avec Négatif qu'elle est pas timide : elle arrête pas de lui chercher des puces, quand ils se retrouvent par hasard ensemble. Heureusement, c'est pas souvent. Parce que Négatif, il file en douce quand il aperçoit le bout du nez de M'man, de l'autre côté de la rue.

Parfois, il a pas de chance: elle le voit s'enfuir et le poursuit. Et elle court vite, ma M'man, malgré son âge, vous savez ! On dirait un éclair tout noir. Un éclair au chocolat fondant (c’est vrai, je ne pense qu’à manger).
Alors elle le houspille. Elle pousse de grands cris aigus et Négatif court encore plus vite, mais M'man finit toujours par le rattraper. Une sportive, je vous dis !
Après, Négatif doit écouter toute une "Ho-Mélie" comme il appelle ça, avec ses mots savants. Il doit répondre: "Oui, M'man, non, M'man, t'as raison, M'man !" jusqu'à ce qu'elle soit calmée. Puis tout va bien pendant quelque temps.

Dans ma vie, y a aussi M'sieur Dan, et M'dame Scouby, celle qui me donne à manger.

J'ai un peu peur de M'sieur Dan, parce qu'il a pas l'air normal. Une fois, il m'a enfermé dans le fenil et j'y suis resté cinq jours, vous vous rendez compte ? J'ai fouillé les poubelles pour manger. Y avait des restants de poulet. C'était bon, mais pour cinq jours, c'était pas assez.

Tout le monde me dit qu'il a pas fait exprès de m'enfermer, mais j'en suis pas si sûr, alors quand il sort dans le jardin, je m'éloigne un peu. Vaut mieux être prudent, pour le cas où il aurait envie de recommencer.

En plus, il arrive pas à se souvenir de mon nom, M'sieur Dan. Quand il me voit arriver de loin, il crie: "Michèèèèèèle ! Gros-Bazard est là !"
J'ai beau lui dire : « Je m’appelle Roublard, pas Gros-Bazard ! », rien à faire !

Oh ! J'ai quand même trouvé kêke chose à vous raconter, dans ma tête, on dirait ! J'aurais jamais cru ! Elle va être étonnée, la chatte Ardoise! Qu'est-ce que vous en dites, hein ?
Peut-être que je pourrai la continuer, ma psyki... psyko... Vous savez quoi ! Même si moi je sais pas !

Allez, salut !






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Chapitre 7 : UN MYSTERE




Quelque chose se trame, je le sens !
Daniel et Scouby me regardent parfois d'un drôle d'air.

Tandis que je prends mes aises, bien étalée sur le dos au sommet de mon radiateur, je les entends chuchoter. Et un nom revient dans leurs chuchotis : Scoubidou.
- Bzzzzzzz Bzzzzzzz... Faut trouver une solution, pour Scoubidou...
- Oui... Mais que va dire Ardoise ? ...
Mes oreilles pointent. Mes yeux prennent la forme de points d’interrogation.
- Bzzzzzzz Bzzzzzzzz… La préparer à l'idée… La vétérinaire a dit d'apporter à chacune quelque chose qui porte l'odeur de l'autre... Bzzzzzz... une couverture...

Scouby me sourit d'un air engageant.
-Tu sembles bien triste depuis que notre Orca n'est plus là, ma pauvre Ardoiseke !...
- Heu, voui, quand même, j’ai parfois le cafard… dis-je avec précautions.
- Tu te sens seule, hein ?
- Heu... C’est pas spécialement ça...
Où veut-elle en venir ? Je me méfie, je me méfie !

Elle va chercher dans l'armoire une couverture de bébé qui a appartenu à Olivier, il y a très longtemps.
- Couche-toi là-dessus, ma minette ! Fais une petite sieste !
Son comportement me semble de plus en plus suspect. Dans le doute, abstiens-toi, Ardoise !

J'évite soigneusement la couverture. Quand Scouby l'étale sur mon repose-pied, je vais dormir sur le dossier du divan. Quand je découvre l'objet déposé comme par hasard sur mon lieu de repos, je déménage dans l'ex-chambre d'Olivier. Et ainsi de suite.
A malin, malin et demi !

Mes soupçons s'intensifient. Hier, en reniflant par hasard le bas du pantalon de Daniel, j'ai senti comme un parfum félin étranger.
Késaco ?

J'ai fini par craquer et me coucher sur la couverture, durant plusieurs jours. C’était trop tentant : elle est tellement duveteuse, tellement douce, cette couverture ! Hier, .surprise : elle avait disparu, remplacée par une autre (pas aussi jolie) sur laquelle j'ai détecté... quelques longs poils noirs et soyeux qui ne m'appartiennent pas ! J'ai reniflé, reniflé. ..

- Quel air a-t-elle ? a chuchoté ma mère d'adoption.
- Un air offusqué, a répondu Daniel.
- Aie aie aie...
- Si elles ne s'entendent pas, faudra les séparer... En mettre une dans la chambre d'Olivier...

A quoi riment ces cachotteries ? La moutarde commence à me monter au museau !

Scoubidou, bien sûr, c'est un nom que je reconnais : il s'agit de ma "cousine" si j’ose dire, la fille adoptive de ma Bobonne, la mère de Daniel... Mais qu'est-ce que cela a à voir avec MOI ?

Je nage dans des abîmes de perplexité.



Chapitre 8 : LA CHATTE SCOUBIDOU




Vous savez, c’est un fameux calibre, ma « cousine » Scoubidou ! Quelqu’un de vraiment spécial !

Elle est de mon âge à peu près, mais plus grande et, de l’avis des humains qui n’y connaissent rien, absolument superbe. Personnellement, je ne vois pas quel charme on peut trouver à une chatte vaguement angora, toute noire et dont la fourrure prend des reflets roux au soleil… C’est d’un commun ! En plus elle a de grands yeux dont la couleur oscille entre le vert et le jaune, pfffft ! Un vrai chat pour sorcière d’Halloween ! Et un caractère, je ne vous dis que ça !

Surtout, ne pensez pas que je sois jalouse ! Je suis tout simplement objective : avouez qu’une belle chatte grise un peu ronde, c’est quand même plus « classe » qu’une espèce d’armoire à glace toute noire !

Sur ce, maintenant je suis obligée de lisser ma fourrure, parce que je me sens toute ébouriffée quand je pense à cette grande bringue de Scoubidou.

Pourtant, il faut bien que je continue à parler d’elle, pour vous mettre au topo. Tout ce que je ne fais pas pour vous, hein ?

La ténébreuse créature est native de notre village, à la campagne. Ben oui, c’est une chatte de la Belgique profonde, comme notre Orca.

Quand elle était toute chatonne, elle est arrivée un jour d’été, par hasard, sur notre terrasse où mes parents prenaient leur repas, en compagnie de ma Bobonne.

Le ventre creux, la bestiole noire a accepté de bon cœur les restes de viande qu’on lui offrait et, mise en confiance, a pénétré sans façons dans la maison pour faire sa sieste sur le plus beau fauteuil du salon !

Je n’étais pas là à cette époque… La chatte Caramel, « Sa Seigneurie », régnait encore en maîtresse incontestée sur la maison comme sur le cœur de mes futurs parents… et l’intrusion, dans son antre, d’un chaton guère plus grand qu’une crevette n’a pas été de son goût !

Les yeux exorbités de surprise, pétrifiée, elle a contemplé fixement le bébé félin tranquillement endormi. Visiblement, elle ne savait quel parti prendre…

Sa Seigneurie, vous la connaissez déjà, je vous ai parlé d’elle : théâtrale et exclusive, du style « Je t’aime pour la vie, mais si tu oses en regarder une autre, je te tue, je la tue, je me tue ! »

Sous son regard courroucé, Scoubidou a continué à sommeiller paisiblement… Peut-être son instinct lui soufflait-il qu’en fait, elle ne courait aucun danger réel ?

Après sa sieste, elle a manifesté le désir de rester dans la maison… Pour couper court aux véhéments reproches de Caramel, mes parents ont installé dans le fenil une petite couchette où le chaton a passé la nuit. Ne voyant plus l’intruse, Sa Seigneurie s’est calmée…

Cela se passait à une époque où ma Bobonne se sentait fort seule : elle avait perdu son mari et son chien à quelques mois d’intervalle et ce chaton surgi de nulle part, sans doute perdu ou abandonné, lui est apparu comme un don du ciel : l’âme-sœur avec qui elle pourrait partager son petit appartement à Bruxelles.

C’est ainsi que, le week-end écoulé, Daniel a percé de petits trous une grande caisse en carton dans laquelle il a installé le bébé chat et… en route !

Une fois arrivée dans les lieux où elle vivrait désormais avec sa nouvelle compagne à deux pattes, Scoubidou a fait part d’un légitime mécontentement :
- Comment, je choisis une maison qui me plaît, avec un jardin et tout et tout… et on m’offre CA ?
Malgré son extrême jeunesse, elle a immédiatement fait preuve d’un caractère bien trempé :
- Bon, je condescends à vivre ici avec toi, puisqu’après tout, je n’ai pas le choix, mais attention ! Il faut que tout soit IMPECCABLE ! Je veux une nourriture raffinée et un bac de sable immaculé ! Sinon, gare aux représailles ! Tu as vu mes dents ? Tu as vu mes griffes ? Et je vais encore beaucoup grandir…
A bon entendeur, salut !

En un tour de patte, Bobonne s’est retrouvée réduite en esclavage, au point de ne plus même oser sortir de chez elle, sauf pour de brefs instants.
- Une journée à la mer, vous n’y pensez pas ! Je ne peux pas laisser ma pauvre Scoubidou toute seule, elle pleure tant chaque fois que je m’absente !...

Les relations entre Bobonne et Scoubidou s’avèrent houleuses et passionnées. Un jour, c’est la révolte : « Sale bête ! J’aurais mieux fait de me casser une jambe le jour où j’ai eu l’idée de t’adopter ! »
Le lendemain, c’est une autre chanson : « Ma poupousse ! Mon bébé ! Que deviendrais-je sans toi ? «
Et la Scoubidou, tour à tour, lance des coups de griffe ou émet de voluptueux ronrons !

Etrangement, si elle se montre hardie et autoritaire avec Bobonne, elle est, au contraire, d’une timidité maladive à l’égard des étrangers. Sitôt qu’elle entend la sonnette de la porte d’entrée, elle se rue dans le lit de Bobonne et va se dissimuler sous la couette, pour ne reparaître qu’une fois le visiteur en allé. Quand, poussée par la faim ou par un petit besoin pressant, elle est obligée de traverser le salon, elle le fait en rasant les murs et en se cachant derrière les meubles avec l’espoir d’être invisible.

Un cas à part, cette Scoubidou, vraiment !

Les mois, les années ont passé. Sa Seigneurie Caramel a achevé sa vie et moi, j’ai fait mon entrée dans la famille…

Petit à petit, cependant, Scoubidou a commencé à s’ennuyer dans son petit appartement. « La vie d’hôtel, c’est très joli mais un brin monotone… Et si j’allais voir dehors ce qui s’y passe ? »

Mine de rien, elle a guetté le moment opportun pour fausser compagnie à sa compagne. Elle a dû se montrer très patiente, car Bobonne veillait sur elle comme sur la prunelle de ses yeux !
Mais ce que chatte veut…

Par une nuit d’été, Bobonne est réveillée en sursaut par un grand bruit dans la rue… Poussée par la curiosité, elle se lève, remonte légèrement ses volets… et Scoubidou, qui n’attendait que cette occasion, s’est précipitée comme une flèche au-dehors, pour se volatiliser dans la nuit !

Aussitôt alerté par sa grand-mère affolée et sanglotante, Olivier a parcouru tout le quartier en voiture… Mais comment retrouver un chat noir dans l’obscurité ? Il est revenu bredouille…

Le lendemain, il a photocopié à de multiples exemplaires une photo de la disparue et a collé des affiches un peu partout : « Perdu chat noir (femelle) « Scoubidou » Très peureuse. N° de téléphone : … »
Cette photocopie semblait représenter une énorme tache d’encre où se discernaient deux grands yeux diaboliques. C’est dire qu’elle n’était pas très nette…

Pour s’assurer l’aide du ciel, Bobonne a fait brûler des bougies devant une statuette de saint Antoine, en le suppliant de lui rapporter l’objet perdu.

A l’heureux étonnement de mes parents, beaucoup de personnes se sont intéressées au sort de la fugitive. En même temps, le nombre de chats noirs en vadrouille dans cette partie de la ville a semblé se multiplier ! Nous avons reçu d’innombrables coups de fil émanant de gens bien intentionnés qui voyaient vagabonder « Scoubidou » dans leur rue. A chaque fois, Daniel et Olivier allaient vérifier, l’espoir au cœur. A chaque fois, ce n’était pas elle…

Nouvel appel téléphonique.
Voix : « Allo, Monsieur C… ? La chatte que vous avez perdue attend-elle des petits ? «
Olivier : « Heu, non, madame, mais elle est effectivement assez volumineuse… » (l’effet des bons petits plats préparés par Bobonne !)
Voix : « Alors, je crois que je la vois ! » (Quel prodige, une voix qui voit !)
« Elle est devant ma porte !... Je vais demander aux passants de l’empêcher de partir. Voici l’adresse : … »
Daniel et Olivier se précipitent sur les lieux.
Arrivés à trois mètres de la chatte : « C’est elle ! »
Arrivés à un mètre : « Non, ce n’est pas elle ! »
Désillusion. Les passants compatissent.
- C’est votre chat qui s’est perdu ? Ah, celui de votre maman ! Et si vous preniez celui-ci à la place ?
Imaginant la tête de Bobonne devant la fausse Scoubidou, Daniel a poliment décliné cette suggestion.
La chatte noire a profité du remue-ménage pour s’esquiver en catimini, en secouant la tête : « Ils sont fous ces humains ! Je me demande bien ce qu’ils me voulaient ! »

Le surlendemain de la disparition, nouveau coup de fil :
- Allo, Monsieur C… ? Je suis une voisine de votre maman et je viens de trouver son chat bloqué dans une fenêtre en sous-sol ! Pouvez-vous venir le récupérer ? »
Toute la famille s’est déplacée ! Arrivés à l’endroit indiqué, non loin de chez Bobonne, mes parents aperçoivent un attroupement : les habitants de la rue palabraient en se penchant sur une fenêtre en sous-sol d’où montaient des clameurs déchirantes.

Cette voix, ce pelage couleur charbon, ces yeux de braise… pas moyen de se tromper ! C’était bien elle, enfin !

Bobonne a couru à toutes jambes jusque chez elle pour préparer une assiette bien garnie à l’intention de la malheureuse rescapée, tandis que Daniel repêchait Scoubidou au moyen d’un filet à crevettes…

Pauvre Scoubidou, si timide ! Elle devait se sentir profondément bouleversée de voir tout ce monde autour d’elle. En outre, elle avait faim et froid, la pluie n’ayant pas cessé de tomber depuis sa fuite.

Et quel sauvetage humiliant ! Le filet à crevettes, comme un vulgaire crustacé !

Pour une chatte partie joyeuse à la conquête du vaste monde, l’aventure se terminait en queue de poisson…



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Chapitre 9 : LE MYSTERE S’EPAISSIT



Après cet édifiant flash-back, revenons à la minute présente… et à mes interrogations sans réponse, du moins pour le moment.
Il va sans dire que je reste sur le qui-vive, malgré mes airs nonchalants !

Nous sommes samedi… et Scouby est partie travailler. D’habitude, Daniel profite de la circonstance pour faire la grasse matinée. Mais aujourd’hui, surprise : je le vois surgir dans le living, tout habillé, à neuf heures sonnantes !

Moi, j’émerge à peine du délicieux sommeil qui fait suite à mon premier petit déjeuner.
- Keske tu fais debout si tôt ? m’étonné-je.
Il ne répond pas, mais me lance un drôle de regard. Il n’a vraiment pas l’air à son aise, je trouve. Qu’est-ce qu’il manigance, projetterait-il de m’emmener à la campagne ?

Méfiante, j’inspecte le hall d’entrée du regard. Aucun sac n’est placé devant la porte. Le frigo-box rouge brille par son absence… Bon, je ne crois pas que nous partions en voyage. Soulagée, je m’étire voluptueusement sur mon radiateur bien chaud.
Daniel enfile son blouson.
- Où cèke tu vas ? m’enquiers-je, talonnée par une légitime curiosité.
- A l’appartement de Bobonne, marmonne-t-il.

Ah oui, c’est vrai : ma Bobonne a déménagé. Elle habite à présent une maison de repos pour personnes âgées et Daniel consacre une partie de ses journées à vider l’appartement qui doit être remis en location.
Je suis sur le point de me satisfaire de cette explication…

Mais que fait-il ? Sur le point de partir, il prend sur le buffet une petite boîte en carton qu’il fourre dans sa poche.

Ma curiosité est à son comble : je sais en effet de ce contient cette petite boîte, j’ai lu la notice (mais oui, je suis une chatte exceptionnelle !). Il s’agit d’un puissant calmant pour animaux de compagnie ! Un somnifère pour quadrupèdes agités !

Au début, j’ai cru que ce médicament était destiné à m’abrutir, lors de mes trajets en voiture. Mais toute réflexion faite, je ne vois pas pourquoi on m’infligerait ce traitement maintenant, au bout de plusieurs années de trajets hebdomadaires auxquels, d’ailleurs, je me suis petit à petit accoutumée, malgré mes spectaculaires trémolos…
Alors, à qui est destiné le contenu de la petite boîte ?

Demeurée seule, je rumine ces pensées sans y trouver de réponse. Puis, épuisée par cet intense effort intellectuel, je me rendors.
C’est à peine si je me rends compte du retour de Daniel, tout hérissé et porteur d’un grand carton agité de soubresauts, qu’il a l’air de maintenir à grand-peine. Le carton et son invisible contenu disparaissent dans l’ancienne chambre d’Olivier.

Au retour de Scouby, j’entends une conversation qui ne manque pas de m’intriguer.
Daniel, encore sous le coup de l’émotion :
- D’abord, je lui ai mis un demi-comprimé de calmant dans son steak tartare, comme la vétérinaire l’avait conseillé… Puis j’ai attendu les premiers effets. Rien ! Elle ne s’est pas calmée du tout ! J’ai mis le second demi-comprimé… Rien ! J’ai été obligé de la poursuivre à travers l’appartement jusqu’à ce qu’elle se réfugie sur l’appui de fenêtre de la cuisine, alors j’ai pu la faire basculer dans une boîte en carton et j’ai fermé le couvercle…
- Oh la la ! La pauvre ! Et comment va-t-elle maintenant ?
- Maintenant, elle dort !
Une myriade de points d’interrogation tourne par-dessus ma tête.
- Et Ardoise, elle n’a rien remarqué ? chuchote Scouby en me coulant un regard sournois qui ne me dit rien qui vaille.
- Ben non, pas encore…

Ce qui démontre leur manque total d’observation ! Evidemment que je sais qu’il se passe quelque chose qui, peut-être, me concerne ! J’aimerais bien qu’on me mette au parfum, si ce n’est trop demander !
Mais j’ai beau accumuler les petites mines et les « Kwâ ? Kwâ ? Keskyâ ? », personne ne daigne me mettre au courant de la situation. On me regarde avec quelque chose qui ressemble à de la commisération…
- J’espère que notre pauvre Ardoise ne sera pas trop traumatisée…
- Mais non, elle a appris à connaître d’autres chats, à la campagne !

La soirée s’écoule paisiblement. J’ai renoncé, du moins pour l’instant, à éclaircir le mystère. Je somnole béatement sur le radiateur.

Nous sommes samedi soir, nous restons bien au chaud dans l’appartement et je me prépare à passer un dimanche paisible et familial.

Juste nous trois, mes parents-z-et-moi !




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Chapitre 10 : UNE INTRUSE !


Le dimanche matin, comme de coutume, je me réveille très tôt et je trottine vers la chambre afin de réveiller Scouby et lui faire savoir que je souhaite mon petit déjeuner.

Arrivée à hauteur de la porte fermée de l’ancienne chambre d’Olivier, je m’arrête net et tends l’oreille. Qu’ai-je entendu là ?
Ce n’est pas possible, je rêve, j’ai des hallucinations auditives ! Il va falloir me faire soigner par un psy-chat, mon Dieu, mon Dieu !... Et si c’était grave ? Si j’avais une sorte de tumeur au cerveau ? Si…
Mon imagination fonctionne à plein rendement. Juste pour me rendre compte de la persistance des symptômes alarmants, je risque un timide « Miaou ? » et j’attends l’écho… qui ne tarde pas.
- MIOW ! OOOOOOOOOOOOOOOOh !...
Le poil tout hérissé, je me précipite vers le lit de mes parents.
- Ya...yayayayaya... un chat qui est entré cette nuit dans mon appartement ! Il… il… il est caché dans la chambre d'à côté ! Il miaule ! Il pleure ! Keskon va faire ?
- Ne t'affole pas, Ardoise, on va t'expliquer...
Et j'ai droit à l'explication, un peu tardive je trouve. Pourquoi me met-on devant le fait accompli ? Pourquoi ne m'a-t-on pas d'abord demandé mon avis ? C'est indélicat, ça, vous ne trouvez pas ? Je suis froissée au-delà de toute expression !
- Moi, j'aurais dit non ! Pas d'autre chat chez moi !
-Il faut comprendre, Ardoise, la pauvre Scoubidou n'a plus sa mamy… Sa mamy est placée en maison de repos et Scoubidou se retrouve seule au monde...
Etc. etc... On croirait un remake des "Deux orphelines", ma parole ! Je renifle avec dédain.
- Allez Ardoise, un bon mouvement ! Tu es sa seule famille féline, à la pauvre Scoubidou !
Cela ne me fait ni chaud ni froid !

Le soir, Scouby se risque à ouvrir la porte de la chambre condamnée, afin de nous permettre, à l’intruse et moi, de faire connaissance.
Le museau fureteur, l’œil aux aguets, j’explore les lieux. Bon, il y a là un bac rempli de sable.
Je vais faire un petit pipi dedans. ..
Il y a là une assiette pleine de Sheba... Je n'aime pas le Sheba, comme nul n’en ignore, mais j'en mange un petit peu.
Il y a de l'herbe pour chat... C'est un pot identique à celui qui trône à côté de ma gamelle, dans la cuisine, mais goûtons quand même le contenu de celui-ci.
Après quoi, je recommence à arpenter la pièce d'un pas de propriétaire. Pas de chat ! Pourtant, je hume sa présence. .. Où est-il donc passé ?
Jetant un coup d'oeil au ras du sol, j'aperçois soudain, sous le lit, blottie contre le mur, une grosse silhouette noire dont les yeux phosphorescents me fixent avec appréhension.
Intriguée, je m'approche. ..
-Oooooooooooooooh ! sanglote la créature, « Une vilaine bête grise ! Je veux ma mamy ! Ooooooooooooooh ! »
Stupéfaite, je regarde autour de moi. Complètement mythomane, cette Scoubidou ! Je ne vois aucune vilaine bête grise ici ...
Elle se remet à sangloter.
Décidément, ça commence à bien faire !
-Viens, Ardoise, ça suffit pour le premier jour, dit Scouby en me faisant sortir de la pièce. « La pauvre Scoubidou a peur de toi. «
Je ricane intérieurement et me gonfle de fierté : laissez passer la redoutable Ardoise I

La porte de la chambre étant refermée, je ne me soucie plus de la créature qui y demeure. Tranquille, je poursuis ma petite vie ordinaire, apparemment pas traumatisée pour un sou. Daniel et Scouby semblent ravis de mon égalité d'humeur.
C'est au point qu'à présent, quand ma mère d’adoption rentre du bureau, elle se risque à ouvrir la porte de la chambre pour toute la soirée.
-C'est pour encourager la pauvre Scoubidou à prendre part à la vie familiale, dit-elle.
Hé là, pas si vite ! Scoubidou enfermée dans une chambre, bon, je peux encore l'admettre. Mais Scoubidou vagabondant dans mon appartement, c'est une autre paire de manches et j'ai bien l'intention de le faire savoir à l'intéressée !

La mine conquérante, je m'introduis dans le cachot de la prisonnière et pars à sa recherche.
Enfin, je la vois distinctement ! Elle ne s'attendait pas à ma visite et s'était risquée à faire quelques pas afin de reconnaître les lieux.
Elle est IMMENSE ! Toute noire, avec de longs poils touffus et des yeux flamboyants ! Les miens, d’yeux, m'en sortent de la tête !
Hum! Hum ! Heureusement que rien jamais n'impressionne la vaillante chatte Ardoise !
Je respire un bon coup.

Depuis le premier jour, la créature semble s'être légèrement ressaisie. Assise sur son derrière, elle me dévisage, sa queue frappant le sol à côté d'elle: tap, tap, tap...
A mon tour, je m'assieds de la même façon, battant de la queue selon un rythme identique: top, top, top. ..
Silencieuses, nous restons à nous dévisager dans le vert des yeux, sans faire d'autre mouvement. Une heure se passe de cette manière. Je crois que le rite ancestral des présentations entre chats s'est déroulé de manière convenable. Il est temps de passer aux choses sérieuses.
Je prends mon air le plus patibulaire, le colt à la ceinture.
-C'est toi qu'on nomme Bidou ? Ecoute-moi bien, je ne répéterai pas : le chat de cette maison, c'est moi ! Pigé ?
Mentalement, je fais tournoyer mon colt. Yeah !
Elle semble légèrement effrayée. C'était le but recherché. Pourtant, elle ne cède pas d'un pouce.
Serait-ce une dure à cuire, sous ses airs effarouchés ?
-Et moi alors ? dit-elle avec une arrogance inqualifiable. « Je suis pas un chat, peut-être ? »
Ecrasons la rébellion dans l’œuf.
-Toi, tu es une orpheline recueillie par charité. Un genre d'animal sans importance...
Elle me lance un regard qui n'a rien d'insignifiant. Quelque chose me dit tout bas qu'il ne me sera pas tellement facile de la mettre au pas. La Scoubidou, bien que native de notre village campagnard, ne semble pas aussi malléable que mes charmants compagnons de là-bas. ..
- D'abord, dis-je, tu restes dans ta chambre. Je ne veux pas te voir ailleurs. Vu ? - Pour le moment, j'ai pas envie d'aller ailleurs ! Après, je verrai !
Décidément, cela ne sera vraiment pas facile. La lutte sera serrée…
Mais l'issue n’en fait aucun doute dans mon esprit.

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Chapitre 11 : COHABITATION DIFFICILE



J'ai pris l'habitude de rendre visite à ma "cousine" tous les soirs, afin de la surveiller de près. Nous nous considérons d'un oeil méfiant, assises à quelques pas l'une de l'autre. Parfois, nous échangeons des propos gracieux.
- Eh bien, andouille ?
- Ben quoi, grisouille ?
- Motus, .fripouille !
- Non mais, gargouille !
- Gargouille, moi ? Annule, capsule !
- A d'autres, pustule !
- Noiraude ! Pruneau !
- Sale raciste !
- Raciste, moi ? (j'étouffe d'indignation)
-Tu m'as dit: Noiraude! C'est pas parce que j'ai le teint foncé que...
- Tu me traites bien de grisouille !
- C'est tout à fait différent !
Arrivées à ce stade de nos discussions quotidiennes, nous nous mettons à rugir et à souffler. C'est à qui prendra la voix la plus perçante.
- Tu me les casses, fripouille !
- Attrape, grenouille !
- Ouille !
Vlan ! Un coup de patte a été asséné, par l'une ou par l'autre. C'est alors qu'un de nos bipèdes, attiré par le bruit, surgit en catastrophe, persuadé que nous nous étripons, juste quand on commençait à bien rigoler !
- C'est presque fini ce raffut ? Ardoise, sors ! Arrête de faire peur à la pauvre Scoubidou qui n'a plus sa mamy l
Et gnagnana ! Et gnagnagna ! Et je dois être douce et charmante! Et je dois donner l'exemple ! Et patati et patata ! C’est toujours la même qui trinque !
La 'pauvre Scoubidou" me lance un regard torve. Bon, je sors, mais pas trop vite, pour ne pas avoir l'air de décamper. J'emboîte dignement le pas à Scouby tout en jetant négligemment, par-dessus mon épaule : « Bye bye, Bidou, je reviendrai ! »
Elle me fait une grimace affreuse. Décidément, le dressage s'annonce difficile

A présent, elle quitte sa chambre le soir pour se faufiler sous le lit de Daniel et Scouby. Comme elle est toute noire, personne ne la voit.
Ma mère à deux pattes, en faisant son petit tour d'inspection dans l'antre scoubidien, constate que l’occupante des lieux s'est absentée. C'est pourquoi elle laisse la porte ouverte durant la nuit.
Evidemment, ça ne rate pas: à trois heures du matin, nous recommençons à nous chat-mailler. Excédé par les rugissements, Daniel a décidé que ces "sales chats" avaient dorénavant intérêt à se tenir tranquilles en sa présence. Pour commencer, on nous a séparées la nuit : la Bidou consignée dans sa chambre et moi, dans le reste de l'appartement.
Me traiter de sale chat, moi ! Bon, Daniel dit ça, mais quand je vais vers lui en ondulant et en faisant des petites mines, il fond. Je sais comment le prendre. ..
Mais je ne sais toujours pas comment prendre la Scoubidou ! Ca m'énerve !

Et vous pensez peut-être qu’au fil des jours, les choses vont s'améliorant ? Que nenni ! Maintenant, la bestiole refuse toute discussion: elle reste dans l'obscurité, tapie dans sa cachette. On ne la voit plus que sous forme d'une ombre vague. On l'appelle la "chatte-fantôme".
Quant à moi, je dois bien avouer que je n'ai jamais fréquenté une créature comme ça, jamais, même quand j'étais au refuge Veeweide !

- Mais Ardoise, me demande Scouby, pourquoi veux-tu absolument imposer ta loi à cette pauvre bête ?
- Mais tout simplement parce que je suis un CHAT DOMINANT I dis-je, toute surprise par la question. Et tous les chats qui prétendent vivre avec moi doivent s’y faire, c'est aussi simple que ça !
Entre nous, je ne crois pas avoir jamais réellement dominé l'Orca, quand j’y réfléchis sérieusement. L'animal se contentait d'appliquer avec moi son fameux principe : "Tact et diplomatie !" et je n’y voyais que du feu. Toutefois, l'important n'était pas la situation réelle, mais la perception que j'en avais, évidemment.
- Et. ..il y a longtemps que tu es un chat dominant ? demande ma mère d'adoption, un peu sceptique.
- C'est de naissance, Madame !
- Mais...
- Décidément, vous les humains, vous ne voyez pas plus loin que le bout de votre nez: pourquoi penses-tu qu'à Veeweide, toutes les autres chattes de la cage me laissaient toujours manger la première ? Pourquoi elles n'osaient rien dire quand j'engouffrais la moitié de la pitance commune ? Hein ?
Scouby ouvre des yeux effarés. C'est vrai qu'elle ne s'était jamais posé la question. Elle me dévisage avec une considération nouvelle qui, je dois le dire, me fait bien plaisir.
- Comment ? Toi, si petite, si grise, si invisible, si... ?
Décidément, elle en rajoute ! Je finirais par me vexer !
Je gonfle le poil.
- Et alors ? Tu n'as jamais entendu parler des éminences grises ? Tu en as une devant toi I
Soufflée, qu'elle est I
C'est vrai; quoi ! Personne ne m'apprécie à ma juste valeur, dans cette maison !

Je tente une autre approche.
Assise sur mon derrière devant le lit sous lequel se terre la rétive Scoubidou, je prends mon air le plus bénin.
- J'ai une proposition à te faire, Bidou. Ouvre bien tes oreilles, parce que je ne le répéterai pas deux fois !
- Pffffffft !
- C’est une proposition très généreuse: veux-tu faire partie de ma meute ? Silence sous le lit.
- Parce que, tu sais, je suis chef de meute !
- C'est quoi ça, une meute ?
Je suis renversée ! Elle ne sait pas ce qu'est une meute !
- C'est un groupe de chats subalternes qui se placent sous l'autorité d'un chef, expliqué-je pompeusement. " Les chats obéissent à leur chef qui, en retour, dans sa magnanime bonté, leur octroie sa haute protection. "
Un ricanement (qui ne me plaît pas beaucoup) se fait entendre sous le lit.
- Et où elle est, ta meute ?
- Les temps se suivent et changent, dis-je doctoralement. Dans ma jeunesse, j'ai eu sous mes ordres une quinzaine de chattes obéissantes. ..
En fait, si je me souviens bien, elles étaient plutôt somnolentes, mais passons.
- Puis, je les ai quittées pour venir vivre ici et elles, à leur tour, ont dû être dispersées... Je suis sûre qu'elles pensent encore à moi avec nostalgie...
En réalité, elles doivent se féliciter d’être débarrassées du goinfre qui les limitait à la portion congrue, mais chut !
Certaine de mon petit effet, je fais une pause. La voix sous le lit dissipe mes illusions.
- Tu radotes, Charlotte !

Supérieure, je décide d'ignorer l'interruption.
- Puis, j'ai. eu sous mes ordres un dénommé Orca et une certaine Petite-Goulaffe... J'ai été obligée de chasser la Petite-Goulaffe qui me manquait du plus élémentaire respect. Le pauvre Orca, qui m'était resté fidèle, a perdu la vie... Maintenant, c'est toi ma meute.
Rugissement indigné. Je recule, un peu inquiète quand même.
- Moi ? Je suis pas une meute ! Moi je ne vis pas en groupe ! Moi je suis le cow-cat solitaire et loin de son foyer !...
V'là la Bidou qui se prend pour Lucky Luke, à présent !
- D’ailleurs, ronchonne-t-elle, c’est pas les félidés, mais les canidés qui vont en meutes ! T’es pas un chien ni un loup, hein ?
Je suis suffoquée ! C’est n’importe quoi !...
Et même si… Qu’est-ce qui peut m’empêcher, MOI, d’être chef de meute, hein ?
- Et arrête de me casser les pattes, je dors ! poursuit ma meute irascible.
- Je n'ai pas dit mon dernier mot ! rétorqué-je, ulcérée, en quittant la pièce de mon allure la plus royale.

Mon dernier mot, je l'ai dit hier soir.
Selon une autre de mes tactiques d'approche (ou d'intimidation, comme on voudra), je m'étais confortablement assise devant le fameux lit et je fixais la pénombre dans laquelle se tapissait ma proie.
J'avais calculé, il y a un petit temps déjà, qu'en me plaçant à cet endroit stratégique, je faisais obstacle à la progression de la créature vers son assiette de nourriture et son bac de sable. Qui veut la fin veut les moyens : une Scoubidou affamée serait plus facile à mater qu'une Scoubidou en pleine forme. Je connais déjà assez la bestiole pour savoir que, moi présente, elle ne se risquera pas à manger ni à faire ses petits besoins : elle a de ces méfiances...

Donc, j'étais là, immobile et attentive. Aucun bruit, pas même un "Miow !" excédé ne me démontrait si ma ruse avait des chances de réussir. Coriace, l'animal !

Alors moi, la vaillante chatte Ardoise, j’ai perdu ma légendaire patience !
Hors de moi, je me suis précipitée sous le lit afin de donner à la mijaurée la correction qu’elle méritait cent fois ! Oh, mes aïeux, j’en suis encore toute étourdie : un tourbillon noir s’est abattu sur moi et m’a poursuivie, dans ma fuite peu glorieuse, jusque dans la salle de bains !

Je ne sais ce qu'il serait advenu de nous si, sur ces entrefaites, Daniel n'avait fait irruption sur le champ de bataille. La Bidou n'a fait qu'un bond jusqu'à son refuge habituel, me laissant seule à essuyer les reproches.
-Ardoise! Cette fois-ci, tu ne pourras pas nier, je t'ai vue! C'est toi qui as commencé !
Bien sûr que c'est moi ! C'est aussi moi qui suis ici chez moi, non ? Je ne vais pas me laisser faire, non mais !...
Le voilà qui va dans l'ancienne chambre d'Olivier tenter de calmer un peu la locataire des lieux, à nouveau pelotonnée sous le lit, tandis que je prends place sur le radiateur du salon, en ruminant de sombres pensées.

Scouby entreprend de me consoler.
-Ne t'en fais pas, Ardoise! Si Ça ne va vraiment pas, on gardera la porte fermée, voilà tout !
-J'ai vraiment l'impression que Scoubidou se sent plus heureuse dans la solitude, dit Daniel qui vient de quitter le fauve.
Et il est vrai que, quand elle pense que personne ne l'observe, la Scoubidou batifole volontiers dans sa chambre, se promenant sur les armoires et sur l'appui intérieur de la fenêtre (Daniel l'a déjà vue ainsi de la rue, en rentrant du bureau).
Moi, cela me sidère qu'un chat refuse ma si agréable et enrichissante compagnie. Scoubidou, chatte grande et forte, aurait fait une meute si présentable !
Quel gâchis, vraiment !
- C'est vraiment dommage qu'elle soit si épouvantablement timide! soupire Scouby.
- En tout cas, moi, je ne veux plus m'occuper de sa réinsertion sociale, c'est mon dernier mot ! dis-je d'un ton résolu, comme un candidat au jeu de « Voulez-vous gagner des millions ? ».
Et c'est vrai que j'ai gagné le gros lot avec ce monstre! Le gros lot des emm... !
Toutefois, passant devant la porte close de l'intéressée, je ne peux m'empêcher de clamer: "Tu ne sais pas ce que tu perds, Bidou, yeah !"
- J’y gagne une paix royale, miow ! rétorque-t-elle.
Actuellement, les choses en sont là.

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Chapitre 12 : HEUREUSEMENT, IL Y A LES WEEK-ENDS !


Heureusement, je passe mes week-ends à la campagne !
Si on m’avait dit, il y a quelques mois, que je serais heureuse de quitter de temps à autre mon appartement, je ne l’aurais pas cru !
Là, au moins, j'ai affaire à des chats normaux (ou à peu près) et sociables.

Chaque vendredi soir, je reçois l'hommage de mes vassaux.
-Bonjour, Mamzelle Ardoise ! s'exclame joyeusement Négatif en me voyant perchée sur mon sempiternel appui de fenêtre.
D'un bond, il se juche à ma hauteur, de l'autre côté de la barrière sociale (la vitre).
Le Roublard ne souffle mot. Il me dévisage avec défiance, comme si j'étais un cobra, moi, la délicieuse Ardoise !
-Quoi de neuf, mon brave ? dis-je avec bienveillance à l'attention de son frère, ignorant superbement le balourd.
Négatif soupire tristement.
-Mam’zelle Ardoise, je commence à craindre que Roublard et moi ne soyons deux fois orphelins, avoue-t-il en baissant ses beaux yeux en forme d'amande.
Je sursaute.
- Quoi ? Comment ? Néfer… ?
- Trois semaines qu'on n'a plus vu M'man, Mam‘zelle Ardoise! C'est beaucoup, vous ne trouvez pas ?
Si, je trouve. Surtout de la part de Néfer. Elle qui se précipite toujours bonne première sur notre terrasse, quand elle voit la voiture arriver le vendredi soir !
- Vous savez, je l'évitais le plus possible, mais au moins je savais qu'elle était là ! poursuit le Négatif. « Maintenant, je me sens tout bizarre !... »
En effet, le week-end s’écoule sans que la moindre Néfer n’apparaisse à l’horizon…
Bizarre et inquiétant !

Le vendredi suivant, nous arrêtons la voiture devant la maison et, avant de décharger les bagages (c'est-à-dire moi dans mon panier, et le frigo-box), nous scrutons les environs. Pas de Néfer !
- Pauvre Néfertiti, peut-être n'a-t-elle pas survécu longtemps à son Orca I soupire Scouby.
Bien entendu, Roublard et Négatif sont fidèles au poste, prêts à recevoir la manne providentielle que sont des gamelles copieusement garnies. Nous leur offrons satisfaction et nous rendons au salon où je me tasse frileusement devant le petit réchaud à pétrole que Daniel vient d'allumer.
-Kaï kaï kaï ! Glaglagla ! Vous ne croyez pas qu'il faudrait allumer aussi le poêle? suggéré-je de ma voix la plus mourante.
-Minute, Ardoise ! Laisse-moi au moins le temps d'aller chercher du bois au fenil !
-Si tu veux, je peux t'accompagner au fenil ! m'exclamé-je aussitôt, alléchée par la perspective des suaves odeurs qui hantent ce lieu qui (faut-il une fois de plus le préciser ?) m'est en principe interdit.
Ma proposition n'est pas agréée.
Tant pis, je vais me contenter de rester ici, dans les vapeurs de pétrole, et je m'asphyxierai et Daniel et Scouby pleureront sur leur pauvre chat martyr et ce sera bien fait pour eux, na !

-Néfer ! s'exclame Daniel, à peine la porte de la salle à manger ouverte. Nous nous précipitons tous. J'ai oublié ma mauvaise humeur, vous pensez bien ! Mais oui, c'est bien elle, toute noire avec son petit jabot blanc, qui se tient derrière la vitre dans sa coutumière attitude modeste et réservée.
-M'man ! dit Négatif qui, la première joie passée, ne peut s'empêcher d'exprimer au peu de reproche. "Il faut prévenir, quand tu pars en vacances ! On ne savait pas où tu étais !"
- Comment, vous vous êtes inquiétés, mes chéris ? s'étonne ingénument Néfertiti. « Si j'avais su... ! Oh merci, M'dame Scouby, c'est bien gentil de me servir à manger, mais je n'ai pas tellement faim, vous savez... Je goûte juste un petit morceau, pour vous faire plaisir. ..Et vous pouvez un peu me caresser aussi, si vous voulez. ..Oui, comme ça, merci. .. Un peu plus à gauche… Ouââââh ! «
-Mais, M'man, où étais-tu ? Ce fait quatre semaines qu'on ne te voit plus !
- Si longtemps que ça ? roucoule Néfer. « En fait, je suis restée tranquillement à la maison, vous savez, il a fait tellement froid et je ne suis plus toute jeune. J'ai hiberné quelque temps, bien au chaud. Mais maintenant, c'est fini de paresser, il y a comme un petit frisson de printemps dans l'air, je me trompe ? «
Elle a raison. Cela ne se voit pas encore, mais le printemps survient à pas de loup. Les jonquilles sortent de terre, tout doucement.
Néfer reprend du poil de la bête... et ses anciennes habitudes.
-Aménophis, commande-t-elle, n'ouvre pas comme ça la bouche en me regardant, on dirait un des poissons de l'étang ! Et essuie ton oeil gauche avec le dos de ta patte !
Le malheureux, en effet est atteint d'une conjonctivite tenace. Je crois que cela vient du fait qu'autour des yeux, son poil est blanc. Il n'a pas, comme son père, des pigments noirs pour se protéger des infections. C'est du moins ma théorie, j’ai constaté à diverses reprises, en effet, que beaucoup de chats blancs ont les paupières enflammées. On dirait des lapins albinos.
-Je ne m'appelle pas Amen-Au-Fils, mais Négatif, tu le sais bien, M'man ! Je suis le CHArmant Négatif !...
Néfer soupire: "Quel prénom !... »
Je ne puis résister au désir d’y aller de ma taquinerie: "Vous pourriez l'appeler Négatou ! Lou pitchoun Négatou, c'est joli, non ? C'est du provençal !"
Tout le monde semble sceptique. Le pitchoun, lui, est carrément contre.
- Ca va pas la tête, Mam’zelle Ardoise ?

Quand nous discutons, tous les deux, il me vient parfois une grosse bouffée de nostalgie.
-Mais arrêtez de ressembler à votre père comme ça! Vous me donnez le cafard !
Il écarte les deux pattes antérieures en un geste d'impuissance.
-Qu’y puis-je, Mam’zelle Ardoise ? Je ne le fais pas exprès !
C'est vrai que c'est hallucinant: la même façon de marcher, de miauler, de se tenir, de manger... Le même caractère serein et débonnaire... La même façon d'aborder la vie, avec humour et appétit.
C'est bien simple, s'il n’y avait pas certaines dissemblances physiques, je jurerais que notre Orca n’est jamais parti !

D'ailleurs, Scouby et Daniel n’y ont pu résister... Après cinq mois, la chatière est à nouveau ouverte, l'animal entre et sort à son gré... passe ses journées de week-end confortablement lové dans un fauteuil ou sur des genoux accueillants.. puis, à six heures du soir, ponctuellement, il repart avec quelques paroles polies.
Aurait-il à présent une famille qui l'attend pour le souper ?

Je dois bien l'avouer : c'est vrai qu'il est CHArmant, ce Négatif !

On ne peut vraiment pas en dire autant de certaine créature diabolique… !
Je parle, bien sûr, de la perturbatrice en fourrure noire qui, il y a déjà plus d'un mois et demi, est venue squatter mon home sweet home et se permet d’y rester !

Parce que, figurez-vous qu'elle s’imagine que l'ancienne chambre d'Olivier est sa propriété exclusive, Mademoiselle Scoubidou ! Quand je me permets d’y entrer (parce que moi je suis chez moi), elle me lance des injures de l'endroit où elle se tapit, principalement sous le lit comme vous le savez.
Alors, froissée, je me contente de m'asseoir devant sa porte ouverte, l'oeil aux aguets, l'expression réprobatrice.
Ca ne lui plaît pas non plus ! Qu’est-ce qu’il lui faut ?

Quand Scouby apporte au stupide animal une assiette copieusement garnie, je l'escorte, bien sûr ! Pas question qu'on m'écarte de la vie familiale ! Quand la gamelle est posée sur le sol, je la renifle, évidemment, faut que je contrôle la tambouille ! Pour contrôler, c'est incontournable: je dois goûter, sinon ce ne serait pas une vérification sérieuse ! Je teste donc le steak haché de Scoubidou, le mien se trouvant bien en sécurité dans ma propre écuelle, à la cuisine.
Eh bien, pour récompense de mes bons soins, je ne reçois que noire (c'est le cas de le dire) ingratitude, vous imaginez ! La bestiole prend mal ces marques d'intérêt et s'avise de mugir et souffler dans ma direction !

Voilà-t-il pas que, l'autre jour, je la rencontre dans le hall de nuit, entre la salle de bains et sa chambre !
-Keske tu fais là ? éructé-je, les poils gonflés.
-Je me promène, grogne la ténébreuse. Je suis pas prisonnière, non ?
-Si, dis-je en barrant fermement le passage qui mène au salon et au reste de l'appartement dont je suis l'incontestée maîtresse.
-Et pourquoi je pourrais pas me balader dans le hall de nuit, si je peux savoir ? rétorque la créature à l'aspect méphisto-félin.
Bonne âme, je consens à expliquer :
- Parce que ce passage mène à la salle de bains où se trouve MON bac de sable, et je ne veux pas te rencontrer quand je me rends au petit coin, vu ?
-Sale caractère! grommelle l'intruse en réintégrant dignement sa chambre où je m'apprête à la suivre pour continuer cette édifiante conversation. Un rugissement me coupe les pattes
- Pas de grisouille dans MA chambre !
- Rien n'arrête la vaillante chatte Ardoise, clamé-ie pour la galerie.
Ceci étant dit, je me retire avec vaillance et diligence afin de méditer sur ma majesté outragée.
Une seule attitude est de mise, en une telle occurrence : le dédain absolu ! La négation intellectuelle de la moindre notion scoubidienne ! Peut-ètre que si je me concentre suffisamment longtemps, la bestiole finira par disparaitre, à force de ne pas exister ?
Ensuite, rien que pour m'embêter, la Bidou a fait des efforts de sociabilité. Pas à mon égard, non, non ! Elle est sortie de sa cachette alors que Scouby garnissait sa gamelle et a gambadé dans la pièce en se tortillant de manière coquette, tout en émettant des miaulements presque amicaux.
Miaulements qui sont allés crescendo lorsque, l'assiette proprement vidée, elle a voulu faire comprendre qu'elle désirait encore un peu de steak.
- Eh bien, on dirait que tu as moins peur de nous, Scoubidou ! l'a complimentée ma mère d'adoption tout en évitant de faire le moindre geste brusque susceptible de provoquer une rechute de paranoïa
Mol, oubliant ma résolution, je suis venue aux nouvelles. Il faut croire que je suis le monstre du Loch Ness, parce que j'avais à peine pointé le nez sur le seuil de la chambre que…
-HIIIIIIIIIII ! s'est époumonée la maniérée.

Outrée, je suis retournée sur mon radiateur où Scouby est venue me prodiguer, une nouvelle fois, ses consolations bien intentionnées.
- Ne t'en fais pas, mon Ardoiseke !
- Oh, pas de raison pour que je m'en fasse ! dis-je en regardant paresseusement le boulevard. C'est quand même moi qui ai la meilleure part… Et puis, à mes yeux, sincèrement (?), cet animal n'existe pas !!!!
C'est tellement vrai que lorsque, quelques instants plus tard, la Bidou (ayant pris son courage à quatre pattes), a passé une tête précautionneuse dans mon salon, je me suis contentée de fermer les yeux en faisant mine de plonger dans un profond sommeil.
Le dédain absolu, j'ai dit !

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Chapitre 13 : JE DISPARAIS.


Pourtant, c'est une nouvelle fois avec soulagement que je vois arriver le week-end et la perspective d'un séjour régénérant dans une maison accueillante, n’appartenant qu’à moi.
Après (tout de même) les traditionnels trémolos que je vocalise du fond de mon panier, nous voilà arrivés à la campagne. Comme d'habitude, il fait froid et Daniel court dans le fenil casser du petit bois pour le feu, tandis que Scouby range les blousons dans ce qu'elle appelle son "vestiaire" : une gigantesque armoire ancienne, propriété de ma Bobonne (la « mamy » de la Bidou !).

Mue par une légitime curiosité et un sempiternel besoin de vérification (les meubles n'auraient-ils pas bougé en mon absence ?), j'entre dans l'armoire sans que Scouby s'en aperçoive... et la porte se referme sur moi.
Comme il fait noir ici! Et bien tiède, dites donc ! Pas comme dans le salon où je claque des billes !
J'explore, à tâtons. Tiens, voici la chemise de Daniel, je la reconnais: elle porte son odeur parce qu'il vient de l'enlever pour revêtir un gros pull. Des deux pattes de devant, je fais glisser du cintre ladite chemise, la roule en boule dans le fond de l'armoire et m’y installe en fermant les yeux d'aise.

En dehors de l'armoire, les événements se déroulent sans la moindre sérénité... - Daniel, tu n'as pas vu le chat ? J'ai beau chercher partout, je ne la vois pas...
- Elle n'est pas dans le fenil !
- Peut-être est-elle montée dans la chambre, je vais regarder...
Quand elle redescend, l'angoisse se fait jour dans sa voix.
-Pas de chat !... Pourvu qu'elle n'ait pas découvert le système de la chatière !
- Ardoise, mon minou ! ARDOISE !
Daniel abandonne son bois en fulminant. Les voilà tous deux occupés à fureter
avec rage, en hurlant sur tous les tons mon doux prénom.
Moi, comme Orca vous l’a déjà dit en son temps, je suis le chat qui ne répond JAMAIS au nom d'Ardoise. Tranquille dans ma cachette, j'écoute avec ravissement la scène de ménage qu'a provoquée ma disparition. Ils en sont aux mots d'oiseaux. J'adore les mots d'oiseaux, ceux qui volent haut comme ceux qui volent bas... Ca me donne envie de les attraper...
-Tu peux bien parler, clame Scouby, c'est quand même TOI qui avais perdu Ardoise l'été dernier !...
-Et c'est TOI qui as oublié de fermer la chatière quand nous sommes arrivés ! Intelligente comme elle est, elle aura vite compris !. ..
Compris quoi ? Décidément, cette fameuse chatière m'intrigue de plus en plus. Va falloir que je vérifie, un de ces jours. ..
Les voilà qui sortent de la maison, l'un par derrière, l'autre par devant. Désespérément, ils scrutent l'obscurité et poussant des appels angoissés : "Ardoise ! ARDOISE !... ".

-C'est pas possible, s'exclame Scouby en rentrant. Elle ne peut pas avoir disparu si vite I Je vais encore voir en haut I
Elle monte l'escalier, munie d'une lampe de poche, et s'aplatit par terre pour regarder sous tous les meubles. Daniel, lui, regagne le salon et... ouvre la porte de mon armoire.
J'entends les trompettes de Jéricho: "JE L'AI ! ELLE EST LA !" Soulagement général. Je sors de l'armoire, la queue haute.
-Vous n'avez même pas encore allumé le feu ? dis-je, réprobatrice. Décidément, vous ne vous souciez pas beaucoup du bien-être de votre chatte adorée !

Le lendemain matin, Daniel est parti en voiture pour aller chercher ma Bobonne qui venait passer la journée chez nous.
Je l'aime bien ma Bobonne, parce qu'elle dit toujours que je suis une chatte si gentille et si mignonne, et aussi parce qu'elle s'extasie à chacune de mes petites mines. Le seul ennui, c'est qu'elle parle aussi beaucoup de son monstre familier: "Et Scoubidou ceci, et Scoubidou cela... Ah, elle me manque, Scoubidou !"
Même ici, la bestiole ne me laisse pas tranquille ! Dommage qu'on ne puisse l'accepter, à la maison de repos ! Malheureusement, les responsables des lieux sont intraitables là-dessus : pas d'animaux domestiques ! Et encore, ils n'ont jamais vu la Bidou. S'ils la connaissaient, le règlement serait sûrement encore plus draconien : pas de Scoubidou même en effigie ! Heureusement, ils ne la connaissent pas et Bobonne peut conserver pieusement, sur sa table de nuit, une photo du fauve bien-aimé.

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Chapitre 14 : UN PEU D’EGYPTOLOGIE


Pendant ce temps, notre voisine est occupée à soigner son jardin avec amour et compétence. Assis sur son derrière tout près d'elle, Négatif admire en connaisseur.
-Pas mal, M'dame Belot, vous ne voulez pas que je vous aide un peu à creuser la terre ? Avec mes pattes, ce serait vite fait ! Je peux même arroser, si ça peut vous être utile !
- Quel adorable chat ! s’exclame Madame Belot toute émue.
Négatif se rengorge : il a intérêt à être dans les petits papiers de la voisine, c’est elle qui le nourrit quand nous ne sommes pas là !

Plus tard, lui et moi nous retrouvons de part et d'autre de notre fenêtre de salle à manger. Je trouve que l'animal semble soucieux.
- Koikilia ? m'enquiers-je.
- Oh, Mam 'zelle Ardoise, je ne sais pas si vous avez remarqué, mais on ne voit plus Roublard. .
J'écarquille les yeux. C'est vrai : ces derniers temps, Négatif est toujours seul.
Quelle famille fugueuse, décidément ! D’abord la mère, ensuite le frère !
- Où peut-il être passé ? soupire le délaissé.
- Il s'est peut-être fait écraser par une voiture ? dis-je, encourageante et optimiste comme toujours.
-On le saurait, Mam’zelle Ardoise ! On l'aurait vu ! Surtout un chat du gabarit de notre Babar !
C'est juste.
-Naïf comme il est, il a peut-être suivi une chatte de rencontre, se lamente Négatif. « Ou alors, il est allé se promener dans la forêt et s'est perdu... «
- Beuh non, dis-je, cette forêt est toute petite I Même un bêta comme votre frère ne pourrait s y égarer !
- Ou alors, il a trouvé une famille quelque part...
Devant mon visible scepticisme, il y va de ses arguments: "Vous savez, Mam'zelle Ardoise, il y a des gens qui aiment bien les gros patapoufs tout blancs avec une tête à la Chaplin, comme notre Roublard ! Ils trouvent ça mignon. .." Bon, d'accord. Certaines personnes ont des goûts bizarres...
-C'est comme P’pa, hein, Mam'zelle ! Il était pas si beau que ça...
Il était même affreux, je dirais, mais je le garde pour moi. Pas la peine de vexer mon interlocuteur : la famille, c'est sacré !
- …et pourtant, M'sieur Dan et M'dame Scouby l'aimaient beaucoup! Vous
l'aimiez beaucoup aussi, Mam’zelle Ardoise, malgré vos airs !...
- Bon, d'accord, d'accord, c'est pas la beauté qui compte! capitulé-je, évitant de laisser glisser la conversation sur mes petites mines snobinardes.
-Peut-être que notre Roublard se cache quelque part au chaud, comme M'man qui avait disparu pendant si longtemps! continue l'animal pour se rassurer.
- C'est bien possible, approuvé-je. » A propos, comment va-t-elle, votre maman? »
- Elle est incroyable, Mamzelle Ardoise ! Elle a de ces inventions !... Vous savez qu'elle n'aimait pas mon prénom, Négatif ? Eh bien, maintenant, elle commence à l'accepter... Devinez pourquoi ?
J'ouvre grand mes oreilles pointues.
-Elle a découvert que Nég-Atif, ça a un petit aspect égyptien !
Il est obligé de m'épeler pour que je comprenne. Les pattes m'en tombent.
-Et même parfois, reprend la bestiole en prenant un air misérable, elle m'appelle Nég-Aton !
Je manque dégringoler de mon appui de fenêtre et reprends ma dignité à grand-peine.
-Elle est occupée à réinventer toute l'égyptologie, Mam'zelle Ardoise. Son histoire d'Egypte à elle, c'est ça :
"Il était une fois un immense royaume où coulait le Nil. Sur ce royaume régnait une jolie petite chatte noire à jabot blanc, nommée Néfertiti. Cette petite chatte était mariée à un pharaon noir et blanc, répondant au nom d'Or-Kâ, et avait deux enfants, Nég-Aton et Bab-Hâr... Un triste jour, pourtant, Or-Kâ partit sur la barque du destin. .."
...et ainsi de suite, Mam’zelle Ardoise! Notez bien, on ne le dirait pas, mais c'est une intellectuelle, ma M'man ! Au fond, j'aurais bien aimé vivre en Egypte, au temps où nous étions si bien considérés, nous les chats !. ..
- C’est vrai ? Que faisions-nous, en Egypte ? demandé-je, intriguée.
Un peu d'instruction n'a jamais fait de mal à une honnête chatte !
- Nous gardions les temples, Mam'zelle Ardoise! Nous avions même une déesse à notre effigie ! Ca devait être cool, non ?
Moi, Ardoise, gardienne d'un temple ? Je ne crois pas que ça me plairait... Vous me voyez déjà exercer une fonction pareille, avec le petit caractère enjoué que vous me connaissez ? .Je périrais d'ennui ! Est-ce qu'il y avait des radiateurs surmontés de coussins moelleux, dans ces temples ? Ca m'étonnerait... Non, non, je suis bien contente de n'être pas chat d'Egypte à l'époque des pharaons!...
Par contre, Sa Seigneurie Caramel aurait adoré ça !

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Chapitre 15 : PARTAGE DU TERRITOIRE


Voilà que nous rentrons à Bruxelles, le week-end terminé. Demain, Daniel va entamer sa toute dernière semaine de labeur, avant la pré-retraite ! Scouby va travailler encore quelques mois... A courte échéance, notre vie va changer, mais je ne m’en rends pas encore vraiment compte…

Evidemment, à peine ai-je posé les pattes dans mon appartement et entrepris mes rituelles vérifications, il faut que je me rende à l'évidence: la Bidou s'est baladée PARTOUT chez moi !
Justement, la voilà à la porte de sa chambre, me fixant d'un oeil menaçant.
- Cette chambre, le hall de nuit et la salle de bains sont à MOI ! déclare-t-elle sans ambiguïté. Je consens à te laisser un droit de passage pour te rendre à ta litière, mais c'est tout! C'est pas juste que TOL tu prennes tout l'appartement alors que MOI, je n'ai qu'une chambre !
Mon poil se gonfle. Oser me traiter de la sorte chez moi !
-En plus, poursuit l'insupportable, je veux aussi la chambre dont la porte est fermée, celle-là !
-JAMAIS DE LA VIE ! glapis-je. « C'est la chambre de Daniel et Scouby et j’y passe mes nuits. Pas de noiraude dans la même pièce que moi !
-Teigneuse !
- Voleuse !
- Chicaneuse !
- Emm...euse !
- IIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIlIIIh ! PSSSSSSSSSSSHHHHHHH !
-YEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEK !
-C'EST PRESQUE FINI LES CHATS I hurle une voix bien connue, venant du salon. ARDOISE ! VIENS ICI !... TU SAIS BIEN QUE SCOUBIDOU A PEUR DE TOI !
Peur ? Mon oeil !
J'opère une digne retraite. Inutile de préciser que je bous de rage, je parie que la vapeur me sort par les oreilles !

Plus tard, je viens à peine de m'allonger sur mon repose-pied, que vois-je ? La Bidou se dirigeant d'un pas nonchalant vers MA cuisine! Je gonfle comme un ballon : c'est fou comme mes poils s'aèrent souvent, ces derniers temps !
- Eh! J'tai pas laissé le droit de passage! craché-je.
- Ce droit, je j'ai automatiquement! réplique (de loin) l'intéressée. Etant donné que je m'appelle Scoubidou PASSAGE !
- Et pourkwâ que tu t'appellerais comme ça ? hurlé-je.
- Parce que c'est le nom de famille de ma Mamy ! Donc c'est mon nom aussi ! C’est écrit sur mes papiers d’identité et dans mon petit livret de santé !
Le comble, c'est que c'est vrai ! Ecoeurée, je ferme les yeux.
Pour les rouvrir aussitôt, frappée par une pensée soudaine : si la Bidou habite à présent chez moi, va-t-elle changer de nom de famille ? Va-t-elle s’appeler COMME MOI ? Inimaginable, vous ne trouvez pas ?

Depuis, nous nous évitons soigneusement. La Bidou ne se promène dans l'appartement que lorsqu'elle est assurée que je suis profondément endormie sur mon radiateur, ce qui arrive souvent. Moi, je ne me rends à la salle de bains qu'après avoir vérifié si la bestiole est terrée sous son lit ou fait la sieste à l'une de ses places favorites, derrière un petit fauteuil de sa chambre.
Ce qui me fait enrager, c'est que, vraiment, mon appartement est à présent coupé en deux par un invisible mur de Berlin ! Au diable la calamiteuse !
Cette dernière n'a pas renoncé à inclure aussi dans son territoire la chambre de mes parents. Mais là, elle tombe sur un os : elle a beau fixer Scouby d'un regard plein d'espoir quand celle-ci ouvre la porte de ladite chambre, elle n'a toujours pas le droit d’y pénétrer… Mes parents n'ont pas envie d'être à nouveau réveillés, à trois heures du matin, par une flambée de guerre Ardoiso-Scoubidienne se déclenchant sous leur lit !

Pour ma part, morose, je médite sur mon radiateur, en regardant distraitement les bus et les voitures qui circulent sur mon boulevard.
Je suis obligée d'admettre une chose : je ne suis pas une chatte ordinaire.
Bien sûr, j'ai de multiples qualités qui font de moi le fleuron de l'espèce (vous allez penser que mon second prénom est Modeste) mais aussi, il est évident qu'une malédiction s'attache à ma pauvre petite personne.

Comment expliquez-vous, les amis, que j'attire comme un aimant tous les chats tordus de la Terre ? Je ne connais AUCUN chat simplement ordinaire ! C'est comme si je portais sur la tête une banderole: "Venez à moi les félins vagabonds, ou complexés, ou timides, ou trop bêtes, ou trop intelligents, ou mythomanes, ou petites pestes, ou gloutons, ou envahissants I Venez à moi, les Orca, les Titi, les Roublard, les Négatif, les Néfertiti, les Petite-Goulaffe, les Gourmande, les Scoubidou ! Venez compliquer l'existence de la pauvre Ardoise qui ne demandait benoîtement qu'à mener une vie paisible et tranquille !"

Peut-être que ça n’existe pas, un chat simplement ordinaire…


Chapitre 16 : DANIEL NE TRAVAILLE PLUS


Et voilà, une semaine de plus s'est écoulée et Daniel a arrêté de travailler ! Plus de réveille-matin pour lui ! Après 31 ans d’activité professionnelle, cela lui semble bizarre… Il ne peut s’empêcher de prendre régulièrement le bus pour aller dire un petit bonjour à ses anciens collègues et, par la même occasion, les empêcher de travailler…

Pour ma part, je continue à bien me porter, malgré mes petits soucis. Il paraît même, dixit Scouby, que ma silhouette s'est (encore) un peu arrondie au fil des derniers mois. Il est vrai que je dors... pardon, que je médite beaucoup et longtemps, confortablement allongée sur mon radiateur, mon repose-pied ou, plus simplement, dans mon panier "Félix".

Je possède trois paniers "Félix" à présent, .figurez-vous ! Deux qui m'appartenaient déjà, tout amollis parce que Scouby les a lavés dans la machine, et celui de la Bidou, encore en parfait état parce qu'elle n'a jamais consenti à y pénétrer. Et à mon avis, elle n’y mettra pas le bout d'une patte, à présent que j’y ai introduit ma délicieuse petite odeur ardoisienne !

L'un de mes deux paniers amollis se trouve dans notre maison de campagne. On s'en servait naguère pour me transporter, mais dans une crise de ras-le-bol, j'ai déchiré le petit grillage en plastique qui m'isolait du monde extérieur. Maintenant, on me véhicule dans le panier de Bidou, où je peux me lover assez confortablement, étant donné que le toit ne s'affaisse pas sur ma tête.

A la campagne aussi, je médite beaucoup pour le moment. On pose mon sac de transport (ouvert, cela va de soi) devant le petit poêle à pétrole ou devant le feu de la cuisine et je rôtis en silence, roulée en boule, plongée dans un doux engourdissement Que voulez-vous que je fasse d'autre ? Il ne fait pas assez beau pour que je sorte, je déteste me mouiller les pattes sur le gazon. Quand je vois, de l'autre côté de la vitre de la salle à manger, le pauvre Négatif arriver tout trempé, je me sens doublement heureuse de mon sort de petite Ardoise. ..Il est vrai que Négatif, habitué à braver tous les climats, n'a pas l'air de se formaliser d'une averse. Tant qu'il trouve, devant notre porte, une gamelle bien pleine, il est heureux. Et quand Scouby sort pour le caresser, il est à la fête, le zèbre !

Quand je veux démontrer que, tout de même, je me préoccupe de ma forme, je m'empare de ma balle de tennis pour m'affaler sur elle en gigotant vigoureusement des quatre pattes. Puis je fais un saut en hauteur, comme si l'étais montée sur ressorts, et pique un petit galop à travers la pièce. Ensuite, la conscience en repos, le me réinstalle dans mon panier et ferme les yeux, exténuée par toute cette gymnastique.

A l'appartement, depuis que Daniel ne travaille plus, je passe une partie de mes journées confortablement assise sur ses genoux. Là, le roi n’est pas mon cousin, d’autant plus que l’indésirable locataire féline me fiche une paix royale, enfermée comme elle l’est dans ses propres quartiers.

Mais quand Scouby rentre du bureau, elle a la détestable habitude de délivrer notre fauve de poche afin de faciliter la réinsertion sociale de l'intéressée. Inutile de vous dire que cette louable tentative ne récolte que de faibles résultats ! La bestiole ne pointe le nez dehors qu'avec une extrême méfiance. Si je suis dans les parages, elle refuse de se montrer... Je commence à penser que, vraiment, elle ne ressent pas à mon égard une folle tendresse...
Tant mieux, c’est réciproque.

Quand, par un hasard favorisé par mes soins (j'adore la perturber I), nous nous retrouvons face à face, elle se met à rugir et à se démener. J'observe ce spectacle avec le plus grand intérêt, mais hélas ! Dès que la voix de la ténébreuse se fait entendre, ça ne rate pas : "ARDOISE, ICI TOUT DE SUITE ! C'EST PRESQUE FINI DE CHERCHER LA BAGARRE ?????"
Peut-on dire ça de moi ?

Je suis une chatte si gentille, si tendre, si attachée à sa famille ! Si attentionnée aussi... Tenez, je vais vous en donner la preuve.

L'autre jour, j'arrive dans la salle de bains. Scouby est dans la baignoire, paresseusement étalée, les yeux fermés, les doigts de pied en éventail.
Je me juche sur le rebord de la cuve où elle macère dans ce qui me semble être une marinade blanchâtre. Qu'est-ce que c'est que cela ? Ca sent l'orange, en plus !
Je n'aime pas quand un membre de ma famille est plongé dans l'eau : ça me fait peur. J'envisage immédiatement les pires catastrophes !

Bouleversée, j'arpente le rebord de la baignoire en me lamentant comme une véritable tragédienne : "Mon Dieu, mon Dieu, quelle imprudence ! Tu vas te noyer ! Mon Dieu !"
Je me penche aussi bas que possible pour humer de mon petit nez délicat ces épouvantables effluves fruités.
- Ardoise, arrête de gigoter comme ça, tu vas tomber dans le bain !
- Mon Dieu ! Tu vas te noyer ! Et dans quel immonde cloaque !
- Cloaque, mon eau aux huiles essentielles d'agrume ? C'est de l'aromathérapie, ma chère : le parfum de l'orange est censé me donner vigueur et énergie !

Une bougie s'allume dans mon cerveau et je saute à terre : l'aromathérapie, ça me donne une fameuse bonne idée.
Comme par hasard, ma litière se trouve dans la salle de bain. ..Si je mélangeais un subtil parfum d'ammoniaque à l'odeur de l'agrume, Scouby ne resterait pas ainsi nonchalamment allongée dans son eau perfide et dangereuse !
Sitôt pensé, sitôt réalisé : je me plante des quatre pattes dans le sable et me concentre...
Un glapissement me démontre la justesse de mon plan.
-Ardoise ! Quelle idée de faire pipi dans ton bac alors que je suis dans mon bain ?
-Juste un petit besoin pressant, dis-je sur un ton d'excuse. Je ne pouvais pas savoir pour combien de temps tu en as...
Elle se lève, quitte la baignoire en soupirant.
- Ce n'est pas ta faute, mon Ardoise, mais vraiment, ça sent le produit chimique à plein nez ! Comment est-ce possible ?
Je suis vraiment fière de moi! Je lui ai sauvé la vie une fois de plus !

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Chapitre 17 : JE SUIS DE MAUVAISE HUMEUR


Le week-end passé, à la campagne, je me sentais un peu déprimée et maussade... Pas de Scoubidou à ennuyer, pas de voiture passant sur un boulevard animé... C'est tout juste si, en faisant bien attention, j'ai pu distinguer une petite souris prudemment cachée dans un trou du mur.
-Vous seriez pas ma copine la musaraigne, par hasard ? demandé-je, pleine d'espoir.
-Pouic ! Pouic ! répond une petite voix.
Apparemment, il ne s'agit pas de ma musaraigne... Elle parle avec un autre accent.
Je retourne me coucher dans mon panier et fixe le feu d'un oeil morne.
Je me demande où est passé le Négatif… Il doit s’amuser quelque part, pendant que je m’étiole… C’est trop injuste…

Tiens, voilà que Scouby ouvre la porte du jardin.
-Bonjour, mon petit minou ! Entre !... Ardoise sera sûrement contente de te voir parce qu'elle s'ennuie, la pauvre !...
...et l’objet de mes pensées se précipite dans la cuisine d'un petit pas conquérant !

Me dressant tel un reptile, je siffle: "Keske vous faites ici chez moi, vous ? »
Il en est tout décontenancé.
-Mais, Mam’zelle Ardoise, vous me connaissez, quand même, depuis le temps ! C'est moi, le CHArmant Négatif ! Orca-Junior, quoi !... Moi avec qui vous aimez tant bavarder !
-Z'avez rien à faire dans mes murs ! De l'autre côté de la fenêtre, oui, mais pas ici !
Inutile de le préciser, vous l’aurez deviné, les amis, je suis de TRES mauvaise humeur !

Je quitte mon panier en rampant comme un boa, je me dirige lentement, très lentement, vers ma gamelle... Bref, j'ai repris mon petit jeu du fauve évoluant dans la forêt équatoriale.
Le Négatif, assis sur son derrière devant le poêle, pas ému pour un sou, me considère d'un oeil très intéressé.
-Pourquoi vous marchez comme ça, Mam’zelle Ardoise ? On dirait que vous avez des rhumatismes !... Z'êtes toute raide !
-C'est ainsi qu'il faut se comporter en cas d'intrusion d'un élément perturbateur et étranger !
-Oh, z'êtes marrante, Mam’zelle Ardoise !
Moi qui voulais lui inspirer une crainte salutaire ! II m'observe en baillant. Dans un instant, ses yeux vont se fermer et il va faire la sieste devant le poêle de MA cuisine, je le pressens ! La vie est vraiment trop dure pour la malheureuse Ardoise !
Mes pressentiments reçoivent confirmation: le Négatif se met en boule en poussant un grand soupir d'aise.

Ulcérée, je retourne m'allonger et sombre dans une profonde mélancolie.
- C'est bizarre, on dirait vraiment qu'Ardoise est déprimée, s'inquiète Scouby.
- Tiens, c'est seulement maintenant que tu t'en aperçois ? marmonné-je, les yeux fermés. Je refuse de considérer encore ce monde qui m'entoure, plein de pièges et de chats indésirables. ..
-Viens, minette, on va jouer à la baballe ! clame-t-elle avec entrain.
Le chat fidèle va devoir, une fois de plus, se donner en spectacle !
Bonne fille, je m'extirpe de mon panier. Scouby lance une petite balle de ping-pong qui rebondit très haut, en faisant tac-tac-tac-tac sur le sol.
- Cours, Ardoise !
Je cours un peu, pour lui faire plaisir. Puis, pour bien montrer que ce jeu m'ennuie, je fais de petits bonds à droite quand Scouby lance la balle à gauche, et vice-versa.
- Tu as vraiment un comportement étrange ! Qu'est-ce qui se passe ?
- Si tu éloignais de moi tous les Négatifs et les Scoubidous du monde, je me sentirais certainement mieux ! suggéré-je.
-Voyons, Ardoise, ne sois pas si exclusive! On ne t'aime pas moins parce qu'on nourrit d'autres chats ! Et la Scoubidou, tu sais, on n'a pas tellement le choix : la pauvre bestiole n'a pas d'autre famille que nous !
- Elle a mon tonton Jean-Marc, ma tante Chantal, ma tante Martine...
- Ils en ont trop peur !
Je lève les yeux au ciel.
- Il y a mon tonton Dominique. ..
- Qui est allergique aux chats! Et j'ai lu qu'un chat noir dégageait quatre fois plus d'éléments allergènes qu'un autre chat !
On est vraiment bien tombés, quoi !
- Et puis, continue Scouby, admets que si tu n'as personne à tourmenter, tu t'ennuies encore plus !
C'est peut-être, vrai. Quel dilemme !


Chapitre 18 : ENCORE ET TOUJOURS SCOUBIDOU


Nous sommes à présent revenus à l'appartement où je passe mon temps à guetter étroitement l'animal aux funestes émanations allergènes. Parce que, en plus de tout le reste, .figurez-vous que, depuis quelques jours, Mademoiselle Scoubidou s'émancipe! Quand on ouvre la porte de sa chambre, elle se balade dans toutes les pièces avec l'oeil calculateur d'un commissaire-priseur ! Pendant qu'elle fait son petit tour, je m'étrangle de fureur muette sur mon radiateur.

Le comble! Elle s'est rendue à la cuisine, toute tranquille, comme chez elle, et elle a mangé MON STEAK TARTARE A MOI !

Vous vous demandez sûrement: "Mais pourquoi Ardoise ne réagit-elle pas en tabassant le stupide animal, pour bien montrer sa supériorité ?"
Oui, vous avez raison de vous poser la question ! Le problème, c'est que si je passe à l'action, je ne suis pas sûre du tout d'avoir le dessus... Il est infiniment plus prudent d'opter pour une stratégie toute ardoisienne : surveiller, surveiller, surveiller.
Hors de portée des griffes de l'ennemie, je la fixe avec férocité, suivant de l'oeil ses moindres mouvements, même quand elle se trouve dans une autre pièce. J'ai un regard aux rayons X !

Même quand Scouby a refermé la porte de la chambre de la Noiraude, ce qu'elle fait tous les matins quand elle part travailler et tous les soirs (quand la créature manifeste que, pour elle, l'heure du dodo a sonné), je continue à guetter, car on ne sait jamais! Si elle allait subitement se matérialiser devant moi ? Pour me rendre à la cuisine ou à la salle de bains, j'adopte des ruses de sioux, en jetant autour de moi des regards inquisiteurs. Quand je comprends enfin qu'indéniablement, elle est enfermée dans ses appartements, je me coule jusqu'à sa chambre, m'aplatis sur le seuil pour essayer de regarder sous la porte. Si je la flaire tout près, juste derrière le vantail, j'exulte, me sentant en parfaite sécurité. Je chantonne, sûre de l'impunité, un petit refrain de mon invention, chargé de venin ardoisien :

"Je susurre
Des injures
A la Bidou !
Il me semble
Qu'elle tremble
De noir courroux !
Que m'importe,
Sous la porte,
Si elle rugit !
Hi hi hi hi…
Je murmure
Des injures,
Des mots pas doux
A la Bidou ! »


L'autre jour, alors que je fredonnais ma chansonnette, couchée contre sa porte, voilà-t-il pas que Scouby survient pour délivrer la prisonnière ! Elle ne m'avait pas vue, car mon pelage gris se confond avec la pénombre du hall de nuit.
Je me suis trouvée nez à nez avec l'affreuse qui me .fixait d'un regard noir en ouvrant toute grande sa gueule rose. Le Diable, quoi ! Satan en personne ! Parfois, la meilleure défense, c'est la fuite, comme chacun le sait. Je n'ai pas demandé mon reste ! Elle m'a poursuivie en deux petits bonds, sans grande conviction il faut l'avouer, puis elle a regagné ses pénates d'un pas serein, satisfaite de m'avoir effrayée.
Une demi-heure plus tard; les rôles étaient renversés : juchée sur la table de la cuisine, j'ai vu la diablesse franchir le seuil. Du coup, c'est moi qui me suis ruée en avant et l'ai pourchassée jusqu'à l'entrée de sa chambre. Non mais des fois !

Après quelques semaines d'étude et d'expérimentation, je crois avoir cerné la tactique scoubidienne, laquelle tient en un mot: L'INTIMIDATION !
De taille imposante, armée d’yeux flamboyants et d'une épaisse fourrure de charbon (avec juste deux ou trois poils blancs sous le menton, ce qui semble démontrer qu’elle est de la parenté de Nefertiti -N'oublions pas que Scoubidou est native de notre village !), l'intéressée tire profit de son physique démoniaque, en l'accentuant par des mimiques expressives: soufflements, rugissements (YEEEEEEEFK !}, airs furibonds... Sous cette apparence, elle cache une nature relativement pacifique : elle ne répond qu'à la provocation.. Le problème entre nous, c'est que je suis une provocatrice-née...

En outre, elle est peureuse, mais alors d'une manière incroyable ! Il suffit qu'elle soit confrontée à un élément étranger pour se sentir complètement désemparée : elle court alors se réfugier dans un endroit sombre d'où elle ne sort plus.

Elle commence à bien accepter Scouby qui lui donne à manger. Quand ma mère d'adoption lui présente un petit plat appétissant, l'opportuniste va jusqu'à lui manifester une certaine affection et se laisse caresser le sommet du crâne avec bonne volonté. Quand le plat lui semble immangeable (nous sommes toutes les deux assez difficiles sur le sujet), elle tente un coup de griffe en fronçant le nez comme un pékinois.

Elle manifeste envers Daniel une méfiance rancunière : en effet, elle se souvient qu’après avoir vainement tenté de la droguer, l'immonde être humain l’avait poussée, elle pauvre créature innocente, dans une boîte en carton afin de procéder à son déménagement chez nous !

A mon égard...
Inutile de poursuivre. Tout le monde a compris.

Ah, je ressens tout de même un regret lorsque je la regarde : grande et forte comme elle l'est, elle ferait une meute superbe, si elle voulait ! Je nous vois déjà, moi, le chef marchant en téte, brandissant haut l'étendard de la noble chatte Ardoise, au blason de gueules roses sur fond argent, la Bidou prolétaire me suivant avec docilité et admiration. Oh, je la traiterais bien, si elle acceptait d'étre ma meute ! Je la laisserais manger, après moi, deux ou trais miettes que j'aurais laissées à son intention, je la défendrais contre les créatures féroces (dans le genre de Négatif ou de Gourmande, par exemple) je remplirais tous mes devoirs de chef, quoi ! Mais cela n'est qu'un rêve puisque l'idiote refuse obstinément ce sort enviable

Hier soir encore, j'ai essayé de lui faire ressentir la force de ma personnalité dominante.
Comme je savais qu'elle était en promenade dans mon appartement (comme elle en prend la fâcheuse habitude), je me suis rivée à l'un de mes postes d'observation favoris, à l'angle du divan du salon, pour effectuer ma rituelle surveillance.
La créature va, vient, batifole… apparemment sans me prêter la moindre attention. En lait, son profond intérêt s'est fixé sur la porte du frigo, qu'elle espère voir s'ouvrir sur des montagnes de viande crue ou cuite (elle aime les deux, même le boudin ! Quel plouc, celle-Ià !).
Son espoir étant déçu, elle fait un petit tour dans la salle à manger... et m'aperçoit.

Je me concentre : j'adopte l'attitude "Serpent Froid et Minéral" qui en impose tellement aux chats du village (du moins à ce pauvre Roublard). Mon regard se fait fixe et inquiétant. Je ne bouge pas plus qu'une pierre.

Etonnée, la Bidou se demande d'abord si je suis constipée. Puis elle comprend qu'il s'agit d'une manoeuvre d'intimidation à son endroit et se prépare à relever le défi. Elle s'assied à deux mètres de moi et essaie d'adopter la même attitude.
Sans vouloir me vanter, je suis la seule chatte au monde à pouvoir rester ainsi immobile pendant des heures, sans la moindre crampe. Mon adversaire, indiscutablement, n'est pas à la hauteur : sa queue bat le sol.
Au bout d'un moment, elle se lève et va passer quelques minutes dans sa chambre. Puis elle revient et s'assied derechef, le regard empli d'une énergie nouvelle. Elle me fait le coup trois fois, vous imaginez ! Quand elle sent qu'elle va flancher, elle va se "ressourcer" dans sa tanière!
C'est pas de jeu ! C'est de la triche ! J'essaie de lui faire comprendre que c'est moi le grand vainqueur de cette partie de patte de fer, mais cette enquiquineuse refuse de l'admettre !

Ah la la ! Vois vous direz sûrement, les amis, que cette cohabitation forcée devient pour moi une véritable idée fixe... C'est vrai ! A la fin, je vais vous ennuyer à force de ressasser mes griefs, et vous ne voudrez plus me lire !
Vous savez quoi ? Je vais venir habiter chez vous ! Un de ces jours, je sonnerai à votre porte, munie de mon petit baluchon comprenant, entre autres, mes balles de tennis et de ping-pong, ma gamelle, mon bac de sable, mes boîtes de Gourmet et de Félix, mon panier « Titanic », mon radiateur, mon boulevard... Et je laisserai Scouby se dépatouiller seule avec la noiraude !

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Chapitre 19 : MICHEEEELE !


Au début du mois, je suis allée passer une semaine à la campagne avec Daniel et Scouby. La Bidou est restée à l'appartement et ma « Mamy » (la mère de Scouby) avait promis de venir régulièrement la nourrir et lui tenir compagnie.
Evidemment, je n'ai pu m'empêcher de mettre mon grain de sel dans ces dispositions.
-T'es pas obligée de te mettre en frais, Mamy, que je lui ai dit de mon petit air le plus sentencieux, la Bidou n'est qu'un bête animal sans importance ! Incapable d'apprécier le charme de ta conversation !
J'ai dit ça parce que, le jour où Mamy est venue nous voir à l'appartement pour faire la connaissance de la noiraude, celle-ci était restée cachée sous le lit et n'avait pas voulu en sortir.
-Tu sais, Marraine, a renchéri Olivier, tu ne la verras pour ainsi dire pas, Scoubidou ! E!le est trop timide pour se montrer !

On dit ça, on dit ça... Mais, lors de ses visites quotidiennes, Mamy a très bien vu la Bidou qui venait à sa rencontre quand elle entendait s'ouvrir la porte de l'appartement ! Evidemment, elle n'a pas osé la caresser, sachant que l'animal ne tolère pas les marques de familiarité. Tout de même, il y a eu un certain contact. La chatte noire ne s'est pas terrée, comme de coutume, sous un meuble.
Peut-être qu'un jour, dans très longtemps, on arrivera à quelque chose avec elle.
Par exemple à l’incorporer dans une meute…

- La pauvre petite bête I a dit ma Mamy lorsque nous l'avons revue.
"Si timide ! Et toujours enfermée ! »
- Et moi alors ? que j'ai répondu, agacée comme on le comprend. « Moi aussi, je suis presque toujours à l'intérieur ! Bon, d'accord, dans la journée j'ai plus d'espace... mais je ne dispose pas de la liberté rêvée, comme certains chats des champs que je connais. »
C'est vrai quoi ! Il faut remettre les pendules à l'heure ! Y en a que pour la plus stupide chatte de toute la création ! Bidou par ci, Bidou par là. ..Et de la plus intelligente (vous savez qui), on ne parle même pas !

C’est sans aucun regret que j’avais pris congé de cette compagne imposée pour aller prendre l'air à la campagne !

En fait d'air, c'est plutôt la pluie que j’ai prise ! Le jardin a été bien arrosé, ça oui ! Je sortais manger mon herbe en slalomant entre les trombes d'eau. Tout le reste du temps, je le passais pelotonnée dans mon panier devant le feu.
Pour la première fois de ma vie, je me suis ENNUYEE ! Je n'avais rien à faire ! Pas de Bidou à asticoter! Pas de Négatif à dominer ! L'animal passait bien en coup de vent pour se mettre quelque chose sous la dent, mais n'avait pas envie de se percher sur le rebord de fenêtre trempé pour converser avec moi. Il préférait se mettre à l'abri, vous imaginez ?
Délaisser les charmes de ma conversation pour éviter quelques gouttes de pluie ! J’en reste sans voix !

Faute de mieux, je m'étais résignée à me tourner vers mes parents... mais ils étaient trop occupés pour me dorloter à longueur de journée : Scouby rangeait les armoires, Daniel travaillait dans le fenil.
- Si tu veux, je peux t'aider à ranger, dis-je gentiment. C'est ma spécialité !
- Hum! Je dirais plutôt que ta spécialité, c'est farfouiller partout pour dé-ranger, ma pauvre Ardoise !
Elle est en train de vider un carton rempli de verres. C'est avec une infinie patience que je m'occupe, pour l'aider bien sûr, à chiffonner et déchiqueter des quatre pattes les feuilles de papier journal dans lesquelles se trouvaient emballés ces objets qui, par eux-mêmes, ne m'intéressent pas.
- Ardoise! Arrête de faire des confettis! Allez, va dans ton panier !
Ah non, alors ! Je ne suis pas fatiguée !

Animée du désir de bien faire, je suis allée en trottinant jusqu’à la porte du fenil, l'ai tirée (ho hisse !) de toutes mes forces. Elle grince. C'est ennuyeux, cette porte qui fait du bruit pour trahir toutes mes incursions sur le territoire interdit ! Voilà Daniel qui me fixe en fronçant les sourcils. Prenons les devants.
-Si tu veux, je peux t'aider à bricoler ta tondeuse à gazon ? ai-je proposé , toute câline.
-Ardoise! Pas dans le fenil ! On te l'a déjà dit, désobéissante ! Attention ! Ne disperse pas ces vis ! Toi, tu joues, mais moi, je travaille !
- Si tu veux, je peux vérifier s'il n’y a pas de souris ! ai-je crié en déguerpissant jusqu'à la réserve de bois de chauffage.
Bouak ! Qu'est-ce qu'il fait humide ici ! Avec toute cette eau qui tombe du ciel, le vieux puits désaffecté a débordé, il y a des flaques sur le sol. Je me trempe les pattes, les secoue avec dégoût.

-MlCHEEEEEELE ! LE CHAT EST DANS LE FENIL !
Voilà Daniel qui crie au secours. Tout pour m'empêcher de m'amuser !
Ma mère d'adoption survient, .frappe dans ses mains comme une vieille institutrice démodée. Je passe en courant devant elle et quitte mon paradis terrestre. Je me retrouve à mon point de départ, dans la cuisine. Sur le carrelage de la salle à manger, mes pattes mouillées ont laissé des empreintes très esthétiques, je trouve : on dirait des petites fleurs régulièrement espacées...
- Maintenant, va dans ton panier et laisse-nous travailler !
Je lui lance un regard torve. Il y a des moments où elle est bête, vraiment !... Si elle s'imagine qu'elle va me mettre au rencard !

La voilà occupée à ranger ses verres. Je sors du panier que j'occupais par pure courtoisie. Je passe en catimini derrière elle, sur la pointe des pattes. Je vais tirer (ho hisse !) la porte qui mène à l'étage, j'ouvre, tout doucement.
A l'étage, dans la petite chambre inachevée et dans la future salle de bain, il y a de grands cartons dans lesquels on peut plonger et se cacher, il y a un recoin obscur où s'entassent les chaises de jardin, il y a. ..
-MlCHEEEEELE ! J'Al ENTENDU LE CHAT MONTER L'ESCALIER !
Le traître !
Je me dissimule dans ledit recoin obscur et demeure immobile. Avec un peu de chance, ils vont encore s'affoler parce que j'aurai disparu, ha, ha ! Ils croiront qu'il m'est arrivé quelque chose, que je suis tombée d'une paroi en construction ou dans le trou de la cheminée. Ou que je me suis faufilée au-dehors par un procédé connu de moi seule. ..
Je suis trahie par une circonstance indépendante de ma volonté: mes deux yeux qui luisent comme des petites lampes dans la pénombre.

On me récupère, fulminante. Il n’y a vraiment plus moyen de rigoler, ici ! J'ai même perdu tout espoir de partir en exploration durant la nuit, car figurez-vous que, le soir venu, ils m'emmènent dans leur chambre où une place spéciale m'est assignée, devant la fenêtre, sur une chaise ornée d'un coussin. Je ressemble à une potiche, là-dessus. A un chat en peluche. A une pièce supplémentaire, et particulièrement réaliste, de la collection de félins de toutes formes et de toutes matières que Scouby a artistiquement disposés sur un meuble.

Et pourquoi suis-je ainsi étroitement surveillée ? Parce que je suis trop intelligente !
-Avec elle, il faut s'attendre à tout! Elle a une imagination délirante! Elle passe sa vie à se faire du cinéma ! disent mes parents.
C'est vrai, quoi, et alors ? Pourquoi ne me laisse-t-on pas vivre pleinement les rôles que j'interpréterais tellement bien ? Je me vois déjà en héroïne sans peur, affrontant avec le sourire les vides vertigineux et les montagnes abruptes ! D'une patte légère dansant sur les poutres qui s'effritent ! D'un bond aérien filant par une fenêtre, tout droit vers une liberté pleine de dangers ! Ardoise-Rambo !

Quand le temps se met au beau fixe et que j'en profite pour sortir dans le jardin, c'est pareil. On me suit pas à pas. De temps en temps, pourtant, on lâche ma corde pour me donner une illusoire liberté. Bien illusoire, hélas, car il suffit que je me dirige en rampant vers le pré voisin (où je rêve de m'ébattre) pour entendre une voix :
-MICHEEEEELE ! JE VOIS LE CHAT QUI SE DIRIGE VERS LA HAIE !
Frustrée, une fois de plus !

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Chapitre 20 : HOLLYWOOD ET TONDEUSES A GAZON.


On m'empêche de vivre mon destin ! Je dois me contenter de le rêver, alors je le rêve à fond, blottie sur un fauteuil de jardin.
Voilà, je suis à Hollywood. Derrière mes yeux clos se déploient des guirlandes lumineuses, des affiches immenses :

" LA VIE FABULEUSE DE L'ETONNANTE CHATTE ARDOISE"
avec, jouant son propre rôle,
la divine, merveilleuse Mlle ARDOISE C…
et, dans le rôle du faire-valoir-repoussoir,
la peu talentueuse
Mlle SCOUBIDOU PASSAGE...


Tiens ! La Bidou vient s'insinuer jusque dans mes rêves, dites donc !
En plus, elle se permet d'intervenir ; apparemment, elle n'est pas contente de la place qu’elle occupe sur la gigantesque affiche.
-J'veux mon nom plus grand que le tien ! Et puis j'veux que le film change de titre ! C'est une affiche comme ça que j'veux !"
Et devant mes yeux horrifiés se dessine :

"LES FANTASTIQUES EXPLOITS DE BIDOU LA PANTHERE NOIRE"
avec, dans le rôle de l'héroïne,
celle qui obtint le César de la meilleure actrice :
Mlle SCOUBIDOU PASSAGE
et, dans le rôle de la Méchante,
une certaine ARDOISE C…


Je suis en train de suffoquer d'indignation quand je me réveille, soulagée. Ouf, elle n'est pas là ! Ce n'était qu'un mauvais rêve ! J'entreprends une minutieuse toilette pour me purifier de tout ça.
Pourtant, quelque chose me turlupine : méchante, moi ?

-Suis-je une méchante ?
-Mais non, Mamzelle Ardoise ! Avec moi, vous êtes très gentille ! Avec P’pa, vous étiez bien un peu enquiqui... heu, un brin taquine, mais bon...
-Pourquoi est-ce que je ne supporte pas la Bidou ?
-J'sais pas, Mamzelle Ardoise! Peut-être que vous croyez qu'elle va vous voler votre appartement ! Pourtant, un appartement, ça ne se vole pas si facilement, c’est lourd à porter, pour un chat !
Peut-être. Mon processus de pensée est bizarre, parfois. Scouby a dit récemment que la Bidou et moi, on était un véritable gibier de psy-chat... Chacune dans un registre différent.

Laissons ma santé mentale en suspens. J’ai eu une idée lumineuse, comme toujours.
-Vous savez quoi ? Je vous nomme ma meute, vous, le Négatif ! C'est un grand honneur, non ?
Il plisse la figure comme il sait le faire (moi pas). Il recule prudemment.
-Je ne demanderais pas mieux, Mam’zelle Ardoise, mais j'ai tant de travail ! M’dame Belot m'a demandé de distraire ses petits-enfants, c'est une grosse responsabilité, vous savez ! Un emploi à plein temps ! Peut-être que je pourrais être votre meute une ou deux heures par jour, si ça vous arrange. ..
C'est mieux que rien. Evidemment, une meute qui se limite à une seule créature, ce n'est pas très prestigieux... Surtout que le Négatif est plutôt menu... Ce n'est pas comme la panthère noire... Enfin, il faut faire avec ce qu'on a !
D'autant plus qu'il est gentil, le Négatou. Je me demande même s'il n'aurait pas un petit béguin pour moi. ..Il y a bien une légère différence d'âge, mais de nos jours...
-Au moins, vous, vous me manifestez la considération à laquelle j'ai droit ! ronronné-je souverainement, en décochant à l’animal un regard de haute bienveillance .
- C'est normal, hein, Mam’zelle Ardoise ! Après tout, vous pourriez être mon arrière-arrière-arrière-arrière-arrière-arrière grand-mère, s’pas !
- Argh ?
- Ben oui, continue l'inconscient. Si je calcule qu'une chatte peut avoir des chatons à. un an, que vous avez neuf ans et moi trois ans, alors vous pourriez être mon arrière-arrière. ..
J’ai mis du temps à m'en remettre. Quel imbécile, ce Négatif !

Entre-temps, les jours ont passé et le temps se maintient au beau fixe. Parmi les membres de ma cour s’est introduit un nouveau venu : un drôle de chat gris rayé, avec des reflets roux, et un petit museau curieusement aplati.
-Ne serait-ce pas Petite-Goulaffe ? demande Scouby prise d'espoir. Nous allons chercher une photo de la Petite-Goulaffe, l'étudions soigneusement. Le chat possède apparemment la fourrure de l'intéressée, sa corpulence... mais pas du tout sa tête, il faut bien l'avouer !
-C'est peut-être Petite-Goulaffe qui aurait attrapé un coup sur le nez, dit Scouby sans conviction.
L'expression du regard non plus, n'est pas la même. Ni la forme des yeux, ni... Non, décidément, il ne s'agit pas de la petite peste de notre village. Où a-t-elle bien pu diriger ses pas aventureux ? Cette question restera probablement sans réponse... D'autant plus que sa maison, et par conséquent celle de sa maman Gourmande, est maintenant à vendre ! La charmante Gourmande va donc, elle aussi, disparaître de mon horizon. C'est dommage, je trouve : conciliante comme elle l'est, j'aurais peut-être pu, avec quelques efforts supplémentaires, l'incorporer elle aussi dans ma meute... Il va falloir que je me rabatte sur le chat gris.
Faisons connaissance.

- Bonjour! lui dis-je aimablement, en m'approchant de lui.
Nous nous reniflons le bout du museau.
Pas de chance : le voilà qui s'éloigne précipitamment après avoir croisé mon regard. Mon fameux regard de croco qui ne correspond certes pas à ma personnalité profonde, mais qui trouble les chats qui ne me connaissent pas.
Et quand ils me connaissent, ce n'est pas vraiment mieux : ils me trouvent autoritaire ! Tout ça parce que j’aime qu’on m’obéisse à la patte et à l’œil, ce qui est la moindre des choses, vous en conviendrez…

L'autre jour, j'étais tranquillement allongée dans mon fauteuil sur la terrasse, et j’ai cru voir la Bidou passer dans le jardin ! Je me suis dressée toute droite et raide, tétanisée par le choc !
-Du calme, Ardoise, ce n'est pas Scoubidou, c’est tout simplement Nefer ! est intervenue Scouby qui avait remarqué ma réaction. Tu vois bien qu'elle est beaucoup plus petite et mince que notre Bidou !
Effectivement. Pourtant, cette fourrure noire, ce petit jabot blanc...
-C'est vrai que, le gabarit mis à part, elle ressemble beaucoup à Scoubidou, continue ma mère d'adoption. C'est probablement sa soeur, tu sais. Elles doivent avoir le même âge, cela fait si longtemps que nous connaissons Nefertiti. ..
C'est alors que je m'avise que neuf ans, c'est encore jeune pour un chat d'appartement, mais pas pour un chat des champs ! La pauvre gentille Nefer semble atteinte subitement par l'âge, ses yeux sont à présent surmontés de poils blancs et son beau pelage noir se fait terne. Quelle différence de condition entre nous… J’en suis toute remuée.
Finalement, la vie en captivité comporte certains avantages...

Daniel fait vrombir sa nouvelle tondeuse à gazon. C'est un véritable roman, l'histoire des tondeuses de Daniel ! Au début, nous avions un engin de style préhistorique, sans panier récolteur, qui tondait l'herbe avec une certaine bonne volonté, mais qui perdait constamment un morceau de son anatomie, principalement les roues.
Chaque week-end ou presque, Daniel devait la faire réparer à la ville, chez le marchand de vélos qui possède également un atelier de bricolage. Les dégâts
étaient toujours minimes : il suffisait de resserrer une courroie ou une vis… et la tondeuse repartait, pour quelques jours.
Au bout de plusieurs semaines de ce manège, je crois que notre tondeuse à gazon était devenue célèbre dans la région !
Ensuite, mon tonton Jean-Marc a renouvelé son matériel de jardin et a donné sa vieille tondeuse à mon père d'adoption. Celle-là possédait un panier récolteur d'herbe, ce qui représentait déjà un notable progrès. Elle fonctionnait assez bien, pour autant que Daniel arrive à la faire démarrer... ce qui n'était pas évident. II avait beau tirer sur la courroie, s’escrimer; tempêter... La tondeuse ne se dévouait que lorsqu'elle le voulait bien.
Rebelote à l'atelier de réparation : les doigts dans le nez, le marchand serrait nonchalamment un écrou, effleurait une sangle. ..et la tondeuse ronronnait. Elle changeait d’avis aussitôt revenue à la maison.

Alors, Daniel en a acheté une nouvelle, toute rouge et rutilante, auto-tractée en plus ! Il a mis une demi-journée à la monter puis, en grande cérémonie, la tondeuse s’est attaquée à l'herbe du jardin.

Elle avait à peine franchi cinq mètres que son auto-traction s'est brisée contre une racine de notre grand sapin. Au magasin où Daniel l'avait achetée et où il est retourné se plaindre, aucun vendeur n'a voulu croire, en voyant la courroie d'auto-traction tellement abîmée, que la machine n'avait .fonctionné qu'une seule fois !

Du coup, Daniel a renoncé à l’auto-traction et a continué à tondre la gazon avec la belle tondeuse rouge, telle quelle.
Hélas, cette ravissante idiote n'a pas tenu le coup contre les accidents de terrain: ses lames se sont brisées comme verre, et le reste aussi. Seul le moteur a survécu. Mais que peut-on faire avec un moteur tout seul ?
Daniel a fait l'acquisition d'une nouvelle petite tondeuse, toute simple et légère, jaune et verte.
Jusqu’à présent, celle-ci fonctionne... Nous touchons du bois !

Les deux premières tondeuses devaient normalement finir à la poubelle, mais un de nos voisins les a acceptées avec reconnaissance. Chez lui, elles fonctionnent très bien, il en est enchanté.
Mes parents lui ont donné aussi deux vieilles télévisions en panne, qui traînaient dans notre garage et qui, elles aussi, étaient destinées à la casse.

Le voisin est ravi : il a installé l'une des télés dans son salon et, tous les soirs, il est au spectacle : aucun problème !
Pour lui, nous représentons une vraie mine d'or.
Il a dit récemment à Daniel: "Surtout, si vous avez encore quelque chose à jeter, n'hésitez pas, hein, je prends tout !"
J'ai comme l'impression qu'il croit que Daniel n'est pas très doué pour la mécanique ...
Moi, je dirais qu’il n’a pas tort, mais ne le répétez pas à mon père d’adoption, je me ferais mal voir !

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Chapitre 21 : PETITE VIE ROUTINIERE


Ma vie est bien routinière en ce moment. Daniel est à la maison mais Scouby travaille toujours, ce qui fait que mes petites habitudes n'ont guère varié : réveil à six heures, lorsque la radio se met en marche. Ma mère d'adoption reste encore quelques instants à rêvasser sous la couette, tandis que je trépigne d'impatience. Pour l'encourager à se lever, je n'hésite pas, comme vous le savez, à mettre la patte à la pâte : hop ! Je saute sur le lit, pousse mon petit nez contre son menton, y vais du geste et de la parole: "Hé, lève-toi ! Lève-toi ! J'ai faim !"
Notez que cette habitude est très positive : quand Daniel passe quelques jours dans les Ardennes, c'est à moi qu'incombe l'ENORME responsabilité de réveiller Scouby pour qu'elle n'arrive pas en retard à son travail ! C'est une marque de confiance que me donnent mes parents et je m'en montre bien digne, je peux vous l'assurer !

Quand, enfin et grâce à mes efforts, elle daigne se lever, je trottine à sa suite et l'accompagne cérémonieusement à la cuisine, comme j'ai déjà eu l'occasion de vous l'expliquer. Elle me sert à manger. Je renifle soigneusement mes plats puis lui lance un regard de côté : la voilà qui remplit une autre assiette, un bol de lait... Je soupire: c'est la pitance de l'incontournable Bidou.

A pas menus, je suis Scouby jusqu'à l'antre où la créature s'est aménagé, mine de rien, une petite retraite confortable.
Prudemment, je demeure hors de portée de la vue de ma chère "cousine" et essaie de deviner si elle est réveillée ou non. Dans la majorité des cas, Scoubidou, beaucoup moins matinale que moi, dort encore à pattes fermées, soit dans une cachette obscure, soit sur le fauteuil d'Olivier. C'est à peine si elle ouvre un oeil ou se retourne quand elle entend Scouby remplacer les plats de la veille par ceux du matin. Parfois, cependant, une petite faim l'a poussée à se lever de bonne heure et elle accueille favorablement l'arrivante. Je parle de Scouby, pas de moi, bien sûr ! Moi, je reste cachée dans l'ombre propice !

- Bonjour, ma Bidou !
- Yek ! Pouic !

C'est comme ça qu'elle parle, la bestiole : avec un accent plébéien à couper au couteau. Vous comprenez à peine ce qu'elle veut dire ! De mon refuge, je lève les yeux au ciel. Scouby sort de la chambre et referme la porte. Je m'enhardis jusqu'à renifler le seuil derrière lequel la Bidou entame placidement son petit déjeuner.
Après quoi, je vais m'allonger sur le radiateur d'où je contemple mon boulevard bien-aimé, tout doré dans le soleil levant. Quand la lumière matinale me caresse le dos, je vibre de joie, me soulève haut, très haut sur mes quatre pattes, j'absorbe le soleil par chacun de mes poils, toute dorée moi aussi.

Vous vous direz : "Tiens ! Ardoise est moins sans-gêne qu'avant, avec Bidou !" C'est vrai. J'irai même jusqu'à dire que je me tiens à carreau. Prudence est mère de sécurité, après tout ! Je crois d'ailleurs que la ténébreuse a adopté la même attitude en ce qui me concerne. Nous ne nous rencontrons plus que par le plus grand des hasards et encore, jamais le matin. Il est trop tôt pour se bagarrer...

Puis Scouby s'en va et je me rendors. J'entends Daniel se lever, s'activer dans l'appartement : il trie des tas de papiers auxquels je ne comprends rien. Au début j'avais proposé de l'aider, mais il prétend que je mets la pagaille partout, alors maintenant je ne bouge plus. C'est agréable de ne rien faire quand les autres travaillent !
Dans l’après-midi, il s'installe dans son fauteuil et moi je saute sur ses genoux avec enthousiasme. Nous passons quelques heures tranquilles, à regarder la télé comme un vieux couple.

Ma quiétude prend fin quand Scouby rentre du travail, parce que, comme vous le savez, elle ouvre alors la porte de la Bidou pour permettre à l’animal de circuler à sa guise et de s'adapter petit à petit à la vie en société.
Vraiment, malgré les efforts de ma mère d'adoption, je ne peux pas dire que Bidou soit un animal très sociable. Au fil des mois, elle a quand même accepté qu’on la caresse, mais pas longtemps, hein, attention ! Une petite câlinerie sur la tête et la nuque, et c'est tout !
Par contre, elle cause. Mais qu'est-ce qu'elle cause! Un vrai moulin à paroles !
- Kwêk ! Pouic ! Miow !
Dès qu'elle voit Scouby, elle s'anime, lui conte par le menu les hauts faits de sa vie quotidienne, lui soumet ses desiderata.
-Ouke t'étais ? Pouik ! Je commençais à m'embêter ! T'aurais pas du steak tartare pour mol ? Ou une bonne petite côtelette bien cuite ?

Moi, l'inénarrable Ardoise, d'un mouvement coulé soigneusement étudié, je me glisse silencieusement sous la table de la salle à manger, grimpe comme une couleuvre sur une chaise. De cette cachette, je peux observer sans être vue. J'en retire de grandes satisfactions, car cette position élevée me donne un certain avantage, tant moral que physique, sur ma colocataire...

Scouby se dirige vers la cuisine, la noiraude lui emboîtant joyeusement le pas. Je grince des dents avec discrétion : il y en a vraiment ici qui se croient tout permis !

La porte du frigo s'ouvre. La bestiole se perd en commentaires.
- Pouik ! Ouik ! Yabon-yabon ! Yek !
Décidément, sa façon de parler me fait perdre la boule. C'est-y un chat, ça ? Furieuse, je passe la tête sous la nappe, me livre à un commentaire désobligeant.
- Grrrrrrrrrrrrrrrrr ! Frrrrrrt !
La Bidou, qui traverse le hall sans complexe, dresse l'oreille, surprise. Elle jette un regard autour d'elle. Personne ! Je me suis à nouveau soigneusement dissimulée.
- J'ai cru entendre la voix de la Grisouille... J'la croyais partie, celle-là !...
- Partie, moi ? Grrrrrrrrr !
Scoubidou lève les yeux, regarde le lustre, le sommet des meubles. Elle entend grogner mais ne sait pas d'où ça vient. Elle traverse la pièce à pas prudents, s'approche de ma chaise...
- GRRRRRRRRRR !
Cette fois, elle aperçoit mes yeux et mon museau sous les pans de la nappe. Mon regard glacé l'hypnotise...

D'abord elle écarquille les yeux à son tour, veut me rendre la monnaie de ma pièce... Puis son attention s'égare... elle suit le vol d'une mouche, bâille un bon coup...
Elle abandonne, se précipite dans sa chambre. Je reste maîtresse du champ de bataille, experte en combats psychologiques.

Nos rares dialogues ne font rien pour arranger les choses.
- Keske tu fais dans ma cuisine, toi ?
- Je regarde Mamy Scouby qui. ..
- QUOI ? C'est pas TA Mamy !
- Si ! J’ai beaucoup de Mamies, moi, Grisouille !
- Mon œil ! Moi j' ai une vraie grand-mère à deux pattes. ..
- Ah oui ! La Mamy qui est venue me nourrir quand t'étais en vacances. .. Elle est à moi aussi !
Décidément, elle me pique ma famille, cette horrible !
- Et puis, il y a aussi ma tante Germaine !
- HEIN ? Ma tante Germaine à moi ?
- Ben oui ! A nous ! Elle a même dit, tante Germaine, que si elle avait dix ans de moins, elle m'adopterait bien parce que je suis une pauvre petite chatte toute seule...
- T'es pas seule! Tu m'as !
Estomaquée qu'elle est, Scoubidou !

Puisque c'est comme ça, je décide de faire montre d'une grande fermeté à l'égard de ma famille.
- Si vous laissez la Bidou courir dans toutes les pièces de mon appartement, à votre guise mais c'est bien simple : tant que l'animal sera en liberté, vous ne me verrez plus ! Je ne vous ferai l'honneur de ma présence que lorsqu'elle sera dans sa chambre, vu ?
D'abord, ils ne m'ont pas prise au serieux. Puis, ils ont vu...
Sitôt que la porte de la chambre scoubidienne s'ouvre pour livrer passage à la ténébreuse, je me volatilise : aplatie comme une crêpe sur une des chaises de la salle à manger, dissimulée par la nappe comme je l'ai décrit plus haut, je ne donne plus signe de vie. Je guette.
Parfois, Scouby, gagnée par l'inquiétude, se penche pour s'assurer si je respire encore. C'est à peine si elle distingue une petite silhouette sombre et immobile, aux yeux phosphorescents : une statue de chat, un bloc de désapprobation.
Quand la Bidou regagne ses pénates pour passer une nuit tranquille dans sa chambre bien close, je ressuscite : toute follette, je me précipite sur le sol pour aller taquiner Daniel qui regarde la télé.
- Hé, regarde-moi, c'est moi qui gratte le tissu de ton fauteuil !
- Hé là ! Arrête de faire des bêtises ! Tiens ! Où est-elle passée ?
- Coucou ! C'est moi qui suis de l'autre côté ! Essaie de m'attraper !
Je me conduis exactement comme si la Bidou n'existait pas. Comme si je ne venais pas de passer des heures dans une immobilité obstinée…
- Ardoise, pourquoi ne veux-tu pas t'entendre avec la pauvre Scoubidou ?
Je ne réponds pas. Existe-t-il d'ailleurs une réponse à cette question ?
Avec mes humains, je suis la gentillesse et la douceur mêmes, tout le monde me dit que je suis une crème de chatte,.. Mais avec mes soeurs félines, c'est une autre question.

Jusqu'au pauvre Négatif qui, pour une fois, lors de mon week-end à la campagne, n'a pas bénéficié de ma haute bienveillance.
- Bonjour, Mam’zelle Ardoise !
- Keske vous faites ici à bâfrer si près de mon auguste présence ? Du balai !
D'abord décontenancé, le Négatou se reprend vite. Sa petite figure se crispe.
- Mam 'zelle Ardoise, c'est ma place pour manger, sous ce petit banc ! Faut pas non plus me traiter comme n'importe qui ! Si vous voulez que je reçoive ma gamelle n'importe où, comme un clodo, alors c'est plus la peine de m'attendre ! N'oubliez pas que c'est moi le chat des champs de cette maison, à la place de mon P’pa ! Vous me devez un minimum de considération !
Et toc ! Je flotte, l'espace d'un instant. Ne te laisse pas marcher sur les pattes, Ardoise !
Je prends un air menaçant, histoire d'intimider le blanc-bec.
- Attention, Mam 'zelle Ardoise ! Grrrr !
J'en reste sidérée. C'est ça la jeune génération ? Décidément, les temps changent, en mal : le respect des anciens se perd !

Mais voilà le chat gris dont la fourrure ressemble si fort à celle de la Petite-Goulaffe. ..
- C'est déjà un vieux chat, dit Daniel. Regarde, il lui manque même une partie de ses dents. ..
Apitoyée, Scouby sert une assiette bien copieuse. Le regard du chat (que nous appelons "Nez-Plat') s'éclaire.
-Ca a l'air bien bon, ça ! Permettez... je vais prévenir ma douce amie qu'un festin nous attend. .
Il disparaît, pour revenir quelques minutes plus tard avec... Gourmande, qu'il semble traiter avec beaucoup d'égards !
- Tenez, ma chère, mangez la première !...
Bien sûr, la chère et tendre ne se fait pas prier ! Ils semblent se connaître de longue date… Je m’interroge : Nez-Plat serait-il, par hasard, le père de l'inimitable Petite-Goulaffe, la révolutionnaire du village ?
Contrairement à sa turbulente progéniture, il est, lui, très «vieille-France », un peu comme notre Orca…
Un chat de bonne famille, qui a dû avoir des malheurs et qui s'est exilé dans notre coin perdu... Que c'est romantique... Mon imagination prend son envol.
Je taillerais bien une bavette en sa compagnie, mais il semble que moi, j'intimide tout le monde, comment est-ce possible ? On se contente de me saluer avant de s'éloigner, alors que Gourmande, elle, est copine avec tous les chats de notre rue !
- Mais pourkwâ ?
- Heu... z'êtes un peu lunatique, Mam'zelle Ardoise, essaie le bon Négatif, pas rancunier pour un sou. On ne sait jamais sur quelle patte danser, avec vous I Mme Gourmande est d'une grande égalité d'humeur, hein, même que vous n'êtes jamais arrivée à la fâcher. ..
Je soupire. Il faut dire que la détestable corde, qui limite ma liberté, ne m'incite pas à la bienveillance universelle !
Mélancolique, je regarde Négatif qui grimpe à toute allure au sommet du noyer.
- Je voudrais bien en faire autant, moi !
Scouby allonge ma corde. J'explore mon nouveau périmètre.
- Oh ! J'irais bien au-delà de la haie ! Pourquoi je ne peux pas courir dans la rue, moi ?
Pour la centième fois, on m'explique: je suis une chatte d'appartement qui n'a aucune notion du danger (Ah non ? Quel danger ?), je suis trop naïve (Ah voui, vous croyez ?), il existe de par le monde des êtres, notamment des chiens, qui n'hésiteraient pas à s'attaquer à une mignonne petite chatte vagabonde (c'est-y possible ça ?) et qui la poursuivraient et, vu que la petite chatte en question ne court pas vite (Pouf ! Pouf !), pourraient lui faire beaucoup, beaucoup de mal, la mordre par exemple (Oh la la !).
Bon, je veux bien admettre tout ce qu'on voudra. Je tiens à ma sécurité. Mais tout de même ! Pourquoi je suis la seule à être ridicule comme une chèvre au bout d'un piquet ?
-Mais tu n'es pas ridicule du tout, mon Ardoise !
Là, nous ne sommes pas d'accord !

Toujours est-il que j'en suis réduite à observer Négatif qui chasse les oiseaux avec conviction.
-Vous voyez, Mam’zelle Ardoise, c'est simple, faut ramper comme ça, en ayant l’air de ne pas bouger...
- Mais le zoizeau vous a vu, il rigole, regardez !
- Non, non... voilà... voilà... Et puis, d'un bond souple...
- Oh, il s'est envolé, le zoizeau ! Z'avez pas de chance !
Négatif s'ébroue, sans perdre sa bonne humeur.
- Ce sera pour une autre fois, Mamzelle Ardoise, quand j'aurai vraiment faim... ce qui n'est pas le cas lorsque votre famille est en week-end. Mais les autres jours, faut bien que je me nourrisse !

En parlant de Négatif et de sa famille, je dois vous confier un secret : il existe un mystère Néfertiti...
Vous vous souvenez, je vous ai dit qu'elle avait tellement vieilli, la pauvre chatte ! Et c'était vrai.
Ces derniers temps, on commençait à s'inquiéter : une nouvelle fois, plus de Néfertiti !
- Pauvre bête, je crains qu'elle n'arrive à la fin de sa vie, a soupiré Scouby.
Moi, j'observais un silence plein de condoléances. ..C'est vrai, je ne suis pas très amicale avec les autres chattes, mais Néfertiti, ça fait de longues, très longues années que nous la connaissons.
Eh bien, juste quand nous étions occupés à parler tristement d'elle, voilà que Scouby jette un coup d'oeil entre les deux maisons, vous savez, là où nous avons l'habitude de déposer les assiettes pour nos chats errants.
Justement, une petite silhouette noire est occupée à se régaler. .. Scouby pousse une exclamation de joie.
- Est-ce toi, Néfer ?
La chatte lève la tête. C'est bien la fourrure sombre, la petite collerette blanche... mais s'il s'agit de Néfer, c'est une Néfer toute rajeunie qui se présente à nos yeux ahuris !
Scouby n'en revient pas. S’agit-il réellement de notre Néfertiti ?
Daniel, à son tour, examine l'arrivante qui prend des petites mines effarouchées.
- Elle a le même comportement, les mêmes habitudes, ce ne peut être qu'elle !
Mais comment la chatte noire peut-elle ainsi vieillir et rajeunir à volonté ? Se présenter triste et pelée et, quelques jours après, toute pimpante, le regard candide, la fourrure brillante ?
Seraient-elles deux, ou trois ou plusieurs ? Néfer est familière de ces tours : souvenons-nous de Titi !
-Impossible, dit Scouby, c'est bien notre Néfer, aucun autre chat ne peut lui ressembler à ce point !
Toujours est-il qu'elle a l'air d'une toute jeune fille...
Et si elle était sorcière, Néfertiti ? Ou peut-être détient-elle un secret de longévité, venu de l'ancienne Egypte ?
Nous sommes restés perplexes et, finalement, avons donné notre langue au chat.

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Chapitre 22 : LA JETEUSE DE SORTS



En parlant de sorcière, je dois avouer que, parfois, une tentation me prend : et si je jetais un sort à ma bête noire ?

Je me mets à rêver : il faudrait d'abord que j'en trouve une, de sorcière ! Poser la question à Néfer ? Je n'oserais jamais : si elle a des pouvoirs occultes et si je la vexe, elle me transformerait peut-être en vilain crapaud ?

Toujours est-il qu’en pensant à tout ça, je m'endors... et je commence à rêver.

Je vois une jolie petite chatte (moi), cachant sa grise et riche fourrure sous un manteau couleur de muraille, l'oeil aux aguets, s'introduire furtivement dans la tanière de la sorcière de notre village.

La sorcière ressemble à Néfer, sauf qu'elle n'a pas son gentil regard. Il n'est d'ailleurs pas méchant non plus, ce regard : il est tout simplement mathématique.

La sorcière, habillée d'un fichu rouge du plus bel effet, se tient devant une grosse boule de cristal, très impressionnante.

La sorcière (lyrique) : Qui donc à la porte de mon antre a sollicité l'entre ? Est-ce un ange ou un vampire qui ce soir souhaite m'entretenir ?

La petite chatte (timide) : Heu... C'est rien que moi, Madame la Sorcière: moi, la chatte Ardoise...

La sorcière : Dans le cristal que souhaite Ardoise découvrir ? Le passé, le présent ou l'avenir ?

La petite chatte (gênée) : En fait, hem... Je viens pour faire jeter un sort...

La sorcière : Et pourquoi, ma belle, à un être de votre sang vouloir infliger peines et tourments ?

La petite çhatte (se tortillant) : Ca doit pas être si grave, hein! J'veux pas que la Bidou en tombe malade! J'veux seulement qu'elle disparaisse illico presto ! Comme dans les dessins animés, vous voyez ? Plop ! Plus personne! Qu'est-ce qu’y a moyen de faire, Madame la Sorcière ?

La sorcière : 'D'abord il me faut définir votre thème astral ainsi que celui de l'autre animal. Entre vous la moindre similarité représenterait un affreux danger !

La petite chatte (offusquée) : Oh, il n’y a certainement RIEN de commun entre elle et moi! J'en suis sûre, Madame la Sorcière !

La sorcière : C'est à moi de juger en cette occurrence. Donnez-moi votre date de naissance.

La petite chatte (plongée dans ses calculs) : J'ai dix ans... Nous sommes en... heu...

La sorcière : L'an de grâce 2001.

La petite chatte (effrayée) : Déjà ? Bon... Alors je suis née en 1991.

La sorcière : Le mois ?

La petite chatte (fébrile) : J'avais deux ans et demi quand Daniel et Scouby sont venus me chercher au refuge... à la fin d’un mois d'octobre.

La sorcière: Ce qui nous mène, en dernière instance, au mois de mai pour votre naissance. Mai 1991.

La petite chatte (soulagée) : Voui, voilà, c'est ça.

La sorcière: Ce qui fait de vous un chat Taureau, du zodiaque l'un des signes les plus beaux.

La petite chatte (flattée et ravie) : Voilà, c'est tout moi, ça ! Ah, la Bidou peut aller se rhabiller !

La sorcière : Voyons à présent de votre adversaire quand vient le mois d'anniversaire.

La petite chatte (dont le cerveau bouillonne) : Ah, oui, d'après ce que je sais, la Bidou est arrivée un jour dans notre jardin dans le courant du mois d'août... Le vétérinaire a dit qu'elle avait trois mois... Flûte! Elle est née en mai… C'est pas juste ! Pourquoi elle se permet d'être un Taureau comme moi ?

La sorcière : Et, ma chère, en quelle année cet événement s'est-il déroulé ?

La petite chatte : Heu... La chatte Caramel vivait encore... Elle était en bonne santé, donc ça devait être la troisième année avant son départ... Comme elle est morte en 1994, ça veut dire que Bidou...

La sorcière (répétitive) : Ce qui nous mène, en dernière instance, à l'année 91 pour sa naissance. Mai 1991.

La petite chatte (effondrée) : Mais comment c'est possible ça ? On est nées le même mois de la même année ? Alors je suppose que je ne peux pas la faire disparaître ?

La sorcière : Le moindre mauvais sort vous mettrait toutes deux en danger de mort !

Comme elle achève ces mots, la boule de cristal se met à vibrer, s'emplissant d'un épais brouillard blanc. ..Dans lequel je nous vois distinctement, la Scoubidou et moi, munies de petites cornes et d'une queue de taureau !

- Meuh ! fait la double apparition.

Je me réveille en sursaut, horrifiée. Quel rêve !

Le comble, c'est que c'est vrai que la Bidou et moi avons exactement le même âge !


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Chapitre 23 : NOUS DEMENAGEONS



Et voilà, nous sommes en train de déménager, mes parents et moi. Il y a encore beaucoup de meubles dans l’appartement, il faudra faire le tri, mais cela ne presse pas encore…
Souvent nous nous retrouvons encore dans notre ancien gîte…
La Bidou se demande ce qu’il se passe. Toutes les portes lui sont ouvertes et elle peut fureter à droite et à gauche (ce qu'elle adore) sans risquer de tomber sur moi (ce qu'elle n'apprécie pas) ! Olivier va la nourrir chaque jour, jusqu'à ce qu'à son tour, elle émigre... ou plutôt revienne à son village natal, ce qui est prévu pour la fin des gros travaux dans la maison, pour éviter à la bestiole tout traumatisme inutile (Bidou a peur du bruit). Scouby se demande quelle stratégie adopter pour inciter la ténébreuse à se laisser mettre en cage, le temps du trajet. Peut-être faudra-t-il, une fois de plus, lui donner un petit somnifère. ..

- Miow !
- Grrrrr !... (ça c’est moi).
-Vous avez intérêt, toutes les deux, à vous entendre quand nous serons tous à la maison de campagne ! a dit Scouby, impatientée, quelques jours avant le départ définitif. « Vous êtes complètement stupides, à vous chamailler comme ça ! «
- C'est pas moi, c'est l'affreuse! ai-je clamé, avec une inattaquable mauvaise foi. « La preuve : je suis continuellement couchée sur une chaise, sous la table, quand la noiraude est en liberté. Je ne dis rien, je ne fais rien, je suis l'innocence même ..."
- C'est pas vrai, elle ment la grisouille ! s'étrangle véhémentement la Scoubidou, sûre de son bon droit. "Elle me fait des grimaces horribles à travers cette nappe transparente! Regarde, Mamy : elle est de nouveau occupée !"
- Grrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrr ! pfrrrrrrrrrrrrrrrt !
- Miooooooooow ! Ouüiüün !
Moi sur ma chaise, la Bidou raide comme un piquet aux pieds de celle-ci, nous nous dévisageons avec hargne, en poussant nos habituelles clameurs. Nous allons même jusqu'à échanger des coups de patte... prudents, toutefois. Aucune de nous n'a envie de se faire estropier.
Comme de coutume, mon adversaire, après quelques instants, a jeté l'éponge. Elle s'est précipitée dans sa chambre-refuge.
Scouby n'était vraiment pas contente ! Daniel non plus.
- Dire que leur vie serait tellement plus agréable si elles s'entendaient ! a-t-il déploré.
Je n'ai pas osé répliquer qu'un peu de bagarre met du piment dans l'existence. Il me prend pour un tendre petit animal pacifique!
Laissons-lui ses illusions. ..

Toujours est-il que nous voilà partis... et à peine arrivés à la campagne, nous constatons que la maison de Gourmande est vide ! Ses maîtres ont déménagé à la ville et l'ont emmenée... Pauvre chatte, qui devra s'habituer à un nouvel habitat I
Ils ont laissé un des chiens à leur voisin, celui que nous surnommons Popeye. Dommage qu'ils ne lui aient pas aussi laissé notre Gourmande, elle qui aimait tant venir manger chez nous ! Je suppose que les enfants (qui entre-temps sont devenus des jeunes gens, les années passent…) tenaient à garder leur petite compagne. On peut les comprendre...
Du coup, maintenant, notre terrasse nous semble toute vide, quand nous nous levons le matin : c'est alors que la chatte tricolore avait l'habitude de venir nous dire un petit bonjour...

Evidemment, Nez-Plat, le chat si maigre et distingué, est bien triste. Cela faisait des années que Gourmande et lui étaient ensemble ! Il vient se faire consoler par de bons petits repas. Il ne se laisse pas caresser, je le crois un peu timide et, quand il me voit à travers la fenêtre, il me jette de petits regards méfiants. Il n'a pas encore compris que j'éprouve un certain sentiment pour lui... Un si beau chat, plus très jeune d'accord; mais tellement gentlecat ! Nous pourrions parler, à notre aise, nonchalamment assis l'un près de l'autre, durant les longues soirées d'été...

Ah, le romantisme ! Il m’évite de penser à certain petit problème intime…
Mais puisque j’ai décidé de tout dire…



Chapitre 24 : PETIT PROBLEME INTIME


Parfois, en nettoyant la salle de bains à Bruxelles, Scouby s'était inquiétée : "Tiens, on dirait qu'il y a comme une petite fuite d'eau le long de la baignoire, tout près du bac d'Ardoise ?.. "
Elle nettoyait. "Ca doit être quand Daniel prend son bain, l'eau déborde... " (puisque tout corps plongé dans un liquide... etc...)
A la campagne, mon bac est placé dans le petit hall qui donne sur le jardin.
Même scénario :
- Tiens ! C'est mouillé dans ce petit coin-là...
Peu à peu, la lumière s'est faite, tardivement il faut bien l'admettre, dans son esprit: "Et dire qu'au refuge de Veeweide, on m'a dit qu'elle savait se servir d'un bac de sable ! "

Ca ne pouvait pas manquer, je me suis retrouvée devant la statue du commandeur : "Ardoise !... Montre un peu la façon dont tu fais pipi !... "
- Hein ? dis-je, toute effarouchée, mais je fais comme les autres chats ! Pourquoi cette curiosité mal placée ? Et puis, je ne peux quand même pas montrer... hein ? Ma pudeur...
Elle lève les yeux au ciel.
- Alors, ne montre pas, explique !
Elle est folle ou quoi ? Comme il ne faut jamais déranger les gens qui ont un petit grain, j'obtempère, prudemment.
- Ben, quand je sens un petit besoin urgent, une petite lourdeur dans la vessie, tu vois… je fonce dans mon bac, je m'arrête contre le fond, je me cale bien dans le coin et je...
- Ah oui, tu te cales dans le coin, et tu fais ton petit pipi entre le bac et son couvercle... dans la petite fente, là ?
-Ben oui ! Comme ça, je ne mouille pas trop mon sable !
Maintenant, ce sont les bras qu'elle lève au ciel. C’est fou ce qu’elle peut avoir l’air mélodramatique, des fois !
- Et à la campagne ?
- Ben, pareil !... Je lève la queue et...
- Et tout passe au-dessus du bac !
Pourquoi fait-elle cette tête ? Je fais de mon mieux pour ne pas trop salir mon sable et elle m'en veut ?
Elle essaie de comprendre. Peut-être suis-je une pauvre chatte traumatisée ? Peut-être a-t-elle failli dans mon éducation ?
Peut-être est-elle une mère indigne ?
- Mais ma petite chérie, avant, tu ne procédais pas de cette façon-là !
- J'ai changé de tactique, dis-je obligeamment. Avant, je fonçais jusqu'au fond, jusqu'à ce que ma tête heurte le bord du bac, puis je levais ma queue... Mais je me suis rendu compte que, de cette manière, un petit courant d'air, m'atteignant le derrière, risquait de me faire prendre .froid...
Elle a voulu me sermonner, mais s'est tue, découragée : comment pourrais-je comprendre ?
J'en fais toujours à ma tête... et quand on monte mon petit bac pour la nuit, Scouby suit, avec un seau et une "loque à reloqueter", comme on dit chez nous. Elle a même étalé une serpillière sous mon bac, vous imaginez ? C'est bien gentil, elle doit craindre que j'attrape froid par en-dessous, mais c'est un peu exagéré, je trouve...
Enfin, si ça l'amuse...

-Voyons, petite chose...
Je sursaute. Des mois que je ne l'avais plus vue, celle-là ! L'éternité lui va bien : elle est toujours magnifique, dans sa robe crème et vison, avec ses immenses yeux bleus.
- Vot'Seigneurie, ça alors ! Je croyais que vous ne reviendriez jamais continuer vos leçons pour que je devienne un vrai chat !
En fait, je me berçais de la douce illusion d'avoir réussi tous mes examens et d'avoir enfin conquis mon diplôme de félinité... Peut-être que mon intimidant fantôme familier n'est venu que pour bavarder un peu ?

-Je sais, je sais! Je viens de m'apercevoir que ta formation était loin d'être terminée ..
Zut alors !
-Mais j'ai eu tellement, tellement à faire !... Je viens d'entendre que tu as des problèmes avec ton bac de sable ?
Décidément, elle sait tout ! Pas moyen d'avoir une vie privée, ici ! Je m'insurge.
- Moi ? Mais pas du tout, Seigneurie, c'est Scouby qui...
- Hum... Peut-être est-ce une leçon que tu n'as pas bien assimilée... Ne te tracasse pas, il y a des chats qui saisissent le truc du premier coup, d'autres qui mettent une dizaine d'années...
Il est clair qu'elle me range dans la dernière catégorie !
-Je t'explique la façon dont se doit d'agir une chatte digne et posée...
C'est moi, ça ?
- Premier principe: on ne se précipite pas tête la première dans le récipient, au risque de se cogner et se rendre ridicule. ..
C'est moi, ça !
- Second principe : on entre au petit endroit en courbant tout juste la tête pour passer sous le couvercle et, sitôt après y avoir pénétré, on effectue une rotation à 180 degrés.
- Mais... on doit rôtir à 180°, vot'Seigneurie !
Elle me considère avec tristesse, pense visiblement: "Mais comment ont-ils pu adopter CA, directement après MOI ? "
Mais, comme apparemment, elle me trouve assez sympa bien que plutôt godiche, elle ne traduit pas verbalement sa pensée et continue bravement la leçon.
- Effectuer une rotation à 180 degrés signifie: faire un demi-tour sur soi-même, de manière à se retrouver face à l'entrée du bac.
- Ah !
- Troisième principe: on ne se cale pas dans un petit coin, comme un chat névrosé…
Oh la la ! Névrosée, moi ?
- … mais on se plante solidement au milieu du bac, les pattes postérieures écartées, la queue droite, les pattes antérieures fermement posée sur le rebord. La tête sortie du récipient, portée haut, la tête !. ..De la dignité !
Faire une gymnastique pareille, je vais jamais y arriver !
- … et on fait sa petite affaire. Majestueusement !
- Mais... si on est pressée ? Si on doit courir ?
- Quatrième principe : on s y prend A TEMPS !
Assommée, je ne réagis plus. Mon Dieu, que c'est difficile d'être un chat ! Je l'aurais jamais cru en naissant ! Sinon, j'aurais choisi d'être autre chose... Une tortue, par exemple... Une tortue n'a pas tous ces problèmes. Elle se balade avec sa maison, son bac et tout sur son dos, elle mange de la salade et elle est contente. Quand elle en a marre, elle fait la boule et personne ne peut plus la houspiller. En plus, elle vit longtemps.
- Alors, c'est bien compris ?
- Voui, je crois, heu...
- C'est bien. Je vais devoir à présent te laisser te débrouiller seule, car je dois accueillir là-haut un groupe de nouveaux venus... Les mettre au courant et tout ça...
Mon coeur fait un petit bond.
- Seigneurie, là-haut... y aurait pas un chat noir et blanc, appelé Orca ? Un maigre, avec des yeux gentils et une tête à la Zorro ? Et une petite odeur spéciale ?
- Orca. .Orca. ..Le chat qui ressemble à Depardieu ?
- Mais voui c'est lui !
- Hou, c'est la coqueluche, là-haut, je ne te dis pas ! Tout le monde le connaît ! Un vrai boute-en-train, ton ami !... Si tu veux, je le saluerai de ta part...
- Oh oui, siouplaît !
- Maintenant, il faut que je file, petite chose, au revoir ! Et n'oublie pas ma leçon !
La voilà disparue.
Je suis bien contente d'apprendre que l'Orca s'amuse là-haut. Même si c’est sans moi.
Sans moi... Snif !
Quant à la leçon, c'est autre chose... J'ai pas compris cette histoire des 180°...

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Chapitre 25 : UNE ENQUIQUINEUSE



Entre-temps, le temps a passé et le soleil est revenu.
Je passe mes journées, confortablement installée sur mon fauteuil de jardin, sur la terrasse, et j'examine les alentours. Parfois, je me lève pour donner la chasse à un insecte qui volette au-dessus de l'herbe. Scouby me promène à travers le jardin, au bout de ma corde. Je me sens en vacances.
Le soir, nous mangeons dehors et j'observe la nouvelle génération de chats, née de cet hiver, qui traverse mon territoire. Il y en a un qui est tout beau, tigré avec de grosses lignes noires, le menton et les pattes blancs. Il vient nous dire bonjour et manger un morceau mais ne s'approche pas de moi, depuis que je lui ai fait comprendre, d'un grognement, que je suis la terreur du voisinage. D'ailleurs, il n'a pas l'air d'un foudre de guerre : il se laisse intimider par tous les chats, même par Négatif ! Il faut dire que le Négatou n'accepte pas facilement qu'on approche de SA maison des champs ! Il sait grogner aussi fort que moi, ce qui n’est pas peu dire !
Il y en a un autre, ou plutôt une autre, vous devriez la voir ! Un peu plus âgée que le tigré, petite et toute noire, avec des yeux en boules de loto ! Et comme vous le savez, moi, les chats noirs, c'est pas vraiment ma tasse de thé depuis quelque temps...
Quand e!le est arrivée, toute ondulante, j'ai directement flairé en elle l'ENQUIQUINEUSE, pour ne pas dire autrement.
Je me suis dressée sur mon fauteuil et ai pris mon aspect le plus sévère, visage fermé et regard de croco.
- Qui es-tu, toi ?
Elle a ondulé encore plus, son petit corps musclé bien brillant sous le soleil. Ses yeux malicieux et moqueurs se sont fixés sur moi.
Elle ne me plaît pas, celle-là !
- Je suis Mistinguett. ..La seule, la vraie !
Elle ment, j'en mettrais ma patte au feu ! La seule, la vraie... Et puis quoi encore ? Et d'abord, c'est qui, cette miss Tinguette ?
- Mais ici, on m'appelle la Miss... Je suis une vraie danseuse, regarde !
Elle se pavane avec grâce, gonfle ses poils.
- Et je chante, aussi ! Aaaaaaaah ! Aaaaaaaaaah ! entonne-t-elle d'une petite voix juste et harmonieuse.
Une intuition me vient, fulgurante : c'est une seconde Petite-Goulaffe, à n'en pas douter ! Ce petit air insolent de Miss-je-sais-tout. ..
Je grogne. Pas effrayée pour un sou, elle émet à son tour un petit roucoulement et regarde autour d'elle de ses yeux ronds et vifs.
- Cette maison et ce jardin me plaisent, remarque-t-elle négligemment.
- Tiens, dit Scouby qui vient d'arriver sur la terrasse, c'est le joli petit chat noir au collier rouge... Mais tu n'as plus ton collier, petit chat ?
Je regarde de plus près. Effectivement, la Miss est le chat au collier, que nous avions déjà entrevu à plusieurs reprises. Il semble qu'outre son collier, elle ait aussi perdu sa maison et tente de se recaser. Elle n’y va pas par quatre chemins ! Elle se précipite vers la porte de MON LOGIS A MOI et jette un regard appréciateur à l’intérieur.
- Pas mal, dit-elle en avançant une patte exploratrice.
Une Petite-Goulaffe n° 2, je vous dis ! Je suis au bord de l'apoplexie. Heureusement, Daniel vient à mon secours.
- Non, chat ! s'écrie-t-il de son ton le plus autoritaire. Pas dans la maison !
Elle retire la patte et fait quelques pas en arrière.
-Hum... Nous verrons cela d'ici quelques jours, n'est-ce pas ? ronronne-t-elle.
Elle goûte la gamelle que Scouby vient de lui présenter.
- Pas mauvais... J'ai été habituée à mieux, mais il semble que ma vie ait pris un
autre cours... (soupir)
-Pauvre petite chatte I s'apitoie Scouby en caressant l'intéressée dont les yeux
se remettent à pétiller de malice.

Après le départ du phénomène vers d'autres jardins, elle ajoute : "Je ne me ferais pas trop de soucis pour elle : avec son physique et son bagout, elle trouvera bien une autre famille avant l'hiver !"
Moi, immobile sur mon siège, je rumine : une véritable malédiction, ces chats noirs ! Malheureuse Ardoise ! Que vas-tu devenir ?

- Vous broyez du noir, Mam'zelle Ardoise ? s'enquiert l'obligeant Négatif.
- C'est bien le cas de le dire ! dis-je, la mine funèbre.
- Il fait si beau ! Pourquoi vous faites pas un petit tour pour vous dégourdir les pattes ?
- Je préfère rester sur mon fauteuil et réfléchir à la dureté des temps. ..
- Ca, c'est pas mon truc, Mam'zelle Ardoise ! Allez, au revoir, je reviendrai ce soir, pour le souper !
Et zou ! Le voilà parti en gambadant. Visiblement, il s’amuse comme un fou, tourbillonnant, grimpant aux arbres, piquant un petit galop dans la rue... Plus tard, remis en appétit par cette dépense physique, il se présente chez nous pour obtenir un petit extra. Après tout, ne l'oublions pas : c'est LUI le chat des champs de cette maison, à la place de son papa ! C'est LUI qui reçoit à manger sous un petit banc, à un endroit soigneusement choisi et c'est LUI qui, de temps en temps, a droit à une part de mon steak haché !...
D'abord offusquée, je ne dis plus rien. Je me contente d'exiger qu'on respecte ma méditation et qu'on ne m'approche pas de trop près, sinon je grogne ! Si un chat inconnu se permet d'insister pour lier connaissance, je prends mon air le plus glacial, ce qui fait généralement déguerpir l'intrus.

Nez-Plat, lui, n'a pas encore manifesté le souhait d'échanger quelques mots avec moi... Dommage. Peut-être que je ne grognerais pas.
Il est vrai qu'il est matinal, bien plus que moi qui ronfle encore dans ma chambre, alors que lui est déjà sur la terrasse ! Et quand il s'en retourne, l’estomac bien plein, je ne suis pas encore sortie de mes plumes. Nous ne nous voyons plus que par hasard, ce qui n’est pas fait pour favoriser le développement d’une grande amitié.

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Chapitre 26 : INTRUSIONS



Je commence à me méfier du petit chat tigré dont je vous ai déjà parlé… Vous savez, le chaton gris aux épaisses rayures noires.
Du coin de l’œil, je l’ai observé hier, de l’intérieur de la salle à manger, alors qu’il faisait irruption sur notre terrasse où se tenait Scouby.

-Mééééééééé ! Ronronronron. ...a commencé le chaton en tournant autour de ma mère d'adoption, la considérant de ses grands yeux naïfs et tendres. Evidemment, ce manège lui a rapporté une écuelle pleine ainsi qu'un bol de lait dont il a fait ses délices.
Puis: "Mééééééééééééé ! Méééééééééééé ! Ronronronron. .."
Au lieu de se retirer (ce que je lui aurais conseillé de faire), le voilà qui se dresse sur deux pattes, s'appuyant sur le fauteuil de Scouby, et ronronnant comme un moteur ! Et donnant de petits coups de tête pour qu'on le caresse ! Et y allant de la grande scène de séduction !
- Ravissant petit chat! a roucoulé ma mère d’adoption qui se laisse toujours rouler dans la farine par la gent féline.
D'accord ce n'est qu'un enfant, mais je trouve qu'il devrait se comporter avec plus de réserve dans une maison où la place est déjà prise ! Si je suis obligée d'en surveiller deux à la fois (n'oublions pas la petite futée), je ne vais plus savoir où donner de la tête, moi !
Rien que d’y penser, je suis fatiguée et remonte me fourrer sous la couette. ..

Et pendant que je suis occupée à récupérer après toutes ces émotions, en bas, les souris dansent !
Scouby est en train de lire tranquillement dans le salon, quand un mouvement dans la cuisine attire son attention. Le cher Négatif, placidement installé devant mon écuelle, attend qu'elle lui donne à manger.
- Négatif ! Que fais-tu là ? Comment es-tu entré ?
- La porte du jardin était ouverte, M'dame Scouby ! Je connais bien les lieux, vous savez ! N'oubliez pas que je venais souvent voir mon P’pa, dans le temps !
- Et l'assiette que j'avais mise dehors pour toi ?
- Elle est vide, M'dame Scouby ! La petite chatte noire. ..Mistinguett, je crois. .. était passée avant moi !
C'est vrai ! La Miss, qui porte à notre maison un intérêt passionné, s'était ruée sur la gamelle de notre chat des champs attitré sitôt que Scouby avait tourné le dos. C'est pourquoi Négatif se trouvait à présent dans la cuisine, dans l'attente de son repas.
Bien entendu, il a été copieusement servi et, après s'être rassasié, a exécuté une petite gigue sur la table.
- Allons, Négatif, on ne saute pas sur les tables !
- Pourtant, Mam'zelle Ardoise... et aussi mon P’pa...
- Oui, oui, je sais !
Scouby se demande une nouvelle fois si elle n’a pas un peu failli dans notre éducation…
Quelques instants plus tard, le Négatif s'est retiré, non sans avoir remarqué : "C'est drôlement plus relax quand la Mam'zelle Ardoise n'est pas là ! Avec elle, pas question d'entrer comme ça dans la maison, pas vrai, M'dame Scouby ?" C'est on ne peut plus exact ! Je suis un excellent chat de garde...

Mais pour l'instant, je dors toujours au milieu de mes coussins en forme de coeur, sans me douter le moins de monde de ce qui se passe en bas.

Négatif est en train de sautiller joyeusement dans le jardin de notre voisine, Scouby s'est remise à sa lecture, quand un nouveau mouvement, dans la cuisine, attire derechef son attention !
-Coucou ! fait une petite tête noire.
-Comment, Mistinguett! On t'a pourtant interdit de pénétrer dans la maison ! Les interdictions n'ont visiblement aucune valeur pour la Miss aux yeux fripons. Elle se met à tourner sur elle-même en se pavanant avec grâce, comme elle a l'habitude de le faire. Sa petite voix chantante se fait entendre.
- Miâââââââââââ ! Miââââââââââ ! Vous n'auriez pas un petit en-cas pour moi, gentille M'dame Scouby ?
- Mais tu as déjà vidé la gamelle de Négatif !
- J'ai encore un peu faim... A mon âge, je dois bien me nourrir pour devenir une grande fille !
En voilà une, au moins, qui n'a pas l'idée fixe de Petite-Goulaffe : rester un enfant aussi longtemps que possible !
- Je veux bien te donner quelque chose, mais pas ici. Tu dois manger sur la terrasse, petite Miss !
- Oh, ça ne me dérange pas, M'dame Scouby !
Au passage, elle évalue les meubles, les pièces, bien décidée à s'incruster à brève échéance dans mon sweet home à moi ! Elle ignore que je ne suis pas seule à lui refuser l'accès et que j'aurai bientôt du renfort : la Bidou est, tout comme moi, résolument allergique aux chats ! C'est notre seul point commun...

Hier, les chats noirs (maudite engeance !) m'ont à nouveau donné du fil à retordre !
Daniel et Scouby prenaient l'air du soir sur la terrasse. Je somnolais sur mon fauteuil de jardin.
- Tiens ! Voilà Nefer qui vient nous rendre visite ! dit Daniel.
Nefer, c'est encore la moins dérangeante de tous. Elle est très discrète, mais aujourd'hui, elle fait fête à mes parents d'une manière, à mon sens, exagérée: et que je me frotte contre les jambes, et que je miaule, et que je me répands en salamalecs...
Scouby, la première, a un soupçon.
- Tu es sûr que c'est Nefer, ce chat si affectueux ?
- Ben oui, regarde son petit jabot blanc. ..
- Il me semble un peu moins fourni qu'hier, le petit jabot...
En outre, le Négatif, assis paisiblement un peu plus loin, ne fait pas mine de se disputer avec sa mère, comme ils en ont tous deux l'habitude... Bizarre !
- Ce n'est pas Nefer, c'est un chat mâle ! s'exclame Daniel après avoir considéré l'animal avec plus d'attention.
- Rrrrrrrrrrou ! Rrrrrrrrrrou ! roucoule celui-ci en regardant Scouby avec des airs d'amoureux transi.
Moi sur mon fauteuil, figée de réprobation, je commence à la trouver mauvaise ! - Serait-ce Titi ? Il me semble qu'il lui manque aussi quelques dents...
- Mais non, Titi était plus roux et plus court sur pattes... Celui-ci ressemble vraiment très fort à Nefer I

Encore un tour de la reine d'Egypte qui n'arrête pas de nous présenter ses sosies que nous prenons naïvement pour elle ! Décidément, je crois que le petit bosquet en face de notre maison fourmille de chats noirs, frères, soeurs, nièces, neveux et j'en passe ! C'est probablement de ce nid que sortait aussi la Bidou, il y a quelques années... Elle aussi a un minuscule petit jabot blanc !
Ca n'arrive qu'à moi, ces choses-là !
Vraiment, j'aurais dû naître tortue !

Négatif commence à prendre une assurance qui me déplaît ! Quand vous faites la causette à un chat qui se trouve de l'autre côté de la vitre, vous à l'intérieur, lui à l'extérieur, ça va, vous vous sentez chez vous et vous pouvez vous montrer assez accommodante. Mais quand l'autre fait mine de croire que chez vous c'est chez lui, rien ne va plus l Ainsi, l'autre jour, qu'est-ce que je vois de mes yeux exorbités ? Le Négatou qui entre dans ma maison d'un petit pas conquérant et s'installe devant ma gamelle à moi ! Figée de stupeur, j'ai mis un moment avant de reprendre mes esprits. Puis j'ai traversé la salle à manger pour me poster à l'entrée de la cuisine, de manière à ce que l'intrus doive passer devant moi pour sortir.
- Ah, tu es entré, mon ami I Tu vas voir dans quel état tu ressortiras I
Le Négatif, pas bête, a terminé tranquillement MON repas puis est allé s'allonger sur le petit tapis devant l'évier, où il a entrepris de se toiletter minutieusement.
- Fais à ton aise, mon ami ! Moi aussi, j'ai de la patience !
C'est alors qu'a retenti un cri à glacer le sang !
- MlCHEEEEELE ! LA PORTE DU JARDIN S'EST OUVERTE ET LE CHAT N'EST PAS A SA CORDE ! OU EST LE CHAT ?
Peu de temps après, soupir de soulagement: « Ah , je la vois ! Elle est gentiment assise à l'entrée de la cuisine ! Elle ne s'est pas enfuie ! Brave Poupousse !"
- Je ne peux pas faire deux choses à la fois, dis-je, agacée. Pour le moment, je surveille. Je m'enfuirai plus tard.
C'est alors que Daniel, jetant un coup d'oeil dans la pièce, y aperçoit mon prisonnier.
- Tiens, Négatif I
- Ah, vous voilà, M'sieur Dan ! J'attendais que quelqu'un arrive... Vous voulez pas m'escorter jusqu'à la porte du jardin, siouplaît ? Si j’y vais tout seul, je vais me faire charcuter par Mam'zelle Ardoise au passage !
Hé bien, imaginez-vous, les amis, c'est MOI qu'on a saisie pour m'enfermer à l'étage, le temps que le Négatif mange encore un morceau et quitte ma maison d'un pas paisible, après avoir reçu maintes caresses de mes parents indignes ! C'est honteux, non ?

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Chapitre 27 : TRAVAUX ET DISPARITION



Pour le moment, me voilà toute tourneboulée !
Mon cadre de vie change d’aspect à vue d’oeil, ce qui met à rude épreuve les capacités d’adaptation d’une pauvre chatte attachée à son intérieur ! Un maçon est occupé à refaire les murs de la cuisine, on a arraché le carrelage. La première fois que je me suis aventurée dans cette étendue désertique, au sol de terre battue, je n’ai pu en croire mes yeux ! Plus de meubles ! Plus de poêle ! Plus de gamelle pour moi ! C’est tout juste si, intimidée, j’ai osé gratter la terre d’une patte prudente. Ce bac est vraiment trop grand… Ce n’est pas du beau sable blanc, comme lorsqu’on a refait la cuisine dans notre appartement de Bruxelles. Là, c’était bien sec, un vrai plaisir de se rouler dedans ! Ici, c’est humide et ça sent la campagne… Beurk !

On a quand même fait des trouvailles archéologiques intéressantes bien que peu nombreuses : dans le sol de la cuisine, on a retrouvé un dé à coudre en cuivre, datant de temps immémoriaux (cent ans ? Deux cents ?) et un culot de pipe en terre cuite. C’est tout ! Pas de trésor enfoui… Il est vrai qu’on ne s’y attendait pas non plus.

Scouby a aménagé une cuisine provisoire dans la petite pièce qui donne sur le jardin… Mais comme l’unique robinet d’eau courante dont elle dispose encore se trouve dans le fenil, vous imaginez le nombre d’allées et venues avec des récipients à remplir ou à vider !
« Je comprends mieux maintenant l’inconfort des pauvres gens qui, jadis, étaient obligés de remplir constamment leur cruche à la fontaine du village ! » a remarqué ma mère d’adoption.

Moi, brave bête philosophe, j’ai décidé de m’accommoder de tout. J’ai bien vite mémorisé la nouvelle place de mon bac de sable (avec une serpillière dessous, ne l’oublions pas) et je détecte ma gamelle à un kilomètre. Je n’y ai pas grand mérite : Scouby vient de lire dans une revue spécialisée que les chats et les chiens ont un odorat un million de fois plus développé que les humains ! Vous imaginez ce que cela peut être, un million de fois ? Et moi qui bénéficie de cette faculté, je trouve bien sûr cela tout naturel. Cela me conforte dans ma croyance en l’indéniable supériorité de la gent féline…

L’autre jour, Scouby revenait de faire les courses, quand Daniel a surgi à la porte, épouvanté : « Ardoise a disparu ! Je ne trouve plus Ardoise ! »
Il s’était aperçu de ma disparition dix minutes auparavant mais, comme le maçon était en train de travailler en conversant avec lui, Daniel a craint de paraître ridicule en s’affolant pour un chat. Personnellement, je pense qu’on ne doit pas avoir honte de ses sentiments, mais les gens de la campagne l’auraient indubitablement trouvé bizarre. Déjà, les voisins me dévisagent avec surprise et commisération quand ils me voient au jardin, affublée de mon petit collier bleu et de ma corde rose !
Daniel a donc continué à prendre un faux air dégagé, tandis que Scouby fouillait la maison, à la recherche de l’évadée. Comme vous le savez déjà, mes amis, les disparitions inquiétantes sont ma grande spécialité, aucun chat ne peut me battre dans ce domaine. Sauf peut-être Nefer, et encore !…

Après avoir regardé partout, ouvert toutes les armoires, Scouby a senti la panique l’envahir.
Puis, le maçon a pris congé et Daniel a pu ranger de côté sa dignité pour se joindre aux recherches effrénées.
A bout de ressources, il a glapi d’une voix qui se voulait engageante : « Ardoise, viens Minette, viens chez Papa ! »
Sans grand espoir, à vrai dire. Chacun sait ici que je suis la chatte qui ne répond JAMAIS au nom d’Ardoise !
Cependant, de mon côté, je trouvais que la plaisanterie avait assez duré : ces braves gens étaient dans un état proche de l’hystérie ! Se faire désirer, c’est bien, mais point trop n’en faut ! Et puis, si l’un d’eux avait attrapé une crise cardiaque, le cours de ma petite vie si bien ordonnée s’en serait trouvé bouleversé …
C’est pourquoi j’ai fait surgir ma charmante personne de sous une grande bâche en plastique recouvrant une partie du grenier.
Evidemment, ma réapparition a provoqué l’enthousiasme, le soulagement général ! J’ai été fêtée, caressée… Ca vaut le coup de recommencer ce petit jeu régulièrement, je trouve !

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Chapitre 28 : BEAU-LULU



J’ai un AMOUREUX !
Oui, moi, Ardoise, j’ai un soupirant, un vrai !
Qui ça ? Vous ne trouverez jamais et moi-même, je suis toute surprise de l’écrire : un CHAT NOIR !
Je vous entends pousser une exclamation de surprise… Il est vrai que la Bidou m’avait, durant un temps, dégoûtée de tous les félidés ténébreux, mais celui-là est spécial ! C’est le chat que nous avions pris pour Nefer lors de sa première visite chez nous. Vous vous souvenez, le quadrupède si affectueux ? Et la cible de ses regards de merlan frit, c’est moi !
Je dois avouer que je ne suis pas tout à fait insensible à son charme… Le soir, il est dans le jardin, il me contemple. Quand on me rentre parce qu’il commence à faire noir, il se met devant la chatière, à l’extérieur, pour continuer à me voir. Flattée, j’en fais autant, de mon côté. Le matin, quand on ouvre la porte, il est là ! Nous échangeons un bisou sur le museau. Je renifle son pelage, histoire de vérifier s’il est doté, comme l’Orca, d’une petite odeur spéciale. Hier, entraîné par un élan de tendresse, il a voulu frotter affectueusement sa tête ronde contre ma belle fourrure, mais…
VLAN !
L’animal recule, sidéré.
- Mais… Pourquoi, jolie Mademoiselle Ardoise ?
- Pas de familiarité ! C’est pas parce que je vous donne un bisou qu’il faut croire que c’est arrivé ! J’aime pas qu’on frotte sa tête contre moi !
Il baisse le nez, tout penaud.
- Pardon, Mademoiselle Ardoise.
- Bon, comme ça, ça va ! Et puisque je vous trouve quand même sympa, pouvez m’appeler Ardoise tout court et laisser tomber le « Mademoiselle ». C’est une grande faveur que je vous fais là ! Une marque de mon estime. Essayez de la mériter, vu ?
- Oui, Mad… heu, chère gentille adorable Ardoise !

Il en fait peut-être un peu trop. Est-il sincère ? Je ferme à demi les yeux, comme si j’allais m’endormir, mais en réalité j’observe, mine de rien, mon soupirant transi.
Pas de doute, il est de la famille de Néfer, bien que sa collerette soit un peu moins visible. Il est jeune, il doit avoir l’âge de Négatif… Et la forme de sa tête éveille un souvenir très net en mon esprit. Voyons… ces bonnes grosses joues de hamster, ce regard gentil et confiant… L’Orca !
Je soupire avec résignation. Serais-je tombée sur un autre rejeton de notre regretté chat des champs ? Cela ne m’étonnerait nullement. Combien Nefer et lui en ont-ils semé, sur leur chemin ?
En tout cas, l’assiduité du nouveau venu nous a inspiré un prénom un peu moqueur : Superglu !
Par la suite, nous l’appellerons Beau-Lulu, par affection. Il est vraiment trop gentil, même s’il est pot de colle !

Comme vous le savez, notre « resto du coeur » (la terrasse) est assidûment fréquenté.
Le chaton gris (appelé « Squatter ») y côtoie Négatif, Mistinguett, Nez-plat, Beau-Lulu…
Quand Scouby sort, munie d’une grande boîte de boulettes achetée chez Tom & Co afin de remplir les gamelles, j’essaie systématiquement de m’insinuer derrière elle. Mais elle me referme la porte au nez.
- Non, pas maintenant, Ardoise, laisse-les manger à leur aise !
Paraît que je les traumatise, ces petits trésors !

Il est vrai que mon apparition sur la terrasse, sitôt le repas terminé, jette comme un froid. Les quadrupèdes encore présents me lancent des regards méfiants et vont s’asseoir hors de portée de ma zone d’action. Impériale, je m’installe sur le paillasson, devant la porte, et je veille jalousement sur ma maison dont AUCUN ne sera autorisé à passer le seuil !
Eux et moi échangeons des regards faussement sereins. Je bâille, fais mine d’entamer une petite sieste. En réalité, je guette.
Je sais très bien de qui je dois me méfier : Squatter et Mistinguett n’attendent qu’un moment d’inattention de ma part pour se glisser subrepticement dans mon antre. Quant à Négatif…



Chapitre 29 : OH ! CE NEGATIF !



Il me rendra chèvre, ce Négatif !

Avouons-le : depuis que le chat des champs, en atteignant doucement d’âge adulte, a pris de l’assurance, nos relations se sont considérablement rafraîchies. Quand, par hasard, nous nous retrouvons nez à nez, il me fait une grimace et émet un « KSSSSSSSSSSS ! » rien moins qu’accueillant. Je grogne de concert.
Il a sur les autres l’avantage de connaître parfaitement la maison, puisqu’il venait y rendre visite à son père, jadis. C’est pourquoi, lorsque je lui refuse l’accès à la porte de derrière, il ne s’émeut pas pour si peu. Il a très vite remarqué qu’avec tous les travaux que nous entreprenons actuellement, la porte de devant est souvent ouverte. Il lui suffit de faire le tour de la maison et d’entrer comme chez lui.
Le voilà dans mon dos. Cruel dilemme ! Que dois-je faire ? Le pourchasser ? Ce serait abandonner mon poste et Dieu sait ce qu’il pourrait advenir ! Je traverse les affres d’un général dont les troupes se trouveraient prises entre deux feux. Devant, le petit Squatter et la Miss ! Derrière, cet imbécile de Négatif ! Je m’autorise un bref coup d’oeil vers la salle à manger : il se frotte voluptueusement contre les pieds de ma table, le monstre ! Et il entonne le grand air de l’Orca : « Miââââââ ! Miââââââââ ! »
J’entends Scouby : « Mon Négatou ! Comme tu es imprudent ! Si Ardoise te voyait !… »
Elle ouvre le frigo, en sort quelque chose de bon pour le Négatou (gnagnagna).
- Maintenant il faut sortir, mon minou, tu ne peux pas rester dans la maison !
Ah, quand même ! Je guette la sortie du « Minou » pour lui décocher un bon coup de patte au passage. Il fait son apparition… dans les bras de Scouby qui le dépose sur la pelouse. Il y retrouve la Miss qui, éberluée, se répand en commentaires de sa jolie petite voix chantante (elle doit être originaire du Midi, cette chatte, c’est pas possible autrement).
- Aâââââh ! Mais comment tu as faiiiiiit ? Je t’ai pas vu entrer, mais je t’ai vu sortiiiiir ! Tu as un truuuuuc ? Dis-moi comment tu faiiiiis !
- GRRRR ! fait Négatif.
- Sale caractèèèère !
Dignement, la Miss s’éloigne, suivie par Squatter qui, dans son âge tendre, craint encore de rester seul sous mon terrible regard. Le Négatif disparaît au coin de la maison. Vais-je enfin goûter un moment de repos ?
Bon, vous devez connaître déjà la réponse à cette naïve question… puisque la porte de devant est restée ouverte !
Et c’est comme ça tous les jours, actuellement ! Je comprends les chats qui font des dépressions nerveuses quand on entreprend des travaux de rénovation chez eux !

C’est avec soulagement qu’une fois le soir tombé, les portes closes, je gravis péniblement l’escalier avec le sentiment du devoir accompli, pour aller m’effondrer sur une couche douillette. Et même là, il m’arrive encore d’être témoin de scènes hallucinantes !
Ainsi, il y a quelques jours, je venais tout juste de m’étendre, quand j’ai entendu la voix de Scouby.
- Négatif ! Que fais-tu encore une fois dans la maison ?
Elle ouvre la porte du jardin, dans l’intention d’éjecter le matou… qui ne l’entend pas de cette oreille. Peu soucieux de quitter, même pour quelques heures, une demeure où il reçoit de bons petits plats (il se sert sans complexe dans ma gamelle, le malotru !), il biaise et… zou ! le voilà parti au sommet de l’escalier, juste devant ma chambre !
J’en reste ébahie.
- Tiens, Mam’zelle Ardoise ! Salut, dormez bien ! miaule joyeusement l’indésirable.
Je n’ai pas le temps de répondre : Scouby ferme ma porte pour éviter que nous n’en venions aux pattes. Comme une partie de cette porte est vitrée, je peux néanmoins suivre le cours des événements.
Le Négatif, bien déterminé à occuper les lieux le plus longtemps possible, fait de la haute voltige sur les poutres du fenil, là où j’aime jouer, moi aussi.
- Négatif ! Négatou ! Viens, Minou ! Petit petit petit ! piaule Scouby.
Peine perdue ! Le « petit », réfugié dans un coin où il est impossible de l’atteindre, se contente de lui jeter un regard goguenard. Puis, histoire de démontrer ses talents d’acrobate, il esquisse quelques pas de danse avant de s’envoler.
Je vous le jure, les amis, je l’ai vu ! J’ai vu le Négatif traverser l’espace sans effort apparent, pour se retrouver un niveau plus haut, au-dessus du plafond de ma chambre, là où aucune créature humaine ne peut risquer de poser le pied !
L’animal dispose à présent d’un vaste grenier, d’où il fait la nique à sa poursuivante.
- C’est pas possible ! s’exclame Scouby.
Averti, Daniel ne peut en croire ses oreilles. Il vient reconnaître la situation sur place, grimpe quelques barreaux d’une échelle afin de jeter un coup d’oeil dans les hauteurs.
Un petit visage blanc, triangulaire et fantomatique, apparaît dans son champ de vision. Daniel essaie de saisir la créature qui se dérobe.
- Négatif ! Viens, mon gamin ! susurre-t-il de sa voix la plus séductrice.
- Causez toujours, M’sieur Dan ! répond le phénomène en faisant des entrechats.
- Mais comment a-t-il pu arriver si haut ? C’est pratiquement impossible ! s’exclame Daniel.
- Impossible n’est pas chat ! répond le Négatif.
Daniel grimpe plus haut sur son échelle, essaie à nouveau de s’emparer du chat volant qui, pas bête, se contente de reculer doucement sur le grenier.
- Du steak haché ! s’exclame subitement ma mère d’adoption.
Elle court à la cuisine, emplit une petite assiette que Daniel, tel le démon tentateur, présente au félin. Celui-ci, n’étant pas un saint, succombe au péché de gourmandise… et, la bouche pleine, se laisse saisir sans songer à se débattre. Il faut d’ailleurs admettre qu’une fois capturé, le Négatif se révèle beau joueur. En chat sociable, il se laisse emporter jusque sur la terrasse, avec son assiette.
- On a bien rigolé, hein, M’sieur Dan ! ronronne-t-il avant de s’attaquer à son steak haché… que Beau-Lulu lui pique sous le nez !
Daniel n’en revient toujours pas, d’avoir vu un chat sauter si haut.
Maintenant, il s’attend à tout, avec nous !

C’est donc sans surprise que, le lendemain, il a retrouvé Négatif couché sur une épaisse botte de paille surplombant les chevrons du fenil. Décidément, ce chat des champs a le chic pour se faufiler partout !
Mes parents ont baissé les bras : s’il y est entré, il saura bien en sortir !
A présent, l’énergumène passe ses après-midi béatement allongé sur ce lit improvisé. On le laisse faire…
- Vous savez, M’dame Scouby, c’est tout intérêt pour vous, de me laisser patrouiller sur votre grenier !
- Ah bon ?
- Vous savez comme je suis excellent chasseur ! Si je vois une souris, je vous en débarrasse ! Qu’est-ce que vous en dites ?
- Tu crois qu’il y a des souris, mon Négatou ?
- Y a TOUJOURS des souris ! Croyez-en mon expérience ! Mais soyez tranquille : j’ai l’oeil ouvert, je veille !…

De souris, on n’en voit pas l’ombre… Par contre, on distingue bien une silhouette de chat blanc et noir profondément endormi sur la paille. Comme, de mon côté, étant donné que le temps s’est fait maussade, je passe mes journées enfouie sous ma couette provençale, on se croirait dans le château de la Belle-au-Bois-Dormant...
Un fameux débrouillard, ce Négatif !…

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Chapitre 30 : JE SUIS UNE RALEUSE



Tout cela m’avait fait perdre de vue mon lancinant souci, ma bête noire, la Bidou !
Pendant que je me reposais (!) à la campagne, elle était restée dans l’appartement de Bruxelles, où Olivier venait la soigner.
Comme nous avions encore maintes choses à faire dans notre bientôt ancien logis, mes parents et moi y sommes retournés quelques jours.

Dès le premier instant de notre arrivée, il m’a bien fallu admettre, avec tristesse, que l’incontournable Bidou n’avait pas disparu durant ma villégiature. Elle était toujours là, et bien là ! Et désespérément pareille à elle-même : une grosse boule de fourrure noire éclairée par deux yeux sataniques. Une créature campant sur ses positions, bien déterminée à ne jamais faire partie de ma meute !
Et bien nourrie en plus ! Florissante de santé ! Si encore Olivier avait pu la négliger un peu…
Pire : il m’a semblé détecter une assurance nouvelle dans son regard. Je crois qu’elle s’imagine qu’à présent, mon appartement lui appartient !

Comme de coutume, elle ne peut s’arrêter de jacasser : « Crouuuuuik ! Youk ! Miow ! »
C’est fatigant, une bavarde pareille ! Dédaigneusement, je me couche sur le tapis du salon en ignorant l’infime bestiole qui raconte à Scouby tous les menus événements de la semaine écoulée.
- Youk ! Et j’ai été malade sur le tapis de ma chambre, regarde, Mamy ! Olivier l’a pas vu. Il est gentil Olivier, mais y voit rien. Pourtant j’lui ai dit « Pouik ! Faut nettoyer parce que moi j’aime avoir ma chambre propre. » L’a pas compris non plus. Moi je suis propre, c’est pour ça que je vais dans le bac de la Grisouille et pas tant dans le mien, pour qu’y reste net !
Charmant.
- Y comprend pas le langage chat, Olivier ! Gnouf !
Si ça, c’est du langage chat, moi, la belle Ardoise, je veux bien être transformée en [img]http://yelims1. ! C’est quoi, Gnouf, Pouik, Yèk ? Un chat qui se respecte fait Miaou, Méééé, Rrrrrou ! Je dégouline de mépris à l’égard de la ténébreuse qui ne semble pas s’en soucier. Et puis, admettez qu’il y a de quoi s’étouffer de rage : elle fait ses petits besoins dans mon bac à moi pour que le sien reste propre ! Et en plus, il paraît qu’elle ne laisse rien à côté, elle !
Et tout le monde qui lui dit : « Oh, pauvre Bidou, toujours toute seule ! Pauvre petit amour ! Et patati et patata… Mignonne Bidou si gentille !… »
Tout ce qu’il ne faut pas entendre, j’vous jure !

J’ai cherché durant deux jours un stratagème pour provoquer une bagarre bien sanglante. Je n’aurais pas hésité à faire montre d’une mauvaise foi parfaite, comme le loup de la fable « Le loup et l’agneau » (une superbe leçon de mauvaise foi, cette fable !). Rien à faire : chaque fois que mon regard acéré croisait le sien, la Bidou ne faisait ni une ni deux : elle se précipitait dans sa chambre où elle se trouve bien en sécurité, vu que je n’y pénètre jamais. Quelle poltronne !

Et dire que lorsque les gros travaux de rénovation seront terminés, je devrai la subir à la campagne ! Notez bien que les premiers temps, elle ne sera sûrement pas contente non plus : dès qu’elle s’est habituée à un appartement, faut qu’elle change ! Mais elle ne le sait pas encore. Scouby tire des plans pour que tout se passe le mieux possible.
- On mettra Ardoise au rez-de-chaussée et Scoubidou au premier étage… Comme ça elles auront toutes les deux de la compagnie, puisque toi tu es souvent en bas et moi dans le bureau, pour taper à la machine… On va peut-être laisser les portes entrouvertes, de manière à ce qu’elles continuent à s’habituer l’une à l’autre. Après tout, un jour elles vont bien se fatiguer de glapir à chaque rencontre….
Ben oui : le jour où nous serons toutes deux devenues muettes !

Nos séjours à Bruxelles sont réguliers, mais pas très longs, juste le temps d’accomplir diverses formalités, soigner la Bidou, faire la lessive… Et puis on rentre à la campagne, regarder l’évolution des travaux.
Je rumine mes griefs : vous n’imaginez pas le nombre de trajets en voiture qu’on me fait subir ! Bien sûr, je les ponctue de poignants trémolos, de plaintes sauvages, histoire d’agacer mes tortionnaires… mais il y a de l’abus, je dis !
- On devrait peut-être laisser Ardoise à la maison, on lui laisserait de la nourriture pour deux jours… tente Daniel.
C’est ça, oui ! Beurk ! De la nourriture qui deviendrait toute sèche ! Et pendant que moi je resterais sur la touche, la Bidou se ferait câliner à l’appartement, bien contente de mon absence ! Je fulmine.
- Pas possible, objecte Scouby, tu sais bien qu’Olivier est tellement heureux de venir voir sa chatte quand nous sommes à Bruxelles !
Ca, c’est vrai ! Mon ex-Grand Amour m’aime toujours à la folie, bien qu’il vive avec quelqu’un d’autre. Ca me fait chaud au coeur, même si parfois je trouve qu’il exagère : « Maman, fais bien attention à Ardoise, hein ! Ne la laisse pas sortir toute seule et surtout pas sans son collier ! Ne la laisse pas monter sur le grenier, elle pourrait tomber ! Etc, etc… »
Et ma liberté, alors ? Moi qui déploie des trésors d’ingéniosité pour échapper à l’affectueuse vigilance de ma famille humaine ! Y a de l’abus, je redis !
- Ardoise, tu ne deviendrais pas un peu râleuse sur les bords ?
Moi ? Jamais de la vie !

Avouons-le tout bas, mon sort pourrait être pire. J’aurais pu être adoptée par des gens du style : « silence les chats, vous n’avez pas droit au chapitre, c’est nous qui décidons ! »
Au lieu de quoi, on me traite avec égards, on respecte ma personnalité profonde, on est à l’écoute de mes désirs, dans la mesure du possible. Je souhaite faire la grasse matinée ? Aucun problème : quand j’ouvre un oeil et m’étire, sur le coup de midi, j’ai une gamelle bien remplie qui m’attend et une famille qui m’accueille par des mots doux. Je semble un peu déprimée ? On s’efforce de me distraire : « Où c’est qu’elle est, la baballe ? Oh la belle baballe ! Et la petite souris ? Cours, Ardoise ! » . Je frissonne ostensiblement ? On allume le petit poêle à pétrole et on pose mon panier devant.

Oui, ma vie serait assez idyllique… s’il n’y avait pas les autres chats ! Parce qu’eux aussi, il paraît qu’ils possèdent une personnalité profonde, des sentiments à respecter, des susceptibilités qu’il faut prendre en compte !
- Je ne peux pas mettre Négatif dehors comme ça ! ll faut que je lui explique la situation sans qu’il se vexe !
Et c’est ainsi que le Négatif se retrouve à vider joyeusement ma gamelle et à faire tous les jours la sieste dans le fenil. Une sieste de plus en plus longue, d’ailleurs… Une sieste qui s’étale facilement du matin jusqu’au soir, quand il fait mauvais dehors. Ensuite, il saute sur les genoux de Scouby et, sans le savoir, répète les gestes de son papa. Il piétine des deux pattes antérieures en ronronnant : « Je suis con-tent, je suis con-tent… »
Quand, enfin, il faut se résoudre à le mettre à la porte, c’est avec force roucoulades : « Va te promener et faire tes petits besoins, mon Négatou, tu pourras revenir demain ! Au revoir, mon joli Minou ! »
Pas perturbé, le joli Minou va faire le tour de ses autres connaissances, à commencer par notre voisine. Et le lendemain matin, le voilà à son poste, devant notre porte !
Bien que je sois souvent dans ma chambre durant ses visites, je sais très bien qu’il est là. Je désapprouve en silence, en songeant : « Attends, mon ami ! Quand tu rencontreras la Bidou, ce sera une autre paire de manches ! »
Et encore, je n’en suis pas si sûre : la Bidou n’étant pas un foudre de guerre, elle se contentera de se réfugier sous un meuble au premier grognement de notre chat des champs…

Et QUI devra, une fois de plus, porter haut et ferme l’étendard de la vaillante chatte Ardoise, en courant sus à l’envahisseur ? Devinez !
A moins que nous ne réussissions l’exploit d’habiter tous les trois dans la même maison sans jamais nous rencontrer…

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Chapitre 31 : CA SENT LE CHAT !


Les semaines passent, l’automne n’est plus très loin.
Tous les matins, aux aurores, une petite silhouette attend patiemment au milieu de la pelouse.
- Beau-Lulu, mon gentil minet !
On lui apporte une assiette. Mais mon indécollable amoureux ne vit que pour me contempler. Il soupire en regardant la fenêtre derrière laquelle, pense-t-il, je vais faire une apparition remarquée.
- Ardoise, Beau-Lulu est dans le jardin !
Je me retourne nonchalamment sur ma couette. Il est trop tôt ! Je ne me lèverai pas avant une heure ou deux… ou trois ou quatre…
Ce premier prénom de Superglu, comme ce chat le méritait bien ! Il est tellement fidèle que c’en devient monotone, je trouve !
- Dis-lui de revenir ce soir, quand je serai debout, murmuré-je, exténuée.
Pour être sûr de ne pas rater le rendez-vous, il est capable de rester toute la journée, scrupuleusement, sur la terrasse !
C’est un chat affectueux au possible ; il accepte avec joie toutes les caresses et les marques d’attention. Quand Scouby le grattouille derrière les oreilles, il fait des petits bonds d’allégresse. Il se perche sur l’appui de fenêtre pour regarder à l’intérieur de notre salle à manger, espérant y distinguer ma grise et ronde silhouette.
Il est plus superglue que nature !

Négatif, appliquant le principe : « Si on te donne un doigt, prends tout le bras ! », se précipite chaque jour dans ma maison pour y manger (dans MA gamelle comme chacun sait) et y faire un bon petit somme. En général, il se présente à la porte vers neuf heures du matin (il est moins lève-tôt que Beau-Lulu)… et repart en fin d’après-midi, quand on l’y incite. Lorsque nous partons pour un jour ou deux à Bruxelles (pour y faire notre lessive et dire bonjour à la Bidou pour qu’elle ne nous oublie pas, grrr !), le maçon reste seul à travailler dans la maison. Alors Négatif est à la fête : c’est un jeu pour lui de s’introduire subrepticement dans le fenil et n’en plus bouger. Le maçon s’en va, Négatif reste. Quand nous rentrons :
- Miâââââââââ !
- Négatou ! Tu as passé deux jours ici ?
- Ben oui ! J’ai bien dormi, mais maintenant j’ai la dent ! Vous me donnez quelque chose de bon, M’dame Scouby ?
Après s’être restauré :
- Je peux rester, M’dame Scouby ? Vous savez bien, pour les souris ?
- Ah non, Négatif, tu es un chat des champs, ne l’oublie pas ! Va te promener dans le village, tu as sûrement des visites à faire !
Il soupire, mais obéit. Doté d’un heureux caractère, il galope joyeusement, une fois la porte franchie : il a, comme son défunt papa, une vie sociale bien remplie !

Mine de rien, il connaît la façon d’enrouler les humains autour d’une seule de ses grosses pattes blanches.
Comme vous le savez, il a commencé, avec une fausse modestie, par occuper notre grenier.
Puis…
- La paille, ça gratte, M’dame Scouby, regardez : je dois faire ma grande toilette quand je me réveille et puis, je pourrais attraper des puces ! Ca vous dérange pas si je m’installe plutôt sur le vieux tapis, là ?
- Fais à ton aise, mon Négatou ! C’est vrai que la paille, ça doit piquer !
Après le vieux tapis, le Négatou s’est avisé qu’un matelas usé serait peut-être encore plus confortable. A ce stade, il a déjà quitté le fenil et progresse insensiblement vers l’escalier.
Après quelques séances de méditation sur le matelas, Négatif, l’air distrait, descend l’escalier en faisant semblant de ne pas être vraiment là.
Daniel et Scouby ne se sont avisés de l’évolution de la situation que lorsqu’ils ont vu le chat des champs, profondément endormi, sur un des fauteuils du salon !
- J’ai l’impression que nous avons été roulés dans les grandes largeurs !
- Négatif ! susurre Daniel qui, manifestement, a un faible pour cet hurluberlu.
L’animal entrouvre les yeux… pour les refermer avec une visible détermination qui proclame clairement : « Osez seulement déranger un malheureux chat si fatigué, humains sans coeur ! »
- Il faut pourtant le faire sortir, dit Scouby. La pauvre Ardoise a aussi le droit de nous tenir compagnie et tu sais qu’elle supporte mal…
- Laissons-lui encore un quart d’heure, suggère Daniel en couvrant son protégé d’un regard attendri.
Enfin, on le fait sortir avec les plus grands égards et on m’invite à descendre, à mon tour, l’escalier afin de me permettre de déambuler dans la maison.
Avec désapprobation, je détecte bien vite le sournois petit parfum de l’intrus.
- Bêke ! Ca sent le chat ! dis-je en fronçant délicatement mon joli nez rose.
- Ce n’est pas vrai, dit Scouby. Négatif est propre et ne sent rien !
Evidemment, avec un odorat atrophié comme le sien, elle ne peut rivaliser avec moi !
- Je n’ai pas dit que ça sentait le pipi de chat, précisé-je d’un petit air supérieur, j’ai simplement dit que ça sentait le chat ! Une présence récente de chat ! Un esprit de chat ! Dans ma maison ! Décidément, n’importe qui peut entrer ici en faisant le joli-coeur ! Lamentable !
Après ces quelques exclamations bien senties, je me place devant le petit poêle à pétrole, encore éteint, et je fais mine de grelotter afin de forcer mes humains à s’intéresser un peu à moi.
Comme les ondulations de ma grise fourrure n’ont pas eu l’effet immédiatement souhaité, j’en rajoute : « Glaglagla ! Glaglagla ! On gèle ! »
- Tu as froid, Ardoise ? questionne Scouby avec incrédulité.
- Je me sens comme un bloc de viande dans le freezer !
D’un bond, je me précipite sur le divan et entreprends de m’envelopper dans la couette qui le recouvre. Je disparais sous l’amoncellement de tissu en articulant encore distinctement : « Glaglagla ! Glaglagla ! » Puis je sors la tête pour observer d’un oeil vif et brillant les résultats de mon manège.
Ils sont durs de comprenure, ces deux-là !
- Il ne fait quand même pas froid !
- - Peut-être un peu humide… Je vais allumer. Je ne veux pas qu’Ardoise contracte le coryza !…
Ah ! Quand même !…

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Chapitre 32 : UN PEU DE POESIE



Il faudrait faire comprendre au Négatif qu’il ne se trouve pas ici en terrain conquis ! Du moins, pas conquis par lui ! La maison appartient à certaine chatte grise que tout le monde connaît !
Mais comment faire ? Le culpabiliser, peut-être ?
Le voilà devant la porte de ma chambre. Il s’apprête à grimper sur le vieux matelas, parce que le maçon est en bas et donne des coups de marteau bruyants sur les cloisons. Or, Négatif veut faire sa sieste à l’aise !
- Ksssss ! dit-il, par habitude, en apercevant le bout de mon museau sous la couette du fauteuil.
Mon regard se fait fixe. Je pousse un profond soupir, bien dolent.
- - Z’êtes malade, Mam’zelle Ardoise ? s’étonne-t-il, une patte déjà levée pour bondir sur son matelas.

Re-soupir. Puis j’y vais de ma grande scène de l’acte 1, inspirée directement des classiques qui ornent la bibliothèque de Scouby.

« O chat des champs ! Négatif au prénom funeste,
Pourquoi ne pas fuir sans demander ton reste
Plutôt que de la triste Ardoise gâcher le cours
De l’existence en ses ultimes nuits et jours ? »

miaulé-je lamentablement.
Intrigué, le chat des champs s’est assis sur son derrière. Ses beaux yeux en amande sont emplis de curiosité. Peut-être va-t-il enfin comprendre, par cette tirade bien ficelée, que ses intrusions m’indisposent ? Encouragée par cet intérêt, je poursuis :

« Hélas ! Hélas ! La pauvre douce et tendre Ardoise
Percée au coeur par tes machinations sournoises… »


Aïe ! Il ne suit plus ! Visiblement surpris, il m’interrompt : « Mam’zelle Ardoise, c’est quand même pas vous, la douce et tendre ? «
- Et pourquoi que ce serait pas moi ? grincé-je, le regard furibond, toute ma belle combativité revenue au galop.
- Oh, je… Mais vraiment : douce et tendre, vous croyez ? … Enfin, je veux dire… Ah ! J’ai compris ! C’est un poème ! Vous me récitez un poème ! Alors bien sûr, c’est pas la réalité ! Oh, comme c’est beau, Mam’zelle, continuez donc !
Je poursuis, mais la conviction n’y est plus vraiment :

« … La pauvre douce et tendre Ardoise… »


- Hu hu hu ! émet le Négatif.
Imbécile, va ! Comme s’il y avait de quoi rire !

« Percée au coeur par tes machinations sournoises,
S’étiole comme une fleur au vent d’hiver,
Poignardée à mort par ton glaive de fer ! »


Le Négatif a fini de ricaner et réfléchit : « Mais il y a pas de fleurs en hiver, Mam’zelle Ardoise ! »
Je suis effondrée : il est obtus, vraiment ! Il n’a pas compris que la substantifique moelle de ma racinienne tirade, c’est lui et moi ! Le sujet de mon poème, c’est sa goujaterie à mon égard ! Je le lui expliquerais, même avec de bonnes gifles à l’appui, il ne me croirait pas !
Justement, il recommence à s’exclamer : « Même q’il y a pas de fleurs en hiver, c’est quand même beau ! Super ! Redites encore une fois « O chat des champs… »
- O chat des champs, fous-moi le camp ! glapis-je, tout esprit poétique envolé.
Tranquillement, le Négatif se dirige vers son matelas, pas rebuté le moins du monde.
- Les artistes ont toujours des sautes d’humeur, dit-il avec indulgence, mais je suis touché, Mam’zelle Ardoise, c’était vraiment gentil de m’avoir choisi pour me dire votre petit poème. Je pensais pas que vous m’aimiez tant !
Est-il vraiment aussi naïf ? J’avais oublié à quel point il ressemble à son père…
Puisque l’ART ne fonctionne pas, il va falloir que je trouve un autre moyen !
Une pensée me vient, m’amollissant les pattes : et si le Négatif faisait la bête exprès ? Il serait bien chat à faire peu de cas de mes sentiments… heu… plutôt négatifs à son égard !
Hélas, hélas ! Pauvre tendre et douce Ardoise !…


Chapitre 33 : AMOUR ET CHALEUR



Le temps, subitement, se refroidit encore. Voilà Scouby qui a des frissons. Moi aussi, mais moi, c’est normal : l’habitude du chauffage central…
Nous ajoutons une couverture au lit et le soir, plutôt que de dormir dans mon fauteuil, je saute sur leur matelas pour bénéficier d’un peu de chaleur humaine. Bien roulée en boule, je me cale solidement contre une paire de jambes et je m’endors. Il paraît même que je ronfle, s’il faut en croire Daniel. Je suis sceptique : comment une petite fleur fragile et éthérée pourrait-elle ronfler ?
La nuit, les jambes remuent. On se tourne, on se retourne, on me pousse.
- Un peu de calme, dis-je, tu m’as réveillée !
- Et toi, tu m’empêches de bouger ! Tu pèses comme un bloc de béton !
- Peut-on dire ! Je suis légère comme une plume !
- Une fameuse plume d’une tonne !
Il y a des gens qui exagèrent, vraiment !
- Tu ne peux pas juste te bouger un peu ? De cinq centimètres, pour que je ne t’aie plus en plein dans les jambes ? Ca me donne des crampes !
- Mais si je fais ça je perds toute la chaleur ! Bourreau d’animal innocent !
On se rendort, en maugréant encore un peu. Le lendemain, ils se lèvent à huit heures et moi, pour compenser, je reste au lit, bien enfouie sous la couette, dans la chaleur, jusqu’à midi et demi !
Non mais des fois !

Les jours passent… J’endure le Négatif comme une plaie inévitable, un fléau naturel… Dédaigneusement, je fais semblant de ne pas le voir quand il passe à petits bonds devant moi.
Hélas, je crains que ma désapprobation à son égard ne lui fasse ni chaud ni froid. Il pense que je suis sujette à des sautes d’humeur ou peut-être même à une légère dépression, c’est pourquoi il me fait des grimaces espiègles… pour me remonter le moral. Quand je suis couchée dans ma chambre, je le distingue là-bas, étalé sur son matelas. Quand je suis dans le salon, le voilà sur le capot de la voiture, se chauffant au faible soleil d’automne. Je l’ai constamment sous les yeux !
Enfin, mieux vaut lui que la Bidou !

Heureusement, il me reste le romantisme, la petite fleur bleue, l’amour platonique par lequel j’oublie mes chagrins.
Campé sur l’appui de fenêtre de la salle à manger, le regard plein de rêve, voilà mon indécollable amoureux. Je me juche, moi aussi, de mon côté de la fenêtre et nous commençons un entretien plein d’agrément.
- Beau-Lulu aime Ardoise ! soupire-t-il.
- Ardoise aime Beau-Lulu ! roucoulé-je avec sentiment.
- BEAU-LULU AIME ARDOISE ! crie-t-il plus fort, en roulant des yeux.
Encouragée, je surenchéris : « ARDOISE AIME BEAU-LULU !
J’aime bien avoir toujours le dernier mot. C’est une habitude chez moi.

Au bout de quelques minutes de ce manège, je m’en vais. Point trop n’en faut, je trouve, sinon je m’en lasserai vite. Il faut dire que mon Roméo manque un peu de conversation.
En me voyant revenir dans le salon, des étoiles pleins les yeux, voilà Daniel qui ricane : « A ton âge, Ardoise, avoir un amoureux ! Pfffft, grande sotte ! »
Dignement, je lui tourne le dos. Plus jamais je ne lui accorderai un regard !
- Eh bien, elle boude ? s’étonne-t-il, tout surpris.
Scouby lève les yeux au ciel.
- Tu ne te souviens pas de ce que tu viens de dire ?
- Mais… comment veux-tu qu’elle comprenne ? Tu ne vas quand même pas prétendre que ce chat…
Ulcérée, je lui décoche un regard furibond. Si, Môssieur, je comprends ! Il y a des années que je cohabite avec vous, je connais le français ! Ca alors, ça dépasse les bornes, vraiment !

Il s’est racheté.
Certainement dans le seul but d’obtenir mon pardon, il a fait l’acquisition d’un superbe poêle à mazout qui, à présent, emplit la cuisine d’une douce chaleur.
Mon panier « Félix » a été disposé devant ce poêle. Inutile de vous préciser que je n’en bouge plus ! Balayés les amours et tous leurs trémolos ! Je ne pense plus qu’à avoir chaud ! On voit juste ma tête dans l’ouverture du panier. La plupart du temps, même, on ne me voit plus du tout, je suis lovée tout au fond, comme un coquillage.
Maintenant, on ne m’appelle plus que le petit « bernard-l’ermite » !

Beau-Lulu se console de mon absence (qu’il espère momentanée) en faisant la cour à ma mère d’adoption. Il la suit partout quand elle est au jardin, il sautille et lui lèche les mains quand elle ramasse les feuilles mortes, il se roule sur le dos dans l’herbe humide. C’est un affectueux pathologique !
- Mon gentil minouchet ! s’exclame-t-elle, touchée par cette adoration, « je vais bien te nourrir cet hiver ! Et peut-être te préparer une botte de foin pour que tu n’aies pas froid ! »
- Ronronronronron… approuve le pot de colle forte.

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Chapitre 34 : ET MOI ???



Et moi, et moi ? Ca fait des jours et des jours qu’on parle de moi et on ne me laisse pas donner mon avis !
Pourtant, il est important, mon avis, je dirais même, primordial !

Ah ! Quand même ! Pas trop tôt…

Heu… Je me concentre. Il vaut mieux que je commence par le commencement, sans trop m’embrouiller. Vous savez, c’est comme quand on tire un fil d'une pelote de laine, faut choisir le bon brin, celui du début, et pas celui du milieu ou de la fin, sinon on est tintin. Croyez-moi, je parle d’expérience, les pelotes de laine, ça me connaît.

D’abord, faut que je le dise, depuis quelque temps, je suis fort entourée ! Beaucoup de personnes sont apparues dans ma vie pour me donner du délicieux Sheba à manger et du bon lait à boire, alors je crois que je suis une chatte très appréciée et de grande valeur.

Pourtant, tout a commencé par un malentendu…
J'étais toute petite, dans mon village ardennais natal. Ma maman ne pouvait m'empêcher de vagabonder, parce qu'à cette époque je n'étais pas encore timide comme je le suis devenue par la suite. En plus, j'avais une ribambelle de frères et de soeurs et ma maman ne parvenait pas à surveiller tout le monde à la fois.
Un jour, j’ai franchi une haie et me suis retrouvée dans un jardin. C'était mieux que mon taillis natal et je me suis dit: "Et si j'essayais de m'installer ici ? "
Je me suis approchée. Il y avait des gens qui mangeaient sur la terrasse et qui m'ont donné du jambon. C'était la première fois que j'en goûtais ! Depuis lors, j'ai un faible pour le jambon. Surtout le jambon en bloc qu'on vend chez Carrefour et qu'on me coupe en petits dés. .. Je le précise, pour le cas où vous souhaiteriez m’en envoyer.

Comme vous voyez, la première impression était bonne. Le jardin était grand, la maison me plaisait… Je suis entrée, j'ai un peu exploré les lieux et j'ai fait un somme dans un fauteuil moelleux. Y avait bien un autre chat, beige avec des yeux bleus, qui avait l'air plutôt rébarbatif et pas content de me voir, mais je ne me suis pas inquiétée pour si peu. Quand j'y pense, j'étais super-courageuse en ce temps-là, parce qu'il paraît que c'est très très dangereux, un chat beige aux yeux bleus ! Mais je ne le savais pas, et, comme on dit : aux innocentes les pattes pleines !

Après, j'ai passé la nuit dans la grange en me disant: « C'est in the pockett ! Cette maison est à moi ! »

Et le lendemain, j'ai été victime de mon premier kidnapping ! Figurez-vous qu'on m'a mise dans une grande boîte pour m'emmener ailleurs !

Toute déconfite, je me suis retrouvée dans un appartement avec une dame que je ne connaissais pas encore mais qui était gentille avec moi. Elle s'appelait Mamy-Adèle. Elle me donnait de bonnes choses : du lait Joyvalle AA, du steak tartare, des boîtes de Sheba, de temps en temps une côte de porc, de l'herbe bien fraîche parce que là, je ne possédais pas de jardin...
Elle exécutait toutes mes volontés. Quand elle voulait me caresser alors que moi, je ne voulais pas, je lui envoyais un bon coup de griffe : faut se faire comprendre, hein ? Je n'aime pas veaucoup qu'on me caresse. Ou alors un tout petit peu, pas trop, sur le sommet de la tête et dans le dos. Ou sur les oreilles. Mais pas plus de cinq secondes, sinon ça m'énerve et je lève une patte menaçante: " Attention, j'en ai marre, je vais griffer !"
Le problème avec Mamy-Adèle, c'est qu'elle ne comprenait pas mes avertissements et, immanquablement, ça y était : je griffais. Alors nous avions une scène de ménage. .
J'aimais bien ma Mamy, mais bizarrement, j'étais devenue assez timorée, j’avais peur des étrangers et même des membres de la famille. Quand on sonnait à la porte, je me réfugiais sous le lit et je rasais les murs pour arriver à ma gamelle et à ma litière en me faisant aussi invisible que possible.

Nous avons vécu comme ça durant quelques années, Mamy-Adèle et moi.
Je m’étais habituée à mon sort et j’étais même assez heureuse, mais un jour, j'ai fugué pour explorer le vaste monde. C'est alors que je me suis rendu compte que je devais être un chat de luxe, parce que toute la police de Belgique était à mes trousses ! Ma photo s'étalait à tous les coins de rue avec la mention: "Disparue" ! Moi, mon exploration du vaste monde ne m'a pas menée bien loin: je suis tombée dans le trou d'une fenêtre de sous-sol, à deux pas de mon appartement, et on m'a récupérée, à moitié morte de faim, à l'aide d'un filet à crevettes. J'étais mortifiée que mon tour du monde se ermine de manière si ridicule, mais d'un autre côté, j'étais bien contente de retourner chez ma Mamy ! L'aventure, c'est pas pour moi, mais il faut l'avoir vécue pour le savoir !

Et ma petite existence paisible a suivi son cours…

Puis, subitement, tout a changé ! Mamy-Adèle est tombée malade. Elle ne s'occupait presque plus de moi, elle ne changeait plus mon bac tous les jours, elle restait couchée. Puis elle a disparu longtemps, très longtemps.
Pendant ce temps, des gens venaient me nourrir et me soigner. Mais, comme je l'ai dit, j'étais devenue timide et je me cachais sous le lit quand on entrait. Toute déboussolée, je me demandais ce qui arrivait à ma vie naguère si douillette.

re ee...

Les meubles de Mamy-Adèle ont disparu, l’un après l’autre. Moi, je restais, de plus en plus perplexe et inquiète. Je finissais par bien connaître les gens qui venaient s'occuper de moi, je les connaissais d'ailleurs depuis que j'étais toute petite, puisque c'étaient les enfants de Mamy-Adèle, ou plutôt, son fils, son petit-fils et sa belle-fille. Les autres enfants me craignent, paraît-il, parce que je suis grande, forte et toute noire (avec juste trois poils blancs sous le menton) et qu'en plus, je sais faire des grimaces terribles ! Je suis la spécialiste des grimaces. Et quand, en même temps, j'ouvre grand ma gueule rose (c'est beau du rose au milieu du noir) en faisant KSSSSSSSST ! c'est d'un effet, je ne vous dis que ça !

Un jour, j'ai été victime d'un deuxième kidnapping ! Le fils de Mamy-Adèle, il s'appelle Daniel, nourrissait de sombres desseins à mon égard. Subrepticement, il a glissé un somnifère dans mon steak tartare. Comme ça ne prenait pas (étant donné que je suis grande et forte, et en pleine forme aussi, alors mon organisme combat les substances toxiques), il s'est lassé d'attendre que je m'endorme et m'a donné la chasse dans tout l'appartement! Un monstre, je vous dis! Il m'a fourrée dans une grande boîte et nous avons quitté mon foyer pour ne plus y revenir!
J'ai pleuré, mais pleuré !
Après, j'y ai bien réfléchi et je me suis dit que, puisque je suis un chat si précieux, j'avais sûrement été enlevée dans le but d'obtenir une rançon! Bien sûr, ça ne se fait pas de voler le chat de sa propre mère, mais les humains sont capables de tout !
A mon avis, Mamy-Adèle n'a pas pu rassembler l'argent de ma rançon, alors les ravisseurs m'ont gardée. Par mesure de précaution, pour que personne ne retrouve ma trace, ils ont même modifié mon nom, vous imaginez ! Je m'appelle Scoubidou Passage, mais ici on m'appelle Bidou, soi-disant parce que c'est plus court et que ça sonne mieux, mais je ne suis pas dupe, non mais !


Je ne peux pas prétendre être malheureuse, car ce n’est pas le cas. Les premiers jours, bien sûr, ont été durs parce que j'avais tellement peur que je n'osais pas bouger de dessous le lit (oui, ici aussi, j'ai une chambre où il y a un lit et toutes mes petites affaires) et je pleurais quand quelqu'un entrait. Puis j'ai repris courage.
J'étais bien nourrie. On me parlait gentiment. Petit à petit, ma situation m'a paru assez confortable. J'aurais même été tout à fait à mon aise, s'il n'y avait pas eu... LA GRISOUILLE !

La première fois que j'ai vu cette créature s'introduire dans ma chambre, je me suis demandé ce que c'était. Ca avait quatre pattes, une queue tigrée, des oreilles pointues et des yeux verts fixes, mais alors fixes ! J'avais jamais vu ça !
Quand ça a commencé à parler, avec un accent épouvantable il faut dire, j'ai compris que c'était un chat. Mais un chat bizarre.
Vous savez, un chat n'est pas vraiment comme ça! Un véritable chat est grand et noir avec une longue fourrure et une queue en panache et il dit: "Yek ! Gnouf ! Youk!"
Ce machin-là était petit, gris comme de la poussière, rond comme une pomme et il émettait des sons qui ressemblaient à "Miaou Grrrr ! Ksssss !"
Enfin, on est parvenues à se comprendre... mais pas à s'entendre, ça non !

C'est pas de ma faute, vous savez ! Mais elle est vraiment trop exigeante : elle veut m'incorporer dans sa meute, moi, Scoubidou !
Je lui ai dit: "Pas question, parce que moi aussi, je suis chef de meute et je veux pas descendre en grade ! Ma meute, c'est Mamy-Adèle et je sais pas où elle est." Il faut se faire respecter, je trouve! Le jour où je récupérerai Mamy-Adèle, je ne veux pas avoir pris l'habitude de l'obéissance, parce qu'elle ne me reconnaîtrait pas ! Et j'aurais perdu toute mon autorité sur elle !

Il paraît, d'après la grisouille, que deux chefs de meute dans un appartement, c'est incompatible. Surtout quand il n'y a pas de meute Une des deux doit se soumettre. Ce ne sera pas moi, vous pensez bien !
Alors, en ce moment, c'est la guerre froide. On se fait KSSSST à la figure quand on se rencontre, mais on n'y va pas de la griffe ni des dents, parce que ces choses-là, on ne sait jamais où ça peut mener. Aucune de nous n'a envie de voir sa belle fourrure abîmée, ni ses oreilles fripées. C'est toujours ce que j'essaie d'expliquer à Mamy-Scouby quand elle m'enferme le soir dans ma chambre, mais elle reste intraitable: "Même si vous ne vous bagarrez pas, a-t-elle dit, vous poussez des hurlements quand vous vous rencontrez et nous, la nuit, on veut dormir! »
Alors, c'est moi qu'on enferme! Et la grisouille se colle contre ma porte et murmure des mots pas beaux par la fente entre le battant et le tapis. Moi, je réponds de mon mieux, mais j'ai moins de vocabulaire qu'elle: de ma vie, je n'ai jamais lu que les romans de Barbara Cartland dont Mamy-Adèle faisait la collection et qui se résument tous à une même histoire: une belle et douce orpheline, comme moi, jetée dans un monde hostile, doit subir les attaques d'un traître ( comme la grisouille) avant d'épouser finalement le bel aristocrate dont elle est amoureuse (mais celui-là je ne l'ai pas encore rencontré !)

Pour le moment, ma vie est un peu monotone, mais j'ai la paix : la grisouille est partie avec Daniel et Mamy-Scouby, et Olivier vient me soigner. Je déambule dans l'appartement à mon aise, je fais la sieste, je mange, mais c'est un peu silencieux, je trouve. Alors, quand la famille revient, à peu près tous les dix jours, je raconte par le menu à Mamy-Scouby tous les événements qui se sont déroulés dans l'intervalle. Pendant ce temps, la grisouille saute sur une chaise, sous la table, et passe son temps à me surveiller. C'est un peu déstabilisant, d'accord, mais je peux toujours faire semblant de ne pas la voir .D'ailleurs, elle reste immobile et moi je me balade librement, en faisant quand même attention de ne pas trop m'en approcher. Je crois savoir que, lorsque je fais la sieste, bien à mon aise dans la chambre, elle, sur sa chaise, se force à rester éveillée pour guetter. mon éventuelle apparition. Parfois, elle n'en peut plus, sa tête retombe, ses yeux se ferment et elle s'endort. Elle en oublie même de manger, parfois, mais rassurez-vous : elle se rattrape quand je suis enfermée dans la chambre !
Je pense que, pour elle, je suis un gros problème, pourtant, y a pas de quoi ! Avec de la douceur, on obtient tout de moi !

Comme ça, j’ai pu vous raconter mon passé, mon présent et les quelques réflexions que m'inspire ma vie... Je suis sûre qu'ainsi, vous me connaissez beaucoup mieux qu'à travers les écrits tendancieux de la grisouille !

Ca remet les pendules à l’heure, n’est-ce pas ?

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CHAPITRE 35 : NEGATIF A SA BETE NOIRE



A présent, l’été est bien fini et la mauvaise saison a fait son apparition.
Je continue à me laisser séduire par le poêle à mazout qui trône dans notre cuisine, avec mon panier judicieusement posé devant lui. Evidemment, en ces circonstances, ma vie sociale est plutôt restreinte. Je suis plus bernard-l’ermite que jamais.

Le soir, pourtant, je fais des efforts méritoires pour rappeler à ma famille que, malgré les apparences, j’existe à l’état de chatte et non de mollusque. Je me traîne paresseusement jusqu’au fauteuil où se détend mon père d’adoption, je m’assieds sur mon derrière et attends, le regard implorant, qu’il me hisse sur ses genoux.
- Mais voyons, Ardoise, tu ne sais même plus sauter ? C’est quoi cette nouvelle fantaisie ?
- C’est pas que je ne sache plus sauter, c’est que je n’ai pas envie de sauter ! Pas envie de courir ! Je veux me reposer et manger !
Ce que je fais abondamment… et mon tour de taille s’arrondit de jour en jour.

Mes parents, alarmés, discutent au sujet de ma santé.
- Elle va finir par avoir une attaque ! Un arrêt de coeur !
- Faut la mettre au régime !
- Bourreaux ! marmonné-je en baillant largement.
- Elle ne mange pourtant pas tellement… mais elle devrait prendre de l’exercice ! Il faudrait qu’elle sorte courir au jardin !
- Brrr ! dis-je.
Et je retourne me blottir en boule dans mon cher panier, bien au chaud.

Bon, d’accord, au moment où j’écris ces lignes, les températures ne sont pas encore polaires, il s’en faut de beaucoup. Mais je suis tellement sensible, si délicate ! Il suffit d’une brise légère, d’un infime souffle de vent pour que je frissonne… Alors, pourquoi m’obliger à sortir pour faire du sport (du sport !) ? Je n’apprécie le jardin que pour l’herbe fraîche qu’il me procure et que je broute consciencieusement, afin de purger mon estomac des boules de poils qui s’y entassent. Parfois, distraitement, j’agite la patte vers un insecte qui me frôle et que je n’attraperai pas. Puis, avec le sentiment du devoir accompli, je retourne à ma coquille si accueillante.

Un petit besoin me pressant, je trottine jusqu’à mon bac de sable. C’est ça que moi, j’appelle faire du sport. C’est plus que suffisant, je trouve.

Comme je reviens, voilà le Négatif qui s’installe sur l’appui de fenêtre de la salle à manger. Il saute, lui !
- Tiens, Mam’zelle Ardoise ! me salue-t-il avec une petite grimace moqueuse.
Je m’accroupis sur le tapis. Je n’ai pas envie de bondir à mon tour sur ce rebord de fenêtre. Prudence est mère de sécurité, comme on dit. La dernière fois que j’ai voulu sauter sur la table, j’ai mal calculé mon coup et suis retombée en arrière, en plein sur le dos ! Sans mal, heureusement… mais cet incident m’incite à prendre des précautions. Le seul problème c’est que, maintenant, Négatif me considère de haut.
- Ca fait longtemps que je ne vous ai vu ! m’étonné-je.
C’est vrai. L’animal a délaissé le fenil pendant une bonne dizaine de jours. Il se contente de venir manger sur notre terrasse et encore, avec une visible circonspection.

La cause de cette attitude étonnamment modeste m’est bientôt dévoilée, avec maintes mimiques expressives :
- C’est la faute de cet enquiquineur, se plaint-il, l’horrible Beau-Lulu !
- Ah bon ?
- Il est TOUJOURS là ! C’est agaçant, j’vous jure, Mam’zelle ! Le matin, il arrive avant moi ! Toute la matinée, il campe sur la pelouse devant la maison, comme un nain de jardin, à regarder les fenêtres ! Le soir, il est ENCORE là ! Et il est malpoli avec moi, en plus ! L’autre jour, il m’a donné une torgnole, vous imaginez ? Mes poils ont volé partout !
Je compatis ostensiblement.
- C’est bien simple, continue-t-il, quand je vois cet immonde personnage, je cours aussi loin que possible, je peux pas le blairer !

Ainsi, le gentil Négatif a, lui aussi, sa bête noire attitrée ! J’en suis bien aise… mais il serait peu diplomatique de le montrer.

- Pourtant, c’est probablement votre frère, dis-je, faussement conciliante.
- Justement, Mam’zelle Ardoise, ça a commencé au berceau ! On n’arrêtait pas de se chamailler ! Je m’entendais mieux avec ce pauvre Roublard, je vous jure ! Celui-là m’énerve.
En y réfléchissant, il faut bien admettre que Négatif ne s’entendait bien qu’avec son frère Roublard, à l’exclusion de tous les autres chats. Il a toujours préféré la compagnie des humains. Moi, il me tolère, par politesse et opportunisme.

- J’ai peine à le croire, susurré-je avec une secrète perfidie. Il est tellement gentil, cet excellent Beau-Lulu ! Vous ne trouvez pas qu’il ressemble à Tatayet qu’on voit à la télé ? Il a le même regard…
Mais le Négatif ne regarde pas la télé et se soucie de Tatayet comme de ses premières croquettes.
- Et puis, il y a pire, Mam’zelle Ardoise ! Il s’amuse à me chasser de la terrasse quand je viens manger. Et vous savez ce qu’il m’a dit, l’autre jour, quand je lui ai fait remarquer que c’était moi le chat des champs de cette maison, à la place de notre P’pa ?
- Non, mais vous allez sûrement me le raconter ! (Je frétille de curiosité)
- Il a répondu q’il avait plus de droits que moi au titre de chat des champs, parce que non seulement il était aussi le fils de P’pa, mais qu’en plus, il était fiancé à la jeune fille de la maison ! Vous imaginez ?

Mine de rien, ça me fait un choc. Fiancée, moi ? Mais je suis beaucoup trop jeune !
Bon, d’accord, j’ai peut-être l’âge d’être huit fois l’arrière-grand-mère du Négatif et, partant, de mon soupirant, mais cela ne change rien à l’affaire. Je ne me vois pas encore la bague au coussinet.

- Oh, il exagère un peu, dis-je en nettoyant mes oreilles d’une patte experte, pour dissimuler mon embarras. « Vous savez, le célibat me convient… Je ne suis pas vraiment pressée de convoler… Même si j’ai une cour d’admirateurs assidus, je… je… »

Ne sachant comment terminer ma phrase, je laisse s’éteindre la conversation et me consacre à un minutieux nettoyage de mes belles moustaches : après tout, personne ne peut parler et se lécher en même temps ! Essayez, si vous ne me croyez pas !
Calmé après avoir épanché sa bile, le Négatif entreprend à son tour de lisser sa fourrure blanche et noire, un peu hérissée par l’émotion. Nous restons ainsi fort occupés pendant une dizaine de minutes. C’est si important, la toilette d’un chat ! Tout son équilibre physique et psychique en dépend.

Soudain, une voix se fait entendre, émanant de la maison voisine.
- Mimine ! Mimine ! Viens manger !
- J’arrive, M’dame Belot ! clame notre chat des champs tout réjoui, en prenant son élan comme pour concourir aux 24 heures de Francorchamps.
- Mimine ? répété-je, sidérée.
- Ben quoi, Mam’zelle Ardoise ? Chez vous je m’appelle Négatif, chez M’dame Belot mon nom est Mimine, pourquoi ça vous étonne ? Y a rien de bizarre à ça !
Bon… Puisqu’il le dit !
- Qu’est-ce qu’elle vous donne à manger, Madame Belot ? m’enquiers-je, lancée sur un de mes sujets d’études favoris.
- Des restants de viande, des patates, du pain, du macaroni… Un régal !
Su ce, il bondit sur ses pattes et disparaît. Il est bien nourri, le Négatif : des restes chez Madame Belot, des boîtes pour chat chez nous… D’ailleurs, il a visiblement pris du poids, bientôt je ne serai plus la seule à rouler au lieu de marcher !
Il n’empêche que je reste pensive : Mimine, quand même !

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Chapitre 36 : FIANCAILLES OU PAS ?



Par une journée ensoleillée, je folâtre au jardin (Eh oui, ça m’arrive quand même de temps en temps) lorsque j’aperçois mon « fiancé » qui accourt vers moi, tout joyeux.
- Chère Ardoise ! Enfin vous ! J’ai justement un petit cadeau à vous offrir !
Et le voilà qui dépose solennellement à mes pattes… une souris morte !
Ahurie et un peu dégoûtée, je contemple le présent. Bon, comme il s’agit d’un cadeau, il me faut remercier le généreux donateur, je suis une chatte bien élevée, ne l’oublions pas !
- Comme c’est charmant, dis-je. Ca sert à quoi, exactement ?
- C’est un cadeau que vous pouvez manger…
Beurk ! Moi qui n’aime que les émincés de viande en gelée de la marque « Félix », le steak haché et le colin d’Alaska…
- Ou, si vous préférez, vous pouvez l’accrocher à votre joli collier bleu…
Peut-être. Un genre de pendentif… Mais qu’est-ce qu’elle dirait, Scouby ?
- Et si vous en voulez d’autres, il y en a plein qui courent dans la prairie à côté ! Je suis un grand chasseur, vous savez !
- Oh, une seule me suffira, merci, dis-je hâtivement. D’ailleurs, je vais la laisser ici, dans l’herbe, pour orner le jardin. C’est joli, du gris sur du vert.

Je me vois mal déposant la souris sur le tapis de la salle à manger. Bon, je ne veux pas me faire plus vertueuse que je ne le suis, j’ai moi aussi des instincts de félin, mais à force de vivre avec Daniel et Scouby, j’ai appris à composer. Il faut dire qu’ils sont spéciaux ! Ainsi, cet été, sur la terrasse, j’avais trouvé une petite bestiole verte qui avançait par petits bonds. Je l’ai capturée en posant ma patte dessus, puis je l’ai ramassée avec ma gueule et me suis mise à mâchouiller. C’était dur ! D’autant plus que mes dents ne sont plus tellement solides… J’étais donc là, occupée à faire des efforts terribles, quand Scouby s’est pointée. Evidemment, c’est automatique, elle arrive toujours au mauvais moment.
- Qu’est-ce que tu fais, Ardoise ?
J’étais vraiment trop absorbée pour répondre… d’autant plus que la bestiole ne voulait pas se laisser croquer : elle gigotait tant qu’elle pouvait !
Ca n’a pas manqué : intriguée et soupçonneuse, Scouby m’a fait ouvrir la gueule… et l’insecte vert a bondi sur le sol de la terrasse pour disparaître aussitôt dans la végétation environnante.
- Trouble-fête ! ai-je miaulé. Tu m’as piqué ma friandise ! Marâtre !
- Espèce de cochonne ! a-t-elle piaillé à son tour. Tu manges des sauterelles, maintenant ? Pouah !
Et alors ? C’est sûrement très bon, une sauterelle ! Mais, comme vous voyez, ma famille est intolérante et m’empêche de donner libre cours à ma fantaisie. Ca, je ne l’ai pas dit à Beau-Lulu : il croit que c’est moi qui commande dans cette maison et ne comprendrait pas que je doive adopter parfois un profil bas. Pas question que je le lui révèle : ma dignité en prendrait un coup.

Maintenant, la souris a disparu : Daniel l’a jetée. Beau-Lulu, quant à lui, est persuadé que je me suis délectée de son cadeau.

- Miaou ! Bonjour tout le monde !
Tiens, voilà Néfer ! Ca faisait longtemps qu’on ne l’avait plus vue, mais à présent, nous ne nous inquiétons plus de ses disparitions prolongées. En effet, nous savons qu’elle coule des jours heureux dans la maison d’en face, chez son « monsieur » qui l’a adoptée peu avant la mort d’Orca et qui la soigne comme un coq en pâte. Ce qui n’empêche pas la jolie chatte noire de venir occasionnellement nous dire un petit bonjour, histoire d’entretenir des relations intéressantes en cas de coup dur.
- Maman ! roucoule Beau-Lulu.
Et le voilà qui fait des mamours, qui invite « Maman » à manger un petit bout, qui tourne sur lui-même en émettant des ronrons comme un moteur diesel…
Moi, juchée sur mon appui de fenêtre (oui, j’ai osé sauter !), j’arbore un petit air mi-figue mi-raisin : mon « fiancé » serait-il resté un bébé à sa maman ? Ca pourrait me poser des problèmes, à long terme…

D’accord, elle n’est pas méchante, Nefer, et surtout, elle a toujours été une excellente mère, attentive et tout, mais je connais ça !
Dans quelques mois, elle susurrera à l’oreille de son petit chéri adoré :
- Je ne veux absolument pas me mêler de ton ménage, mon Beau-Luluchounet…
Ben voyons !
- …mais ne trouves-tu pas que ta bien-aimée est…


- un peu autoritaire
- un peu acariâtre
- un peu snob
- un peu intolérante
- un peu âgée


Une mère apprécie modérément qu’on épouse quelqu’un qui a le même âge qu’elle…
(Biffez les mentions inutiles ou ne biffez rien).

Et puis, moi qui suis tellement gâtée, tellement aimée, tellement adulée, aurais-je le coeur de faire de la peine à Scouby et Daniel en quittant le foyer et en m’expatriant dans le petit fourré d’en face, berceau d’une importante lignée de chats noirs à collerette blanche, de chats noirs sans collerette, de chats noir et blanc, de chats blanc et noir… mais pas de chat gris ? Supporterais-je le climat ?
Brrr !

- Je ne peux pas quitter mes parents, dis-je noblement à mon Beau-Lulu de soupirant, ils en mourraient de chagrin !
- Chère Ardoise, j’y ai réfléchi, répond-il avec sentiment, c’est moi qui viendrai habiter chez vous !

Ah ah ! Cela pourrait peut-être arranger les choses… Mais Scouby et Daniel, s’ils consentent à nourrir mon amoureux et à lui prodiguer force caresses et mots affectueux, semblent hésitants à l’idée de l’adopter.
- Je sais bien qu’il est adorable et que tu pourrais le mener par le bout du nez, mais on se retrouverait finalement avec combien de chats, Ardoise ?
- Rien que lui et moi, bien sûr, dis-je. Les autres, je m’en f… !
- Et Bidou ?
Zut, j’avais oublié l’affreuse ! Une idée me vient, lumineuse : « Y a ka mettre Bidou dehors à la place de Beau-Lulu et Beau-Lulu dedans à la place de Bidou, c’est simple ! »
Il paraît que cette idée n’est pas si lumineuse que ça…

Mon cerveau carbure à plein régime.
- Vous pouvez utiliser la tactique de votre maman, dis-je, tortueuse et machiavélique, à mon amoureux transi : disparaissez pendant quelques jours ! Daniel et Scouby seront tellement tristes qu’ils vont vous accueillir à bras ouverts quand vous reviendrez ! Et dans la foulée, ils vous adopteront !
- Quelques jours sans vous voir ! Je ne pourrais pas ! Et qu’est-ce que je mangerais ?
- Alors, un seul jour ! Mais un très long jour !
Il l’a fait… et j’ai bien cru que mon plan avait marché

Le matin :
Scouby : Tiens, notre petit Beau-Lulu n’est pas là ? Et voilà Nez-Plat qui arrive, alors qu’on ne l’avait pas vu depuis trois semaines !
Nez-Plat a mangé de bon coeur le petit déjeuner de Beau-Lulu.

A midi :
Scouby (intriguée) : C’est vraiment bizarre qu’on n’ait pas encore vu Beau-Lulu… J’espère qu’il ne lui est rien arrivé, un si gentil chat !
Moi, je soupire profondément en prenant des airs penchés, histoire d’accroître son inquiétude.
Squatter, qui passait dans les environs, s’est régalé avec le dîner de Beau-Lulu.

Le soir :
Scouby : Pauvre Beau-Lulu ! Il a peut-être été enfermé dans une grange… Comme il doit être triste de ne pouvoir être ici !
Négatif a fait honneur au souper de Beau-Lulu.

Pour ma part, je me traîne dans le salon, le regard préoccupé, portant en grand, affiché sur le front : « UN SEUL ETRE ME MANQUE ET TOUT EST DEPEUPLE ».
- Pauvre mignonne, qui est si malheureuse sans son Beau-Lulu !

Le lendemain matin… pas de Beau-Lulu sur la terrasse ! Et voilà la pluie qui se met à tomber à seaux !
Vers dix heures, Daniel est occupé à travailler dans le fenil, la porte ouverte, quand une petite silhouette noire et trempée franchit le seuil.
- Beau-Lulu ! Mon pauvre gamin !
Daniel soulève l’animal (plusieurs kilos de muscles, c’est une armoire à glace mon amoureux !), l’emballe dans un chiffon pour l’essuyer. Scouby apporte une assiette bien garnie
Il a pu se restaurer et se sécher dans le fenil… mais toujours pas question d’adoption officielle !
Mes idées lumineuses font long feu.

Hier, pourtant, il a eu la permission de passer quelques heures à la maison, en ma compagnie. En effet, on abattait le grand sapin du jardin et Daniel craignait que Beau-Lulu ne se fasse écraser, étant donné qu’une de ses cachettes favorites se trouve précisément au pied de ce sapin.
Pauvre sapin ! Il était bien beau, mais tellement épais qu’on n’y voyait plus clair… Maintenant, le jardin a l’air tout bizarre sans lu : des mètres-carrés de mousse ont vu le soleil pour la première fois.
Donc, Beau-Lulu était chez nous. Il s’est tenu bien sage, comme un petit garçon timide en visite. Il obéissait au doigt et à l’oeil. Au point que Scouby, rassurée, est partie faire des courses en nous laissant seuls tous les deux.
Quand elle est revenue, nous étions toujours bien calmes, moi dans mon panier devant le poêle et Beau-Lulu presque invisible, couché tout noir sur le tapis foncé. Dans l’ombre, on ne voyait que ses yeux au regard candide.
Un pot de fleurs était tombé par terre et une lampe gisait cassée au pied de l’appui de fenêtre, mais nous avions tous deux l’air si innocent…

Quand tout danger a été écarté, Beau-Lulu est ressorti sans trop se faire prier, assez content de recouvrer la liberté.
Il est bien gentil, c’est vrai, mais je n’ai pu m’empêcher de tiquer en le voyant engouffrer à toute allure, dans son large bec, le contenu de ma gamelle à moi. Qu’est-ce que je deviendrais q’il s’installait à demeure ? Serais-je condamnée à mourir de faim ?
Ne nous mettons pas la corde au cou trop vite, ma corde du jardin me suffit déjà amplement.
Je vais encore réfléchir durant quelques années…

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Chapitre 37 : RAS LA CASQUETTE !



Je suis déboussolée !
Mon cadre de vie n’arrête pas de se modifier ! Je n’arrive plus à trouver ma place dans ce chambardement. Maintenant, c’est à la cuisine qu’ils s’attaquent, les vandales ! Le pire : ils m’ont chassée de ma petite place devant le poêle.
- Voyons, Ardoise, c’est provisoire ! susurre ma mère d’adoption, la traîtresse !
- Provisoire, mon oeil ! Vous avez quelque chose contre moi ? miaulé-je pathétiquement.
Ils m’énervent au point que j’en deviens parano !
- L’installateur de cuisine va venir et je ne voudrais pas qu’il t’arrive un accident si tu cours partout comme tu en as l’habitude, explique la deux-pattes.
C’est le moment d’exprimer mes exigences. Après tout, pourquoi doit-on me mettre au placard chaque fois qu’il se passe quelque chose d’intéressant ?
- J’veux voir l’installateur de cuisine, j’veux voir ce qu’il fait ! Moi aussi, je suis concernée ! J’veux voir si le monsieur laisse assez de place devant le feu pour ma coquille de bernard-l’ermite !
Le fameux Monsieur Installateur arrive alors que je suis en pleine crise de revendication, debout sur la table de la salle à manger, les yeux fulgurants, la queue fièrement dressée, le miaulement agressif.
- Tiens ! Quel joli petit chat vous avez ! sourit le brave homme en me caressant la tête au passage.
Je fais feu de tout bois.
- Tu vois ? Il a dit que je suis un joli chat ! Il va me montrer ce qu’il va faire de ma cuisine ! J’veux rester ! Miââââ !
J’ai beau glapir, rien à faire ! On prend mon panier, mon bac, ma nourriture, on me saisit, moi, et on installe tout ça dans la chambre ! Et on ferme la porte, sans prendre garde à mes protestations. Ah, j’en ai gros sur la casquette en ce moment !

Je sais bien ce que vous allez me dire :
- Enfin, petite Ardoise, quitte donc ces méchants ! Viens habiter avec moi !
J’aimerais bien, vous savez, mais je suis encore trop gentille : je ne veux pas faire de la peine à Daniel et Scouby. Ils sont super-enquiquinants en ce moment, mais quand tous ces travaux seront finis, la vie reprendra comme avant, je le sais.
Merci pour votre gentille proposition ! Je ne manquerai pas de la répéter à Scouby, pour lui faire honte !

Dans la chambre, faisant contre mauvaise fortune bon coeur, je me couche sous la couette pour un petit somme bien mérité. Juste comme je dresse la tête en me réveillant, que vois-je, à travers la porte vitrée ? Je devrais m’y attendre mais ça me fait toujours un choc : le Négatif qui fait de la voltige sur les poutres du fenil !
Ici, chez moi, ça devient une maison d’accueil pour les chats de gouttière ! Bon, d’accord, j’exagère un peu, il n’y a que le Négatif (du moins pour le moment, puisque mon Beau-Lulu n’a pas encore le statut de fiancé officiel), mais il compte pour dix, en ce qui me concerne ! Vous le connaissez : sous ses airs de chanteur de charme, c’est un pique-assiette invétéré.

A la longue, j’ai bien dû m’apercevoir de certain manège… qu’on prétend me cacher ! Mais la chatte Ardoise n’a pas les yeux dans sa poche et elle sait bien que deux et deux font trois !
Chaque soir, l’animal se poste dans son fourré natal, en face de notre maison, et il attend que Daniel, ouvrant la porte extérieure du fenil, émette un « Bzzzziou ! Bziiiiou ! » conspirateur.
A cette invite, le Négatif quitte sa cachette en courant, fonce dans notre fenil et se choisit un petit coin bien chaud pour y passer la nuit.
« Mais, me direz-vous, pourquoi Daniel ouvre-t-il la porte de la rue pour bzioutter dans la rue ? »
Tout simplement parce que le Négatif, peut-être un peu sorcier comme sa mère, a dû jeter un sort à mon père d’adoption. Celui-ci le trouve mignon, charmant, adorable (tout ce qu’il ne faut pas entendre !) et supporte difficilement de savoir son petit Négatou dehors tout seul par une froide nuit d’hiver. Vers neuf heures du soir, par conséquent, il quitte son fauteuil d’un air distrait et dégagé (il croit que je suis dupe) pour aller lancer subrepticement au-dehors l’appel que l’on sait. Il est flatté parce que Négatif ne réagit, semble-t-il, qu’à sa voix. Scouby a beau murmurer à son tour des « Bziiiou ! Bziiiiou ! » tentateurs, l’animal ne se dérange pas pour elle. Il faut que ce soit Daniel qui l’appelle. Alors, il accourt au triple galop !
Depuis quelques jours, pourtant, il fait plus froid et l’intéressé modifie son planning. : quand il a envie d’entrer, il saute sur l’appui de fenêtre du salon et cogne de sa patte contre la vitre : « Alors, on m’ouvre la porte ? » Daniel bondit.
Mon père d’adoption, toutefois, nie vigoureusement avoir quelque prédilection pour notre chat des champs titulaire. J’ai peine à le croire, et vous ?

Aujourd’hui, comme il fait sensiblement frisquet, le Négatif a ignoré les appels de Scouby qui l’invitait à sortir pour prendre l’air. Il est allé se réfugier sur les hautes poutres, c’est ainsi que je l’aperçois, au sortir de ma sieste.
Nous nous dévisageons de part et d’autre de la vitre.
- Tiens, bonjour, Mam’zelle Ardoise ! roucoule-t-il, tranquille comme Baptiste.
- Vous alors ! Z’êtes vraiment un envahisseur breveté ! Une Bidou numéro deux ! me lamenté-je.
- Qui est Bidou ? s’enquiert le Négatif avec un apparent intérêt.
Il ne connaît pas Scoubidou ! J’ai beau ne pas approuver sa continuelle présence chez moi, je ne veux quand même pas qu’il meure idiot, n’est-ce pas ? Alors je lui raconte. Je déverse des tonnes de doléances dans son oreille attentive. Bon, d’accord, il ferme les yeux et semble dormir debout, mais il compatit, j’en suis sûre. Je continue mes miaulements explicatifs :
- Vous imaginez pas comme elle est moche ! Toute noire, avec de longs poils, et quand il y a du soleil, ils ont comme des reflets rougeoyants, beurk ! Et elle fait tout pour m’emm… heu, m’embêter ! Et elle se conduit chez moi comme si elle était chez elle ! Et en plus…
Je suis intarissable. De temps à autre le Négatif y va d’une approbation chantonnée, mais, je ne sais trop pourquoi, j’ai comme l’impression qu’il se paie ma tête : ses répliques me semblent bizarres et ont un petit air de déjà-entendu. Jugez-en :
- Bien sûr , Mam’zelle Ardoise !
C’est vrai qu’Bidou elle est point bêêêlle !
C’est vrai qu’Bidou a le poil rrroux !
C’est vrai qu’Bidou, elles est CRRRRUELLE !
Z’avez mill’fois raison !
J’vous ai apporté des bonbons !

J’en reste perplexe, d’autant plus qu’il ne m’a rien apporté, ni bonbons ni souris ! Il est étrange, le Négatif, vous ne trouvez pas ? Pourtant, ses parents, Orca et Nefertiti pour ne pas les nommer, m’ont toujours semblé relativement normaux… Négatif, c’est peut-être l’idiot de la famille. Tellement idiot que tout le monde le croit génial, mes parents à moi surtout !

Je suis la seule à rester lucide, dans cette maison de fous !
Ras la casquette, vraiment !

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Chapitre 38 : ENCORE BEAU-LULU


Les jours passent et se ressemblent. La cuisine est installée et j’ai à nouveau la permission de déambuler au rez-de-chaussée. Mon petit panier a repris sa place devant le poêle.
Quant à mon amoureux fidèle, l’indécollable Beau-Lulu, il a obtenu à peu près ce qu’il voulait, sous ses petits airs réservés et timides : il a quitté le buisson natal et est venu s’établir chez nous ! Pas dans la maison, non ! Du moins pas encore ! Daniel lui a aménagé un coin confortable sous l’abri de jardin, tout près de la terrasse. Il a reçu une caisse ornée de paille dans laquelle il s’est creusé un petit nid, et un vieux pull pour lui servir de couverture. On lui a aussi confectionné une protection contre le vent, une espèce de tôle ondulée qui entoure sa caisse. L’ensemble forme un petit appartement confortable, une garçonnière, quoi.
Sa nourriture lui est apportée sur place par le cuistot de service (Scouby) mais parfois, en qualité de fiancé de la jeune Ardoise, l’heureux élu est admis à faire sa cour à l’intérieur de la maison.

Comme il est, paraît-il, bien éduqué, il ne reste jamais plus de dix minutes, mais durant ces dix minutes, il réussit à vider entièrement ma gamelle à moi, monopoliser complètement l’attention de mes parents à moi en tournant comme une toupie sur leurs genoux et en agitant les pattes sur l’air bien connu « Je-suis-con-tent, je-suis-con-tent ! » et me donner l’impression que moi, je ne compte plus que pour du beurre !
Alors, un peu vexée, je me couche sous la table du salon et j’attends qu’il ait fini son cinéma.

Parce que, c’est vrai, quoi ! A-t-on jamais vu un jeune chat qui consacre plus d’attention et de roucoulades à ses futurs beaux-parents qu’à sa fiancée ? Est-ce normal ? Encore une fois, je vous demande votre avis.
- C’est peut-être par diplomatie, me direz-vous, sans grande conviction.
Hum, hum ! Il me semble que c’est la jeune fiancée qui mérite tous les égards, vous ne trouvez pas ? Y aurait-il comme du flottement dans les sentiments de mon armoire à glace de prétendant… Peut-être a-t-il prêté l’oreille aux arguments tendancieux de « Maman » ?
En tous cas, il ne risque pas de perdre ses muscles, ni son avantageuse silhouette : il en est à ses quatre repas par jour ! Et s’enfile un bol de lait chaud matin et soir !
Une pensée me vient : serait-il un coureur de dot ? La dot étant constituée, bien entendu, par une maison et la certitude d’une vie féline confortable…

Inconscient de mes alarmes et de mes doutes, l’énergumène accourt vers moi, certain matin.
- Oh ! Chère Ardoise, j’ai fait un de ces rêves !
- Racontez-le-moi, que je me marre, dis-je en mon auguste langage.
- J’ai rêvé que je me réveillais et que je quittais mon petit lit, sous votre abri de jardin. J’ai jeté un coup d’oeil à la fenêtre qui donne sur votre fenil… et j’ai vu…
- Kwâ ?
- … un chat ! Tout blanc et noir, chez vous, dans votre maison ! Serait-ce l’esprit de mon P’pa, chère Ardoise ? Ce n’était peut-être pas un rêve, qu’en pensez-vous ?
Je fais mine de réfléchir. Cela m’étonnerait que l’Orca, même à l’état d’ectoplasme, s’amuse à hanter le fenil. Il a toujours préféré, comme moi, les petits coins confortables devant le feu. En réalité, je sais très bien ce qu’a vu Beau-Luluchounet : c’était le Négatif qui squattait les lieux. Mais comme les deux frères ne peuvent se supporter, je décide sagement de ne pas jeter d’huile sur le feu. Je deviens raisonnable, on dirait. Il n’y a pas si longtemps, c’est avec enthousiasme que j’aurais provoqué la bagarre du siècle ! Vieillirais-je ?

- L’esprit de votre P’pa… Qui sait ? dis-je. Qu’est-ce que vous avez fait ensuite ?
- Je me suis dit à moi-même : « Tu rêves, Beau-Lulu ! Les fantômes, ça n’existe pas ! » et je suis allé me recoucher. Mais c’était quand même bien bizarre… Ca paraissait tellement vrai !
Un chat que ne croit pas aux fantômes ! Je n’en reviens pas !
Que va-t-il dire quand je lui présenterai Sa Seigneurie Caramel ?
- Il y a plus de choses sur terre et dans les cieux, Beau-Lulu, que n’en peut concevoir notre philosophie, cité-je sentencieusement.
Il ne comprend pas. Apparemment, Shakespeare, ça lui passe au-dessus des oreilles.
Et il ne peut concevoir, lui qui garde jalousement notre jardin à l’arrière de la maison, qu’un autre chat puisse entrer par la porte de devant !

Parce que, il faut bien l’admettre, mon amoureux est exclusif.
Autant l’Orca faisait montre d’une aimable tolérance, invitant les uns et les autres à venir manger un bout chez nous, autant son rejeton ne permet pas qu’un autre quadrupède mette le bout d’une patte dans le jardin ! Sauf « Maman », naturellement…
Il monte jalousement la garde toute la journée, le regard aux aguets. Nous ne voyons plus que de loin le pauvre Nez-Plat, et encore ! Si nous l’apercevons, c’est quand il détale en courant de toute la force de ses pattes, mis en déroute par notre vigilant gardien. Bon, il faut bien admettre que si Nez-Plat est encore vivant à ce régime, c’est qu’il reçoit de la nourriture ailleurs. Parfois, pourtant, Beau-Lulu s’éloigne quelques instants afin de satisfaire un petit besoin pressant. Quand il revient, sa gamelle est vide : Nez-Plat a profité de l’occasion.

La fameuse Mistinguett ne s’est plus manifestée depuis l’été. Intelligente comme elle l’est, la petite rouée a compris que ce n’était pas la peine de faire du charme chez nous pour obtenir un nouveau foyer. C’était déjà un peu surpeuplé… Elle a dû réussir son coup dans une autre maison où, probablement, elle règne en maîtresse. Peut-être en est-il de même pour le petit (ou la petite) Squatter… ce qui fait qu’actuellement, ma famille féline se compose exclusivement de l’abominable Scoubidou à Bruxelles, et de Beau-Lulu et Négatif dans notre maison des champs. Avec, parfois mais de plus en plus rarement, une visite-éclair de Néfertiti.
Et dire qu’autrefois, j’avais une meute ! Grandeur et décadence…

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Chapitre 39 : WEEK-END A L’APPARTEMENT



Ce week-end, je suis allée à Bruxelles, contrainte et forcée bien entendu, puisque l’on sait à quel point je déteste rouler en voiture… Mais mes parents ne peuvent se passer de moi, c’est pourquoi ils m’imposent ce calvaire.
Toutefois, il existe une justice immanente… Après une soirée au restaurant grec, voilà que Scouby est malade ! Mais malade ! Daniel, lui, se porte comme un charme.

Poussée par le sens du devoir que chacun me reconnaît, j’ai quitté ma confortable petite place sur le radiateur du salon pour aller jeter un coup d’œil à l’esseulée gémissant au fond de son lit.
— Mais qu’est-ce que tu as mangé pour être dans un état pareil ? me suis-je enquise d’un petit ton supérieur. « Est-ce que je suis malade, moi ? »
— Ne me parle plus jamais de MANGER, Ardoise ! Burps ! Mon estomac fait du yo-yo ! Ne me parle surtout pas de champignons à la Grecque ! Ni de Irish Coffee !
— C’est vrai que tu es un peu verte, constaté-je. « C’est une couleur assez seyante, surtout avec tes cheveux. »
— Tu restes avec moi, Ardoise ? Pour me soutenir dans l’épreuve ?
Je réfléchis. Là, je dois avouer que c’est un peu trop me demander. Il ne fait pas très chaud, dans cette chambre !
— Heu, je te soutiendrai par la pensée… du haut de mon radiateur ! rétorqué-je en opérant une prudente retraite vers des lieux plus hospitaliers.
— Lâcheuse ! maugrée-t-elle.
Elle reste toute la journée au lit, à souffrir et à dormir. Moi, je me repose avec délectation. La Bidou, enfermée dans sa chambre personnelle, fait de même.

Le lendemain, Scouby est à nouveau sur pied.
— Ayez un petit animal tendre et affectueux pour vous tenir compagnie quand vous êtes malade ! marmonne-t-elle en me jetant un coup d’œil peu amène.
Je m’étire en bâillant.
— Tiens, tu es déjà là ? dis-je. « Ça tombe bien, j’ai justement un peu faim et Bidou se promène dans l’appartement. J’ai besoin d’une escorte armée pour me rendre à la cuisine.
— Ça ne va pas la tête, Ardoise ?
— Je te le jure, si je vais à la cuisine toute seule, je vais tomber dans un traquenard : elle va m’écharper !
Honnêtement, à la place de Scouby, je me serais vengée en refusant tout net d’assurer la tranquillité d’esprit de cette ingrate de chatte. Mais que voulez-vous ? Quand je prends mes airs de petit animal en peluche, elle fond. Elle m’emboîte donc le pas jusqu’à ma gamelle. Je me restaure religieusement.
— Maintenant, mon escorte armée doit m’accompagner jusqu’à mon petit bac de sable ! commandé-je.
Elle lève les yeux au ciel et monte la garde devant la porte de la salle de bains pendant que j’accomplis mes petits besoins. La Bidou, elle, est postée comme une concierge devant la porte de sa chambre. Elle semble imperturbable mais j’ai l’impression qu’elle ricane dans ses moustaches. Prudemment, je m’assure de la présence de mon garde du corps avant de passer devant elle pour regagner ma place bien chauffée, sur le radiateur du salon. Ouf ! Je pousse un profond soupir de soulagement.
— Tu n’exagères pas un peu ? demande Scouby.

Quand même, elle est un peu soucieuse. Qu’en est-il de mon intégrité psychique ?
— Tu crois que la pauvre Ardoise a vraiment peur de Scoubidou ? s’inquiète-t-elle, un peu plus tard.
— Bof, c’est du cinéma ! décrète paresseusement Daniel, affalé sur son fauteuil devant la télé.
Je lui jette un regard torve. La prochaine fois que j’exigerai une protection rapprochée contre la Bidou, je prendrai soin de simuler la plus grande frayeur féline : oreilles aplaties, poils gonflés, queue hérissée… Peut-être que ça les impressionnera. Peut-être qu’ils donneront la Bidou à quelqu’un d’autre.
On peut toujours rêver…

Et savez-vous ce qu’ils font, en plus de tout le reste ? Ils lisent mon courrier !
Une carte est arrivée à l’appartement, libellée à mon nom : Ardoise C...
Bon, c’est vrai, « Ardoise » était entre parenthèses, mais quand même, c’était une carte me concernant : elle représentait un chat gris, accompagné de ses parents humains, frappant frénétiquement à une porte sur laquelle un panneau annonçait « VACCINATION ».
Au verso de la carte, j’ai déchiffré, avec horreur, les mots suivants : « Nous vous signalons que, pour conserver une sécurité optimale, votre chat doit passer son rappel de vaccin dans les quatre semaines à venir. »
— Ah ! C’est un mot de ta vétérinaire, Ardoise ! s’écrie Scouby.
Vous voyez bien qu’elle lit mon courrier ! Je manque de la plus élémentaire liberté, dans cette maison : je ne possède même pas une clé personnelle de la boîte aux lettres ! Parce que, si tel était le cas, je vous fiche mon billet que cette carte ne serait JAMAIS passée sous les yeux de mes parents ! Elle aurait été déchiquetée à coups de dents et de griffes, et enfouie ensuite dans mon bac de sable, vite fait bien fait ! Ou alors dans mon estomac, pour plus de sûreté.

— Hi hi ! Moi je n’aurai pas de piqûre, nananaire ! exulte la Bidou qui ne rate pas une miette de ce qui se passe chez nous.
C’est trop injuste, vraiment ! Personne ne reçoit de vaccin ici, sauf moi !
— Attends, Minette ! dit Scouby en me caressant pour me consoler. « Dès que j’aurai trouvé un stratagème pour attirer Scoubidou dans un panier, elle aura droit, elle aussi, à sa visite annuelle chez la vétérinaire ! »
Je ne sais pas si la Bidou a compris, mais elle a filé prudemment jusqu’à sa chambre. Et moi, parce que je suis gentille, que je me laisse enfermer dans mon panier « Félix » sans (trop) protester, on va me piquer la cuisse et me faire subir un examen HORRIBLEMENT désagréable : les dents, les yeux, la gorge, les oreilles… Et, avec la veine que j’ai, je vais sûrement rencontrer un HORRIBLE chien dans la salle d’attente !
Il est vrai que, chaque fois qu’elle me voit, la vétérinaire dit : « Vous avez un très gentil chat ! »
Mais je ne suis pas dispensée de la corvée pour bonne conduite, hélas !

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Chapitre 40 : LOFT STORY



Nous sommes de retour à la campagne et il neige.
Je me réveille dans un décor de carte postale : le jardin est tout blanc. Je me poste sur l’appui de fenêtre de la salle à manger pour admirer le spectacle. Comme le Beau-Lulu est juché de l’autre côté de la vitre, je ne vois pas grand-chose : il me bouche le paysage.
— Tirez-vous de là ! J’veux voir les jolies petites plumes blanches qui tombent du ciel ! commandé-je.
— Mais je suis bien ici, rétorque-t-il. Si je saute par terre, mes pattes vont s’enfoncer dans la neige ! Je vais avoir froid aux coussinets !
— Alors, entrez dans la maison mais ne touchez pas à ma gamelle !
— Je suis déjà entré ce matin, pour prendre mon petit déjeuner et mon bol de lait. Vous savez bien que je n’aime pas trop rester à l’intérieur d’une maison, je souffre de claustrophobie ! explique-t-il d’un petit air important.
Je lève les yeux au ciel. Où est-il allé pêcher ce mot-là ?
— Alors, retournez dans votre garçonnière !
— Je préfère rester ici : je regarde à l’intérieur de votre salle à manger. Je vous vois trottiner, jouer avec votre balle de ping-pong, vous cacher sous la table, faire des petites mines… C’est amusant.
Zut alors ! Je ne savais pas que je constituais un spectacle comique à moi toute seule… C’est comme si je participais à une émission de télé-réalité, Loft Story par exemple !
À petits bonds, je retourne à la cuisine et me réfugie dans mon panier. Ici, au moins, il n’y a pas de caméra cachée ! Je peux dormir sans qu’on épie mes rêves...

L’installateur de cuisine a bien travaillé : il a sauvegardé ma petite place devant le feu, il a construit un superbe plan de travail surmonté d’un comptoir sur lequel je peux jouer en batifolant entre les bibelots, sous le regard un peu inquiet de Scouby. Si je voulais, je pourrais même bondir sur la plus haute armoire : je me retrouverais au niveau du plafond. Il y a là une corniche derrière laquelle je pourrais m’aplatir et ainsi me dissimuler à tous les yeux. Ils auraient beau chercher, mes parents n’auraient jamais l’idée de regarder là.

C’est une cuisine spécialement conçue pour mon bonheur à moi, j’ai dû lui taper dans l’oeil, au « Monsieur Installateur » !





Chapitre 41 : C'EST DE NOUVEAU MOI !



Maintenant que l’Ardoise a bien blablaté durant plusieurs chapitres (souvent pour ne rien dire), je me rappelle à votre aimable attention.

Vous savez qui je suis, hein ? La plus belle, la plus noire… Pas besoin de vous faire un dessin.

Pour le moment, je vis bien tranquille dans mon appartement où, chaque jour, Olivier vient m’apporter à manger.
Il est d’un dynamisme, ce garçon, c’est incroyable ! Je crois voir une fusée : zzzzzou ! Il arrive. Moi qui rêvassais sur mon fauteuil, j’ai à peine le temps de lever la tête que… Bzzzzioum ! Il a ramassé mes assiettes et mon bol vides pour les porter à la cuisine. Bang ! Il pose tout ça dans l’évier. Puis, j’entends qu’il ouvre une boîte de nourriture pour chat et, une demi-seconde plus tard, mon nouveau repas est déjà disposé sur mon set de table. Tiens ! Il n’a même pas pris la peine de regarder dans le frigo s’il y avait du jambon en petits dés pour moi. Faudra que j’attende le retour de Mamy-chèle pour en recevoir… Il regarde mon bac ; pas la peine de changer le sable aujourd’hui, il est encore bien propre : c’est normal, je vais dans celui de la Grisouille, dans la salle de bains, pour ne pas salir mes propres affaires.

Il me donne le tournis, à s’activer comme ça. Je vais me réfugier sous le lit pour avoir la paix. Puis j’entends sa voix : "Eh bien, Scoubidou, on ne vient pas me dire au revoir ?"
Je ne dis rien. Quand j’étais toute petite, ma maman m’a bien dit de ne pas adresser la parole à des inconnus, sinon je me ferais enlever. Et c’est juste ce qui m’est arrivé !
Vous me direz que pour moi, Olivier n’est pas un inconnu, je le connais depuis très longtemps… Mais quand même !
— Quelle timorée tu fais, Bidou ! remarque-t-il avant de s’en aller.
Je sais que je suis très réservée, mais que voulez-vous ! C’est ma nature ! Je mets des mois, voire des années, avant de m’habituer à quelqu’un.
Parfois, quand même, je me dis que ce n’est pas normal, que je devrais me faire soigner… Mais je n’oserais jamais me rendre chez un psy-chat, je suis trop timide.
Quant à la Grisouille, je ne la supporterai jamais, je sens ça !

Franchement, c’est vrai quoi ! Quand elle me voit, elle fait une tête pas possible, à croire qu’elle vient d’avaler une grande cuillérée d’huile de foie de morue ! Moi, il suffit que j’aperçoive le panier Félix pour piger au quart de tour : sauve qui peut ! Je file dans ma chambre pour y attendre la suite des événements. Pendant ce temps, la Grisouille est sortie de son panier et inspecte les lieux. Elle renifle partout pour détecter les endroits où je suis passée. Comme je me suis baladée partout, — ce qui est normal puisque je suis ici chez moi — elle n’est pas contente et grimpe sur une chaise pour pouvoir me surveiller à son aise quand je me pointe dans la salle à manger. Ou alors, ce qui est encore plus vicieux, elle se cache et je dois la détecter au pifomètre. J’ai intérêt à ne pas me tromper : si je passe trop près d’elle sans la voir, elle fait Ksssss ! d’un air tellement mauvais que je saute en l’air. À mon âge, ce n’est pas bon les émotions fortes !

C’est vraiment un animal bizarre, ô combien ! Elle n’aime ni le jambon coupé en petits dés, ni la volaille, ni le Sheba, imaginez un peu ! Elle mange du poisson alors que moi je trouve ça dégueulasse. Au moins, on ne se chamaillera pas pour la même gamelle, pas de danger ! Sauf s’il y a de la viande rouge…

Pendant que la Grisouille ronge son frein dans le salon, je participe à la vie de la famille. Je regarde ce que Mamy-chèle dépose dans le frigo (chic : du jambon pour moi !) et j’émets des commentaires avisés : Pouik ! Gnac !
Puis, je l’accompagne jusqu’à la salle de bains où elle met le linge sale dans la machine à laver. Le linge se met à tourner et je m’installe devant : c’est ma télé à moi, et elle fonctionne beaucoup mieux que la leur ! La leur, c’est une récalcitrante : elle change de chaîne toute seule quand le programme ne lui plaît pas, ou bien elle s’arrête de fonctionner juste au moment où le film devient passionnant. Alors Papy-Daniel doit se lever de son fauteuil et taper du poing sur la télé, en jurant un bon coup, pour qu’elle se remette en marche. Moi, c’est plus calme : je regarde le linge bleu, vert, rouge, qui tourne dans un sens puis dans l’autre… C’est reposant et au bout d’un moment, ça me donne envie de dormir. En plus, ma télé murmure sur un ton apaisant : Wow-wow-wow-wow-wow-wow… Wow-wow-wow-wow-wow-wow-wow… tout le temps.

Ça me fait du bien, c’est ma psychothérapie à moi !

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Chapitre 42 : FAITS D'HIVER



Nous sommes en février, réputé, « de tous les mois, le plus court et le moins courtois ».

Je passe vingt heures par jour dans ma coquille de bernard-l’ermite, me levant juste pour satisfaire mes petits besoins naturels et prendre mes repas… Je suis bien contente de ne pas devoir me rendre au fenil, car il y gèle ! Mon bac de sable (avec une serpillière étalée dessous, comme chacun sait) a été provisoirement placé dans la petite pièce qui donne sur le jardin. Il y a, bien sûr, une différence de plusieurs degrés par rapport à l’agréable température qui règne dans la cuisine, mais si je me dépêche, c’est encore acceptable. Ma gamelle, quant à elle, a été posée près du poêle pour que je ne prenne pas froid en me sustentant. Comme je mastique longuement, pensivement, je consacre pas mal de temps à cette occupation… mais qu’on ne s’y trompe pas : je ne suis pas une gloutonne, ça non ! Plutôt une gourmette…

Naturellement, de mon refuge douillet, je conserve un droit de regard sur les pérégrinations de deux pique-assiette qui, sans scrupules et sans complexes, n’hésitent pas à venir se goinfrer et se chauffer chez moi. J’ai nommé, bien sûr, Négatif et Beau-Lulu.

Le Négatif fait tout pour me rendre zinzin, je suis sûre qu’il y prend un malin plaisir ! Vous savez qu’il avait élu domicile au grenier, dans une confortable boîte de carton… Eh bien, ce petit nid ne suffit plus à Monsieur ! Scouby a posé, dans la salle de bains, un petit fauteuil d’appoint sur lequel l’animal passe à présent ses jours et ses nuits ! Le matin, il se réveille quand on branche le chauffage de sa « chambre ». Il reste tranquillement couché pendant que la pièce se réchauffe puis, quand mes parents sont occupés à leur toilette, il leur fait la conversation en ondulant à travers la pièce : Mééééééé ! Mééééééé ! (il parle avec un autre accent que son papa). Il souligne ses propos en se frottant contre leurs jambes et en leur donnant de grands coups de tête affectueux. Puis, probablement exténué par cet exercice, il retourne se coucher devant le radiateur électrique et entreprend un consciencieux léchage de fourrure. S’il en a la possibilité, il attire à lui le vieux peignoir si confortable que Scouby vient d’abandonner, le chiffonne en boule sur le sol et le pétrit de ses pattes, sur l’air universellement connu : Je- suis-con-tent, je-suis-con-tent…
Lorsque l’on éteint le radiateur, Négatif descend au rez-de-chaussée prendre son petit déjeuner et visiter son bac de sable. Ensuite il remonte dans son fauteuil et se rendort du sommeil du juste.

Dans l’après-midi, Scouby le met dehors pour qu’il puisse s'oxygéner et dire un petit bonjour à ses bonnes relations du village.
C’est en freinant des quatre pattes que le Négatif se laisse mettre à la porte, avec force gémissements manifestement inspirés d’un texte de Brel : "Mais pourquoi moi ? Pourquoi maintenant ? Pourquoi déjà ? Et où aller ?" se lamente-t-il.
— Allons, Négatif, pas de cinéma ! Il faut sortir une fois par jour et te montrer, sinon notre voisine Belot risque de s’inquiéter…
C’est vrai, quoi ! On peut comprendre que Négatif n’aime pas sortir quand il pleut, ce qu’on ne lui impose pas, mais lorsque le soleil brille, même si c’est un timide soleil d’hiver, il faut en profiter !
— C’est bon pour toi le soleil, Négatou ! C’est plein de vitamine E, pour ta fourrure !
En soupirant, le Négatif va prendre le soleil… sur le capot de notre voiture, bien en vue de tout le village. Il faut avouer que sa robe blanche, soigneusement lustrée, attire l’œil et éblouit le passant.

Lorsque l’obscurité commence à tomber, l’animal estime qu’il en fait assez pour s’approvisionner en vitamine E. Alors il bondit sur l’appui extérieur de la fenêtre du salon, se dresse debout sur ses pattes postérieures et, de sa patte de devant, tapote le carreau pour signaler qu’il veut rentrer. Daniel va lui ouvrir avec l’empressement d’un bon majordome et notre attitré chat des champs regagne sa chambre pour y passer une nuit douillette, après une journée si bien remplie.

Il y a un jour ou deux, mes parents étaient partis faire des courses. Quand ils sont revenus, Négatif, dressé sur son appui de fenêtre comme la statue du commandeur, leur a fait comprendre, par ses miaulements péremptoires, qu’il n’était pas content du tout : à l’instar de Louis XIV, il avait failli attendre…

Il lui est arrivé de pousser la ruse jusqu’à s’introduire, à force de salamalecs et de simagrées, jusqu’au salon où il a passé deux ou trois soirées, nonchalamment étendu sur le fauteuil de Scouby, devant le feu. Puis, il s’en est lassé.
— C’est pas que j’aime pas rester avec vous le soir, hein, M’dame Scouby, s’est-il expliqué, mais je suis plus tranquille sur mon fauteuil à moi, dans ma chambre personnelle ! Quand je suis au salon, la tendre Ardoise n’arrête pas de venir me renifler et me surveiller ! Je sais bien que c’est son sport national favori, mais ça me déstabilise, surtout quand elle me fixe d’un regard accusateur et flamboyant, comme si j’étais l’ennemi public n° 1 ! Même quand elle a envie de dormir, elle se force à rester les yeux ouverts pour m’observer, alors je me sens perturbé, vous comprenez ?
— Je comprends très bien, mon Négatou, a répondu ma mère d’adoption, pas fâchée au fond de récupérer son fauteuil.
Au début, elle avait bien essayé de prendre le matou sur ses genoux mais le Négatif, sans hésiter, lui avait fait comprendre qu’il aimait mieux disposer du siège à lui tout seul. Pas contrariante quand il s’agit de ses chats (trop gâtés vous en conviendrez), elle l’avait laissé faire et s’était installée à la place de Daniel, ce dernier émigrant vers le divan pour s’y étaler en regardant la télévision.

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Évidemment, je n’allais pas laisser faire tout ça sans y mettre mon grain de sel !
— Et moi ? ai-je revendiqué, portant haut l’étendard de la noble chatte Ardoise. Si Négatif peut dormir dans un fauteuil et le choisir lui-même, moi, la chatte de cette maison, j’ai doublement le droit d’avoir ma place attitrée dans ce salon !

Et sans attendre, profitant d’une absence momentanée de ma bipède, j’ai bondi sur le fauteuil abandonné par Daniel et m’y suis roulée en boule d’un geste décidé.
Quand elle est revenue, sa place était prise.
— Ose me déloger ! ai-je vociféré en lui jetant un regard noir.
Elle n’a pas osé, ce qui se comprend. Toute cette soirée, le Négatif et moi, confortablement lovés dans les coussins, nous avons fait semblant de dormir en échangeant, en catimini, des regards méfiants.
C’est le lendemain que le Négatif a pris la saine décision d’éviter désormais le salon pour se retrancher dans sa « chambre » où ne l’attendait aucune chatte acariâtre et soupçonneuse.

Scouby a donc récupéré son fauteuil… mais Daniel a dû continuer à se contenter du divan, vous comprenez bien pourquoi : il fallait un siège confortable pour héberger chaque soir une petite boule ardoisienne profondément enfouie dans le tissu à fleurs…

Je viens d’achever de dicter à ma secrétaire les lignes qui précèdent et, prétextant une petite faim, je prends congé d’elle un moment. Étonnée de ne pas me voir revenir, elle part aux nouvelles, pour trouver la porte qui mène à l’étage, subrepticement entrouverte par une patte précautionneuse. Je suis sur le grenier, reniflant partout, cherchant le Négatif pour l’asticoter un peu.
Lui, courageux mais pas téméraire, pendant que je le cherchais d’un côté, s’est esquivé de l’autre en descendant l’échelle qui mène au fenil. Ce qui fait que j’en suis pour mes frais…
— Quand seras-tu un peu sérieuse, pour une fois ? demande Scouby en me récupérant et en me ramenant bon gré mal gré à la cuisine.

Il est vrai que lorsqu’on ne me connaît pas, on peut se laisser prendre à mon apparence extérieure : grands yeux limpides et interrogateurs, petit visage gris aux rayures un peu soucieuses, petite bouche serrée, superbes moustaches tombantes… Mais cet air n’a jamais fait la chanson : intérieurement, je suis une grande fantaisiste et ce n’est plus à mon âge que je vais changer !

Et en parlant d’âge…
Lors de sa dernière visite ici, Olivier m’a inquiétée.
— Oh, s’est-il exclamé en me voyant, tu vieillis, pauvre petite Ardoise ! Ton menton devient tout blanc !
Je n’ai pas relevé sur le moment, parce que je sais me tenir en public et que Nathalie était là. J’ai toujours soin de me montrer très digne devant Nathalie, ma rivale à deux pattes.
J’ai donc attendu de me retrouver seule avec mes parents pour donner libre cours à mon angoisse.
— Tu as entendu ce qu’il a dit ? Mon menton devient tout blanc ! C’est affreux !
— Mais non, Ardoise, m’a rassurée Scouby, Olivier se trompe : ton petit menton a toujours été blanc ! Ne t’inquiète pas.
Tout de même, nous avons regardé de vieilles photos de moi, pour comparer et ainsi me rassurer. C’est vrai, mon menton a toujours arboré une jolie teinte, non pas vraiment blanche, mais délicatement crème. Je n’ai pas changé, mon charme demeure intact.
— Tu as toujours ton petit air de chaton farceur, mon Ardoise, a confirmé Scouby. On ne dirait jamais que tu vas avoir dix ans cette année !
Ouf !

Quant à mon Beau-Lulu de fiancé, je continue à me demander si je ne vais pas lui rendre sa bague.
Mais qu’est-ce que ça changerait, en réalité ? Il continuerait à venir prendre ses repas chez nous, à dormir dans sa garçonnière et à venir batifoler sur les genoux de mes parents sans le moindre complexe. Ce n’est pas notre rupture qui l’empêcherait de se faire câliner par ma famille d’adoption qui le trouve superbe : grand, fort, d’un beau noir luisant…

"Tout dans les muscles, rien dans le crâne !" maugréé-je entre mes dents, ne me faisant plus la moindre illusion sur les qualités intellectuelles de mon prétendant.
La preuve : quand Scouby lui apporte son lait chaud, il est tellement content qu’il donne de grands coups de tête amicaux contre la main qui tient le bol… dont une partie du contenu, évidemment, se répand sur le sol. Je dirais encore : une fois, ça peut s’expliquer, un mouvement mal calculé… Mais chaque fois ?
Alors, à quoi bon prendre la peine de rompre nos fiançailles ? Il ne s’en apercevrait même pas !
— Pauvre Beau-Lulu, si gentil ! dit ma "mère". Qui sait, il est possible que nous le sous-estimions… Il est peut-être plus intelligent qu’il n’y paraît.
— S’il l’est, alors il le cache bien ! s’esclaffe Daniel.
Il n’empêche, malgré ce léger handicap, le Beau-Lulu a conquis tous les cœurs. Daniel va lui installer un petit escalier dans sa garçonnière parce qu’il y a quelques jours, le matou s’est foulé une patte en sautant de son perchoir : il est tellement lourd !

Ainsi l’hiver se passe, à ces menues occupations.
Il faut que je prenne des forces pour le printemps et pour l’été. En effet, si j’en crois mon expérience des années précédentes, le mois d’avril verra l’invasion, non plus de deux chats des champs, mais bien de plusieurs, vagabondant dans notre rue, à la recherche d’une bonne adresse pour y faire halte et casser la croûte. Et comme l’une de ces bonnes adresses est la mienne, il y a des chances pour que je voie bientôt débarquer le petit Squatter, la Mistinguett, le Nez-Plat et compagnie… À moins que mon armoire à glace du Beau-Lulu ne continue à prendre au sérieux son rôle d’irascible chat de garde. C’est vrai, ça : s’il peut me garantir une belle saison bien au calme, sans quadrupèdes indésirables (à l’exception de « M’man », soyons généreuse !), alors je ne lui rendrai pas sa bague. Après tout, ça a son utilité, un gorille !

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Chapitre 43. QUESTION EXISTENTIELLE



Quand je disais qu’il allait me rendre zinzin, le Négatif ! Ça dépasse tout ce qu’on peut imaginer, j’en suis encore sidérée !

Daniel et Scouby sont partis faire des courses et, naturellement, j’en ai profité pour tirer, de toutes mes forces, la fameuse porte.

Croooooouuuuuuic ! (porte qui grince)

Poum poum poum ! (moi dans l’escalier)

— Encore couché à deux heures de l’après-midi ? claironné-je en faisant irruption chez mon indésiré locataire.

Celui-ci, bien étalé sur son petit lit, lève au ciel un regard sagace.

— Je médite, annonce-t-il gravement. Je me pose une question existentielle, je m’interroge sur la nature de mon moi profond !

J’en reste comme deux ronds de flan. Si le Négatif se met à devenir philosophe, il ne va plus être rigolo du tout !

— Non mais, ça ne va pas ? Z’avez un moi profond, vous ?

— Mam’zelle Ardoise, arrêtez avec vos gesticulations et vociférations… et regardez-moi. Honnêtement, dites-moi : que voyez-vous ?

J’écarquille les yeux.

— Ben, je vois Négatif, c’est tout ! Un chat blanc avec des taches noires sur la tête et le dos !

— Un chat ? Vous croyez ?

— Bien sûr que je le crois ! Z’êtes tout de même pas un rhino-féroce !

Je crois comprendre : le Négatif traverse la même crise que moi, il y a deux ou trois ans, quand je me postais devant le grand miroir de l’appartement en me posant cette question torturante : « Chat ou pacha ? »

Mais il paraît que je me trompe.

— Vous savez, Mam’zelle Ardoise, quand je revois mon passé, lorsque j’étais encore dans le nid avec mes frères Roublard et Beau-Lulu…

Tiens, il doit être sérieux cette fois : il n’a pas dit Supergloups !

— … nous tenions pour acquis ce que disait notre maman : nous étions des chats ! Mais vous connaissez ma maman, Mam’zelle Ardoise ! Vous vous souvenez de mon oncle Titi, qu’elle prenait pour sa sœur ? Maman est bourrée de qualités, mais elle n’a jamais été fichue de distinguer un chat d’une chatte. Alors, suis-je fille ou garçon ? That’s the question !

— Si vous ne le savez pas maintenant, à votre âge, alors vous ne le saurez jamais ! Sauf si, un jour, vous attendez des petits, dis-je avec logique.

Je m’avise que le Négatif est effectivement bizarre… Ni chat ni chatte. Aucun signe apparent, aucun indice.

C’était encore pour ma pomme, tomber sur un phénomène pareil !

— Peut-être suis-je un éternel adolescent ?

— Mais vous aviez bien une bonne amie, dans le temps ? Petite-Goulaffe ?

— Oh, Petite-Goulaffe et moi, on s’entendait bien, question de se balader ensemble et se raconter des potins. On était encore enfants, Mam’zelle Ardoise !

Décidément, ce problème me dépasse !

Raisonnons : si le Négatif est un chat, il devrait, en toute logique, avoir une « petite odeur » comme son papa, non ?


Or, j’ai beau renifler, je ne sens rien… Un chat nickel !

Si, par contre, il s’agit d’une chatte déjà âgée de quatre ans, elle doit être stérile, car je l’ai toujours connue plate comme une galette.

Finalement, je donne ma langue au chat !

— Pourquoi vous vous cassez la binette ? dis-je avec le bon sens qui me caractérise. Qu’est-ce que ça change, finalement ? Z’êtes Négatif, non ? Alors, chat ou chatte, ou même aucun des deux, c’est accessoire, je trouve !

— Vous croyez, Mam’zelle Ardoise ?

— Bien sûr !

Je suis le chef de meute, non ? Donc, j’ai toujours raison !



Chapitre 44 : PERRUCHE, MOI ?


Nous arrivons à la fin de l’hiver… Les travaux dans la maison avancent, mais sont loin d’être terminés. C’est bien long, aménager une maison habitable pour des humains ! Nous, les chats, sommes moins difficiles.. Encore que !

Monsieur « Installateur de cuisines » est occupé à placer le carrelage mural. Il sifflote, chantonne et rit tout le temps, c’est vraiment un heureux caractère ! Je le trouve très sympathique, du reste ça a collé entre nous dès le premier jour, quand il a su trouver les mots qu’il fallait… Vous vous souvenez ? "Vous avez un joli chat !"

Ce qui m’intrigue, maintenant qu’on se connaît mieux, c’est qu’il se met à rire encore plus fort quand je me mets en tête d’inspecter son travail, en allant renifler sa colle et en fourrant mon nez contre le nouveau carrelage, question de voir si les joints sont bien droits.

— Ah ah, sacrée Ardoise ! s’écrie-t-il.

Et il poursuit, en un jeu de mots que je ne comprends pas : "L’ardoise va être salée ! Ah ah ah !"

— Pourquoi est-ce que Monsieur Installateur rit comme ça quand il me voit ? Pourquoi est-ce qu’il dit Sacrée Ardoise ? m’enquiers-je auprès de ma mère d’adoption.

— À mon avis, il a compris que tu es une espiègle sous tes faux airs réservés, et ça l’amuse ! suppose-t-elle.

Possible … Peut-être aussi que, naturellement joyeux comme il l’est, il aimerait bien avoir un chat comme moi chez lui, qui sait ? Il a déjà trois petits garçons, alors un chat pour compenser cette infortune, ce serait le nec plus ultra, non ?

On pourrait peut-être lui fourguer le Négatif ? Ou, mieux encore, la Bidou ?

Hélas, le Négatif devient de plus en plus sérieux en vieillissant et la Bidou ne s’entendrait pas avec des enfants, elle n’a aucune tolérance et le sens de l’humour au niveau zéro. Il n’y a que moi qui sois parfaite et moi, je ne veux quitter ni ma maison, ni ma famille, ni mon colin d'Alaska !

L’avouerai-je ? Je suis toujours aussi fainéante. Je me suis approprié le fauteuil de Daniel et je passe de longues heures à m’y reposer, blottie sous la couette. Le soir, avant de monter se coucher, mes parents ont soin de me recouvrir entièrement pour me permettre de passer une nuit paisible, bien au chaud.

— C’est amusant, Ardoise est comme une perruche, dit Scouby. Il suffit de la recouvrir d’un tissu bien opaque pour qu’elle s’endorme !

Je n’apprécie pas tellement de m’entendre traiter de perruche, d’autant plus que la comparaison est injustifiée : en effet, je ne parle jamais à tort et à travers, je suis une chatte discrète et silencieuse… Mais oui, mais oui !

Chaque matin, c’est le même rituel : Scouby se lève, branche le radiateur électrique de la salle de bains, descend l’escalier, emplit les gamelles des fauves (la mienne y compris, bien que je demeure invisible dans mon fauteuil), prépare le café, fait sa toilette, réveille Daniel, revient dans la cuisine, lave la vaisselle… La petite boule sous la couette n’a pas bougé. Un peu inquiète, Scouby vérifie si ladite petite boule respire : apparemment, oui, le tissu à fleurs se soulève doucement et régulièrement.

Longtemps après, la Belle au Bois Dormant émerge de son profond sommeil. La couette se soulève, une petite tête grise et duveteuse, un peu ébouriffée, fait son apparition en clignant des yeux.

— C’est déjà le matin ?

— Il est midi, mon Ardoise !

C’est donc pour ça que j’ai l’estomac dans les pattes ! Bien entendu, je fais la difficile devant ma gamelle.

— Gratt gratt gratt ! C’est infect ce que tu me sers ! Ah, je suis vraiment mal nourrie dans cette maison ! Gratt gratt gratt !

Les bras de Scouby lui en tombent.

— Mais c’est ta boîte préférée, celle avec les toutes petites bouchées au poisson !

— Gratt gratt gratt !

D’une patte dégoûtée, je fais claquer mon set de table contre le carrelage, en un bruit sec qui traduit l’étendue de mon auguste désapprobation. Une trouvaille, ce geste ! Je m’en sers aussi souvent que possible.

— Ah, c’est comme ça !

Ulcérée, Scouby va ouvrir la porte du jardin. Et devinez qui accourt, tout feu tout flamme, noir et fringant ? Vous avez deviné : le Beau-Lulu !

En un instant, l’infâme tambouille est avalée sous mes yeux scandalisés.

— C’est bon ! ronronne mon prétendant, hilare.

Puis il ressort, pour vider sa gamelle à lui. Heureusement qu’il n’a mangé que ma boîte de petites bouchées au poisson : avant qu'il n’arrive, Scouby avait mis mon steak haché à l’abri, c’est toujours ça.

Finalement, elle n’est pas si méchante qu’elle le paraît !

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Chapitre 45. LES MALHEURS DE NEGATIF



Mon armoire à glace de prétendant a fait un faux pas : une nouvelle fois, il a tabassé le Négatif qui avait eu le malheur de croiser son chemin en faisant sa promenade quotidienne.
Alerté par les cris perçants de la victime, Daniel est sorti d’un bond et a mis l’agresseur en fuite, pendant que les poils blancs de Négatif volaient de tous côtés en témoignage du traumatisme subi.

Durant deux jours, notre chat des champs attitré n’a plus osé sortir. Il s’y est risqué le troisième jour, en regardant bien autour de lui s’il ne voyait pas surgir certain chat noir à la physionomie féroce. Le chat noir en question se faisait également plus discret que de coutume : il devait se sentir un peu honteux.

— Je crois que votre papa est fâché contre moi, soupire-t-il.
— C’est votre faute : ça ne se fait pas de taper comme ça sur son frère ou sa soeur, dis-je de mon petit air « maîtresse d’école ».

J’ai beau, moi aussi, souhaiter secrètement au Négatif toutes les avanies possibles et imaginables, je n’en ai pas moins des principes très stricts quant à ce que peuvent se permettre les autres chats.

Le Beau-Lulu baisse le nez.

— C’est plus fort que moi, chère Ardoise, gémit-il. Cette fourrure blanche et noire m’énerve tellement que je vois rouge !

Oh comme je le comprends !

— C’était déjà comme ça dans le nid, poursuit-il : il y avait Roublard, presque tout blanc, moi, presque tout noir à part mon petit jabot comme M’man, et le troisième, blanc et noir, avec son petit air supérieur ! Depuis lors, j’ai jamais pu blairer les chats blanc et noir !
— Pourtant, votre père…
— Il était noir et blanc, nuance ! Pas blanc et noir ! Noir et blanc, c’est pas blanc et noir !

Je suis réduite au silence : il a de ces raisonnements, mon fiancé !

Mon diagnostic est clair, le Beau-Lulu, névrosé, nourrit à l’égard du Négatif un sentiment d’infériorité qu’il s’efforce de compenser par la bagarre. Encore un gibier de psy-chat…
Je suis la seule à avoir l’esprit équilibré, ici !

Admettons-le, cependant : certain pelage blanc et noir m’énerve, moi aussi. Je le trouve envahissant. Il y a assurément une fourrure de trop dans cette maison et ce n’est pas la mienne !
Hélas, Daniel et Scouby ne partagent pas mon point de vue. Ils trouvent le Négatif adorable, charmant, craquant…

J’en grince des dents quand j’entends mon père d’adoption bêtifier d’une manière écoeurante : « Oh, le beau minou ! Keskon fait là à se promener sur la poutre ? Négatou ! Bzzzziou ! »

Si MOI, je m’avisais de déambuler nonchalamment, en funambule, sur le plus haut chevron de la maison, vous entendriez le ramdam !

Et quand il fait des bêtises, croyez-vous qu’on le gronde ? Parce que je vous fais une confidence : il lui arrive de faire des bêtises, malgré tout le bien qu’on a pu vous dire à son sujet. Moins que moi, d’accord, mais il en fait… Ainsi, Négatif a une faiblesse coupable pour les rouleaux de papier WC…

L’autre jour, Scouby avait laissé sur le muret surplombant la baignoire, un rouleau de papier WC entamé et elle avait quitté la pièce sans s’apercevoir que les beaux yeux en amande de son chat des champs avaient pris une fixité inattendue et inquiétante, un peu comme le regard du psychopathe dans les films d’horreur, juste quand la musique « suspense » s’intensifie de manière dramatique, vous voyez ce que je veux dire ? Le personnage principal paraissait tout à fait normal, voire banal, et puis subitement, on découvre ce regard obsédé qui donne la chair de poule aux spectateurs… Eh bien, le gentil Négatif avait pris cet air-là.

Quand ma mère d’adoption est revenue dans la salle de bains, un peu plus tard, le forfait était accompli : la pièce était jonchée de confettis et l’auteur du crime, vautré sur son petit fauteuil, léchait sa belle fourrure avec la satisfaction du devoir accompli…

Après ça, Scouby a stocké les rouleaux de papier dans une armoire de la salle de bains. Une fois, elle a oublié et l’obsédé a récidivé. Il a même essayé d’ouvrir la porte de l’armoire avec une patte, mais heureusement, il n’y est pas parvenu.

Comme je crois l’avoir déjà dit, l’un de mes secrets plaisirs est d’aller déranger l’animal dans sa tanière. Lorsque le Négatif entend le grincement de la porte du palier et un menu bruit de pattes dans l’escalier, il décampe en catastrophe, peu désireux d’écouter mes discours. Hier, pris au dépourvu, il n’a eu que le temps de quitter sa « chambre » pour aller se percher sur une grosse poutre verticale, à hauteur du toit.

Moi, tranquille comme Baptiste, sûre de mon affaire (Quelle volée j’allais lui administrer !), je me suis assise sur mon derrière au pied de ladite poutre et j’ai attendu, le nez en l’air, que ma proie me tombe dans le bec comme un fruit trop mûr. Je devais ressembler au renard guettant le fromage.

Nous sommes restés ainsi longtemps, très longtemps. Le Négatif commençait à se fatiguer sur son piédestal étroit, avec ravissement je voyais ses pattes trembler de plus en plus. Encore un peu de patience et…

Naturellement, les choses ne se passent jamais selon mon désir ! Daniel et Scouby ont fait irruption dans la pièce et leurs glapissements indignés m’ont fait comprendre que la fête était finie. On m’a redescendue à la cuisine manu militari, au son de la fanfare, alors que Daniel manquait se rompre le cou pour récupérer le chat de champs qui, pris de vertige, n’osait pas descendre de son perchoir tout seul.

— C’est quand même extraordinaire que notre Ardoise terrorise à ce point tous les chats des environs ! s’étonne ma mère d’adoption en évaluant ma petite taille, mon aspect paisible et mes jolis yeux candides.

C’est pourtant comme ça, M’dame ! Etre un chat dominant, c’est de naissance, ça n’a rien à voir avec le gabarit !

En attendant, ma victime est saine et sauve, zut !

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Chapitre 46 : LES CRITURES


A peine m’étais-je remise de cette désillusion, que j’ai reçu un autre choc : mon fiancé m’a quittée ! Il a déserté sa garçonnière et est allé habiter ailleurs.
Pendant un week-end.

Je me suis posé des questions, vous pensez bien ! Samedi matin : pas de Beau-Lulu en vue. Par contre, Nez-Plat s’est promené dans notre jardin, ce qui prouvait bien que l’habituel occupant des lieux était aux abonnés absents.

Dimanche matin, toujours personne ! Je commençais à la trouver saumâtre, faut me comprendre : que moi, je lui rende sa bague, d’accord, c’est mon légitime droit d’Ardoise, mais que lui s’en aille comme ça, j’appelle ça de la goujaterie !
Comment avait-il pu oser partir en week-end sans m’en demander la permission ? La vapeur me montait au museau.

Ce lundi, il est de retour… juste à temps pour se jeter sur mon petit déjeuner. Quel sans-gêne ! Il faut que je remette les pendules à l’heure, ce qui est mon rôle habituel dans cette maison.

— Et alors ? D’où est-ce que vous venez ? dis-je, sévère et droite comme l’immanente justice.
Il se contente de me jeter un coup d’oeil en coin, après avoir vérifié que Scouby se trouve dans les environs. A lui aussi, il semble que je fasse peur, bien qu’il soit deux fois grand et gros comme moi !
— On n’abandonne pas sa fiancée, c’est dit dans les Ecritures, continué-je, subitement inspirée.
Il roule des yeux en boules de loto.
— Dans les Critures ? répéte-t-il, stupéfait.

Il faut que je lui cite les textes sacrés avec des mots à sa portée, sinon il ne va rien comprendre. Si je lui dis ex-cathedra : « L’homme quittera son père et sa mère etc.… », il va croire que ce n’est pas valable pour les chats. Or, l’Homme, c’est le Chat, non ? J’espère que vous suivez mon raisonnement sans vous y perdre, je sais que c’est compliqué.

— Il est dit dans les Ecritures… Heu ! « Le Beau-Lulu quittera sa M’man et ira vivre avec son Ardoise qu’il vénérera et à qui il obéira jusqu’à la fin de ses jours. », dis-je, très fière de ma traduction.
Il est sonné.
— Cela a été écrit il y a des siècles et des siècles et des siècles, insisté-je.
— Mais… mais… C’est pas possible ça, chère Ardoise !
— Et pourquoi pas ?
— Comment que les Critures, elles savaient déjà que je m’appelle Beau-Lulu alors que j’étais pas né il y a des siècles et des siècles et des…
Oh, et plus flûte !
— … Et je peux pas quitter ma M‘man ! Elle habite juste en face de chez nous ! Et tous les jours, elle vient voir comment je vais ! Et puis, j’veux pas partir loin d’elle ! M’man ! M’man ! brame le phénomène, au désespoir.

Bon, d’accord, j’ai compris. Ce n’est pas la peine d’expliquer les textes sacrés au Beau-lulu : il est complètement bouché.
Mais pourquoi est-ce que c’est tombé sur moi, un amoureux pareil ?

En effet, « M’man » vient régulièrement sur notre terrasse, histoire de nous rendre une petite visite et se rappeler à notre bon souvenir. Elle est bien nourrie chez son « monsieur » qui la bichonne et la gâte, mais parfois, elle accepte de partager le repas que lui propose son fils attentionné. Je les vois manger de concert, leurs deux têtes noires inclinées religieusement sur la même gamelle. Ensuite, ce gros bébé de Beau-Lulu la raccompagne jusqu’à son taillis natal où il passe un long moment avec sa tribu familiale.
C’était bien la peine de lui édifier une belle garçonnière !

Ce matin, je n’en crois pas mes yeux. Peut-être que je rêve encore, mais non, ce que je vois est bien réel : mon fiancé, fier comme Artaban, tirant à sa remorque un chaton gris tigré aux yeux ronds !

— C’est mon élève,dit-il, tout faraud. Un de mes petits neveux ! Il m’admire, il va me regarder vivre et apprendra à devenir un vrai chat !
J’en reste comme deux ronds de flan. Que répondre à cela ? Je me demande bien ce que ce pauvre chaton pourra retirer d’un enseignement prodigué par cet empoté de Beau-Lulu !
C’est pourtant vrai qu’il a l’air de l’idolâtrer : il le regarde sans cesse, le suit comme son ombre… On ne voit plus le Beau-Lulu sans son chaton !
— Quand nous serons mariés, nous devrions l’adopter, chère Ardoise ! D’ailleurs regardez, il vous ressemble, s’exclame le Beau-Lulu tout attendri.
Je fais mine de n’avoir pas entendu. C’est peut-être vrai que ce chaton me ressemble, mais pas question que je me mette tout un ménage sur le dos, tout de même ! Je vais avoir dix ans en mai, j’ai droit à une vie agréable et exempte de soucis !

Anéantie par la subite et affolante vision d’une Ardoise chef de famille ployant sous le poids des responsabilités, je m’écroule sur un petit tapis, devant le poêle à mazout et m’endors, couchée de tout mon long, comme un phoque sur la banquise.


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Chapitre 47 : MOI, NEGATIF


Eh bien voilà, vu que ma "propriétaire" se repose de ses émotions, je profite de sa provisoire inattention pour prendre la plume et vous dire quelques mots.


Vous me connaissez déjà, hein ? Depuis le temps que la Mam’zelle Ardoise vous parle de moi ! Et mon P’pa aussi vous parlait de moi, en d’autres temps. J’étais encore presque chaton à cette époque, vous vous rappelez ? On m’appelait Orca-Junior…
J’étais très beau, tout fin, je n’avais peur de rien. Un vrai casse-cou ! Evidemment, j’ai grandi et à présent, ça fait déjà un bon bout de temps que je suis adulte et… plus prudent !


Aujourd’hui, après un hiver passé relax dans le fenil et la salle de bains de M’sieur Dan et M’dame Scouby, je dois constater que j’ai pris du poids… Les gens du village ne vont plus me reconnaître, quand je sortirai au printemps, dans toute ma splendeur épanouie !
Qu’est-ce qu’elle va dire, M’dame Belot ? Je l’entends d’ici : « Qui est ce beau chat ? Mais… mais… c’est ma Mimine ! »


— Z’avez tellement grossi que maintenant, vous ressemblez à un veau, avec ces taches noires !
Inutile de vous présenter la chère et belle qui émet ces remarques au vitriol… C’est de la jalousie pure et simple, bien sûr, aussi je ne relève pas, je plane bien au-dessus de ces mesquineries !
Au sens propre comme au sens figuré, d’ailleurs : quand la "chef de meute" fait mine de m’asticoter, je m’élève dans les airs pour me réfugier où elle ne peut m’atteindre, ça la fait enrager !


Après avoir soigneusement étudié son comportement plutôt particulier, je suis en mesure de me faire une idée assez exacte de sa personnalité.
Vous pouvez me croire : c’est une spécialiste de la déstabilisation psychologique, elle règne par l’intimidation. Je ne l’ai jamais vue agresser physiquement un autre chat, mais, vous savez, elle n’a pas besoin d’arguments musclés : si elle n’est pas contente et que vous avez le malheur de croiser son regard à ce moment-là, vous fuyez sans demander votre reste ! C’est ce que je fais, mais rassurez-vous, je ne vais jamais bien loin… Je me dis qu’elle n’est pas vraiment dangereuse, puisque mon P’pa passait tous ses week-ends avec elle sans prendre de précautions particulières, il ne portait pas de gilet pare-balles ni rien… Et il savait ce qu’il en était, mon P’pa !
— Mam’zelle Ardoise ? Suffit d’être toujours de son avis et tu n’auras jamais d’ennuis ! me disait-il.
— Mais elle a parfois l’air si méchant ! On dirait qu’elle veut me jeter un sort !
— C’est de la comédie, rien de plus !
Eh bien il avait raison, mon P’pa, je m’en suis aperçu par la suite. La Mam’zelle Ardoise joue un rôle et aime qu’on lui donne la réplique. Une Prima Donna sous sa grise fourrure et ses moustaches tombantes !


Pour le moment, je suis censé avoir l’air de la craindre, je m’aplatis contre le sol quand je la vois, ou alors, comme je vous le disais, je détale à toutes pattes. Elle me lance des regards furibonds, elle est très contente ! Si elle ne nous avait pas, l’infâme Supergloups et moi, elle ne saurait pas quoi faire de ses journées.


Bien sûr, la vie m’a donné des leçons, parfois très dures ! J’ai appris à mes dépens qu’il existe des animaux dont je dois réellement me méfier, notamment certain ténébreux quadrupède dont je viens de vous parler et qui habite dans notre jardin. Heureusement, j’assimile vite et, jusqu’à présent, je me suis toujours bien débrouillé, sauf l’autre jour, quand il m’a eu en traître, l’horrible Supergloups ! J’étais pourtant sorti bien prudemment, comme un Sioux sur le sentier de la guerre, mais il est arrivé dans mon dos sans prévenir, l’abominable ! Quelle émotion, mes aïeux ! Et dire que c’est mon frère, ce butor !
J’aimais mieux mon pauvre Roublard. Au moins, lui, il me suivait partout, on jouait ensemble dans les arbres, on rigolait bien. Pendant ce temps, le dernier de notre fratrie s’exerçait aux poids et haltères sous le regard extasié de M’man. Bien sûr, quand on a la compréhension lente, il faut compenser par autre chose… C’est pour ça que l’ahuri a quand même fini par décrocher une place de gardien dans le jardin de M’sieur Dan et M’dame Scouby. Paraît qu’avec eux, il est gentil, affectueux et tout et tout. Il reste à côté de M’sieur Dan pour l’encourager, quand celui-ci travaille dans le jardin. Il fait même des ronds de pattes devant la Mam’zelle Ardoise, vous imaginez ! Pour ma part, quand je le vois arriver de loin, je reste prudemment dans mon petit appartement. Supergloups ne veut pas admettre que, moi aussi, je suis dans ma maison, ici !


— Il est tellement bien élevé, notre petit Beau-Lulu ! qu’elle dit M’dame Scouby.
Je veux bien, mais je ne sais pas où il a pu apprendre la politesse parce que notre M’man, question éducation, c’était plutôt à la va-comme-je-te-pousse ! À mon avis, il ne fait pas exprès d’être discret : quand il voit Mam’zelle Ardoise, il a tellement les jetons qu’il n’ose plus bouger !
— … Mais Négatif est beaucoup plus intelligent ! fait remarquer M’sieur Dan qui a un faible pour moi.
C’est vrai qu’avec moi, il y a moyen de dialoguer de manière intéressante, M’sieur Dan et moi avons de longues conversations dans la salle de bains, le matin.
— Miêêêêêêê ! Miêêêêêêêê !
Ça, c’est moi, je pense que vous l’aurez deviné. Je continue :
— Pourquoi vous ne laissez pas le petit radiateur électrique allumé toute la journée, M’sieur Dan ? Ça me ferait bien plaisir !
C’est vrai, un jour il avait oublié de l’éteindre et je suis resté béatement couché devant. C’était le pied ! Pardon… la patte !
— C’est dangereux de laisser un appareil allumé comme ça, mon Négatou !
Je soupire, mais, bon, je ne vais pas me plaindre : les hivers précédents, j’étais dehors… Excepté il y a deux ans, quand mon P’pa vivait encore, il nous avait appris à nous servir de la chatière, à Roublard et à moi. On était à l’intérieur, on dormait sur le divan du salon… On était bien, même s’il n’y avait pas de chauffage, puisque M’sieur Dan et M’dame Scouby ne revenaient que le week-end.


Aujourd’hui, j’ai trouvé un bon système pour avoir encore un peu chaud quand les humains ont terminé leur toilette et qu’ils ont éteint le radiateur : le lavabo est encore bien tiède, alors je me blottis dedans. Il est juste à ma taille !
Quand M’dame Scouby m’a vu à l’œuvre, elle a fait une photo. C’est une fana du flash mais, bon, si ça lui fait plaisir, je veux bien garder la pose…


Vous le savez, je m’appelle Négatif comme d’autres s’appellent Claude ou Dominique, mais peut-être devrais-je me nommer Négative ? On n’en sait rien, le doute subsiste. Je ne suis peut-être ni chat ni chatte, mais quelque chose entre les deux. Quelque chose de joli, en tout cas, avec de très beaux yeux… Et je suis très heureux (heureuse ?) comme ça !
Après tout, je ne vais pas changer mes habitudes pour si peu et puisque je me suis toujours comporté en chat, je vais continuer ! Je reste le cha-rmant Négatif.

Si un jour, j’ai des chatons, il sera toujours temps de retourner ma veste, vous ne croyez pas ?

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Chapitre 48 : CRIME DE LÈSE-ARDOISE


« Comment se fait-il que, chez tous les gens que nous connaissons, les animaux vivent en bonne compagnie ? Les chats et les chiens, les lapins et les hamsters… Il n’y a que chez nous qu’on se chamaille ! »
Ça, c’est Scouby qui se plaint. Comme elle me regarde en prononçant ces phrases, j’en déduis, très justement, que je suis visée… C’est moi qu’on traite de "chamailleuse", vous vous rendez compte ? Avec tout le travail que j’ai à maintenir la discipline dans ma meute !
— Je crois que j’ai trouvé la réponse, Ardoise, continue ma mère d’adoption en me dévisageant d’un air entre deux airs : tu es trop gâtée ! Outrageusement gâtée ! Peut-être qu’on devrait serrer la vis…
Non mais des fois ! Heureusement, j’ai la réplique facile : « C’est normal que je sois gâtée ! Tu sais bien que j’ai été si malheureuse quand j’étais petite ! »
Cette phrase fait toujours son effet : mon humaine, prise de remords, se reproche d’avoir pu penser, ne serait-ce qu’un instant, à me brimer… et moi, je garde les coudées franches pour me chamailler avec qui je veux et n’en agir qu’à ma tête.

Ainsi, l’autre jour, j’ai pris la poudre d’escampette.
Je me suis faufilée habilement derrière le Beau-Lulu alors que celui-ci sortait de chez nous après avoir fait honneur à mon petit déjeuner. Son avantageuse et imposante silhouette a masqué la mienne, plus petite et discrète, et Scouby n’y a vu que du feu. Je me suis retrouvée dans le jardin, libre comme l’air.
J’ai brouté mon herbe, bien à l’aise, j’ai fait une petite promenade digestive et, enfin, je me suis assise sur mon derrière, devant la porte de ma maison, en attendant qu’on m’ouvre.
À l’intérieur, Daniel et Scouby s’étaient finalement aperçus de ma (mille et unième) disparition inquiétante. Comme d’habitude, ils me cherchaient dans tous les coins, dans les tiroirs, dans les armoires, partout où j’ai coutume de me nicher rien que pour les embêter. Puis, Daniel a ouvert la porte du jardin, au cas où… Et qui a-t-il vu sur le seuil, tranquille et patiente ? Moi ! Quel soulagement, n’est-ce pas ? On m’a fait fête, naturellement.
« Vous voyez bien que je peux sortir seule ! » me suis-je exclamée, battant le fer tant qu’il était chaud.
Mais ils sont obtus, mes bipèdes : apparemment, ils n’ont pas encore compris que j’ai largement l’âge d’être émancipée. Ils ont peur des voitures rugissantes, des vélos trop rapides, des chiens féroces, des kidnappeurs avides de rançon… Et ils ont peur aussi de mes lubies.
Oh là là, quelle famille !

Comme vous l’aurez certainement pressenti à la lecture de mes précédentes hésitations quant à mon avenir conjugal, j’ai fait annuler l’impression des faire-part de mon mariage… Beau-Lulu et moi sommes brouillés pour le moment et il y a de quoi !

L’autre jour, comme il était occupé à bâfrer dans ma gamelle, j’ai entrepris mon manège d’inspection habituel : le renifler consciencieusement, de la tête à la queue. S’est-il subitement vexé (je me demande bien pourquoi) ? S’est-il effrayé (il est si bête) ? Toujours est-il qu’il s’est retourné, m’a sauté dessus… et s’est retrouvé avec un gros paquet de poils gris entre les dents !
Mes beaux poils ! Ma superbe fourrure dont je suis si fière ! J’en suis restée muette de surprise et d’indignation, pétrifiée telle la femme de Loth. Le sifflet coupé, ce qui m’arrive rarement.
« Ardoise ! Il t’a mordue ? » s’est exclamée Scouby, tout aussi effarée que moi.
Je me tâte, encore toute désorientée. Mordue ? Non. Je n’ai rien senti… Mais tout attentat perpétré contre mon pelage étant un crime de lèse-Ardoise, je ne peux que clamer, avec sentiment : « Ô rage ! Ô désespoir ! Ma fourrure ! Ma belle fourrure à triple épaisseur ! »
On met le Beau-Lulu à la porte. Il ne demande pas mieux, d’ailleurs, et détale sans demander son reste. On m’inspecte avec inquiétude. Soulagement, je suis intacte, sans la moindre égratignure. Aucun accroc à déplorer dans la superbe fourrure.
— C’est un paquet de poils morts qui a dû se détacher, il est temps qu’on te brosse…
Je déteste cette phrase ! Pitoyable, je gémis : « Ah non, pas le toilettage, en plus ! Je suis bien assez traumatisée comme ça ! »
— D’accord, ça peut attendre demain.
Et voilà, tout ça à cause du Beau-Lulu !

Suite à cet affreux scandale qui a certainement mis le village en ébullition et fait les gros titres de la presse locale, le criminel a déménagé. On ne le voit plus dans sa garçonnière.
« Finalement, ton fiancé, c’était peut-être un coureur de dot, remarque Scouby d’un petit air narquois. Il a profité de notre hospitalité tout l’hiver, en te faisant la cour pour donner le change, puis, le printemps venu, il se défile ! »
Je rumine ces réflexions, avant de décréter qu’à mon humble avis, le Beau-Lulu est trop bêta pour mettre sur pied un plan pareil. S’il est parti, c’est sans doute parce qu’il se consume de honte et de remords…

Quelques jours ont passé.
— Tiens, voilà Néfer !
La chatte noire, tout ondulante et ronronnante, fait son apparition sur notre terrasse… avec, à sa remorque, un matou penaud, un tantinet amaigri, l’air triste et repentant.
— Mon Beau-Lulu, te revoilà ! s’exclame ma mère d’adoption.
On le caresse, il reprend vie. L’espoir renaît dans son regard : serait-il pardonné ?
Je suis écœurée. Il n’a même pas eu le courage de revenir tout seul, il a fallu qu’il aille pleurnicher chez "M’man" pour qu’elle l’accompagne ! Quel nourrisson, ce Beau-Lulu !
— Chère Ardoise, je l’ai pas fait exprès ! gémit-il en se tordant les pattes.
— Non peut-être ! répliqué-je, ulcérée.
S’il s’imagine que je vais le croire ! C’est du n’importe quoi !
— Chère Ardoise, je le ferai plus !
— Ben tiens ! Il ne manquerait plus que ça !
— Chère et douce Ardoise, pardon ! Pardon !
Je lui tourne le dos et rentre dignement me reposer devant mon feu.

Inquiet de ma réaction, mais toutefois encouragé par l’accueil réservé par mes parents au chat prodigue, l’animal a recommencé à squatter notre terrasse, d’abord accompagné de "M’man", puis, petit à petit, sans elle.
La nuit passée, il a rapporté en catimini ses bagages dans sa garçonnière, ce que je constate en allant brouter mon herbe, lors de ma promenade matinale. Le malotru me fait les yeux doux en penchant légèrement la tête comme un minet de calendrier, afin de m’attendrir. Mais je n’ai pas encore pardonné ! Qu’on se souvienne de la Petite-Goulaffe à qui je n’ai plus jamais adressé la parole, suite à un grognement malvenu. Le Supergloups s’est mis dans un mauvais cas, c’est moi qui vous le dis !
« Ne serais-tu pas un peu rancunière, Ardoise ? »
Si je n’ai qu’un défaut, c’est celui-là !

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Chapitre 49. UN APPARTEMENT DANGEREUX

Tout doucement, notre chat des champs attitré (le Négatif pour ne pas le nommer) devient chat d’appartement. Il a adopté un horaire de rentier : le matin, petit déjeuner dans le fenil, puis retour à la salle de bains, avec sieste digestive devant le radiateur, pendant que mes parents font leur toilette à tour de rôle. Ensuite, petite promenade dans le village, bonjour amical à notre voisine pour entretenir les bonnes relations, retour à la gamelle, re-sieste prolongée dans la salle de bains, enfin, souper, extinction des feux, dodo. Si le temps le permet, ultime petite promenade avant le coucher.

Cette routine étant bien établie, Daniel et Scouby ont été très étonnés, l’autre jour, de constater que le locataire des lieux n’était pas à son poste, dans son petit lit improvisé, le soir venu.
Comme il avait fait beau toute la journée, le Négatif était entré, sorti, rentré, ressorti… ce qui fait qu’on avait perdu le compte de ses multiples allées et venues et qu’on ne savait pas s’il était dehors ou à l’intérieur de la maison.
Daniel est allé à la porte pour faire Bzzzzzzion ! Bzzzzzziou ! Sans résultat.
On a regardé partout : dans le foin, dans la grange, sur le grenier… Pas de Négatif ! Il a fallu aller se coucher sans savoir ce qu’il était devenu.
À ce stade, on n’est pas encore inquiet. On se dit : « Bah, c’est un chat des champs et on est au printemps, c’est normal qu’il vagabonde ! »
Et la nuit se passe. Et puis la matinée.

Vers midi, mine de rien, on commence à se faire du souci.
— Il est tellement gentil et attachant ! Il a pu suivre n’importe qui, ou se laisser enfermer quelque part ! se lamente Scouby.
— Ou avoir sauté dans le coffre d’une voiture et se retrouver à Liège ou à Bruxelles, renchérit Daniel.
En effet, tout comme son père Orca jadis, le Négatif ressent une irrésistible attraction pour les voitures ou les camionnettes ouvertes.
Scouby part faire des courses pendant que Daniel va bricoler sur le grenier.
Soudain, un petit Miêêêêê ! atteint ses oreilles : un faible miaulement venant de l’intérieur de la maison.
Il se remet à chercher… en vain ! Et les faibles miaulements se font toujours entendre.
Fébrile, Daniel court chez notre voisin, pour lui emprunter sa grande échelle. Il pose celle-ci contre le haut mur du fenil et se met en devoir d’inspecter les interstices entre les briques et la charpente du toit, l’intérieur de la cheminée, la tuyauterie… Rien !
— Minou, minou ! Négatif ! Bzzzziou !
— Miêêêê !
Faudra-t-il démolir la maison, pierre par pierre ? Où a pu se fourrer ce stupide chat ? Apparemment, le caractère aventureux du Négatif lui a joué un mauvais tour.
Par acquis de conscience, Daniel retourne dans la salle de bains et ouvre l’armoire encastrée sous le double lavabo. La fameuse armoire où l’on range les rouleaux de papier WC.
À première vue, rien. D’ailleurs, on avait déjà regardé dans cette armoire.
À deuxième vue… Bingo ! Il existe une tablette dans le haut du meuble, entre les deux lavabos. Une tablette minuscule, presque invisible. Et, coincé sur cette tablette, ne pouvant ni avancer ni reculer… Le Négatif, bien sûr, comprimé comme le héros de la publicité des cafés Chat Noir, le fameux chat dans le sac.
Avec l’aide d’une solide bourrade sur l’arrière-train, le matou a pu se dégager de sa périlleuse position.
Et sorti de là après un jour et une nuit d’immobilité forcée, pensez-vous que l’animal ait fait montre d’une certaine raideur dans les pattes, de courbatures dans les reins ? Rien du tout ! Souple comme une liane, le phénomène !
Mais affamé, bien sûr. On a vite remédié à cet état de choses.
Si ça m’était arrivé, à moi, j’aurais boitillé durant huit jours et souffert d’un lumbago sévère !

Soulagement général, mais aussi peur rétrospective : que serait-il arrivé si Daniel n’avait pas retrouvé le Négatif ?
Un Négatif qui, sans doute, était parti à la recherche d’un rouleau de papier WC pour s’amuser un peu…

La nuit venue, je vais, comme j’en ai l’habitude, asticoter mon locataire dans sa chambrette.
Je suis devenue experte dans l’art d’ouvrir la porte de l’escalier : rien ne résiste à la vaillante chatte Ardoise !
Je monte l’escalier de mon petit pas sautillant : poum, poum, poum…
Le rescapé dort béatement sur son fauteuil douillet, sans états d’âme superflus. Je pose sur sa tête une patte précautionneuse.
— De nouveau vous, Mam’zelle Ardoise ? marmonne-t-il en ouvrant un œil.
— Je suis venue vous mettre en garde, dis-je sérieusement.
— En garde ? Contre quoi ?
— Vous avez bien vu que vous avez failli périr, emmuré dans une armoire ?
— Oui, mais c’est fini, Mam’zelle Ardoise ! Tout va bien, maintenant.
Optimiste, va !
— À votre place, je n’en serais pas sûr ! Cet appartement que vous avez loué est très, très dangereux ! Si j’étais vous, je résilierais mon contrat de bail et j’irais habiter ailleurs !
Vous voyez comme je me préoccupe du sort de mon locataire… Mais ces prévenances restent sans effet : l’animal n’a rien voulu entendre. Il a bâillé un bon coup et s’est retourné sur son petit lit : « Bonne nuit, Mam’zelle Ardoise ! »
Alors, poum, poum, poum, je suis redescendue au rez-de-chaussée, pour m’allonger tristement devant le poêle.
Je suis une victime !

Pas question de rester sur une défaite ! Pour me changer les idées et me rebootser le moral, il faut que je parte à la conquête d’un nouveau territoire : le fauteuil de Daniel.
J’ai jeté mon dévolu sur ce siège et je l’aurai !
La tactique est d’une efficace simplicité, je vous laisse en juger : le soir, quand il fait bien chaud dans le salon où se prélassent mes parents (l’un devant la télé et l’autre plongée dans un livre, comme il se doit), je me dresse doucement sur mes pattes postérieures et tapote, avec amabilité, le pantalon paternel.
— Tiens, Ardoise ! Tu veux venir sur mes genoux ?
Erreur, telle n’est pas mon intention ! Lentement, je tourne autour du fauteuil, en arborant un air rêveur. Je fais mine de vouloir y grimper, j’y renonce avec une expression affreusement déçue, après avoir constaté que le siège est déjà occupé et qu’il n’y a pas place pour deux…
Il y a longtemps que tout le monde a compris où je veux en venir. En soupirant, Daniel se lève, m’aide à monter sur le fauteuil (j’évite tous les efforts inutiles), rabat la couette sur mon museau triomphant et va s’installer sur le divan… beaucoup moins confortable, évidemment.
Et nous passons une agréable soirée, tous les trois, en famille !

— Au fond, dit Scouby, tous nos chats ont un caractère bien distinct et une psychologie bien plus subtile qu’on ne le croirait généralement.
À force de passer son temps à nous observer, elle pourrait remporter haut la main son diplôme de Docteur ès Chats ! Il va de soi que je suis, à moi toute seule, un passionnant sujet d’étude.
— S’ils étaient des êtres humains, on pourrait même deviner quels seraient leur condition ou leur métier, renchérit Daniel.
Il ajoute : « Pour le Beau-Lulu, avec son gabarit, c’est simple : déménageur ou camionneur ! »
— Notre Orca : professeur de philosophie.
— Ardoise…
— Rentière !
— Oui, j’allais dire : oisive.
Oisive, moi ? Avec tout ce que j’ai à faire !
— Néfertiti, tragédienne ! Petite-Goulaffe, joueuse d’échecs… ou politicienne !
— Je me demande bien ce qu’elle est devenue, Petite-Goulaffe, si jolie et intelligente… Ses maîtres l’ont peut-être donnée. Après tout, ils avaient déjà Gourmande à nourrir.
Pauvre Gourmande, exilée à la ville distante d’une vingtaine de kilomètres ! Sa vocation à elle aussi semble évidente : chef coq dans un restaurant !
— La Bidou, ermite !
Quand j’entends ce nom, j’en attrape de l’urticaire !
— Et notre Négatif : acrobate… et gaffeur professionnel ! termine Scouby.
Ils s’esclaffent. Vous allez comprendre pourquoi.
Le chat des champs a encore fait des siennes !

Un matin, Scouby est en train de se laver tranquillement devant le lavabo de la salle de bains. Le Négatif, lui, est censé prendre son petit déjeuner dans le fenil. En principe.
Soudain, un vacarme terrible : CRAC ! BOUM !
Une planche de bois s’abat dans la salle de bains ! Scouby se met à piailler : « Hiiiiiiiii ! La charpente s’effondre ! Le toit nous tombe sur la tête ! Hiiiiii ! »

Au bout de quelques secondes, comme la maison ne semble pas persévérer dans son intention de l’ensevelir sous ses décombres, elle lève précautionneusement les yeux… pour s’apercevoir qu’une latte du plafond s’est brisée sous un choc violent : la moitié de la latte gît sur le sol, l’autre moitié pend encore au plafond. Une seconde latte, disjointe, pique du nez vers la baignoire.
Et, par terre, tout ahuri, un chat blanc et noir se demande comment il a pu atterrir là…

Attiré par le vacarme, Daniel apparaît, ébouriffé, sur le seuil de la salle de bains. À son tour, il lève les yeux et reste sans voix.
Le mystère semble complet. Il est vrai que le fameux chat blanc et noir s’est discrètement esquivé… Mais sa réputation n’est plus à faire et ne plaide pas en sa faveur.
— C’est Négatif ?
Évidemment ! Après son repas, il avait, comme d’habitude, fait son numéro de haute voltige sur les poutres et, arrivé au-dessus du plafond de la salle de bains, il avait bondi, comme un bolide, sur une surface plane qui avait cédé sous son poids.
Il faut avouer que le Négatif, doté d’un joyeux appétit, n’est plus le svelte petit chat de naguère. Bien nourri par les soins de Scouby, il a vu sa silhouette s’arrondir depuis le début de l’hiver. Le plafond de la salle de bains n’était pas de taille à lui opposer une grande résistance.

Heureusement, Daniel avait gardé en réserve trois lattes de bois identiques à celles du plafond. En soufflant beaucoup, Scouby et lui sont arrivés à remplacer les panneaux endommagés. Puis, instruits par l’expérience, ils ont disposé au-dessus des planches, sur les chevrons, des plaques d’aggloméré, bien solides, pour éviter que l’accident ne se reproduise.
Le mal étant réparé, Daniel, après avoir abondamment pesté contre le Négatif, lui a pardonné…
Quand je vous disais qu’il a un faible pour le chat des champs !

Naturellement, je fais feu de tout bois… C’est le cas de le dire !
— Hé ! Quand je vous disais que votre appartement est très, très dangereux ! vais-je susurrer à l’oreille de mon locataire qui se remet de ses émotions.
— C’est vrai ! Je suis tombé d’un étage… Mais c’est fini, maintenant, Mam’zelle Ardoise, rassurez-vous. Je vais quand même continuer à habiter ici !
Je suis désespérée. Normalement, le Négatif, après avoir passé l’hiver au chaud, aurait dû reprendre au printemps son existence nomade.. Or, il s’incruste ! Il ne fait pas mine de bouger ! Il considère ma maison comme la sienne !
Et le comble : il reçoit du Félix à ses repas, comme moi !

— Vous ne vous refusez rien ! dis-je aigrement. Du Félix, maintenant !
— C’est une de mes marques préférées, dit l’animal d’un petit air d’excuse.
Il me coule un regard modeste. Mais, sur moi, les beaux yeux de type oriental n’ont pas le moindre effet, vous pensez bien !
— Et j’ai entendu que Scouby vous a appelé ‘Ma Minou" ! C’est votre nouveau nom ? Vous en avez combien, comme ça ? Déjà que vous êtes Mimine pour notre voisine…
— Oh, c’est juste un surnom gentil et qui me correspond bien : "Ma" parce que je suis peut-être une fille, et "Minou" parce que je suis peut-être un garçon !
On n’en a pas encore fini avec la double identité du Négatif… ou de la Négatou !
Dégoûtée, je tourne les talons et vais dans le salon chasser Daniel de son fauteuil, afin de m’y mettre.

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Chapitre 50 : PAPA LULU


Nous sommes en avril et les arbres sont en fleurs. Pas tous, cependant : le noyer de notre voisin commence tout juste à avoir de petites feuilles non encore déployées, ce sont des bébé-bourgeons.
J’ai déjà remarqué que ce noyer est d’une extrême prudence, en avril il ne se découvre pas d’un fil, craignant de se laisser surprendre par les dernières gelées. Il préserve soigneusement ses noix du prochain septembre, c’est un arbre avisé…

Ce n’est pas le cas de nos pruniers, cerisiers et autres pommiers ! Ces étourdis ne voient pas plus loin que le bout de leurs branches : il fait beau ? Vroum ! Ils se couvrent de fleurettes, sans penser que la nuit, il fait encore froid et qu’ils risquent inconsidérément leur récolte future. En chatte raisonnable et écologiste, je m’efforce de le leur faire comprendre chaque fois que je vais au jardin pour brouter mon herbe fraîche, mais ils ne m’écoutent pas et se contentent d’agiter poliment leurs branches quand je les harangue. Il y a comme un défaut de communication entre les végétaux et moi, je ne sais pas pourquoi.
— Vous qui grimpez aux arbres, vous devriez leur expliquer ! Leur parler à l’oreille ! dis-je à mon indésiré locataire, le Négatif.
— Ça sert à rien, Mam’zelle Ardoise ! Dès qu’ils sentent la chaleur du soleil, ils deviennent comme fous !
Je renonce, en souhaitant qu’aucune récidive de l’hiver ne vienne mettre à mal les imprudentes petites fleurs blanches et roses. Après tout, je ne peux pas refaire le monde à moi toute seule !

Un miaulement plein d’espoir retentit à mon oreille : « Bonjour, chère Ardoise ! »
Le Beau-Lulu ! Ostensiblement, je regarde ailleurs. S’il s’imagine que je vais lui souhaiter la bienvenue en le reniflant de haut en bas, comme autrefois, il se fait des illusions ! Il ne sait pas encore ce qu’il a perdu !

Vous le constaterez, je n’ai pas encore pardonné son geste intempestif d’il y a quelques semaines. Pour ça, j’ai une mémoire d’éléphant, qu’on se le dise !
C’est bien simple : à mes yeux, ce matou a cessé d’exister.

Enfin, presque. Il faut quand même que je le surveille quand il s’introduit dans ma maison afin de prendre son petit déjeuner. Méfiante, je le suis à pas de loup jusque dans la cuisine et me poste dans l’embrasure de la porte du salon, bien campée sur mes quatre pattes. S’il essaie de s’introduire ici et (qui sait ? Il est tellement sans-gêne !) de s’insinuer dans mon fauteuil, sous ma couette conquise de haute lutte, il trouvera à qui parler !
Mais, apparemment, ce n’est pas ma couette qui l’intéresse.
— Oh, chère Ardoise ! J’ai trouvé la nouvelle place de votre gamelle ! s’extasie-t-il.
Pourtant, elle était bien cachée, mon assiette, en retrait de la cheminée, sur un joli set de table représentant deux chats devant un bocal de poissons rouges. Non mais, quel butor, ce Beau-Lulu ! Je le vois qui se régale de mon steak haché.
Je bous de rage contenue.
— Ne t’en fais pas, Ardoise, tu en d’auras d’autre ! me rassure ma mère d’adoption.
— Je me demande bien pourquoi tu le laisses entrer, celui-là ! m’exclamé-je, statue vivante de la réprobation.
— Il est si mignon, si affectueux ! Et il a tellement maigri, le pauvre !
Je m’avise effectivement que, depuis l’hiver, le Beau-Lulu a perdu beaucoup de poids. Il n’a plus autant d’appétit qu’autrefois. Une pensée me frappe : qui sait, c’est peut-être notre rupture qui le désespère ? Je savais qu’il m’aimait, mais à ce point, quand même…

La prochaine fois que je le croiserai dans le jardin, je le gratifierai d’un auguste petit signe de tête ; après tout, je ne suis pas méchante et ne vais pas le laisser périr de désespoir.

Quand on va au fond des choses, il faut admettre que le Beau-Lulu a certaines qualités.
— M’dame Scouby, ce soir, vous pouvez mettre un peu plus de nourriture que d’habitude, dans mon assiette ? J’ai des invités, claironne-t-il.
Ma curiosité est éveillée. J’attends le coucher du soleil et, perchée sur l’appui de fenêtre de la salle à manger, je m’installe comme au spectacle.
Ma patience est rapidement récompensée : le Beau-Lulu traverse notre terrasse d’un pas solennel, suivi à courte distance par son « élève », le chaton gris, et sa « M’man », Néfertiti.

Tout ce petit monde se rassemble autour de la gamelle du Beau-Lulu.
— Je goûte d’abord, dit celui-ci. J’veux être sûr que c’est bon.
Il goûte, goûte, goûte… Les autres attendent patiemment. Au bout de quelques instants, il s’écarte pour laisser se nourrir ses invités.
— Ça va, vous pouvez y aller, c’est pas dégueulasse, dit-il. Et toi, poursuit-il à l’intention du chaton gris, ne mets pas tes pattes dans la gamelle. Fais comme moi et ta mamy Néfertiti.
Il a l’air de prendre son rôle de maître de maison au sérieux, l’animal !
Cette fois, ma curiosité est telle que j’en oublie ma rancune.
— Hé ! dis-je. Comment se fait-il que vous ayez récupéré votre chaton ? Ça faisait des jours qu’on ne le voyait plus, je pensais que sa mère l’avait repris !
Il est évident que si, moi, j’avais un chaton, ce n’est pas à cet abruti de Beau-Lulu que je le confierais pour parfaire son éducation. Il y a des chattes qui n’ont pas le moindre bon sens.
Encouragé par mon amabilité soudaine, l’animal saute de l’autre côté de mon appui de fenêtre.
— Non, non, chère Ardoise, dit-il tout rayonnant, il était simplement parti en vacances de Pâques ! J’étais triste, vous savez ! Maintenant je me sens mieux.
Malgré mon scepticisme, il me faut bien constater que mon ex-fiancé est aux petits soins pour le chaton gris. Décidément, da personnalité révèle plusieurs facettes… Et moi qui le croyais sans nuances ni états d’âme !

Il fait beau et Scouby et moi faisons un petit tour au jardin. Elle prend le bout de la corde (moi, comme vous le savez, je suis attachée à l’autre extrémité) et en route ! Nous allons vers le petit étang.
Arrivée au bord de l’eau, je décide : « STOP ! J’ai besoin de me délasser un peu et respirer l’air marin ! » et je m’étale sur une pierre plate, les coussinets en éventail. J’y reste de longues minutes, tandis que ma dame de compagnie patiente. Parfois, je me demande laquelle de nous deux est réellement attachée à cette corde…
Je regarde paresseusement le fond de l’étang, en comptant les poissons : ils sont dix qui batifolent. Je me redresse pour mieux les voir… et ils filent tous se réfugier sous une grosse pierre immergée. Ils sont timides, ces poissons !
Un peu déçue, je fais le tour de l’étang. Qu’est-ce que cette petite chose bizarre ? J’allonge le museau, renifle… La petite chose me saute sous le nez et plonge dans l’eau !
— Croâ ! fait-elle.
— Pardon-excuse, M’dame, je n’avais pas vu que vous étiez une grenouille, je vous avais prise pour un caillou ! dis-je civilement.
Elle ne daigne pas me répondre. Mal éduquée, cette grenouille ! Je hausse mentalement les épaules et continue mon petit tour de jardin, bien à l’aide, en respirant religieusement chaque pâquerette.

Le Beau-Lulu me suit à distance respectueuse. Il se demande si je suis toujours fâchée et, à chaque fois que je tourne la tête vers lui, il manifeste son espoir de rentrer dans mes bonnes grâces, en se couchant sur le dos en signe de soumission, et en gigotant des pattes… Le tout assorti d’un air énamouré qui me donne envie de sourire dans mes moustaches.
— Chère gentille Ardoise ! miaule-t-il.
Finalement, j’ai décidé de tracer une croix sur les offenses passées, je lui adresse à nouveau la parole.
Nous sommes réconciliés, mais pas re-fiancés, notez-le bien : la vie conjugale, ce n’est pas ma tasse de thé !

Et maintenant, nous goûtons l’air du soir, allongés côte à côte sur la terrasse. Il fait encore à peine jour.
Brusquement, voilà mon amoureux transi qui se lève précipitamment pour scruter l’ombre où se dessine une petite silhouette : le chaton gris.
— Mon bébé ! s’écrie le Beau-Lulu en se précipitant vers son élève.
Stupéfaite, je les vois se serrer l’un contre l’autre, en émettant des ronrons sonores.
— Papa Lulu ! fait le chaton.
Ce gros déménageur de Beau-Lulu lui balaie la figure d’un coup de langue affectueux. Le chaton ronronne de plus en plus fort.
— Viens manger, mon bébé ! s’écrie le mentor en dirigeant le disciple vers sa propre gamelle.

Je garde un air indifférent, mais je suis touchée. Mine de rien, j’observe le chaton : c’est vrai que nous avons comme un air de famille, lui et moi. Il est gris souris, avec un petit visage soucieux, comme le mien. Toutefois, il a quelques reflets roux dans sa fourrure grise et sa gorge est plus blanche que la mienne.
Je me dis vaguement qu’il y a très longtemps, quand j’étais petite et malheureuse, j’aurais aimé trouver un Beau-Lulu sur mon chemin…

Bien qu’il m’eût été agréable de continuer à imaginer que la perte de poids de Beau-Lulu était imputable au désespoir provoqué par notre rupture, j’ai dû déchanter. La réalité est beaucoup plus prosaïque et moins romantique : mon prétendant a des vers ! Pas des vers de poésie ou des vers de mirliton, non : de vrais vers !
C’est pourquoi Scouby s’est rendue à la pharmacie pour y acheter un vermifuge. On lui a donné deux comprimés : (un comprimé pour quatre kilos de chat) à écraser dans la nourriture du patient.
Scouby a soupesé le Beau-Lulu qui se demandait pourquoi tout le monde le regardait avec insistance.
— Il doit bien faire ses quatre kilos ! a-t-elle décrété.
— Maintenant, il faut trouver un plat qu’il apprécie vraiment beaucoup, dit Daniel en écrasant le comprimé dans une petite assiette.
Ils ont ouvert une boîte de thon en conserve et en ont mélangé une grande partie avec le médicament.
— Tu en mets trop ! Il ne va pas pouvoir manger tout ça !
— Il faudra le surveiller pour être sûr que c’est bien lui qui avale l’assiette.
Roucoulante et tentatrice, Scouby fait entrer le Beau-Lulu dans la petite pièce qui donne sur le jardin et pose la gamelle sur le sol.
— Y a bon miam miam ! bêtifie-t-elle.
Notez bien qu’avec le Beau-Lulu, on est bien obligé de bêtifier, sinon il ne comprend pas. J’en ai personnellement fait l’expérience, plus d’une fois.

Le matou renifle le thon avec précaution et semble d’accord : bon miam miam, en effet. Il se met à bâfrer avec enthousiasme, en se posant des questions : est-ce son anniversaire ? Ou sa fête ? Au fait, ça existe, la Saint-Beau-Lulu ?
A la moitié de l’assiette, le rythme se ralentit.
— J’ai plus tellement faim…
— Mais il FAUT tout manger ! Miam miam !
Pour faire plaisir, le Beau-Lulu a continué son repas, en levant de temps en temps la tête vers Scouby avec l’espoir qu’elle le laisse tranquille.
— C’est très bon, mais… Burps ! J’ai plus faim !
— Allez, encore un tout petit peu !
Le Beau-Lulu a fourni un effort surfélin.
— Voilà, c’est vide, bravo mon minou ! Les vilains vers vont tous partir, maintenant !
— On vous a vraiment gavé comme une oie, remarqué-je, ravie d’y aller de mon petit commentaire. Peut-être qu’on va vous mettre à la casserole pour le prochain Noël !
Sans daigner me répondre, le Beau-Lulu s’est dirigé, d’un pas lourd, vers sa garçonnière où je suppose qu’il a fait une longue sieste digestive, parce que je ne l’ai plus vu de la journée.



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Chapitre 51 : RENCONTRE AU SUPERMARCHE


Scouby fait ses courses au supermarché de la petite ville proche. Elle est occupée à remplir son caddy au rayon "Nourriture et fournitures pour animaux", quand une petite dame âgée survient à son tour pour s’approvisionner.
— Madame, pourriez-vous avoir la gentillesse de me donner ces deux boîtes, sur l’étagère là-haut ? Je n’y arrive pas.
Scouby se hausse sur la pointe des pieds et tend à la petite dame les boîtes convoitées. Bien sûr, la conversation s’engage, sur un sujet particulièrement intéressant.
— Les chats n’ont que l’embarras du choix, ce n’est pas la variété qui manque, ici.
La petite dame lève les bras au ciel.
— Ah, madame, ils deviennent difficiles ! Ils n’aiment plus rien ! De temps en temps, je leur achète une boîte bon marché pour qu’ils se réhabituent à tout.
— C’est une bonne idée, opine Scouby en se saisissant de l’une des boîtes en question. Poisson et crevettes … Ce n’est certainement pas mauvais, je vais essayer !
— De mon temps, les chats n’étaient pas comme ça ! Ils mangeaient des reliefs de table, on leur donnait du pain trempé dans du lait… Ils étaient toujours contents ! Mais maintenant, ce n’est plus le cas, il leur faut le meilleur !
Mais où sont les chats d’antan ?
— Et en Angleterre, vous savez ce qu’ils font, dans les usines de nourriture pour animaux ? questionne la petite dame qui a l’air d’en savoir long sur le sujet.
— Heu, non…
— Ils engagent des goûteurs ! Oui, vous avez bien entendu ! Spécialement pour les chats !
Après quelques exclamations supplémentaires, la petite dame s’en va en secouant la tête, son chariot ayant fait le plein de boîtes et de croquettes de différentes marques.

— Quand même, Ardoise, ce n’est pas moi qui goûterais ton Félix ! déclare ma mère d’adoption en rentrant à la maison.
— Ce qui est bon pour moi devrait l’être pour toi, dis-je avec logique, en inspectant soigneusement les provisions.
J’ai un œil de lynx en ce qui concerne les boîtes de nourriture pour chats, je crois avoir mémorisé l’aspect de toutes les marques que j’apprécie.
Tiens, une boîte que je ne connais pas et qui ne m’inspire pas confiance… Il est temps de remettre les pendules à l’heure, comme je dis toujours.
— Celle-là, j’en veux pas ! Donne-la à qui tu veux, au Négatif par exemple, mais pas à moi !
— Ça sent pourtant bon, objecte Scouby en ouvrant la boîte.
— Eh bien, alors, goûte ! dis-je.
Elle ne l’a pas fait.


Chapitre 52. MISTER CATA (par Négatif)


Je suis sûr que vous attendiez impatiemment des nouvelles du charmant Négatif, je me trompe ?
À moins que la Mam’zelle Ardoise ne s’en soit déjà chargée, mais elle est un brin tendancieuse, vous savez !
Pour moi, ça roule ! J’habite une jolie maison où j’ai loué un appart dernier cri. Ce que c’est que le standing : il y a même des portiers ! Plus besoin de s’insinuer dans une chatière où on pourrait rester bloqué pour cause de prise de poids. Il suffit de crier Miêêêêê ! et quelqu’un accourt pour vous ouvrir la porte si vous voulez faire une balade.
Je ne sais vraiment pas pourquoi, mais on m’a donné un troisième nom. Après Négatif ou Négatou, me voilà surnommé Mister Cata !
C’est peut-être vrai qu’il m’arrive de m’emmêler les pinceaux et faire des choses qui ne se font pas, mais faut comprendre : c’est très, très difficile de déjouer les pièges d’une maison ! Il y a des armoires qui se referment toutes seules quand vous vous trouvez à l’intérieur, il y a des planchers qui cassent quand vous passez dessus… D’ailleurs, le fait est connu : la plupart des accidents sont des accidents domestiques. Alors, appeler Mister Cata un pauvre chat inexpérimenté, c’est exagéré à mon avis.

Il y a quelques jours, j’étais un peu cafardeux. Dehors, il pleuvait.
En général, je passe le temps dans ma chambre, sur mon petit fauteuil, ou au fenil pour y prendre mes repas. Cette fois, je ne me sentais pas d’appétit. J’ai bien essayé de m’aménager un petit nid au creux d’une botte de paille, sous le toit, histoire de varier les plaisirs, mais cela ne m’a pas apporté le contentement espéré.
Je m’ennuyais, voilà !

— Miêêêê ! Miêêêê !
— Qu’est-ce que tu veux, mon minou ? Sortir ?
— Avec ce vent et la pluie qui tombe, non ! Je veux qu’on me dorlote, qu’on me tienne compagnie, qu’on me parle !
En temps ordinaire, je suis bouillonnant d’énergie et d’initiative, mais là, le moral était au plus bas. Je ne savais vraiment pas quoi faire de moi…
Après tout, pourquoi est-ce que je n’aurais pas le droit de passer la soirée en famille, comme certaine chatte grise que je connais ?
Je suis sûr que M’dame Scouby est de mon avis, car après avoir hésité, par crainte des foudres ardoisiennes, elle m’a finalement permis de m’installer sur un fauteuil, dans le salon. J’ai fait ça en catimini, personne ne m’a vu : M’sieur Dan s’était endormi dans le divan en regardant la télé et la Mam’zelle Ardoise ronflait dans le second fauteuil, bien enfouie sous sa couette. J’ai passé une charmante soirée et mon moral est remonté en flèche.
Quand la couette s’est soulevée et qu’un regard furibond s’est posé sur ma chétive personne, je se suis coulé par terre et j’ai regagné le fenil. La douce Ardoise a dû croire qu’elle avait rêvé…
Pourquoi ne pas remettre ça ?
Comme M’dame Scouby montait l’escalier pour aller se coucher, je me suis posté devant elle, l’air engageant.
— Miêêêê ! C’est de nouveau moi. Je me sens un peu seul… J’peux pas venir avec vous ? Juste cinq minutes ? Allez, dites oui !
Elle ne peut rien me refuser, M’sieur Dan non plus. Je joue sur du velours avec ces deux-là. Et puis, il n’y a pas de risque de conflit : la tendre Ardoise dort dans la cuisine, devant le feu.
C’est ainsi que, quelques instants plus tard, me voilà confortablement couché au pied du lit. Triomphant, j’entreprends une minutieuse toilette.
— Négatif, tu peux rester pour la nuit, mais pas de bêtises, hein ?
Quelles bêtises peut-on faire dans une chambre ? Je serai sage comme une image…

Le temps passe, il est deux heures du matin.
J’émerge de mon somme. Tout le monde dort. Si j’en profitais pour explorer cette pièce et le bureau y attenant ?
Tout doucement, je me lève. D’un bond léger, je saute sur les meubles, j’examine tout de près. Je passe sur le bureau, me promène sur les papiers, sur les étagères chargées de livres…
Tiens ! Une tenture est suspendue dans un coin de la pièce, dissimulant un renfoncement où M’dame Scouby range des valises, des sacs et des couvertures. Si j’y allais voir ? Tout frétillant, je m’élance, enfonce les griffes dans le tissu…
PATATRAS !
La barre qui soutenait la tenture s’effondre sur ma tête, suivie par une couverture et un sac de plastique. Terrorisé, je m’enfuis sous le bureau. Pourquoi ça n’arrive qu’à moi, ces choses-là ?
Réveillé par le boucan, M’sieur Dan surgit, les cheveux en bataille.
— Mister Cata a encore frappé ! s’exclame-t-il en admirant mon ouvrage.
Il m’a mis à la porte de la chambre… en me conseillant de mettre au repos, pour le reste de la nuit, le génie inventif qui me caractérise.
M’dame Scouby, elle, n’avait rien entendu. Ce n’est qu’au matin qu’elle a été mise au courant de mes nouveaux exploits. Elle a remis la couverture et le sac en place, a refixé la barre et fermé la tenture, sans commentaire.
Moi je dormais, sage comme une image, dans mon petit fauteuil de la salle de bains. L’image de la parfaite innocence.
Les apparences sont parfois trompeuses.

Je me demande quand même pourquoi on commence à me regarder avec une certaine méfiance… Je suis si gentil !
— Gentil, oui… Mais quand tu te balades dans la maison, je me demande toujours quelle nouvelle idée va te passer par la tête, dit M’dame Scouby.
C’est vrai que j’ai tout le temps des idées sensationnelles. Je suis si intelligent qu’un jour, je réussirai de grandes choses, j’en suis sûr ! Et on sera fier de moi ! Et on ne m’appellera plus Mister Cata !

En attendant ce jour de gloire, je vais réfléchir très fort à ce que je pourrais encore trouver d’inédit pour distraire ces braves gens qui m’ont accueilli chez eux…
Ça, c’est un métier qui me conviendrait bien, je trouve : inventeur ! On mettrait une plaque sur la porte, je serais là, tout sérieux dans mon beau costume blanc et noir, et je ferais des prodiges ! Et la belle Ardoise ne me regarderait plus de haut, avec son petit air moqueur. Elle se consumerait de jalousie…
On peut toujours rêver, n’est-ce pas ?


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Chapitre 53 : J'AI DIX ANS !

Que battent les tambours et sonnent les trompettes : j’ai dix ans en ce mois de mai ensoleillé !
Contrairement à ce que l’on pourrait imaginer, toutefois, la fanfare et les majorettes ne se sont pas déplacées pour l’occasion. Le Bourgmestre n’est pas venu me féliciter. Mon anniversaire s’est déroulé dans le calme… Il n’empêche que je porte fièrement un âge qui me place à présent bien au-dessus des matous d’alentour : un âge à deux chiffres ! Qui dit mieux ?
Toute souriante, Scouby est venue déposer devant moi, en grande cérémonie, une assiette odorante.
— Pour tes dix ans, Ardoise ! Un petit menu spécial !
Image vivante de la méfiance, je plonge le museau dans la gamelle.
— C’est quoi, ça ? Ça n’a pas l’air terrible !
Je mâchouille consciencieusement, fais la grimace.
— Bêke ! J’aime pas !
Mes parents se dévisagent, visiblement déconfits.
— Enfin, Ardoise, c’est de la lotte ! C’est délicieux, la lotte, c’est un poisson de haut standing !
Je lève les yeux au ciel avec commisération.
— Je préfère mon colin d’Alaska ! décrété-je. Tiens, reprends-la, ta délicieuse lotte !
Ostensiblement, je fais claquer à trois reprises mon set de table sur le sol et me détourne. Je vais m’installer confortablement sur mon fauteuil favori (celui de Daniel, comme chacun sait) et condescends à mettre du baume au cœur de ma famille d’adoption.
— Bien, je vous pardonne parce que je sais que vous avez voulu me faire plaisir, dis-je avec magnanimité à mes serviteurs éplorés, mais c’était vraiment pas la peine de faire des efforts d’imagination, vous savez ! Pour moi, y a que le colin d’Alaska de bon ! Simple mais bon ! Vous pouvez disposer, mes braves.
— J’ai comme l’impression que les dix ans d’Ardoise lui montent à la tête, marmonne ma bipède, assez haut pour que je l’entende.
Je ne relève pas. À mon avis, elle est un peu jalouse : elle n’a plus dix ans, elle !

Le soir même, je savoure les senteurs du jardin en remuant délicatement mon joli nez rose, confortablement étalée sur le paillasson, devant la porte ouverte. Une silhouette noire et furtive se dessine devant mes yeux : le Beau-Lulu approche avec mille précautions, tentant de se faire une idée de mon humeur du moment, avant de m’aborder. L’expérience lui a démontré en effet que, si je suis mal lunée, il est imprudent d’attirer mon attention.
Mais aujourd’hui, je me sens charitable. Le grand âge, peut-être…
Soulagé, l’animal se détend.
— Chère Ardoise ! miaule-t-il. Devinez ce que M’dame Scouby m’a donné, aujourd’hui : du poisson succulent ! De la lotte ! C’est la première fois de ma vie que j’en mange et il paraît que c’est à vous que je le dois ! J’vous remercie bien !
— Il n’y a pas de quoi, je vous assure, dis-je gracieusement.
— Si j’avais su que c’était votre anniversaire, j’vous aurais offert un cadeau, continue la bestiole en faisant des ronds de patte. Une petite souris grise bien tendre, par exemple !
— Non, merci ! dis-je, frémissant d’horreur.
Et je poursuis, le ton sévère : « À propos de souris, si vous tombez sur une petite musaraigne qui zozote, ne la tuez pas, hein ? C’est une copine à moi, elle a déjà partagé mon repas. »
— Mais elles zozotent toutes, chère Ardoise ! Comment que je la reconnaîtrais ? argumente le Beau-Lulu en ouvrant de grands yeux.
— Alors, à partir d’aujourd’hui, défense de vous attaquer encore à une souris grise ! J’ai dit !
Accablé, il soupire. Lui qui disposait, dans la prairie voisine, d’un terrain de chasse si giboyeux ! Il doit regretter d’être venu manger de la lotte pour mon anniversaire…
Ayant ainsi, sans pitié, prononcé ma sentence, je tourne ma tête auguste vers la minuscule forme féline qui, comme d’habitude, accompagne mon soupirant.
— Miaou ! me salue le chaton.
Tiens ! Aurais-je besoin d’une paire de lunettes ? Il me semble que… Je dévisage l’animal de plus près, avance mon museau pour le flairer, histoire de me rendre à l’évidence. Impressionné, il s’écarte timidement.
Une giclée d’adrénaline se décharge dans mes veines. Qu’a-t-il encore fait, ce Beau-Lulu ?
— Hé ! m’écrié-je avec agitation, vous vous êtes trompé de chaton ! Allez vite le remettre où vous l’avez pris ! C’est pas le même que la dernière fois, c’est pas celui qui me ressemble !
— Je sais, chère Ardoise, calmez-vous, ronronne le mentor, apaisant. Celui-ci, c’est pas mon disciple, c’est un petit voisin qui m’a été confié pour la journée. Il est mignon aussi, hein ?
Et slurp ! Il passe sur la tête du bébé une langue râpeuse et protectrice.
Il est complètement gâteux avec ses chatons, ma parole !
— Et combien est-ce que vous en avez, comme ça ? m’enquiers-je, hébétée par ce nouveau coup du sort. Bientôt, vous m’amènerez une colonie de vacances ou une classe de maternelle, je vois déjà ça d’ici !
Cette perspective, visiblement, séduit le Beau-Lulu.
— Ce serait bien, chère Ardoise ! Dix ou quinze chatons, et moi au milieu, leur dispensant ma science ! s’exclame-t-il.
En un éclair, j’évoque une multitude de chatons de toutes les couleurs, s’ébattant dans mon jardin, mangeant mon herbe fraîche… Il faut que je détourne subito presto l’attention du Beau-Lulu sur un autre sujet, avant qu’il ne se mette à réfléchir sérieusement à la question.
— C’est pas tout ça, mais vous vous êtes déjà regardé dans la glace ? Z’avez une horrible cicatrice sur le côté de la tête, on dirait trois gros coups de griffe. Qu’est-ce que vous avez encore fait ?
— Je me suis battu, chère Ardoise, avoue-t-il d’un petit air penaud.
— Kssssst ! sifflé-je avec désapprobation, pour ça, z’êtes le digne fils de votre P’pa ! Il était couturé de tous les côtés, celui-là. Ne grattez pas, surtout ! Ce serait encore plus affreux.
— Mais ça chatouille, murmure le belligérant.
Impitoyable, je poursuis mon examen.
— Et puis, vous feriez bien de vous remplumer un peu, z'êtes maigre comme un clou ! Pourtant, avec tout ce que ma mère-à-moi vous donne à bouffer…
Il pousse un profond soupir.
— J’ai tellement à faire ! Courir de tous côtés ! Et puis, les soucis…
— Z’avez des soucis, vous ? Attendez seulement quand vous aurez mon âge !
— Et puis, les chagrins d’amour ! achève-t-il en me coulant un regard noyé.
Je sens comme un petit pincement désagréable au creux de l’estomac. Un vague sentiment de culpabilité, peut-être… Toutefois, il est exclu que je renoue mes fiançailles ! Je suis beaucoup plus tranquille depuis que j’ai la certitude de rester célibataire. Au fond, je n’aurais jamais supporté d’avoir à partager mon panier Félix : il n’y a pas place pour deux, même si le Beau-Lulu a maigri.
C’est déjà bien assez que je doive endurer, chaque matin, la visite de ce même animal qui, dénué de tout scrupule, envahit ma maison d’un petit pas conquérant pour venir vider ma gamelle avant d’entamer la sienne !
Moi, bonne poire, je me laisse toujours surprendre : je suis en train de dormir paisiblement dans mon panier, quand je sens un souffle chaud sur mon museau. J’entrouvre les yeux. Inutile de vérifier, c’est tous les jours la même chose : le Beau-Lulu introduit dans mon panier une tête prudente, histoire de s’assurer si je suis encore dans les bras de Morphée. Tranquillisé à cet égard, il s’attaque joyeusement à mon petit déjeuner. Encore mal réveillée, je déroule le cou hors de ma coquille comme un gros escargot somnolent et tends l’oreille vers des sons étranges : Grunch ! Oumph ! Miam !
Tétanisée d’indignation (pourtant je devrais avoir l’habitude), je demeure immobile, l’esprit en déroute, pendant que mon assiette se vide à un rythme soutenu. Puis, l’envahisseur passe allègrement devant moi pour regagner la terrasse. À ce stade, l’estomac plein, il ne prend même plus la peine de regarder si je suis éveillée ou non…
Je vous assure qu’il y a mieux pour me mettre de bonne humeur, le matin !
Et hier soir, il s’est avisé de récidiver… Mais j’y ai mis bon ordre, je peux vous le certifier ! À l’aube, je suis peut-être un peu vaseuse, mais au coucher du soleil, j’ai tous mes esprits.
J’étais tranquillement assise sur mon appui de fenêtre, admirant le paysage, quand le butor, tout faraud, s’est introduit dans la salle à manger. Visiblement, il projetait de poursuivre son avance conquérante jusqu’à la cuisine où se trouve ma gamelle, comme chacun le sait.
J’ai beau avoir dix ans, je n’ai rien perdu des ressources de mon puissant intellect. Me rendant compte de la gravité de la situation, je me suis instantanément muée en bloc de pierre et j’ai fait mon regard de croco, spécialité toute ardoisienne.
Averti par je ne sais quel sixième sens, ou peut-être par les ondes négatives que j’émettais à son encontre, le Beau-Lulu a tourné la tête… et son regard effaré a croisé le mien.
— Glups ! a-t-il émis, manifestement terrorisé.
Moi, silencieuse, hiératique, je le fixais sans ciller. Grise de la tête à la queue, monolithique, du pur granit. Une statue de déesse-chatte, lourde et menaçante.
Si j’étais née au temps des Égyptiens, ma place était toute désignée : au sein d’un temple. Peut-être que, finalement, ça m’aurait plu, les hommages et les prosternations.
Le Beau-Lulu a craqué, c’était inévitable.
— Je… Je me souviens brusquement que… j’ai un rendez-vous urgent ! a balbutié l’infâme en détalant sans demander son reste.
Restée maîtresse du terrain, je me suis autorisé un petit sourire dans mes moustaches : mon fameux regard paralysant n’a rien perdu de sa mortelle efficacité !

J’aimerais bien, par la force de ce regard, faire disparaître également mon éternel locataire…
Hélas ! Le Négatif s’incruste ! Je le soupçonne même d’avoir certains pouvoirs de sorcellerie, parce que ce n’est pas normal que Daniel soit envoûté comme ça !
Bon, d’accord, il a toujours eu un faible pour cet animal, mais de là à s’inquiéter quand il rentre tard le soir… Faut quand même pas exagérer !
— Mon Négatou est rentré ? Non ? Je me demande où il traîne… Je vais voir s’il n’attend pas devant la porte !
Négatou n’est pas devant la porte. Il joue sur le talus de la voisine, au milieu des fleurs, et ne manifeste aucune intention de regagner le domicile paternel.
— Il faut quand même que Négatif garde l’habitude de passer de temps en temps une nuit dehors, fait remarquer Scouby. Sinon, que va-t-il faire quand nous serons à Bruxelles pour deux ou trois jours ?
Daniel soupire… Il a horreur d’être obligé de retourner à Bruxelles de temps à autre, lui qui ne se sent bien que dans son jardin ! Et puis, son cœur se serre quand il pense à son gentil chat des champs livré aux esprits nocturnes… Son pauvre Négatif sans défense !
Inutile de lui répéter que le chat sans défense a passé toutes les nuits de sa vie à l’extérieur avant de venir habiter chez nous et ce, sans problème apparent. Ce raisonnement glisse sur l’esprit de Daniel comme l’eau sur les plumes d’un canard : en effet, il n’est pas question de raison, mais de sentiments !

Depuis deux ou trois jours, le Négatif en question a quitté son petit lit de la salle de bains, pour émigrer sur une vieille botte de paille demeurée sur les poutres surplombant le fenil.
— Keske vous faites là ? m’informé-je, soupçonneuse, en levant les yeux vers son perchoir.
— Je surveille, répond-il sereinement. D’ici, j’ai vue sur tout mon appartement, Mam’zelle Ardoise !
Pour vérifier, je le rejoins précautionneusement. C’est vrai, la vue est imprenable.
Je devrais penser à augmenter le montant de son loyer…
— Vous surveillez quoi ? Tiens, pour une fois, z’avez pas grogné à mon passage. C’est-y que vous seriez devenu poli ?
Il bâille un bon coup et répond avec candeur :
— C’est pas ça, Mam’zelle Ardoise ! Mais figurez-vous que jusqu’à présent, j’étais certain que vous étiez la chatte la plus enquiquineuse du quartier…
— Merci, dis-je, ne sachant trop si je dois le prendre pour un compliment.
— Eh bien, je me suis trompé ! Il y a pire !
J’ouvre de grands yeux éberlués.
— Pire que moi ? dis-je, n’en pouvant croire mes oreilles.
— Oui, bien pire !
— Pire que Beau-Lulu ?
— Oh, le Supergloups, à côté de ça, c’est un amateur, il ne tient pas la route !
— Mais qui ? qui ?
Le Négatif soupire : « Vous vous souvenez du petit Squatter de l’été passé ? »
— Ce bébé ? Ce tout petit machin ? dis-je avec dédain.
— Regardez-le de plus près, le petit machin, Mam’zelle Ardoise ! Z’aurez pas longtemps à attendre : dès que M’sieur Dan ou M’dame Scouby vont ouvrir la porte du fenil, il sera là !
Justement, Scouby va faire des courses. Elle sort de la maison, sans s’apercevoir qu’une petite flèche grise lui a filé au ras des pieds pour s’introduire dans le fenil à l’allure d’une fusée supersonique.
Et cette fusée se dirige, en droite ligne, vers la gamelle du Négatif, laquelle se retrouve vidée en un clin d’œil. Comme par un coup de baguette magique.
— Et voilà ! commente amèrement le locataire spolié.
— Eh bien, vous avez raison, c’est encore plus fort que le Beau-Lulu ! approuvé-je, fascinée.
La petite flèche grise, rassasiée, s’immobilise l’espace d’une seconde, avant de se mettre à fureter dans tous les coins. Il s’agit bien du petit Squatter, un tantinet grandi, superbe, arborant une fourrure encore plus luxueuse que la mienne et une somptueuse queue en panache fièrement dressée. De plus, l’expression de sa frimousse malicieuse assure que le personnage n’a pas froid aux yeux !
— Attends, goinfre, attends que je t’attrape ! grogne le Négatif, outré.
Le petit animal lève les yeux et feint la confusion en s’apercevant de notre présence. En réalité, tout son corps frétille de gaieté. Il a bien changé, le chaton timide d’il y a quelques mois ! Tout, dans son attitude, prouve qu’il considère à présent notre fenil comme territoire conquis.
— Flanquez-lui une bonne correction ! suggéré-je à l’intention de notre attitré chat des champs, tout raidi de désapprobation.
— Z’avez facile à dire ! grogne celui-ci. Essayez, pour voir, Mam’zelle Ardoise. C’est votre maison, non ?
— Mais c’est vous qui chantez sur tous les tons que vous avez signé un bail incluant le fenil ! rétorqué-je, pas fâchée de lui river son clou.
En fait, le Squatter est un véritable feu follet et aucun de nous n’a envie de se couvrir de ridicule en tentant de le pourchasser. Nous nous contentons de le suivre des yeux alors qu’il batifole à gauche et à droite, pas gêné pour un sou. De temps en temps, pour la forme, nous émettons un grognement menaçant qui ne lui fait ni chaud ni froid.
— Ça ne va pas être facile de s’en débarrasser ! auguré-je sombrement.
— Si encore c’était un empoté de chat comme le Supergloups, on pourrait l’intimider… Mais c’est une chatte ! soupire le Négatif, conscient de la supériorité physique et intellectuelle du beau sexe.
— Vous m’en direz tant !
Me retrouverais-je devant un clone de la Petite-Goulaffe, un de plus ? Je ferais mieux de m’en laver les pattes et de refiler le problème à mon locataire… À mon âge, je devrais m’éviter les soucis.
Voilà Daniel qui entre dans le fenil. Il lève les yeux et, bien sûr, je me fais sonner les cloches.
— Ardoise ! Descends tout de suite ! Arrête d’embêter le pauvre Négatif !
— Hi hi ! émet ce dernier, sardonique.
Ulcérée, je regagne le plancher des vaches en ruminant des pensées de vengeance. J’entends la voix qui poursuit : « Tiens, Squatter ! Qu’est-ce que tu fais à l’intérieur ? Tu as faim, pauvre minou ? Attends, je vais te donner du bon miam-miam. »
Cette manie de donner du miam-miam à n’importe qui !

— Maintenant que j’ai dix ans, plus question que je sorte avec un collier et une corde, comme une chèvre liée à son piquet ! dis-je fermement à Scouby.
— Mais enfin, Ardoise…
— Plus de corde ! ai-je grondé.
Et je me suis réfugiée sous une chaise de la salle à manger pour qu’elle ne puisse pas me passer le collier au cou.
Pas découragée, elle change de tactique, ouvre la porte du jardin : « Minou ! Viens manger ton herbe ! »
Je ne suis pas née de la dernière pluie : je sais bien qu’elle m’attend à la porte, prête à me passer le garrot d’infamie sitôt que j’essaierai de sortir.
Pas de ça, Lisette ! J’ai plus d’un tour dans mon sac.
Je calcule soigneusement mon élan, je fonce… J’ai réussi ! Je suis sur la terrasse avant qu’elle ait pu esquisser un geste. Elle me suit.
— Allez, Ardoise, sois raisonnable !
Je me cale obstinément sous une chaise de jardin et défie du regard mon bourreau. Je ne me laisserai plus mettre cette corde et j’irai où il me plaira, na !
De guerre lasse, elle se penche, me saisit sous son bras et va en déférer à l’autorité paternelle.
— Pas de corde, pas de sortie, tu es trop fugueuse ! C’est à prendre ou à laisser !
— Alors, je laisse ! rétorqué-je.
Reposée à terre, je m’installe noblement dans mon fauteuil, sans avoir touché à l’herbe dont j’ai pourtant grande envie. Comme il se doit, j’arbore une tête de martyre : sainte Ardoise.
Mon ultimatum a mis mes parents en ébullition. Je sais très bien que c’est parce qu’ils tiennent à moi qu’ils s’obstinent à m’attacher comme un veau, mais j’ai quand même mon petit mot à dire sur la conduite de ma propre vie, non ?


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Chapitre 54. MOI AUSSI ! (par Scoubidou)

C’est pas parce que je suis encore à l’appartement qu’il faut m’oublier : moi aussi, j’ai dix ans, n’en déplaise à la Grisouille ! Elle veut toujours tenir le crachoir, mais c’est pas elle la plus importante, quand même !

En tous cas, pour mon anniversaire, j’étais bien tranquille, vu qu’elle n’était pas là pour m’embêter. Mamy Scouby est venue passer deux ou trois jours avec moi et m’a apporté du jambon en dés, du steak haché et de l’herbe à chat, tout ce que j’aime !

— Oh là là, Bidou, c’est quoi, ces petits tas de sable partout ?
Je m’étais amusée à sortir un peu de sable bien blanc de mes bacs pour en faire de petites pyramides, dans la salle de bains et dans ma chambre. On se distrait comme on peut !
— C’est joli, hein ? ai-je dit, très fière de moi.
Mais elle n’a pas trouvé ça tellement joli, je crois, parce qu’elle a pris dans le placard l’horrible machine qui fait du bruit, et cette machine a avalé mes châteaux de sable.
Moi, bien sûr, je m’étais cachée sous le lit pour que la machine ne me voie pas. C’est vicieux, ces bêtes-là.
Le monstre bruyant a aussi avalé mes jolis poils noirs que je perds en petites touffes soyeuses et qui parsèment artistiquement le tapis.
— Si seulement tu voulais bien te laisser brosser, ma Bidou, ta fourrure serait bien plus belle ! a soupiré Mamy Scouby.
— Ma fourrure est déjà très belle comme ça ! ai-je répliqué.
Je ne vais quand même pas la laisser passer un peigne ou une brosse sur moi, hein ? Je fais tous les jours ma toilette, je me lèche, je me coiffe avec mes griffes, je n’ai pas besoin d’autre chose. On n’est jamais mieux servi que par soi-même, je trouve !
Je suis une individualiste.

D’accord, je déteste qu’on me prenne dans les bras ou qu’on me brosse, mais j’adore bavarder !
C’est pas pour rien que j’ai une superbe robe noire avec un petit jabot blanc. Il paraît que c’est un signe de famille : là où je suis née, dans le buisson en face de la maison où habite à
présent Mamy Scouby, tous les chats sont comme ça, mais c’est tout de même moi qui ai le vocabulaire le plus étendu.
— Miow ! Couic ! Pouac ! Ksssst !
Les gens qui n’y connaissent rien prétendent que je ne sais pas miauler. Personnellement, je ne vois pas pourquoi je ferais tout bêtement Miaou ! comme la Grisouille…
D’ailleurs, quand elle me voit, la Grisouille ne fait pas Miaou ! mais Grrrrr !
Moi, j’innove, je décris mes idées et mes sentiments avec de petits bruits divers, je me perds dans de longs discours…
J’aime bien le son de ma voix.

Et j’aime aussi prendre mon bain de soleil, couchée sur le dos, sur le tapis du salon.
Enfin, quand je dis "bain de soleil", ce n’est pas exactement ça, faut que je vous explique. Le séchoir est en panne et quand Mamy Scouby vient passer quelques jours à Bruxelles, elle a toujours beaucoup de linge à laver. Alors elle met en route la machine qui fait : Wwwwwwou wwwwwou
wwwwwou avec le linge qui tourne dedans et que je contemple durant des heures, puis elle allume au maximum le chauffage du salon. Quand la machine a terminé son travail, Mamy Scouby étale le linge sur le radiateur, pour qu’il sèche vite. Moi, je regarde, tout ça m’intéresse beaucoup.

Une douce vapeur s’élève, la chaleur m’enveloppe, comme dans un sauna. Alors je m’étends, les quatre fers en l’air, et je ne bouge plus. C’est ça que j’appelle prendre mon bain de soleil !

Pour aérer la salle à manger, Mamy Scouby ouvre la porte-fenêtre de la terrasse.
— Pas d’imprudences, hein, Bidou ? me recommande-telle.
Je m’approche doucement de la fenêtre en faisant bien attention. En bas, sur le boulevard, il y a de grosses choses qui roulent en faisant : Brrrroum ! Pouêt !
Sur le balcon, une espèce de monstre gris vient se poser à un mètre de moi ! Terrorisée, je ne fais qu’un bond jusque dans ma chambre et me réfugie sous le lit.
« C’est quand même incroyable, cette chatte a même peur d’un pigeon ! »

Finalement, c’est un peu vexant d’être considérée comme une trouillarde, même si…
J’ai fait un acte de courage, mais alors là, j’ai vraiment pris sur moi !
Mamy Scouby était partie faire des courses. Quand j’ai entendu la clé tourner dans la serrure, je me suis précipitée pour l’accueillir et, sur ma lancée, j’ai fait un petit tour d’honneur hors de l’appartement, sur le palier. Elle n’en revenait pas ! Moi non plus.
— Tu vois bien que je ne suis pas si froussarde que ça ! ai-je claironné, le coeur battant. Puis j’ai de nouveau franchi la porte dans l’autre sens, pour me remettre bien en sécurité chez
moi.
Courageuse, oui, mais pas téméraire ! Ma fugue d’il y a quelques années ne m’a pas laissé de bons souvenirs, croyezmoi.

— Ma pauvre Scoubidou, il va quand même falloir que tu viennes nous rejoindre à la campagne, tu dois t’ennuyer, toute seule !
M’ennuyer ? Pas vraiment, car je dors et réfléchis beaucoup. Et puis, déménager, quel stress, si c’est comme la dernière fois ! Alors, merci bien ! En plus, je me retrouverais avec la Grisouille…
— On te mettra en haut, dans la chambre et le bureau, tu auras un petit appartement confortable !
Quand même, devoir encore m’habituer à un autre endroit, je ne suis pas franchement pour ! Il y a déjà presque un an que je vis ici et je m’y plais.
— Il y a largement de la place pour tout le monde : Ardoise occupe le rez-de-chaussée de la maison et le chat Négatif, la salle de bains et le fenil. Le troisième chat, Beau-Lulu, possède une garçonnière dans le jardin. Tu devrais le voir, Bidou, il te ressemble comme un frère ! D’ailleurs, il doit
être de ta famille, puisque tu es native du village… Ce sera un retour au bercail.
Encore des chats ? Je n’ai pas voulu le dire à Mamy Scouby, mais j’aime pas les chats ! C’est des drôles de bêtes, avec des oreilles pointues, une longue queue et des yeux bizarres, comme la Grisouille ! Mais il parait que la Grisouille est un numéro spécial et il a fallu que je tombe sur celui-là !
Plutôt que des chats, je préférerais habiter avec des poissons rouges !

Mamy Scouby est repartie et une semaine a passé, dans la routine : je recevais une fois par jour la visite d’Olivier, venu me nourrir et changer ma litière. Tranquille, je passais le temps
à somnoler sur le tapis.
Un jour, pourtant, j’entends la clé tourner dans la serrure.
Je ne fais qu’un bond jusqu’à la porte : Mamy Scouby est de retour !
— Pouic ! Te voilà ! dis-je. On va de nouveau s’amuser comme la dernière fois ? J’ai des tas de choses à te raconter, mes rêves et tout ça !
Juste comme je finis de parler, qui est-ce que je vois, derrière elle ? Le kide-nappeur !
Je regagne ma chambre, en catastrophe, puis je passe une tête précautionneuse pour suivre le fil des événements. Et qu’est-ce que je vois encore, posé par terre, au milieu du hall ?
Le panier Félix ! Rempli, évidemment.
Ah ben zut, alors ! Je fulmine.

Ils restent deux jours. Moi, je marche sur des oeufs, en faisant bien attention à ne pas m’approcher du kide-nappeur.
— Scoubidou ! Gentille minette ! Viens chez papa ! dit le faux jeton avec son sourire de traître.
Tout comme dans les romans de Barbara Cartland, quand l’Affreux essaie d’attirer la douce héroïne dans un guette-à-pince !
La Grisouille ne m’a pas adressé la parole de tout son séjour, pas un mot ! Elle s’est cachée et je sentais qu’elle m’observait tout le temps, ce qui est très dérangeant. Comme elle est petite, elle se met dans n’importe quel recoin et c’est la galère pour savoir où elle est. C’est comme ça que je suis allée inspecter prudemment le tapis, sous la table, avec des ruses de Sioux, en croyant qu’elle y était… Eh ben, elle y était pas ! Et quand je la cherchais ailleurs et que je revenais… Eh ben, elle
y était ! Je recevais en pleine poire le rayon paralysant des yeux flamboyants. Elle est vraiment spéciale, ça oui !
Et elle fait des manières ! Quand elle doit aller au petit coin, elle se fait accompagner, comme si j’étais King-Kong en personne. Elle ne supporte pas que je la regarde quand elle marche, quand elle mange, quand elle dort… Chaque fois qu’elle veut se dégourdir les pattes, elle exige qu’on ferme la
porte de la pièce où je suis.
Je commence à la trouver mauvaise : pourquoi elle peut tout se permettre et moi, rien ?

Qu’est-ce que j’ai été contente quand j’ai vu qu’on refermait le panier Félix et qu’on le posait dans l’ascenseur, avec d’autres bagages ! J’étais d’autant plus contente que le kide-nappeur est parti tout seul, avec la Grisouille : Mamy Scouby est encore restée avec moi, quelques jours.
Je me suis défoulée ! J’ai jacassé tout le temps, sauf quand je boudais.
Ben oui, il m’arrive de bouder, quand mon lait est d’une autre marque que celle que j’aime, avec la double ration de vitamine A.
Je n’ai pas encore bien saisi la technique, mais ça viendra. Voilà comment je procède : je me mets au milieu de la cuisine, très droite, très digne, et je m’assieds sur mon derrière en tournant ostensiblement le dos à Mamy Scouby.
L’ennui, c’est que, comme je ne sais pas si elle l’a remarqué, ce qui est le but sinon ça ne servirait à rien de me fatiguer à bouder, je me retourne parfois pour jeter un petit coup d’oeil, et je la vois rire en me regardant. Je devrais avoir les yeux derrière la tête, ce serait beaucoup plus facile pour
bouder efficacement. Comment ils font, les autres chats ?
— Que tu es naïve, ma pauvre Scoubidou ! fait-elle.
Et alors ? Dans les romans déjà cités plus haut, l’héroïne est toujours naïve, sinon elle ne serait pas l’héroïne ! Et puis, je ne connais rien du monde extérieur, on ne m’a jamais appris. Si j’avais été au courant de tout, je n’aurais pas raté ma fameuse fugue, je me serais débrouillée comme un chef, au
lieu de me retrouver coincée dans une fenêtre en sous-sol et repêchée dans un filet à crevettes ! Et remarquez : à cette époque, c’était déjà le kide-nappeur qui tenait le filet. Il a toujours joué un seul rôle dans ma vie, celui-là, et pas un beau rôle !
Et il ose roucouler en disant : « Minette, viens dire bonjour à papa ! »
C’est de la confiture pour m’endormir, je ne suis pas dupe !

Mamy Scouby est repartie en me confiant le logis. Je prends mon rôle de gardienne très au sérieux : comme je suis toute noire, grande et forte, avec des yeux fulgurants, je ferais très peur à un voleur éventuel… Déjà que moi-même, quand je me vois par hasard dans un miroir et que j’ai oublié que c’est moi, j’ai déjà le coeur qui saute et je crie : « Au secours ! Un chat ! »
Alors, vous imaginez, un voleur ! Il serait paralysé de terreur ! Moi aussi, sûrement…
Mais je doute qu’un malfaiteur entre ici, il y a beaucoup de serrures, je suis en sécurité.


Scoubidou

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Chapitre 55. MISERES ET JEUX DE CHATS

Comme je suis, à n’en pas douter, un chef de meute avisé et responsable, je fais ma petite tournée d’inspection. Tout me semble en ordre.
Voici mon ex-fiancé, toujours flanqué de son disciple. Il le débarbouille à tendres coups de langue. Le chaton se laisse faire, béat.
— Z’êtes vraiment une baby-sitter modèle, y a pas à dire ! commenté-je d’un petit air moqueur.
— Faut qu’il soit bien propre, parce que ce soir il retourne dormir chez sa M’man ! explique la nounou improvisée, résolument imperméable à toute forme de sarcasme.
En ma qualité de propriétaire des lieux et de gardienne des âmes, je scrute d’un œil vigilant la physionomie du noiraud (rien à voir avec la noiraude qui m’empoisonne la vie).
— Ah, votre horrible cicatrice se referme ! dis-je avec approbation. Z’êtes tout de même mieux comme ça ! Continuez et ne vous grattez pas, hein ?

Naturellement, il suffit que je lui donne de bons conseils pour que, le lendemain matin...
— Beurk ! C’est quoi, ça ?
— C’est moi, chère Ardoise ! Votre Beau-Lulu !
Incrédule de prime abord, j’examine le désastre. Indescriptible ! Des traces informes, comme de la colle séchée, sur tout le corps ! Un œil poché ! Des tiques partout, jusque dans la figure !
— Mais c’est pas possible une catastrophe pareille ! Qu’est-ce qui vous est arrivé ?
— Je m’suis battu !
— Et ces tiques ? Elles viennent d’où ?
— Je m’suis terré sous la haie !
— Et ces traces bizarres ?
— Je m’suis couché sur un nid de limaces !
En plus, il a gratté sa cicatrice, ce ballot !
Qu’auriez-vous fait, à ma place ? Exactement comme moi : vous enfuir. Frankenstein mâtiné de Dracula, ce n’est vraiment pas un spectacle supportable !
Il a fallu deux jours au monstre de Frankenstein pour retrouver, à peu près, visage félin. Les tiques sont tombées. L’œil poché est à moitié ouvert.
— Et mon chaton qui ne vient plus ! soupire le malheureux, tout déconfit.
— Ça vous étonne ? maugréé-je.

Hier, le chaton est revenu, sa maman le lui avait permis. L’aspect de son mentor ne risquait plus de le traumatiser. Encore que…
Voilà que Beau-Lulu a une conjonctivite ! Il pleure des deux yeux et passe son temps à se les nettoyer avec une méticulosité maniaque. Comme il refuse obstinément qu’on l’aide, il faudra bien attendre que la conjonctivite se guérisse toute seule…
— Et après ça, qu’est-ce que vous allez encore attraper ? dis-je, fataliste, ne me faisant plus guère d’illusions.

Pour me changer les idées, j’observe le petit… ou plutôt, la petite Squatter qui vient de faire irruption, toute bondissante, dans le jardin. Négatif la suit à courte distance, rampant dans les herbes comme un fauve à l’affût.
Squatter s’affale au pied du prunier, histoire d’entreprendre une longue et minutieuse toilette qu’elle n’a pas le temps de mener à son terme. En effet, s’étant approché insensiblement, le Négatif bondit soudain et pose sur la minuscule indésirable une patte péremptoire.
— C’est chez moi, ici, c’est moi le boss ! Dégage, vermine ! Et plus vite que ça !
Il n’y a pas de quoi s’inquiéter pour l’intégrité physique de la jeune chatte grise. J’ai déjà constaté, depuis belle lurette, que le fait de bondir très haut pour ensuite toucher un autre chat de la patte est une parodie de domination. Personne ne se fait mal, c’est du cinéma. La "victime" se contente de rester immobile, en arborant un air résigné pour montrer qu’elle a compris. Ce que s’empresse de faire Squatter, très au courant des usages félins.
Remarquez que le Négatif aurait pu avoir la décence de préciser qu’il n’est le boss que par intérim, lorsque moi, la tendre Ardoise, je condescends à lui laisser ce rôle. Il ne l’a pas dit. Il faudra que j’attire son attention sur ce point, un de ces jours. Pour le moment, je me contente d’observer paresseusement son manège.
Laissant la jeune Squatter couchée dans l’herbe, le Négatif se dirige vers notre terrasse avec une lenteur solennelle, en roulant des mécaniques. Il est tout fier d’avoir pris du poids et de la consistance au cours de l’hiver, ce qui lui permet de bluffer ses congénères en jouant au Rambo. En son for intérieur, je parierais bien qu’il est demeuré rougissant et timide, mais il le cache de mieux en mieux… Je dirais même qu’il en fait trop.

N’y tenant plus, Squatter se lève et entreprend de suivre l’imposante silhouette qui s’éloigne majestueusement. Ses petits pas sautillants vont la mener à hauteur de son agresseur lorsque celui-ci, tournant la tête, émet un grognement de mauvais augure : « À dix pas de moi, vermisseau ! »
La petite Squatter observe la consigne… durant deux secondes. Puis, d’un élan, elle se précipite pour se retrouver, triomphante, la première à la porte de la maison.
— C’est moi qui ai gagné, tralala !

Dégoûté par ce manque d’éducation, le Négatif tourne noblement le dos au trublion et s’éloigne. Moi, bien tranquille, je jubile : une chance que je ne me sois pas chargée de mettre moi-même au pas la minuscule rebelle ! Négatou va encore en voir de toutes les couleurs, ce sera un régal d’assister à cela !


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Chapitre 56. PURÉE DE MARRONS !


Figurez-vous que pour une raison inconnue, j’ai été à nouveau forcée de passer quelques jours à Bruxelles, en compagnie de qui vous savez !
Évidemment, nous avons passé le temps à nous chat-mailler en nous traitant mutuellement de « Moche, affreuse, pas belle », avec des « Gniac ! Frrrrt ! » par-ci et des « Mioooooow ! » par-là. Par-dessus tout ça, les voix rageuses de nos humains :
— Arrêtez de hurler, les deux idiotes !
— Tu vois ? À cause de toi, je me fais traiter d’idiote !
— Ben, c’est toi qui l’es, ça se voit à dix kilomètres ! rétorque la chipie.
Faut la voir parader, queue en cierge et regard assuré ! Mais pour qui est-ce qu’elle se prend ? Pour un chef de meute ou quoi ?

Et en plus, Olivier et Nathalie ont transporté chez eux ma table de salle à manger et mes chaises, ce qui fait qu’il ne m’est plus possible de guetter la Bidou avec toute l’efficacité requise, sous l’abri de la nappe. Je me contente donc de rester dans mon panier, intérieurement fulminante mais feignant de me désintéresser royalement de la situation.

Puis, comme de coutume, je me suis retrouvée fourrée sans ménagements dans mon panier Félix pour le retour à la campagne. J’en ai marre de ces navettes, il faudrait quand même qu’ils se décident une fois pour toutes, à la fin !
Tiens, bizarre : ils placent mon panier sur le siège avant, à côté du conducteur. C’est une première, serais-je montée en grade ?
Sur le siège arrière, Michèle… et une grande boîte en carton, silencieuse mais semblant animée, par instants, de légers soubresauts. C’est quoi, ça ? Je suis perplexe.
Une fois de plus, nous avons pris le chemin de notre village. Je chantais de tout mon cœur la complainte du voyageur malheureux : « Wâââââââââh ! Miâââââââ ! Ouiiiiiiin ! »
— Ardoise, tais-toi ! C’est à toi qu’on aurait dû donner un calmant !
Késaco, cette histoire de calmant ? Cette boîte, à l’arrière, me rend nerveuse : je sens qu’il se passe quelque chose d’étrange !
Arrivés à la maison, Daniel et Michèle me laissent là, plantée au milieu de la cuisine, pour se précipiter à l’étage avec la fameuse boîte. Je reste seule, à me poser des questions.
En haut, j’entends comme des roucoulades, des mots apaisants. Mais à qui parlent-ils ainsi, nom d’un chat ?

Mon intuition me souffle que quelqu’un habite au premier étage. Quelqu’un d’autre que le Négatif. Ce dernier, soumis à la question, ne peut me renseigner.
— Un autre chat, Mam’zelle Ardoise ? Vous croyez ?
Comme Michèle a posé un petit rideau de dentelle devant la porte vitrée qui donne sur le bureau et la chambre de mes parents, il n’est plus possible au Négatif de plonger le regard dans ces deux pièces, malgré sa bonne volonté. Pour une fois que l’animal m’aurait été utile !
Moi-même, mine de rien, je multiplie les escapades dans l’escalier. Cet escalier où l’on me défend généralement d’aller, je ne l’ai jamais autant fréquenté ! Je me pose sur une caisse du grenier, ni vue ni connue, et je garde l’œil fixé sur la fameuse porte qui ne me livre pas son secret.
Quand je tends l’oreille, il me semble parfois, mais bien sûr c’est impossible, percevoir comme une voix qui fait : « Pouic ! Wip ! Miow ! »
Comme la Bidou.
Je dois avoir des hallucinations auditives… Ou alors j’entends des envoyés du ciel, pareille à Jeanne d’Arc.
Va falloir que je consulte un psy-chat.

L’idée, toutefois, fait lentement son chemin dans ma ronde tête grise.
La Bidou, ici ? Pourquoi serait-ce impossible ? Je pense à la boîte mystérieuse, dans la voiture…
Pour en avoir le cœur net, je m’attaque à mon père d’adoption, dont je connais le cœur tendre à l’égard de son Ardoise favorite. À chaque fois que je le vois prendre un repos bien mérité dans son fauteuil, je m’impose. Je saute à grand-peine sur ses genoux, je m’éternise, je m’incruste…
— Ardoise, il fait chaud et tu es lourde ! Aïe ! Tes griffes !
Je fais une tête de martyre. Mon raisonnement est simple : s’il n’avait rien à se reprocher à mon égard, il me reposerait gentiment mais fermement par terre, vous ne trouvez pas ? Il agirait de manière normale, ordinaire, au lieu de supporter mon poids et ma luxueuse fourrure en pleine canicule. S’il ne le fait pas, c’est qu’il se sent coupable ! C’est donc que je ne suis plus le seul chat ici, et qu’on veut me le cacher. Et si on veut me le cacher, c’est que l’autre chat, c’en est un que je ne peux voir en peinture, non ? Il ne s’agit pas du Négatif, ni de la petite Squatter, ni du Beau-Lulu… Résultat des courses et de mes fiévreuses cogitations, il ne reste plus que l’abominable Scoubidou ! Enfer et damnation ! Purée de marrons !

Pendant toute une soirée, j’ai boudé, ostensiblement. Mes parents ont bien compris pourquoi. Ils ont échangé un regard embarrassé.
— C’est quand même fou ce qu’elle est intelligente ! a chuchoté Michèle.
Au moins, mes qualités intellectuelles sont reconnues, ce qui me met un peu de baume au cœur. Je lui jette un petit regard en coin, mi-figue mi-raisin. C’est ennuyeux de bouder si longtemps… Je vais passer l’éponge, mais garder l’œil ouvert.
— Pouic ! fait une voix, à l’étage.
L’œil ouvert et l’oreille bien tendue ! Non mais des fois !

Évidemment, mes soupçons se sont confirmés. L’autre matin, histoire d’en avoir le cœur net, j’ai gravi à toute vitesse l’escalier sur les talons de Michèle, afin de pouvoir jeter un coup d’œil dans le bureau quand elle en ouvrirait la porte.
Et alors, qu’ai-je vu ? La Bidou installée comme une reine, en train de prendre son petit déjeuner : des dés de jambon et du lait à double teneur en vitamine A, beurk !
Je n’étais pas de bonne humeur, vous pouvez m’en croire ! J’ai passé ma hargne sur le pauvre Négatif qui, lui, prenait son repas dans le fenil. Je me suis ruée sur lui en poussant un cri de guerre. Surpris (mais apparemment pas effrayé), il s’est écarté pour me regarder avec curiosité.
— Ça ne va pas, Mam’zelle Ardoise ?
— Je hais les chats ! piaillé-je.
Si encore les félins qui envahissent sans complexe mon territoire pouvaient accepter de se ranger sous ma bannière, j’aurais la meute la plus splendide de tout le quartier ! Mais ils sont égoïstes ! Individualistes ! Ils refusent tous de marcher au pas.
Comment vais-je m’en sortir, dans ces conditions ?

Dernière vexation : lors de ses courses, Michèle achète des boîtes pour la tribu féline et choisit une nouvelle sorte de pâtée.
— Tiens, cela devrait être bon pour Ardoise !
Elle ouvre la boîte et me sert la mixture avec un sourire engageant.
Moi, vous le savez, je ne mange pas n’importe quoi ! Soupçonneuse, je vérifie l’étiquette… et bondis en l’air, de saisissement. Tac-tac-tac-tac ! Je fais claquer énergiquement mon set de table.
— Qu’est-ce que tu m’as servi, là ? Mais ça ne va pas la tête ? Pour qui me prends-tu ?
— C’est du bon Whiskas, Ardoise ! Comme tu l’aimes !
C’est peut-être du bon Whiskas, je ne dis pas le contraire… mais c’est une boîte pour chat senior !
— Hé, je ne suis pas un chat senior, moi ! Un chat senior, ça n’a plus de dents et j’ai encore une partie des miennes ! Un chat senior, ça a des rhumatismes et de l’arthrose, et moi pas ! Je suis toujours la jeune Ardoise, tout juste un peu plus enveloppée qu’à deux ans et demi, quand je suis venue habiter chez vous !
— Pourtant, rétorque ma mère d’adoption un peu penaude, il y a indiqué "Pour chats à partir de huit ans" et tu en as dix !

Je n’ai pas prétendu manger la fameuse boîte. Beau-Lulu s’en est chargé. Il faut dire que maintenant, avec sa mine lamentable, il a tout à fait l’aspect d’un chat senior, le malheureux.

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