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Scouby

Mémoires de la chatte Ardoise

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Copyright déposé

Chapitre 1 : MOI, ARDOISE...



Au seuil de ces pages, souffrez que je me présente : Ardoise, quinze ans depuis le mois de mai, chatte grise demeurant chez Scouby.

Il y a déjà quelques années, j’ai entrepris la rédaction de mes mémoires, que je vais vous livrer ici…
Je tiens à vous signaler que TOUT ce que je dis est véridique, ma secrétaire à deux pattes écrivant sous ma dictée… Il se peut qu’à certains moments elle ait interprété certaines de mes mimiques ou mes faits et gestes selon sa psychologie humaine, elle a « traduit » si vous voulez… mais elle n’a rien inventé ! Parole de chat !

Je crois qu'il vaut mieux commencer par le début, vous ne trouvez pas ? Quand j'étais tout chaton, ma vie a débuté sous une bien mauvaise étoile : j'ai été battue, affamée, martyrisée... Vous ne pouvez pas vous imaginer tout ce que j'ai subi. Puis le Dieu des chats (s’il existe, ce dont je ne doute pas) s'est dit un jour : "Maintenant ça suffit ! Faisons tourner la roue de la chance pour cette petite chatte grise !" Et la roue a tourné... Pas trop tôt à mon avis !

J'ai été recueillie par une association d'animaux en détresse : Veeweyde, à Bruxelles. On m'a enfermée dans une grande cage avec de nombreuses autres chattes, on m'a soignée et on m'a donné à manger... Une gamelle géante, pleine à ras bord, dites donc ! Je me suis jetée dessus, vous pensez bien ! Après, j'ai appris que tout le monde avait le droit de manger dans cette gamelle, elle ne m’était pas exclusivement destinée... Mais j’étais toujours la première à y plonger, vu que je suis un chat dominant, ah ah ! Même si j'ai l'air tout modeste, ne vous y trompez pas, je suis dotée d’un petit caractère bien trempé!

Le temps a passé... J'étais contente dans ma grande cage, je dormais sur des vieux journaux. Il y avait même une petite porte qui donnait sur un jardin grillagé. J'ai appris à faire mes petits besoins dans un bac de sable, il paraît que c'est important pour la sociabilité ! Et pour la réinsertion dans la société !

Des gens passaient nous voir, nous dévisageaient sous le nez comme une marchandise à l’étal… Parfois une des chattes de la cage disparaissait : elle avait été adoptée. Mais moi, on ne me remarquait pas. J'étais tellement grise, anonyme, passe-partout... Personne ne me voyait ! Personne ne pouvait deviner la merveille que j'étais, en réalité...

Et j'ai attrapé le coryza : et que je redifle, et que j'éterdue...

Et naturellement, c'est quand j'étais là, avec mon petit nez rouge et mon air pitoyable, que quelqu'un a fait attention à moi ! Un bonhomme, vous savez, de la race de ceux qui se tiennent debout sur deux pattes. Non, non, pas un singe ! L’autre espèce, vous voyez ce que je veux dire ?
Il avait l'air tout triste parce que sa chatte siamoise était morte depuis peu, il venait voir ici, au hasard... Un hasard qui fait bien les choses ! En réalité, encore un petit coup de pouce du Dieu des chats !

Moi, j’ai aussitôt pris la situation en pattes ! Quand la jeune femme préposée à notre service a ouvert la cage pour permettre au bonhomme de nous voir de plus près, j'ai grimpé le long du blouson de cet inconnu et j'ai fourré ma petite tête ronde dans son cou! Atchoum !
La partie était presque gagnée... si ce baudit coryza voulait bien be lâcher !

Heureusement, je n'étais atteinte que de façon bénigne... et deux jours plus tard, le bonhomme est revenu, avec une bonne femme et un petit jeune homme. Ma future famille...

Mon regard a croisé celui du petit jeune homme… et des étoiles ont explosé dans ma tête. Je l’ai senti, je l’ai compris là, en cette minute cruciale : j’allais vivre une grrrrande histoire d'amour ! De son côté, il m’a adorée immédiatement, j’étais, à n’en pas douter, la chatte de sa vie !
Un vrai roman de Barbara Cartland ! Avec moi pour héroïne !

C'est comme ça que j'ai été adoptée ! On m'a enlevée de la cage et, après la visite obligatoire chez la vétérinaire de service pour me faire délivrer mon ticket de sortie, j'ai pris place dans une voiture (eux assis sur les sièges, moi tapie dans une jolie boîte en forme de maisonnette) et en avant pour ma nouvelle vie !!!

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Chapitre 2 : MA NOUVELLE VIE.

Nous sommes arrivés à l’appartement où j’allais habiter désormais. J'étais toute heureuse parce que j'avais compris que j'allais vivre chez le petit jeune homme si sympa... Adieu la cage et les copines ! Sans regrets !

Ma prison de carton s'est ouverte. J'ai fait quelques pas au-dehors, en clignant des yeux.
- Voilà, petit chat ! Tu es dans ta nouvelle maison ! a claironné ma nouvelle mère d’adoption !

On m'a fait visiter les lieux en grande cérémonie : la cuisine, avec une assiette et un petit set de table par terre, pour moi. La salle de bains, avec un bac de sable tout préparé... Il y a même un couvercle pour protéger mon intimité, j’approuve, c'est bien ! Le salon, nouvellement meublé... Personne ne le savait encore à ce moment-là, mais je n'allais en faire qu'une bouchée, de ces fauteuils et de ce canapé tapissés d’un tissu rembourré qui céderait si délicieusement sous mes dents et mes griffes... Mais ce jour-là, je me tenais comme une petite jeune fille bien élevée.

Ils se sont assis pour me câliner et moi, pour ne pas faire de jaloux, je sautais d'une paire de genoux à l'autre : hop ! hop ! hop !
- Comme elle est gentille ! s'écriaient-ils en choeur. "Ardoise ! Ardoise !"

Oui, parce que j'avais un prénom, maintenant : on ne m'appelait plus "Foulcan Salcha" comme quand j'étais toute petite ou "Petit chat gris". Maintenant, on me dit "Ardoise" et j'ai même des papiers d'identité, vous imaginez !

C'est peut-être un drôle de nom, Ardoise, mais c'est parce que j'avais, en ce temps-là, exactement la couleur d'une ardoise : un beau gris tirant sur le bleu. Par la suite, comme je me suis épanouie en largeur, des rayures sont apparues sur ma fourrure, mais ça n'enlève rien à mon charme, rassurez-vous !

Donc, en ce premier jour, tout était rose pour moi... Je me suis baladée dans la salle à manger, sur la table... On m'a filmée, on m'a prise en photo... C'était moi la vedette, ce rôle me plaisait !

Par la suite, j'ai fait attention où je mettais les pattes. En effet, j'avais bien compris que je prenais la place d'un autre chat disparu. Et vous n’ignorez pas que c'est toujours très délicat, mettre ses pas dans les pas de quelqu'un d'autre, on peut faire des gaffes... Moi, je trouvais que ma tâche n'était pas si facile : mon "prédécesseur" était une chatte siamoise, Caramel. Et, malheureusement pour moi, Caramel avait toutes les qualités : charme, élégance, classe...

Je ne pouvais pas rivaliser avec ça, vous comprenez ? J'étais mignonne, gentille, mais pataude, un peu maladroite sur les bords, un peu brouillon... mais ils m'ont aimée justement pour mes différences, je m'en suis aperçue à mon grand soulagement !

Ah, j'ai vite pris ma place dans cette famille ! La place qui me convenait, bien sûr : la première... il ne pouvait en être autrement !
Et les années ont passé.

Je peux dire que je ne me suis pas ennuyée une minute dans cet appartement, je vous assure ! Vous me direz : "C'est quand même petit un appartement, pour un chat !" Mais non! Surtout quand le chat en question a une sacrée dose d'imagination !

Il y a d'abord les jeux : c'est très excitant de se faire un pari : "Je fais tout le tour du salon sans mettre une patte par terre, en deux secondes quarante-deux centièmes !" Et zoum ! On y va ! Pari gagné !
Dans ma tête, la foule applaudit : "Allez-Ardoi-se, allez-Ardoi-se, allez Ar-dois-z' allez !"
Dans la réalité, mes nouveaux parents sont un peu verts : ils ont vu passer une flèche grise au ras du plafond, puis sur chacun des meubles : poum-poum-poum ! et se sont attendus à entendre un fracas de verre brisé... mais non ! Je suis plus adroite qu’on ne le croirait !

Quand ce jeu-là est terminé, je me choisis une place préférée, où je vais rester pendant une semaine au moins. Ma famille prend doucement l'habitude de mes lubies successives: "Où est le chat ?" "A sa nouvelle place, sur la télé... ou sur le vidéo... ou au sommet de la garde-robe..."
Mais ma vraie place préférée, c'est bien sûr, le radiateur qui se trouve devant la grande fenêtre du living ! Il y fait chaud et ma mère à deux pattes y a disposé des petits coussins bien confortables, rien que pour moi !
J'ai une position dominante, je soulève le rideau avec ma tête et je regarde au-dehors... Je vois des voitures, des autobus, des personnages tout petits...

Et la nuit, je vais dormir sur le lit de mon Grand Amour, Olivier. Je suis sa Juliette à moustaches, il est mon Roméo !
Plus tard, nous nous marierons et nous aurons beaucoup d'enfants...
C'est ce que je pensais au début... et j'ai vieilli béate, sans me rendre compte que mon Roméo, lui aussi, grandissait et porterait bientôt ses yeux ailleurs...
Scouby (ma « mère ») a essayé de temps en temps de m'ouvrir les yeux :
- Voyons, ma Minette, lui c'est un être humain et toi une chatte !
Exactement, vous voyez, comme Mme Capulet a pu dire à sa rejetone : "Voyons Juju, lui c'est un Montaigu, et toi une Capulet !"
- Mais je l'aaaaaaaime !

Et je SAVAIS que c'était réciproque ! Quand il rentrait de l'école, son premier regard était pour moi. Je quittais mon radiateur, je l'accompagnais dans sa chambre et je l'aidais à faire ses devoirs : je me couchais sur son cahier en le fixant de mes yeux verts, pour qu'il sente bien à quel point je l'encourageais ! Nous regardions la télévision ensemble... La nuit, je me couchais au pied du lit !

De son côté, je dois dire qu'il faisait de son mieux pour me soutenir dans les épreuves difficiles de ma vie de chat : quand nous allions chez le vétérinaire, par exemple...

Oh la la, quelle horreur mais quelle horreur ! Que je vous raconte : d'abord, on me fourre dans un panier, on quitte mon appartement chéri... Vais-je le revoir ? Je pousse des clameurs déchirantes. "OUIIIIIIIN !"
-Voyons Ardoise... murmure Scouby, un peu gênée sous le regard désapprobateur de sa voisine de palier ("Bourreau de chatte, va !").
Nous entrons dans la voiture... Je suis secouée, je déteste ça ! Puis nous arrivons chez le vétérinaire... A la porte, toute gémissante dans mon panier, je croise un roquet qui me regarde d’un air goguenard. Visiblement, il rigole !
On trouve de tout, chez ce véto ! Quelle société mélangée, vraiment ! Je suis outrée !

Puis, après une longue attente (je commence à m'ankyloser), on passe dans le cabinet de consultation.
On ouvre mon panier... Moi je me suis cachée tout au fond, sous le petit coussin, il faut un tire-bouchon pour m'en extraire ! Je suis sur la table d'examen, je flageole sur mes pattes ! Mon Grand Amour de Roméo a l'air aussi malheureux que moi, ça me console un brin. Il me donne de petites tapes encourageantes sur le dos.
Et on m'examine : les gencives (aaaargh !), les yeux (j'aime paaaas !), les oreilles (Non mais des fois !). Et puis après, on me PIQUE !

- Voilà, tu es vaccinée ! me dit Scouby avec un large sourire.
J'ai envie de mordre, mais comme je suis gentille (c’est une tare congénitale), je préfère retourner dans mon panier et m'y effondrer. Enfin, à mon grand soulagement, on reprend le chemin de la maison...

Et cette comédie se reproduit au moins une fois par an, vous imaginez ! Je vous entends soupirer : "Pauvre Ardoise !"
Merci, merci...

Donc, les années passent, paisiblement pour moi, laborieusement en ce qui concerne ma famille humaine, soumise au rythme infernal du métro-boulot-dodo.

Sereine, j'assiste à toute cette agitation sans y prendre part. Perchée sur un dossier de fauteuil, je fais ma toilette avec une savante minutie. Ce poste d'observation est idéal : je n'ai qu'à tourner légèrement la tête pour voir les voitures rouler sur le boulevard, les petits oiseaux sautiller gaiement sur la terrasse ("clac-clac-clac !" font mes dents agitées par un mouvement spasmodique. "Piip, piip, piip ! " font les moineaux bien à l'abri derrière la vitre que je ne peux franchir).

Si je tourne la tête de l'autre côté, j'ai une vue panoramique sur la salle à manger et le hall d'entrée. Quand un quelconque bipède (Daniel pour ne pas le nommer), éreinté par une journée de dur labeur dans un bureau, fait irruption dans l'appartement, je le contemple tranquillement. Satisfaite de ma position élevée, je ne daigne pas relever les commentaires qui volent bas : "Ce chat ! Il ne pense même plus à se lever pour nous accueillir gentiment ! Pacha, va !"
Mais si, je suis un chat, n'en doutez pas...

Pour faire plaisir (quand même), je me lève nonchalamment, m'étire (Aaaaah ! Ca fait du bien !) et saute sur le sol afin de montrer à l'arrivant où se trouve la cuisine... avec le meuble le plus fascinant qui soit : un frigo ! Puis je vais me poster devant mon écuelle vide et la regarde d'un air de douloureux reproche. Message perçu à 100 % !

On déverse quelque chose dans ma gamelle... Qu'est-ce ? Cela me plaît-il au moins ? "Délichattement", je renifle, tâte d'un bout de langue circonspect. "Bouchées tendres en sauce" de Kitekat. J'aime mieux les barquettes en gelée de chez Félix, mais il paraît que je dois manger de tout. Résignée, je lèche la sauce. La sauce seulement. Les "bouchées tendres" attendront, ah ah !

Voilà maintenant Scouby qui rentre avec des sacs à provisions. Moi, toujours pour faire plaisir, je suis sur les genoux de mon père d'adoption, nous regardons la télé ensemble. Mes oreilles se dressent afin de suivre les déambulations de ma "mère" qui va déposer ses achats dans la cuisine. J'entends le froissement des sacs en plastique... et ne puis résister ! J'ai une passion pour les sacs en plastique ! Il faut absolument que j'en essaie un ! Je file dans la cuisine, fonce, tête la première, dans un des sacs...
- Attends, Ardoise, les provisions sont encore dedans !
Elle se dépêche de les ranger. Sitôt que le sac est vide, je me niche à l'intérieur, avec volupté ! Ah ! Le roi des chats n'est pas mon cousin !

- Méééééééou ! Méééééééou !
- Tu as faim ? Mais... il reste des boulettes de viande dans ta gamelle !
- Méééééou ! Elles sont toutes sèches, regarde ! Je ne sais pas qui a mangé la sauce !
- Oh, ma pauvre ! Daniel ne t'a rien donné ?
- Rien, je te jure ! J'ai faiiiiim !
- Tiens, ma pauvre Chachatte ! Malheureuse minette affamée ! Daniel, tu pourrais bien nourrir cette petite bête quand tu rentres du travail, au lieu de sauter sur la télécommande ! Et toi aussi, Olivier ! Si je n'étais pas là, ce pauvre animal ne recevrait jamais rien à manger !

Je lui coule un regard dégoulinant de reconnaissance... et le tour est joué !
Qui me traite de menteuse ?

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Chapitre 3 : WEEK-END A LA CAMPAGNE.

Je préfère la semaine au week-end ! La semaine je me repose, mais le week-end est traumatisant : nous allons à la campagne, dans la vieille baraque que Scouby et Daniel sont en train de retaper pour aller y habiter plus tard.

Ainsi, l'autre jour, je regardais Scouby empiler dans le hall d'entrée des sacs bien garnis. J'aurais dû me douter que cela présageait un départ imminent, mais je ne me suis pas méfiée. On ne peut pas penser à tout.

Je m’endormais paisiblement quand j'ai entendu mon nom susurré avec une douceur suspecte. En même temps, on m'a soulevée de mon fauteuil et fourrée, sans que j'aie le temps de reprendre mes esprits, dans cette affreuse cage d'osier que je honnis !
Indignée, j'ai poussé un long miaulement lugubre, mais rien à faire ! On part quand même, malgré mes protestations !
On pose ma cage sur le siège arrière de la voiture et un instant plus tard, tout se met à vrombir, à vibrer ! Affreux ! Les premières minutes de ce calvaire, je demeure muette, tétanisée.

A peine sur l'autoroute...
- Le chat a l'air assez calme....
- MIAAAAAAA !
- Ca y est, j'ai parlé trop tôt, la sérénade commence !
De Bruxelles à Charleroi (60 kilomètres de route), j'entonne mon grand air :
- Aaaaaaaaah ! Aaaaaaaaaaaaaaaah ! J'veux paaaaaaas ! J'veux sortiiiiiiir ! AAAAAAAAAAAH !
- Ardoise, tais-toi !
Je ne supporte pas qu'on me réponde sur ce ton. Ma voix atteint des accents dignes de la Castafiore : "AAAAAAAAAAAAH ! OOOOOOOOOOOOH ! AU SECOUUUUUURS !"
- Cette chatte va devenir aphone !
Aucun danger : vous n'avez pas fini de m'entendre !

A Charleroi, je me repose un tantinet : la voiture s'est arrêtée parce que Scouby va dire un petit bonjour à sa soeur qui travaille là.
Ladite soeur vient jusqu'à la voiture saluer Daniel et m'admirer.
- Oh, comme elle est minouche... Et si sage !
Sans commentaires !

De Charleroi à Beauraing, encore 50 kilomètres. J'agrémente la route de mes robustes vocalises.
Enfin, nous arrivons !

Je suis donc dans la voiture, à gémir sur un mode aigu très éprouvant pour les oreilles humaines... je le sais, c'est pour ça que je le fais ! Mais enfin, un parfum connu vient chatouiller mes narines : de la terre mouillée, du sapin... Nous sommes arrivés ! La voiture s'engage dans le virage qui conduit à notre village... Mon panier tangue ! Ne riez pas, je me suis un jour retrouvée par terre, entre les sièges, dans ma cage renversée ! Et mes deux bipèdes qui ne s'apercevaient de rien !
Ce sont des cas, ceux-là, je vous jure !

Je vais enfin pouvoir me dégourdir les pattes !
- Pas maintenant, Ardoise, attends que la voiture soit déchargée !
Et hop ! On saisit mon panier, on le place sur un meuble (par terre il fait trop froid), avec l'ouverture contre le mur, pour que je ne puisse pas m'évader ! Il faut dire qu'à l'époque déjà lointaine où ils ne connaissaient pas encore mes multiples talents, ils se contentaient de poser le panier sur un fauteuil. Un jour, en digne émule de David Copperfield (le magicien), je me suis mise à l'ouvrage : millimètre par millimètre, je me suis faufilée entre les barreaux d'osier ! Triomphante, j'ai débouché à l'air libre, laissant derrière moi ma cage bien close. Ce fut ma première et dernière tentative réussie : maintenant, ils prennent leurs précautions ! Je sais bien que c'est pour ne pas me perdre... mais ils pourraient me laisser un peu de liberté, quand même ! Je meurs d'envie de courir à l'aventure dans les champs...

De longues minutes plus tard, une fois la porte de la maison fermée au verrou, on me libère enfin.
Je fonce droit sur ma gamelle du week-end, qui m'attend sur le sol de la cuisine. Elle est très jolie, ma gamelle, toute blanche avec un petit clown peint dessus. Je possède aussi le bol assorti...
- J’ai choisi cette assiette d’après ta personnalité profonde, chère Ardoise ! ronronne Scouby.
C’est bien gentil… mais pourquoi un petit clown ? Je suis perplexe.

Mais que vois-je ? Ma gamelle est VIDE ! Scouby n'a même pas pris le temps de la remplir ! De telles émotions accumulées vont me donner une crise cardiaque, à la fin ! Je m'époumone.
- Vite, à manger pour le chat ! Pauvre minette !
Ah, quand même ! Ce n'est pas trop tôt, il y a comme du relâchement dans le service, on dirait...
Je mastique lentement une ou deux boulettes de viande. Ce n'est pas que j'aie vraiment faim, mais une assiette remplie, ça me donne un sentiment de sécurité. C'est psychologique.

Pendant que je me remets de mes émotions, Scouby range nos affaires, tandis que Daniel, l’homme de service, tente d'allumer le poêle à bois.
Très intéressée par cette opération, je m'approche et l'observe, prête à lui porter secours.

Phase n° 1 : il s'aplatit sur le sol, au niveau de l'ouverture du poêle. C'est fou ce qu'il ressemble à un chat, comme ça ! C'est sûrement pour me faire plaisir ! Je frotte ma tête contre son épaule en roucoulant. Puis je saute sur son dos : "Hue, cheval !". Je ne sais pas pourquoi, mais il n'a pas l'air d'apprécier... surtout que j'ai sorti mes griffes pour les agripper à son pull. Je me fais rabrouer. C’est toujours les mêmes qui trinquent.

Phase n° 2 : il enlève la cendre du bois que nous avons brûlé le week-end passé. Je gambaderais bien dans cette poudre grise, mais cela m'est strictement interdit, comme tant d'autres activités amusantes, hélas...

Phase n° 3 : il froisse des feuilles de papier-journal, les fourre dans le poêle et craque une allumette. Le papier flambe. Comme c'est joli ! Je m'approche, pour observer cela de près.
- Tu veux brûler tes belles moustaches, Ardoise ?

Phase n° 4 : il ajoute du petit bois... et nous nous mettons tous à larmoyer et à tousser. Une fumée épaisse envahit la cuisine. Argh ! Argh !

Phase n° 5 : on ouvre une fenêtre, en me tenant à distance bien sûr : quand tout le monde s'amuse, je ne peux jamais participer, c'est trop injuste !

Phase n° 6 : Le bipède agite un journal en faisant de grands moulinets avec les bras, pour chasser la fumée au-dehors.
Tiens, les voisins n'ont pas encore appelé les pompiers !

Phase n° 7 : on referme la fenêtre. Le poêle consent enfin à évacuer la fumée par l'orifice de la cheminée. Daniel n'a plus qu'à ajouter une grosse bûche et voilà, le feu a pris ! Après-demain, quand on devra repartir, il fera idéalement bon dans la maison. C'est toujours comme ça.

Pour l'heure, nous sentons tous le jambon fumé, même moi !
Le feu de bois, c'est peut-être bien pittoresque, mais j'ai une nette préférence pour le chauffage central. J'évoque avec nostalgie mon appartement bien douillet : mon petit coussin sur le radiateur, ma place bien chaude sur le carrelage de la cuisine...

Une exclamation horrifiée détourne le cours de mes tristes pensées.
- Oh, zut, il y a de nouveau des souris ! Elles ont mangé le paquet de spaghetti et le chocolat !

Des souris ? Je pense qu'il va falloir que je joue le rôle du chat, dans cette maison ! Je ne sais pas pourquoi, c'est toujours moi qui m'y colle ! Comme je suis bonne fille, je prends un air inspiré et je flaire, longuement, le moindre petit coin.
Elles sont là, je le sens ! Leur trou doit se trouver sous l'armoire de la cuisine !
Pleine de zèle, je m'élance. Si je leur fais bien peur, elles partiront ! Pas question que je leur fasse du mal : je ne pourrais faire souffrir une mouche ! Mais ça, mes humains n'ont pas besoin de le savoir...

Je me précipite sous l'armoire... mais que se passe-t-il ? Je suis arrêtée dans mon élan ! Je rame désespérément des pattes, tandis que mon petit ventre bien dodu et mes petites cuisses bien enveloppées restent coincées ! Je ne peux plus avancer !
Me tortillant comme une danseuse de french cancan, je parviens à rebrousser chemin et à me sauver de cette périlleuse position.
C'est-y que j'aurais un peu grossi ? Je ne l'aurais pas cru...
QUI a émis un ricanement discret, là, derrière moi ?

Changement de tactique : je vais guetter les souris DEVANT l'armoire. Je vais m'armer de patience et attendre, immobile comme un piquet, durant de longues secondes.
Mais que vois-je ? Ma petite balle de ping-pong, là, par terre ! Un de mes jouets préférés !
Je vais jouer, je reviendrai peut-être guetter les souris après... si je ne les ai pas oubliées entre-temps.
- Ici, les souris ont de la chance ! dit Scouby.
Elle ne croit pas si bien dire...

Un peu plus tard, je suis dans la cuisine, en train de me restaurer dignement pendant que mes parents regardent la télé au salon. Distraitement, Scouby pose les yeux sur moi... Surprise ! Elle en reste pétrifiée !
Je ne suis pas seule dans la cuisine : une petite souris grise, face à moi, fait également honneur à mon repas !
- Alors comme ça, vous habitez ici toute l'année ? demandé-je avec politesse, entre deux bouchées.
- Mais oui, zoli çat gris ! Ze manze ce qui reste dans les armoires ! Et ma famille aussi !
- C'est très intéressant ! Zut, ma mère nous a repérées ! Elle va de nouveau prétendre que je ne suis pas un VRAI chat !
- Z'est votre maman, là, zoli çat gris ?
- En fait, je suis une enfant adoptée, précisé-je modestement, c'est pour ça que nous ne nous ressemblons pas vraiment, Scouby et moi.
Nous mastiquons encore quelques instants, en parfaite harmonie.
- Ah ! Z'étaient bonnes, vos boulettes Kitekat !
- Voui, mais personnellement, je préfère le Félix ! Bon, maintenant c'est pas tout ça, va falloir que je fasse semblant d'être un VRAI chat ! C'est la corvée, ça ! Vous voulez pas vous mettre à courir pour que je vous poursuive ? C'est juste pour rire, vous savez !
Accommodante, la souris entre dans le jeu. Elle s'en va en trottinant. Je lui emboîte le pas en prenant soin de ne pas la rejoindre. Comme ma patte lui effleure la queue par inadvertance, je fais un petit bond en arrière : "Oh, pardon !"
- Y a pas de mal ! gazouille ma nouvelle amie en filant se cacher dans son trou (sous l'armoire, bien sûr).
Maintenant, Scouby en est sûre. Je ne suis pas un VRAI chat !
- Et on n'avait même pas de caméra ! soupire-t-elle. Personne ne va nous croire quand on racontera ça !
Pourtant, cela s’est réellement passé, je vous le jure ! Parole de chat !

C'est le soir, nous allons au lit. Comme nous sommes à la campagne et pas dans mon petit appartement douillet, je les suis dans la chambre et me faufile sous les couvertures. Je ne tiens pas à attraper froid !
- Ardoise, tu te coucherais dans le sens de la LONGUEUR du lit au lieu de la LARGEUR, je pourrais peut-être bouger les jambes, moi !
Quelle mesquinerie, vraiment ! Je ne réponds même pas.
Je m'endors et me mets à ronfler.

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Chapitre 4 : CARAMEL

Vous savez donc que j'occupe, dans ma nouvelle famille, une place privilégiée... En arrivant, j'étais un peu timide, mais j'ai pris mes marques. Après quelques mois de cohabitation, vous auriez dû me voir : le regard malicieux, la fourrure soyeuse, de grands yeux d'un vert tendre et un petit bout de langue qui surgit, tout rose, quand je réfléchis ! Avec mon port de tête altier et mon appendice caudal dressé fièrement à la verticale, je corresponds à la plus élémentaire idée que l'on puisse se faire d'un félin satisfait de lui-même et du monde qui (bien sûr) tourne autour de lui !

- Oh oui, me dit Scouby, tu es une championne de l'autosatisfaction, on ne peut pas dire le contraire !
- Ben quoi ! Il a suffi d'un tout petit coup de pouce du destin, je me suis chargée du reste! J'ai bien mené ma barque, non ?

Je parle ainsi, mais en réalité, je n'oublie pas que je dois ma chance actuelle au décès d'une autre chatte, Caramel, à qui j'ai succédé.
Car tel est notre lot à nous, animaux dits "de compagnie". Souvent, notre arrivée est destinée à combler un vide, à surmonter un deuil. C'est comme ça et je n'y puis rien. Alors, autant faire avec !

L'autre nuit, j'ai rêvé... Ou n'était-ce pas un rêve ? En ma qualité de chat, je me retrouve si facilement à la lisière de deux mondes !
Donc, l'autre nuit, vous me croirez ou pas, j'ai fait la connaissance de Caramel. Sa forme fluide et longiligne est venue se poser délicatement sur le dossier du canapé où j'étais étendue. Je n'étais pas vraiment étonnée, il me semblait bien l'avoir déjà aperçue, en transparence, dans l'appartement. Bien entendu, je suis seule à détecter sa présence.

Donc, je n'étais pas surprise, mais plutôt intimidée : j'avais entendu tellement de choses à propos de cette chatte ! L'énumération de ses qualités, notamment : racée, intelligente, aimante... Mais aussi possessive, sûre de son bon droit et surtout, très bavarde ! Il paraît que c'est comme ça, un siamois.
Et voilà qu'elle était là, devant moi !

Elle me détaillait d'un regard quelque peu dédaigneux, en levant haut son nez de velours noir, d'une aristocratique longueur.
Visiblement, elle s'interrogeait : "Qu'est-ce que c'est que CA ?"
CA, c’était moi.
Enfin, elle a daigné m'adresser la parole.

- Comment t'appelles-tu, petite chose ?
- Ar... Ar... Ardoise !
Elle émet un petit reniflement distingué :
- A ce que je vois, mes humains n'ont pas perdu la détestable habitude de nommer un chat en fonction de sa couleur ! Il n'y a rien de plus bête, si tu veux mon avis. Un nom de chat se choisit en fonction de sa personnalité... Ainsi moi, est-ce que j'ai une tête à m'être appelée Caramel, dis-moi ?
J'ouvre des yeux comme des soucoupes. Que répondre pour lui faire plaisir ? Je veux être dans ses petits papiers, moi ! Je risque :
- Heu... Vous n'êtes pas un peu foncée pour un caramel ?
J'ai droit à un regard de pitié.
- Et voilà ! Tu tombes dans le même travers ! Soit dit en passant, ma robe est foncée parce que j'étais déjà âgée de 11 ans au moment de mon départ. Tu aurais dû me voir à trois mois, quand ils sont venus me chercher chez mes parents ! J'avais une robe couleur crème, absolument splendide...
- Comme une babelutte, alors ?
Elle me dévisage fixement, de ses yeux bleus devenus glacés. Je patauge.
- Vous savez, ces bonbons qu'on vend sur la côte belge, notamment à Dixmude...
- Je sais ! coupe-t-elle sèchement.
Je tente de me rattraper : "Et comment auraient-ils dû vous appeler, M’dame ?"
- Au moins Néfertiti ou Cléopâtre! Au cas où tu ne le saurais pas, petite chose, c'étaient des reines. D'Egypte !
Elle prend une pose hiératique et se place de profil.
Je digère l'information. Est-ce que je dois lui dire Majesté ?

A la recherche (ardue) de points communs entre nous, je relance la conversation.
- Vous venez aussi du refuge "Veeweyde"?
- Mais non, voyons ! Je viens de te dire qu'ils sont venus me chercher dans ma maison natale, à Dion-Valmont. C'est une commune chic, tu ne connais pas, petite chose... Ils ont fait la connaissance de mon père, de ma mère, de ma petite soeur et des humains à notre service... J'étais une jeune fille d'excellente famille !
- Ca se voit, dis-je sincèrement.
Elle est snob, mais bon ! Je ne vais pas en faire une maladie. MOI je ne suis pas une jeune fille de bonne famille, mais ce n'est pas donné à tout le monde, hein !

Aussitôt, elle se radoucit.
- Il faut avouer que tu as l'air d'une bonne pomme..., concède-t-elle gracieusement.
Et elle ne peut s'empêcher d'ajouter : "... comme on dit dans ton milieu !"

Quand même, le poids de mes ancêtres trop inconnus m'écrase ! Je n'ai pas la moindre idée de l'identité de mon père et me souviens si peu de ma mère ! Je ne sais même pas si elle était grise comme moi ! Accablée, je baisse la tête.

La chatte Caramel inspecte mon canapé.
- Tiens, ils ont changé l’ameublement de leur salon ? MON fauteuil à moi était plus seyant, tout en velours brun assorti à mon museau, mes pattes et ma queue !
- Oui, ces meubles sont entrés ici en même temps que moi !
- Il est déjà tout abîmé, ce canapé, tu vas vite en besogne, toi !
- Oui, je dois reconnaître que j'ai des griffes extra et des dents solides, dis-je d'un petit ton modeste.
D'un bond souple, elle saute du canapé et trottine vers la cuisine.
- Ils ont aussi changé la cuisine, dis-je. Uniquement pour me faire plaisir !
- Tu veux rire ! S'ils ont tout transformé, c'est parce que plus rien ne fonctionnait ! Quand je suis partie, le frigo venait de rendre l'âme et la cuisinière électrique menaçait d'en faire autant !
J'insiste :
- Non, non ! Ils ont tout démoli, ils ont enlevé toutes les vieilles armoires pour m'offrir un terrain de jeu !

C'est bien vrai, mes amis, vous savez !
Quand la cuisine a été vide, il n'y avait même pas de carrelage par terre, aux endroits où étaient précédemment encastrés les meubles et les appareils électroménagers ! Devinez ce qu'il y avait à la place ? Du sable ! Du beau sable bien blanc ! Toute une étendue de sable rien que pour MOI !
Je me suis amusée comme une folle durant quelques jours, avant qu'on vienne installer la nouvelle cuisine.
Ca, c'était un cadeau !

- Tu te moques de moi ? demande Caramel d'un miaulement soupçonneux.
- Me moquer de vous ? J'oserais pas ! dis-je vertueusement.
Et histoire d'enfoncer le clou, j'y vais d'une réplique racinienne : "Le jour n'est pas plus pur que le fond de mon coeur !"
La citation idéale pour briller en société, les copains, je vous jure !

La chatte Caramel passe l'éponge et poursuit sur un ton mondain :
- Et comment se porte la famille de nos humains ? Tu sais, tous ces gens que j'ai eu l'occasion de mordre un jour, à l'occasion d'un mariage, je crois. Celui de Philippe, le frère de notre Scouby.
- Mordre ? dis-je, sidérée.
- Bien sûr ! Il fallait bien que je manifeste mon mécontentement face à cette intolérable offense : mon appartement envahi, mes habitudes bouleversées ! Tous ces humains vulgaires qui prétendaient me caresser ! J'ai vite mis bon ordre à cela : à la fin de la fête, plus personne n'osait me toucher !
Je n'en reviens pas. Quel style !
- Note, poursuit-elle sur un ton de confidence, je n'ai jamais mordu sans prévenir ! Quand je levais la patte droite, ça voulait dire "Attention !" Il fallait être bien bête pour insister !
- Mais... ces gens ne comprenaient peut-être pas le langage chat ?
- Ca, ce n'est pas mon problème !
Je suis subjuguée. Qu'est-ce que j'aimerais avoir ce panache, cette allure ! A côté, je fais plouc, que c'en est lamentable !

- Vous... vous voudriez pas me donner quelques leçons, Vot'Seigneurie (j'aime mieux ça que Majesté) ? Moi, je n'intimide personne, mais j'aimerais bien ! Comment on fait ?
En avant pour une démonstration magistrale !

- La première règle, fondamentale, c'est : IMPOSER TON CARACTERE ! Ne jamais accepter un compromis ! Faire comprendre à ta famille qu'ici, le maître, c'est toi !
- Hou la la ! Comment je vais faire, moi ?
- Prenons une situation simple : ils sont à table, en train de dîner. Je parie que tu les regardes d'un air bonasse, sans bouger de ton fauteuil. Je me trompe ?
- Non... Mais pourquoi je les embêterais ? J'aime pas ce qu'ils mangent !
- C'est une question de PRINCIPE ! Il faut les harceler ! Ils t'enfermeront sans doute dans une autre pièce, comme ils le faisaient avec moi, pour avoir la paix... mais sois tranquille : à la fin du repas, ils t'ouvriront la porte et, si tu protestes bien haut contre l'indigne traitement dont tu es l'objet, non seulement ils te présenteront leurs plus plates excuses, mais en plus, ils empliront une assiette de victuailles choisies, rien que pour toi! Tu as compris ?
- Non.
Elle ne s'avoue pas battue et poursuit courageusement :
- Un autre exemple : ils mangent du chocolat ? Tu en EXIGES un morceau ! La fois suivante, ils attendront que tu fasses mine de dormir à l'autre bout de l'appartement et se rendront dans la cuisine à pas de loup, pour se servir en catimini. Ce sera la preuve que tu t'es montrée ferme dans tes exigences et qu'ils te redoutent ! Comme tu as de bonnes oreilles, tu entends le froissement du papier argenté et tu accours à toutes pattes, en manifestant bruyamment ton indignation, pour montrer que tu n'es pas dupe de leurs petites manières mesquines. Alors ? Qu'est-ce que tu en penses ?
- J'aime pas le chocolat.
- Tu as tort, moi j'adorais ! Mais j'ai dit du chocolat comme je dirais par exemple : des olives noires bien cuites, de la crème fraîche...
- Beurk ! J'aime pas tout ça ! Moi je veux mes boîtes "Félix" ! Ou alors une petite noisette de beurre salé ! Ou un chips à lécher !

Elle hésite, perplexe. Quel genre de chat suis-je là ? Finalement, sa décision est sans appel :
- Toi, c'est Bécassine qu'ils auraient dû te nommer !
- C'est une reine de quoi, ça ?
- Une reine des cloches ! Décidément, toute ton éducation est à faire, mais pour le moment je n'ai pas le temps ! Mais sois tranquille, je reviendrai ! A plus tard !
Et Frrrrrt ! Je me retrouve toute seule sur le canapé.

Reine des cloches...
C'est joli, une cloche. Nous en avons une, dans la tour de l'église de notre village du week-end. Elle sonne le temps qui passe, chante l'angélus de midi et de six heures. Elle est un peu fêlée, mais ça n'a pas d'importance.
Elle m'a fait un beau compliment, Sa Seigneurie !

Plus j'y réfléchis, plus je me rends compte qu'elle a raison.
Il faut que je fasse montre d'autorité, sinon mes humains n'auront jamais peur de moi.
Demain, c'est justement un jour férié, ils prendront leur petit déjeuner dans la salle à manger alors que je préfère prendre le mien avec Scouby, dans la cuisine, comme les autres jours. Mais ils s'en fichent de ce que je préfère ! En plus, ils vont se lever tard et j'aurai faim. Je devrai une nouvelle fois me dévouer pour les réveiller en leur léchant doucement les paupières pour qu'ils ouvrent les yeux, ou en faisant des bonds de carpe sur leur lit.
C'est trop d'injustice, vraiment !
Ils vont voir ce qu"ils vont voir !

Et voilà, ils sont à table et moi, juchée sur le dossier d'un fauteuil tout proche, je fais, du regard, l'inventaire des victuailles : pain, lait, café (Pouah !), confiture... Rien pour moi, là-dedans !
Ah ! Du beurre ! Salé, j'espère.
Je vais leur montrer qui est le MAITRE ici ! Je vais lécher le beurre, sur la table, et personne n'osera rien me dire !
Calculons notre saut : mon regard s'aiguise, mes muscles se tendent, mon derrière se tortille...

- Ardoise ! NON !
Toutes mes bonnes résolutions fuient en désordre.
- Mais qu'est-ce que j'ai fait ? Je suis assise ici, tranquille, sereine, à vous regarder, et vous me criez dessus !
- Tu allais sauter sur la table !
On ne peut rien leur cacher ! Scouby dit toujours que toutes mes pensées se lisent dans mes yeux clairs. Si seulement je pouvais porter des lunettes solaires !
Je transige : "Un tout petit bout de table ! Laissez-moi m'asseoir sur un tout petit bout de table ! Je ne bougerai pas, promis !"
Après, centimètre par centimètre, l'air ailleurs, je m'approcherai du beurrier...
- Pas question !
C'est mal parti !

Puisque c'est comme ça, je vais me réfugier dans mon Titanic !
Je surprends votre regard incompréhensif : "Le Titanic d'Ardoise ?"
Je vous explique : il y a quelques semaines, Scouby, en considérant mon beau panier en tissu "Félix", a constaté qu'il était un peu défraîchi.
- Il n'est plus très propre, ton panier ! Regarde tous ces poils gris !
- Mais ce sont mes poils à moi ! Et c'est ma délicieuse petite odeur qui flotte dans ce panier ! Tu ne vas quand même pas...
Si ! Elle a pris le panier et l'a fourré dans la machine à laver.
Il en est ressorti tout propre, ça oui ! Mais complètement amolli et un brin rétréci !

Maintenant, quand je m'installe dedans (ou dessus, selon mon humeur), je déborde de tous côtés. Quand je bouge, le panier penche, penche... un vrai Titanic ! En tout petit.
Scouby l'a calé entre un fauteuil et une plante verte, pour que je ne tombe pas à la mer.

Quand je pense à toutes ces boîtes de pâtée "Félix" que j'ai dû ingurgiter pour réunir le nombre de points donnant droit à un panier ! La publicité devait dire, je suppose : "Offrez une maison à votre chat !"
Ici, c'est le chat qui fait tout le boulot ! La maçonnerie, le revêtement intérieur et le reste !
A défaut d'avoir une brique dans le ventre, je commençais à la sentir dans l'estomac !

Une fois mon panier obtenu, j'ai continué à manger de la pâtée pour les autres félins de la famille qui, eux, n'aiment pas le Félix... Et un panier pour Scoubidou (la chatte de ma mémé), et une maison pour Pastelle (la minette de ma tantine)!... Les ingrates n'y mettent jamais les pattes, malgré tout le mal que je me suis donné !

Puis, Scouby a eu envie d'une horloge "Félix" pour la cuisine. Bonne fille, je me suis à nouveau dévouée.
L'horloge est arrivée. Elle est splendide, noire et blanche, les chiffres sont remplacés par des chats dans toutes les positions possibles et imaginables.
Au bout de trois semaines, l'horloge s'est arrêtée définitivement, à cinq heures vingt. Du matin ou du soir, je ne sais pas.
Comme Scouby devient un peu myope, elle ne distingue pas clairement les petits chats qui se contorsionnent entre les aiguilles immobiles, mais elle sait qu'ils sont là, ça suffit à son bonheur.

Pourvu que la marque "Félix" ne nous propose pas un autre objet publicitaire, j'en ai marre de mâchouiller interminablement !

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Chapitre 5 : SCENE DE LA VIE JOURNALIERE…

Parfois, mes parents d’adoption ont un petit côté "Dr Jekill-Mr Hyde" très inquiétant...

Ainsi, imaginez la scène suivante : un début de soirée paisible et harmonieux. Vous avez, assis tranquillement dans leur fauteuil respectif, un Méchant et une Méchante. L'un en train de regarder la télé, l'autre plongée dans un livre. Sur le dossier du canapé, un doux-z-animal, tout gris et duveteux, se repose tranquillement, persuadé que la vie est belle.
Malheureux doux-z-animal ! Il ne soupçonne nullement la tempête qui va s’abattre sur ses pauvres petites épaules.

Le doux-z-animal (candide et confiant) : gratt gratt gratt !
La Méchante (en un murmure sournois) : Ca y est, elle se gratte de nouveau !
Le Méchant détourne (avec effort) son regard du petit écran et le pose sur la malheureuse créature qui, inconsciente des idées sadiques qui se font jour dans l’esprit des Méchants, continue innocemment : gratt gratt gratt !

Le doux-z-animal : Ca chatouille ! Maudites puces !

Hélas ! Sur ces mots va se jouer un drame d’une crue cruauté ! Le décor est planté pour la tragédie. Les Méchants se lèvent, en catimini. Lui va dans la chambre et en revient, muni d’un aérosol. Elle se dirige vers la malheureuse petite victime qui ne se doute encore de rien et croit (quelle illusion !) baigner dans un climat d’amour et de sécurité.

Maintenant, les Méchants encerclent le doux-z-animal qui se prélasse toujours sur le dossier du divan. Pourquoi se méfierait-il ?

Le Méchant (caressant hypocritement la superbe fourrure à triple épaisseur, abri d’hôtes minuscules et indésirables) : Gentille Ardoise ! Beau chacha… guili-guili… Allez, Scouby, vas-y, asperge !"
Asperge ? Il est fou ou quoi ? Quelle est la place de ce légume dans ma vie à moi ? A peine ai-je le temps de me poser la question, que la réponse jaillit, terrifiante : asperge vient du verbe "asperger" ! AU SECOURS !
Pschhhhhht ! Une affreuse substance malodorante entre en contact avec ma belle fourrure ! Je me mets à gigoter, éperdue.
Je suis un chat-martyr ! Appelez la Fondation Brigitte Bardot ! Alertez les médias ! Voilà qu'on répand cette ignoble mixture (est-ce une poudre, un liquide ?) tout au long de ma colonne vertébrale ! AAAAAH ! C'est FROID !
- Ardoise, arrête de hurler comme ça, tu exagères !
Je voudrais l'y voir, moi !
- C’est pour ton bien !
Voilà, l’éternel refrain ! Dans le passé, on brûlait des pauvres sorcières pour leur bien ! On colonisait des peuples (qui n’avaient rien demandé) pour leur bien ! Qu’on ne croie pas que je tombe dans le panneau !

Ils me lâchent. Je saute à terre et cours au hasard dans la pièce, toute tremblante et désorientée, cherchant un abri où me dissimuler. Je ne trouve rien. Toutes mes belles cachettes, si ingénieuses, me semblent à présent dérisoires. Rien ne pourra me secourir en cette occurrence. Le désespoir me submerge.
Vous vous imaginez ? Je suis HIDEUSE ! J’ai les poils tout raides et je ressemble à un porc-épic !

Les Méchants considèrent leur œuvre, un peu gênés. Il y a de quoi !
- Pauvre Ardoise, elle est toute malheureuse ! s’apitoie l’arroseuse (pas arrosée hélas).
- Bah, ça lui passera ! Fallait bien le faire ! Elle nous remerciera plus tard ! commente le bourreau, à la fois fataliste et optimiste.

Après le désespoir viennent des pensées de vengeance : je balaie du regard les surfaces planes du salon, choisissant les bibelots que je jetterai à terre.
Pour me mettre à l’abri, je me cale derrière une statuette en bronze, très lourde, posée sur le coin de la cheminée. Il n’y a pas beaucoup de place, je suis un peu comprimée entre le mur et la statuette, mais ça ne fait rien. J’avance doucement la patte vers un affreux poisson en porcelaine que Daniel aime beaucoup.
- Daniel, ton poisson ! avertit la Méchante.
Il ne fait qu’un bond pour sauver son poisson. Puis il entreprend de débarrasser la cheminée de tout ce qui l’encombre.
Zut alors, ils ont compris ! Ils mettent en sécurité une lampe colorée en faux Tiffany (mon second objectif), le bronze derrière lequel je me terre (il pèse vingt-cinq kilos mais avec moi, on ne sait jamais) et me voilà toute seule sur la cheminée, toujours hérissée et fulminante.

Plus tard, quand ils me croient calmée et ne me regardent plus, je décroche le téléphone et laisse pendre le cornet. Dommage que je ne connaisse pas par cœur le numéro d’appel du refuge Veeweyde, je leur demanderais de revenir me chercher…
Mes parents d’adoption mettront deux jours avant de se rendre compte que je les ai coupés du monde extérieur…

Pour l’heure, je continue à ruminer de sombres pensées : ah, Scouby aura beaucoup de mal à se faire pardonner, je sens ça ! Je vais bouder jusqu'à...

Mais qu'entends-Je ? La porte du frigo qui s'ouvre ! Je tourne la tête, mine de rien, pour observer sans qu'elle me voie. Officiellement, je suis mortellement offensée. En réalité, ma colère commence à se diluer...
Du coin de l'oeil, je la vois prendre une boite de carton bleu. Je reconnaîtrais cette boîte entre toutes : du colin d'Alaska surgelé ! Mon plat préféré !
Elle pose deux ou trois briquettes de poisson sur une assiette, ouvre le four à micro-ondes... BZZZZZZZZZZ !
Je suis tout ouïe ! Oh, le chant harmonieux du four à micro-ondes !

BZZZZZZZZZ ! Ding !
Je bondis !
- Mon poisson est cuit ! Mon poisson est cuit !
- Attends, ma minette, faut que ça refroidisse !
C'est ça que je ne comprends pas : quand ça a fait "DING" c'est que c'est prêt, hein ? Pourquoi est-ce qu'il faut encore attendre ? C'est de la cruauté, ça !
Et ce bête colin qui met du temps à refroidir ! Il pourrait un peu se grouiller, celui-là !

Après de longues, longues minutes, j'ai enfin droit à mon poisson. Evidemment, je suis restée tout ce temps postée devant le four, bien droite, la queue en cierge. Faut pas qu'ils oublient de me nourrir, hein ? Ils me doivent bien ça après m'avoir torturée de si honteuse manière !
Le colin me paie de toutes mes souffrances. C'est absolument DELICIEUX !

- Bon, dis-je, ça va, je ne boude plus, je ne suis plus fâchée. Mais faites attention, hein ? La prochaine fois, ça ne se passera pas comme ça !
Bien entendu, ça se passe toujours comme ça... mais dans l'intervalle, j'aurai oublié !

Mes puces sont parties, mon pelage est redevenu soyeux. Une fois de plus, j'ai dû traverser l'épreuve de la visite chez mon véto et, comme je suis un chat qui s'intéresse à tout, j'ai jeté un coup d'oeil sur mon petit carnet de santé.
- Chat - Sexe féminin - Tricolore...
Tricolore, moi ? Je me campe devant le grand miroir de la lingère, m'examine soigneusement. Mon poil est gris... Bon, il y a évidemment plusieurs nuances de gris, je suis plus claire sous le menton, et si mon dos est un peu tigré, mon ventre est plutôt ocelé... C'est très joli je trouve. Mais quant à être tricolore... Qu'est-ce qu'il a voulu dire, le docteur ?
Après une laborieuse réflexion, je crois avoir trouvé : Mais-bon-sang-c'est-bien-sûr !
Je suis grise de fourrure, mais j'ai des yeux d'un vert tendre et une petite langue du plus joli rose !
Voilà pourquoi je suis tricolore !

Je poursuis ma lecture... Hein que vous aimeriez avoir un chat comme moi ? Unique. Du moins c’est mon opinion, très objective vous en conviendrez.
- Signes particuliers : néant...
Comment, néant ? Je suis ulcérée : ce vétérinaire a vraiment les yeux dans sa poche, il n'a pu apprécier à sa juste valeur l'être d'exception qu'il avait le privilège d'examiner en son cabinet ! "Néant" ! Non mais des fois !
S'il devait m'arriver quelque chose dans la rue, personne ne pourrait me reconnaître, à cause de cette infâme mention dans mon carnet de santé ! Personne ne s'écrierait : " Mais c'est Ardoise C…, je la reconnais à ses signes particuliers !"
Il faut absolument que je corrige cela : à la place de "Néant", je pose soigneusement l'empreinte de ma patte, comme une petite fleur ouverte. Au moins, on pourra me reconnaître à mes empreintes digitales...

Ensuite : "Tatouage : ACR... " et puis trois chiffres.
C'est vrai, je suis tatouée, pour qu'on puisse me reconnaître en toutes circonstances. Si je décidais un jour de faire mon baluchon et de me lancer à la conquête du vaste monde, il me faudrait déjouer une surveillance policière de tous les instants. Cette seule perspective suffit à me détourner de toute idée de voyage...

Finalement, je me sens si bien chez moi !!!

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Chapitre 6 : L'ETRANGER

Et voilà, l'habitude est prise ; tous les vendredis, je dois quitter mon appartement bien chauffé pour affronter la froidure de notre bicoque de campagne ! Avouez qu'il y a de l'abus !

Enfin, lentement l'hiver se passe et le printemps fait son apparition. Le soleil consent à me chauffer la plante des pattes. Dans le jardin, des jonquilles dorées pointent le bout de leur nez (si j'ose dire !). J'assiste à ce renouveau, en arborant une expression mi-pensive, mi-sévère, qui convient bien à ma petite figure grise... Même si je suis secrètement contente, je ne vais pas le montrer, hein ! Puisqu'ils ont l'idée biscornue de me traîner chaque week-end jusqu'ici, autant que mes humains s'inquiètent un peu en me voyant cet air lointain...
Assise sur l'appui de la fenêtre de la salle à manger, je pose sur le jardin un oeil blasé, voire désenchanté... La Dame aux Camélias, c'est moi !

Mais que vois-je ?
Scouby est assise sur la terrasse et un chat noir et blanc, pas timide pour un sou, se dirige vers elle en ronronnant. Vers MA Scouby à moi ! Quel toupet !

Ouvrons une petite parenthèse. Je suis un peu jalouse. Pas comme Sa Seigneurie Caramel, mais quand même un peu. Un soupçon... D'ailleurs, c'est toujours par un soupçon que commence la jalousie, n'est-ce pas ?
Il y a quelques semaines, j'avais bien senti, en humant une odeur étrangère, qu'un autre chat avait tourné autour de ma mère d'adoption... Je n'ai rien dit, j'ai simplement pensé: "Tiens tiens..." et j'ai manifesté envers ma famille une certaine froideur...
Et maintenant, le voilà, ce chat, là, devant moi ! De l'autre côté de la fenêtre !

Le nouveau venu fait des manières. Il ronronne, effectue des 8 autour des chevilles de mon humaine subjuguée, il lui jure que ce n'est pas pour recevoir de la nourriture qu'il vient, non, non, c'est par amour pour elle... Un amour éternel.
Visiblement, elle le croit.
Et vous, vous y croyez ?
J'abandonne mes attitudes romantiques et ricane. Intérieurement.

Scouby rentre dans la maison, farfouille dans le frigo, pose divers ingrédients sur la table de la cuisine…
Bien sûr, je saute sur la table pour contrôler les opérations.
Elle ouvre une boîte de nourriture pour chats, en emplit une assiette.
Je renifle. En temps ordinaire, je détournerais dédaigneusement la tête : "Fi ! Une boîte bon marché !"
Aujourd'hui, j'ai une position à défendre. A la grande surprise de Scouby, je lèche les boulettes de viande.
Vous comprenez, vous autres ? C'est pour établir ma suprématie ! Le chat dominant est celui qui mange le premier, cela, je le sais depuis mon séjour au refuge « Veeweyde » !
Scouby verse du lait dans une soucoupe. Surmontant mon dégoût habituel pour cette substance, j'avale à petites gorgées délicates une partie de l'infâme breuvage.
- Et maintenant, Ardoise, puis-je aller donner à manger au chat noir et blanc ?
- Je te le permets ! dis-je, magnanime.

Pendant qu'elle s'exécute, je retourne sur mon appui de fenêtre pour dominer la situation.
Scouby dépose l'assiette sur le sol de la terrasse. Le chat noir et blanc fait mine de ne pas voir la pitance, il prend des airs éthérés, décoche à ma mère adoptive des oeillades énamourées... Ce n'est qu'après bien des salamalecs qu'il consent enfin à se sustenter.
Coup de foudre réel ou comédie ? Je réserve mon jugement.

Après avoir vidé la gamelle jusqu'à la dernière bouchée, le matou lève les yeux vers la fenêtre... et m'aperçoit ! Il en reste figé de stupeur, l'espace d'une seconde puis, histoire de mieux m'admirer, il saute à son tour sur l'appui de fenêtre, à l'extérieur, et colle son museau contre la vitre. J'en fais autant de mon côté, bien sûr.

- Ardoise ! Viens faire connaissance, viens ! Regarde comme il est gentil et bien élevé !
Alors là, je ne suis pas d'accord, parce que je sais très bien ce qui va se passer ! Et, bien entendu, ça ne rate pas : elle vient vers moi avec mon collier et ma corde !...

Parce que, vous savez, il paraît que je ne peux pas sortir au jardin sans ma corde ! Paraît que je suis une fugueuse ! Paraît que j'entre chez les voisins sans leur demander la permission !

Je regimbe ; "Pas la corde ! De quoi je vais avoir l'air, moi, avec ce collier et cette corde? Tout mon prestige va se retrouver par terre !"
- Pas question que tu sortes sans ta corde, je te connais trop bien !
Tant pis ! Le cou orné d'un beau collier de velours bleu turquoise, je sors de mauvaise grâce, la queue aplatie, les pattes fléchies.
Le chat noir et blanc ne fait montre d'aucune défiance. Après m'avoir dévisagée avec curiosité ("C'est qui, cette drôle de bête tout grise ?"), il s'approche et nous nous tâtons mutuellement le museau. ("Tiens, c'est un chat, je n'aurais pas cru...").

Il faut avouer que malgré un visage patibulaire que lui confère un bon gros nez de boxeur, il a l'air assez accommodant. Je tiens toutefois à mettre les points sur les i dès notre première rencontre :
- Chat noir et blanc, c'est moi Ardoise, la chatte de cette maison ! Je vous avertis : j'accepte de vous voir batifoler sur la terrasse ou dans le jardin, mais la maison, c'est MON domaine, compris ?"
- Mais je n'ai jamais dit le contraire, douce et belle Ardoise ! proteste-t-il vertueusement, la patte sur le coeur.
Ayant ainsi parlé, il se détourne avec nonchalance et va faire un petit tour dans ce jardin que je viens de lui laisser... Je constate qu'à chaque tronc d'arbre, il lève la queue bien droite pour faire jaillir quelques gouttes odorantes qui marqueront son territoire... Est-ce un pied-de-nez à mon égard ?
J'affecte la plus profonde indifférence.
Mais quelles manières, grand Dieu, quelles manières !

Plus tard, dans l'après-midi, nous nous sommes revus plusieurs fois, moi faisant des mines à la fenêtre et lui rôdant à proximité de la terrasse. Je ne dis pas que c'est le grand amour, mais nous ne manifestons aucune hostilité l'un vis-à-vis de l'autre. S'il fallait me pousser à exprimer clairement ma pensée, je dirais que je ne suis pas mécontente, au bout de trois années passées exclusivement en compagnie de mes humains, d'avoir pu enfin rencontrer un congénère. Vous n'imaginez pas, les amis, comme ça peut être fatigant parfois de se retrouver, seule de sa race, au milieu d'êtres fondamentalement différents de soi... même s'ils sont bien intentionnés ! C'est rafraîchissant de pouvoir, de temps à autre, parler son propre langage avec quelqu'un qui le comprend et vous répond sans accent ! Si vous saviez toutes les significations que peuvent revêtir les sons : "Miaou ! Rrrrou ! Rrrrou ! Mééééou !" Aucun humain ne pourra jamais saisir la subtilité de mon langage... Mais font-ils de réels efforts, mes humains ? C'est là que le bât blesse... Moi, j'étudie, je comprends presque tout ce qu'ils disent, mais eux... n'en parlons pas ! Enfin...

Revenons à nos moutons... ou plutôt à notre chat noir et blanc.

Quelques jours plus tard, il faisait beau. Scouby était assise dans son fauteuil de jardin, à savourer les rayons du soleil, et moi j'étais étalée dessous, pour me préserver du même soleil !
Il va sans dire que j'étais à nouveau coquettement revêtue de mon collier de velours bleu et de ma corde... rose, vous imaginez ! Ca fait un peu layette je trouve… Pourvu que je ne sois pas trop ridicule !

Quand vous avez une longue, longue corde autour du cou, certains petits jeux sont possibles : ainsi, vous pouvez tourner interminablement autour d'un fauteuil, en faisant de très jolis noeuds, très artistiques. Quand vous vous retrouvez ficelée comme un saucisson, vous gémissez lamentablement... et contemplez, satisfaite, vos humains s'escrimer à défaire votre ouvrage. Puis, à peine êtes-vous libre que vous pouvez recommencer...
Ca les fait enrager, c'est euphorisant !
Et puis, ça leur apprendra à m'attacher de manière à ce que je ne puisse pas franchir la haie du jardin ! Moi qui aime tant me faufiler chez le voisin !

Donc, j'étais occupée à virer, à tourner... Je chantonnais même, d'une petite voix mélodieuse :

"Sous ta chaise Michèle, (vrai nom de Scouby)
Tourne-ron-ron !
Si la corde s'emmêle,
C'est bon, c'est bon !
Peaufinons la technique,
Tournicotons !
Ah quelle gymnastique,
J'en suis coton !
Sous ta chaise Michèle,
Tourne-ron-ron !
Je suis ton chat fidèle
Et polisson !"


- Comme c'est mignon, ces petits miaous, Ardoise !
Je fredonne une chanson de ma composition, et elle appelle ça des "petits miaous" ! Ecoeurée, je ne réponds pas et tourne de plus belle. Elle va avoir du mal à défaire ces noeuds-là !
J'en souris dans mes moustaches.

- Oh, Ardoise, regarde qui arrive ! Ton copain le chat noir et blanc !
- QUOI !

Mon sang (lui aussi) ne fait qu'un tour : en une seconde, je refais en sens inverse mon patient chemin et débouche à l'air libre, hagarde, la queue fouettant rageusement l'air.
Et puis, subitement, je réalise qu'à cause de ce raseur de chat, j'ai fait une fameuse bêtise : j'ai démontré que j'étais capable de défaire mes noeuds moi-même !
Et Scouby, habituellement si distraite, l'a vu ! Enfer et damnation !

- Bonjour, douce Ardoise !
- 'jour !
- On est hargneuse, aujourd'hui ?
Je ne daigne pas répondre. Je suis de mauvaise humeur, ça se voit, non ?
Et l'intrus, là, avec son éternel sourire !
Il s'approche innocemment. Je lève une patte et... vlan ! Une gifle, sans rentrer mes griffes. Vous n'imaginez pas le bien que ça fait ! A moi, bien sûr, pas à lui…
Il recule prudemment.
- Votre charme est piquant, chère Ardoise !
Je me redresse et lui rétorque avec emphase :

"Oncques ne cherche noyse
A la vaillante chatte Ardoyse !"


- ?????????????
- C'est la fière devise de ma noble famille, dis-je.
Il en a le souffle coupé.
- De mère en fille, Ardoise de Gouttière ; avec un petit de, précisé-je.
Le regard de l'abruti s'éclaire : " De Gouttière ! Moi aussi, je suis un de Gouttière !" s'écrie-t-il.
- Certainement pas de la même branche ! rétorqué-je dédaigneusement.
- Mais peut-être bien du même arbre !
Je déteste les chats qui font de l'esprit !

Parce que, évidemment, pour tout vous dire, la "fière devise de ma noble famille" n'est pas de moi ! J'ai demandé à l'esprit de la chatte Caramel de m'aider en cette circonstance, cela ne lui a pris qu'un instant de réflexion.
- Oh que c'est beau ! Oh que ça fait de l'effet ! me suis-je extasiée avec gratitude. Mais pourquoi on ne pourrait pas dire plutôt :
"Oncques ne cherche noyse
à la TERRYBLE chatte Ardoyse" ?
Ca me ferait un y de plus, j'aime bien les y !!!
Elle a tellement ri qu'elle a failli s'étrangler, malgré son absence de corps terrestre.
- Point trop n'en faut, petite chose ! Si je te qualifie de "terrible", avec ou sans y, le monde s'en tiendrait les côtes jusqu'à la consommation des temps !
Elle exagère ! Je peux avoir l'air "terryble" si je veux !
- En tout cas, le chat noir et blanc va en être baba ! La dernière fois que je l'ai vu, j'ai craché pour l'intimider, mais il n'a pas été impressionné ! Et Scouby et Daniel non plus ! Comment est-ce possible ?
- Montre comment tu as fait.
J'ouvre grand la bouche, montre mes dents aiguës, roule des yeux : "Kssssst ! Frrrrrt !"
- Voilà, c'est bien ce que je pensais : tu n'es absolument pas crédible !
- Hein ?
- Tu as oublié de gonfler ta queue ! Un chat vraiment en colère gonfle la queue. En plus, c'est excellent pour les poils, ça les aère.
- Mais j'ai déjà une belle queue bien touffue ! Et puis, je ne sais pas comment on fait pour...
- Regarde !
Horreur ! En un instant, je me trouve face à un monstre : des yeux de braise, une échine de dragon, une queue trois fois plus grosse qu'à l'ordinaire !...
- Kaï ! Kaï ! J'ai peur !
- Tu vois, dit-elle en reprenant instantanément son aspect normal de chatte distinguée, c'est comme ça qu'on fait ! Mais tu n'es vraiment pas douée pour l'intimidation, il faut bien l'avouer !
- Tant pis, je me contenterai alors de la fière devise de ma noble famille... Vous avez une devise, vous, Vot'Seigneurie ?"
- Bien sûr ! Avec un blason oeil d'azur et extrémités couleur vison sur fond de sable !

"Noble Fleuron de la Gent Féline,
Chat Royal et Sûr de Son Droit,
En Tous les Temps Digne de Foi,
Gloire et Honneur au Siamois !"

- Mazette, c'est-y possible !
Elle ne se prend pas pour rien, Sa Seigneurie !

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Revenons une nouvelle fois à nos moutons... ou plutôt à notre chat noir et blanc. Orca de son prénom.
Parce qu'il a même un prénom, maintenant ! Quel toupet !

Il se conduit exactement comme si nous avions gardé les souris ensemble, ce qui n'est pas du tout, mais alors pas du tout le cas !
Et voici qu'il s'approche de Scouby qui lui fait fête ! Et voilà que Daniel lui grattouille le cou !
Quel sans-gêne ! Je suis offusquée.
Je m'assieds précautionneusement sur l'herbe verte et regarde d'un autre côté. Les faits et gestes de cette créature ne m'intéressent absolument pas ! Je regrette bien de lui avoir gentiment reniflé le nez le jour où nous avons fait connaissance : il a dû se faire des idées erronées sur la suite de nos relations.

Alors, voilà le tableau :
A gauche : moi, paresseusement étendue sur l'herbe, bayant aux corneilles et contemplant le ciel d'un oeil (faussement) absent.
A droite : lui, assis sur son derrière, occupé à se lécher avec méthode, l'air très absorbé.
Au centre : Scouby et Daniel dans leurs fauteuils de jardin, nous considérant tous deux, dans l'attente de la suite des événements.
- Ce n'est pas vraiment Roméo et Juliette...
- Non, c'est plutôt Charles et lady Di !

L'Orca (puisque Orca il y a) se lève et se dirige à nouveau vers moi, tout sucre tout miel.
Il s'est lavé avec un soin méticuleux et regrette visiblement de n'avoir pu s'asperger d'eau de toilette. Son pelage brille comme un miroir.
- Noble Ardoise...
Je m'arrache à mes songes et pose un oeil glacé sur ce misérable insecte qui ose m'adresser la parole.
- Me trouvez-vous tellement antipathique ?
- Z'êtes pas mon idéal masculin.
- Oh ! Toutes les chattes du coin trouvent que je ressemble à Depardieu !
Je le dévisage : ce gros nez ! Ces petits yeux !... Bon, c'est vrai qu'il a quelque chose de Gérard...
Mais cette fourrure où le blanc et le noir alternent de si étrange façon ! Je ne m'y ferai jamais !
- Pourquoi ne me permettez-vous pas de faire un petit tour à l'intérieur de votre maison? Juste pour regarder ?
- Pas question !
Il soupire. Il pense toutefois que je ne suis pas là tous les week-ends et que les humains sont quand même plus faciles à manipuler...

En quoi il n'a pas tort.
Cette semaine, Daniel a pris congé et est venu tout seul dans notre maison de campagne. Orca s'est attaché à ses pas et l'a couvert de regards extasiés.
Sensible à cette admiration, Daniel lui a offert, au premier jour de leur cohabitation, des friandises "Croc'Menu Félix".
- C'est bien meilleur que les boîtes de M'dame Scouby ! a estimé Orca, en connaisseur.
Le second jour, Daniel lui a offert de la pâtée "Friskies".
-J'n'ai jamais rien mangé de si bon ! a ronronné joyeusement l'Orca.
Le troisième jour, Daniel l'a brossé et lui a enlevé des tiques qui infestaient sa fourrure.
Le quatrième jour, Orca se prélassait dans un fauteuil à côté de Daniel et faisait une timide incursion dans la maison. Il est même entré dans la cuisine pour regarder comment Daniel préparait sa nourriture.

Le lendemain, Scouby est arrivée par le train. Moi j'étais restée à l'appartement avec Olivier.
Daniel a bien dû la mettre au courant de l'évolution de la situation :
- Tu sais, heu... Orca n'aime plus les boîtes bon marché ni les croquettes que tu lui as achetées... Il préfère les Friskies et les Croc'Menu ! Et le saumon fumé ! et...
- Bon, ça va, j'ai compris !

A présent, quand je ne suis pas là, Orca se conduit comme le chat de la famille. Scouby lui a préparé un petit lit douillet avec un de ses vieux pulls, dans une caisse en bois déposée à l'abri de la pluie et du vent. Pour faire plaisir, le chat noir et blanc va y dormir, à l'occasion. Le reste du temps, en vrai vagabond qu'il est, il vadrouille dans le village.

Le week-end prochain, je serai obligée d'accompagner mes parents à la campagne, Olivier ne peut pas me garder. Je ne suis pas encore au courant des nouvelles habitudes de l'Orca...

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Je prends le relais... C'est normal, hein, maintenant que je suis inscrite !

Chapitre 7 : WEEK-END AVEC ORCA

Voilà, le week-end est arrivé et j’ai pris la route avec, il faut bien l’avouer, l’arrière-pensée de « snober » à nouveau ce chat noir et blanc qui s’imagine que ma famille lui appartient ! Je fais une fixation sur cet individu en ce moment, j’en rêve la nuit, c’est plus possible !

A peine sommes-nous arrivés, Daniel ouvre la porte qui donne sur le jardin et, bien sûr, qui est apparu aussitôt, tout guilleret ? Devinez !
- Miâââââââ ! Enfin vous voilà ! J’ai attendu toute la semaine, moi, j’ai faim !
Il ne semble pourtant pas amaigri… Il doit avoir de bonnes adresses, l’Orca !
- Bonjour, adorable Ardoise ! Z’êtes encore plus jolie que le week-end passé !
Il est tellement charmeur que je n’ai pu faire autrement que le saluer à la manière «chat» : mon petit nez à moi contre son gros pif à lui.
Puis, me rappelant mes précédentes résolutions, j’ai adopté une attitude distante tandis qu’il s’empiffrait joyeusement de croquettes et d’une boîte de « Félix ». Mon Félix à MOI !
- Tiens, Orca est plus propre qu’Ardoise, a remarqué Daniel qui n’en rate pas une. « Lui, il mange ce qu’il a laissé tomber à côté de son assiette, Ardoise, elle, laisse tout par terre! »
Je lui lance un regard meurtrier. Inutile de discuter avec ces humains, ils sont plus bêtes que mes quatre pattes !

Le repas terminé, je me juche élégamment sur un fauteuil de jardin pour faire ma sieste et Orca, toujours souriant et pacifique, se couche au pied dudit fauteuil.
Ah, au moins, ma suprématie est reconnue ! Je me dégèle insensiblement.
- Divine Ardoise…
- Keskya ?
- Moi aussi, je me suis trouvé un slogan !
- Un QUOI ?
- Un slogan ! Comme vous, avec tous ces mots ronflants qui se terminent par « oyse » !
Tout ce qu’il faut entendre ! L’orgueilleuse devise de ma noble famille, un slogan !
- Dites toujours…
Je m’attends au pire.
- « ORCA, MAITRE-CHAT ! » clame-t-il fièrement.
- Yaksa ?
- Ben quoi, ça vous suffit pas ? C’est percutant, ça sonne : « Orca, Maître-Chat !» sans oublier le point d’exclamation ! Ca veut tout dire, n’est-ce pas ?
- Bof !
Si tout le monde se met à avoir une devise, maintenant ! Ca devient d’un commun, vous ne trouvez pas ?

Il s’étire.
- Je vais me promener une heure ou deux. Si je ne vous vois plus ce soir, je vous souhaite une bonne nuit, divine Ardoise !
Mais où a-t-il appris à s’exprimer comme ça ? Pour un vagabond, il a assez belle allure, je dois bien l’avouer : propre, le poil bien brillant…
Et il va et vient librement ! Je me renfrogne : pourquoi dois-je subir ce collier bleu et cette corde rose, et pas lui ?
Je lui pose (un peu aigrement) la question.
- Il y a ainsi, dans l’existence, certains mystères insondables, dit-il avec philosophie. Ainsi, moi-même, je me demande souvent pourquoi vous avez le droit d’entrer dans cette maison et moi, non ?
Sur cette réflexion destinée à planter un germe de culpabilité dans ma petite âme si pure, il se détourne et s’éloigne d’un pas serein.

- Tiens, Orca ne passe pas la soirée avec Ardoise, aujourd’hui ? s’étonne Scouby.
- Il la trouve peut-être moche, avance Daniel.
Quand je vous disais qu’il n’en rate pas une ! Le goujat ! Scouby vole à mon secours.
- Il serait bien difficile, dit-elle. Une si ravissante petite chatte, avec une tête bien ronde, de beaux grands yeux verts bien fendus, de si belles moustaches tombantes et une superbe fourrure à triple épaisseur !
A cette énumération de mes charmes, je me rassure. C’est quand même vrai que je suis magnifique… et ma fourrure ! De première qualité, la fourrure, je vous le garantis ! Peut-être un peu rêche au toucher, mais bien épaisse, inusable !
Elle a raison Scouby ! Même si on dirait qu’elle réprime un petit sourire…
Quant à Daniel, je ne lui parle plus ! Je ne le regarde même plus. Pendant au moins cinq minutes. Ca lui apprendra ! Je me détourne d’un mouvement plein de fierté et regarde au loin.
- Ben quoi, Ardoise boude ? demande-t-il, étonné.
- Forcément, tu as dit qu’elle était moche ! Tu oublies qu’elle comprend tout ?
Il en reste comme deux ronds de flan. Il ne s’était pas encore rendu compte qu’effectivement, je comprends tout !

Le lendemain matin, samedi, Orca est là, bien sûr, à la première heure pour prendre son petit déjeuner ! Nous avons passé une journée détendue, comme je les aime. Moi, j’ai dormi, lui s’est baladé à gauche et à droite.

Une malheureuse jeune pie, encore toute petite, gisait morte sous le grand sapin.
Orca flânait dans le jardin quand il est tombé en arrêt devant le volatile inanimé.
- Tiens ! Mon repas !
Il s’en est emparé aussitôt et commençait à plumer l’animal d’une patte experte, lorsque Scouby l’a aperçu.
- Oooooh ! Quelle horreur ! Je ne peux pas voir ça !
Daniel a pris la pie des pattes de l’Orca tout ahuri, et est allé la cacher sous un amas d’herbe coupée, en attendant de s’en débarrasser définitivement.
- Et mon repas ?
Tout décontenancé, Orca est revenu dix fois à l’endroit où il avait trouvé la pie, s’attendant toujours à la voir reparaître comme par magie. Peine perdue !
Il n’en revenait pas : « Vous en avez de bonnes, vous ! Me voler mon repas ! »
C’était à mon tour de me montrer philosophe :
- Que voulez-vous, mon cher Orca, tout maître-chat que vous soyez, vous ne comprendrez jamais les humains ! Leurs réactions sont imprévisibles !...

Le soir, nous avons fait un barbecue et avons mangé des petits os grillés. Pour moi, Daniel a soigneusement détaché la viande de l’os et l’a coupée en petits morceaux. Il s’apprêtait à en faire autant pour l’Orca lorsque celui-ci a protesté : »Pas la peine, vous savez ! Je sais me débrouiller tout seul, suis pas une chochotte ! »
Et hop ! En un instant, des dents et des griffes, il a soigneusement nettoyé son os. Il n’y restait plus la moindre parcelle de viande, on voit qu’il a l’habitude de manger «sauvage»!
Heu… dans son esprit, c’est qui la « chochotte » ?

Le lendemain, dimanche, la situation s’est gâtée…
Après son petit déjeuner, Orca est allé faire une promenade digestive. Vers midi, il est revenu, mais en quel état ! Le museau ensanglanté, un œil fermé et purulent, la queue basse… Horrifiée, Scouby a essayé de lui nettoyer l’œil avec de l’eau tiède, mais… impossible de l’approcher !
- Si vous ne pouvez pas me guérir d’un seul coup, je préfère qu’on ne me touche pas ! a-t-il grommelé.
Que s’était-il passé ? Avait-il rencontré un autre chat belliqueux, s’était-il fourré dans les épines ?
Il a accepté un peu de nourriture pour se remettre de ses émotions, puis s’est éloigné. Sans même me dire au revoir !
Nous ne l’avons plus vu de la journée et, le soir venu, nous sommes rentrés tristement à la maison.

L’ambiance n’a pas été à la joie, cette semaine-là ! Mes parents n’arrêtaient pas de se faire des soucis pour leur petit « chat des champs » (Oui, moi je suis la « chatte des villes » et lui c’est le « chat des champs »)…
Ils avaient peur que ses blessures se soient infectées, ils se posaient des questions… Allaient-ils le revoir ? Je me le demandais aussi, en catimini.

Le vendredi suivant, ils sont partis à la campagne sans m’emmener, cette fois. Peut-être craignaient-ils de m’infliger un spectacle déprimant, avec ce pauvre Orca blessé... mort peut-être ! Je suis restée avec Olivier.
A peine arrivés à la maison, Scouby a ouvert la porte du jardin et, deux minutes plus tard quelle joie : une voix bien connue a retenti !
- Miâââââââ !
- Orca ! Viens, mon minou, je vais te donner à manger !
On dit que c’est solide un chat, eh bien je crois que c’est vrai : Orca ne se ressentait plus de ses blessures si spectaculaires ! Il avait de nouveau bon œil bonne patte, avec juste quelques cicatrices supplémentaires sur le museau.
Mes parents éprouvaient un tel soulagement que, bien sûr, l’Orca a été encore plus dorloté que de coutume ! Ils lui ont même ouvert la porte de la maison…
Il a passé sa tête dans la salle à manger et m’a cherchée des yeux en émettant un petit roucoulement. Puis, s’apercevant que, cette fois, je n’étais pas du voyage, il a trouvé une vieille croquette que j’avais abandonnée sur le sol et l’a mangée mélancoliquement en pensant à moi…
Du moins je le crois. Je suis un peu fleur bleue tout au fond…



Mam'zelle Ardoise

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Chapitre 8 : MES JEUX ET MES REPAS

Pendant ce temps, j’étais bien contente, je jouais avec un cadeau que m’a fait Olivier (qui m’adore, comme chacun sait) : des petites souris en tissu. J’en ai une blanche, une noire et une grise qui me ressemble un peu…
Moi qui devenais un peu flemmarde, je suis transformée depuis que j’ai reçu ce présent, vous devriez me voir ! Je saute, je virevolte, je cours derrière les petites souris, je les pousse de la patte, je me couche dessus et les couve sous mon petit ventre bien douillet… Quels jouets, ouah ! Génial ! Quand j’en ai assez des souris, je me tourne vers mon « bébé ». Vous ne savez pas ce que c’est, mon bébé ? C’est une peluche qui a exactement la même teinte que moi, et elle est même tigrée ! Vous vous rendez compte? Personne ne sait quel genre de bête elle peut représenter, mais ça m’est égal. Je la secoue avec mes dents, la lance en l’air, la rattrape, la piétine, l’enfouis sous les coussins des fauteuils… C’est une bêbête à tout faire, vous voyez ?
Parfois Scouby prend une expression inquiète en me voyant jouer si fort.
- Je ne sais pas si tu as eu un jour des petits, avant qu’on se connaisse, Ardoise, mais j’espère bien que tu ne les traitais pas comme ça !!!
Ben quoi ? Qu’est-ce qu’il y a à redire à la façon dont je traite mon bébé ?
Elle se mêle de tout, ma mère à deux pattes, c’est un monde ça !

Il paraît que mes petites souris sont bourrées d’herbe pour chat… Je ne les ai pas ouvertes pour vérifier, j’ai assez d’herbe à ma disposition : à l’appartement dans un petit pot et à la maison, tout le jardin rien que pour moi ! Ce que j’aime faire avec mes souris, c’est les pousser subrepticement sous un meuble et puis me mettre à miauler d’un air éploré. Après, c’est très comique : toute la famille se met à quatre pattes pour chercher mes souris. Moi, juchée sur un fauteuil, je supervise les opérations. Puis, quand les souris sont retrouvées et déposées devant moi, bien alignées, je m’en désintéresse et vais inspecter le contenu de ma gamelle.

Si je n’y faisais attention, nous toucherions là à un sujet sur lequel je pourrais me révéler intarissable : la nourriture ! Il paraît que je deviens difficile, mais difficile ! Du moins, c’est ce que dit Scouby. S’il fallait m’écouter, moi, ce serait tellement simple de me contenter ! Le matin, en me levant, j’apprécierais une petite boîte fraîchement ouverte… des « pépites de dinde » ou quelque chose comme ça. Puis, vers midi, après ma première sieste de la journée, je me referais des forces avec un bon gros morceau de colin d’Alaska bien écrasé à la fourchette, je retournerais dormir un peu et, vers trois heures de l’après-midi, je m’enfilerais une portion de steak haché et, le soir… Mais j’arrête ici, paraît que je dois limiter mes ambitions. On ne fait jamais ce qu’on veut dans la vie ! Si c’était ma vocation, à moi, d’être gourmette ?
Un job qui m’aurait bien convenu, tenez, c’est « goûteur » chez Félix ou Whiskas… Hélas! Personne n’est venu me solliciter, personne n’a remarqué à quel point je serais douée pour ce métier ! Snif…

Scouby trouve que mes talents d’actrice s’affirment de plus en plus. Non seulement je joue avec mes souris en leur donnant vie, comme si elles étaient véritables (ce qui est l’enfance de l’art pour un chat), mais en plus, j’ai appris à tirer parti de l’immobilité même et ça, mes amis, c’est du génie à l’état pur ! Je vous explique :

L’autre jour, ma gamelle était vide… et Scouby ne l’avait pas vu ! Moi, si, faites-moi confiance !
Un chat ordinaire se serait installé devant son set de table en miaulant lamentablement. Ou bien serait allé égratigner les mollets de Scouby afin d’attirer son attention.
J’admets que, de temps à autre, j’ai recours à de tels expédients. Mais comme je ne suis pas un chat ordinaire (du moins je le crois), j’ai trouvé mieux, bien mieux !
Je me suis posée délicatement sur mon derrière, dans un coin de la cuisine, et j’ai baissé la tête, fixant le sol d’un air de profond accablement.
Au bout de quelques minutes, Scouby remarque mon attitude. C’est le moment d’amorcer ma métamorphose : en quelques secondes, sans bouger un poil, je me mue en un chaton de peluche, tout mignon et pitoyable. Un chaton qui attire, comme un aimant, un irrésistible besoin de protection ! Scouby n’en a pas cru ses yeux, de me voir comme ça ! Même la texture de ma belle fourrure semblait avoir changé : peluche à 100% ! Qu’est-ce que vous dites de ça ? J’étais très fière de moi !
Evidemment, j’ai obtenu satisfaction. Scouby se demande si, un jour, elle me connaîtra vraiment… J’en doute. Ma personnalité comporte tellement de facettes… Ca fait partie de mon charme, je crois.

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Chapitre 9 ORCA SE PERMET DES LIBERTES !

Le week-end suivant, je suis repartie à la campagne. Scouby et Daniel espéraient qu’au spectacle de mon jardin tout ensoleillé, je ferais un peu d’exercice pour maigrir… Du genre courir après les papillons, vous voyez ? Rien à faire, je ne vois pas pourquoi je me donnerais en spectacle en sautillant sur commande, j’ai ma dignité ! Et puis je ne suis pas grosse… j’ai l’air un peu enveloppé, mais c’est une illusion d’optique : ma superbe fourrure à trois épaisseurs en est responsable… En plus elle a des rayures horizontales, tout le monde sait que c’est grossissant. En plus… Et puis flûte, je n’ai pas à me justifier !

Mes parents étaient tous les deux sur la terrasse, il faisait superbe en ce milieu d’automne et moi, je dormais… pardon, je méditais sur un fauteuil à l’intérieur de la maison, dans la petite pièce qui donne sur le jardin. De ce siège moelleux, j’ai vue sur la porte. Il faut bien que je surveille Orca lorsqu’il se balade dans les parages !

- Tiens, vous êtes là, jolie Ardoise ?
Qu’est-ce que je disais ! Il a suffi que je ferme les yeux un tout petit instant pour que le loup montre sa queue !
Il n’a pas l’air tellement heureux de me voir, aujourd’hui, bien qu’il me salue avec sa courtoisie habituelle. J’ai cru comprendre que, lorsque je ne suis pas là, il mène mes parents par le bout du nez. Quand je suis présente, il doit se montrer circonspect : après tout, c’est moi, Ardoise, la maîtresse de maison ! Je vais d’ailleurs lui rafraîchir la mémoire à ce sujet, cela ne lui fera pas de tort !
L’air aimable, je l’interroge :
- La semaine dernière, z’avez passé un bon week-end avec MES PARENTS-Z-A MOI ?
Admirez le subtil sous-entendu ! Tout en finesse !
- Excellent ! rétorque-t-il suavement. « Un peu trop court, toutefois… deux jours, ça passe vite ! »
- La nourriture vous plaît ?
- Elle est délicieuse !
- Permettez que je vérifie ?
Sans attendre la réponse, je quitte mon fauteuil d’un bond, file droit sur la gamelle d’Orca et y plonge le nez.
Des croquettes ! Je m’empiffre avec allégresse. En général, je n’en reçois pas beaucoup parce qu’il paraît que je ne bois pas assez. Et un chat qui mange des croquettes doit boire, il paraît. Je me demande qui a inventé ça.
A un mètre de moi, silencieux mais l’œil inquiet, l’Orca me regarde vider son assiette. Scouby s’indigne : « Ardoise ! Tu n’as pas honte ? »
Moi ? Non ! Je sais bien que l’Orca ne va pas mourir de faim, il est tombé à la bonne adresse !
Quelques instants plus tard, l’estomac bien gonflé, je fais appel à ma dignité naturelle pour regagner mon siège d’un saut élégant, tandis qu’Orca contemple tristement les deux croquettes que je lui ai laissées par pure bonté d’âme.
- Pauvre Orca, s’apitoie Scouby, je vais te donner autre chose, attends !
Qu’est-ce que je disais !

Mais que vois-je ? C’est inouï ! C’est… c’est… inqualifiable !
Sans hésiter, l’Orca emboîte le pas à ma mère d’adoption et les voilà se dirigeant tous deux vers la cuisine !
Tapie dans mon fauteuil, je ne dis rien. Je rumine mes croquettes et mes mornes pensées. Vous imaginez quelle liberté s’est octroyée cet intrus, sans même m’en avoir demandé la permission ?
Et il faut voir de quel air naturel il arpente le carrelage de MA maison ! On croirait qu’il n’a fait que cela toute sa vie ! Assurément, il n’en est pas à son coup d’essai !
Si seulement il pouvait, dans un élan d’orgueil typiquement masculin, lever la queue et asperger les murs de ces quelques gouttes malodorantes qui, parfois, lui échappent ! Scouby le remettrait vite fait à sa place, la seule qui lui convienne : DEHORS !
Pleine d’espoir, je lève le nez, renifle les alentours… Aucune odeur suspecte, zut.
Il fait des efforts d’intégration, en plus !

Comme, ce week-end, Olivier nous accompagne, je fais bien attention : pas question que, d’un regard ou d’un tour de patte, l’Orca me vole l’affection de mon Grand Amour ! Heureusement, il n’y pense apparemment pas. C’est à Scouby qu’il réserve ses regards de merlan frit. Je me demande ce qu’il lui trouve… Moi, quand Olivier paraît, je ne vois plus que lui, c’est l’astre de mon existence !
Le seul problème, avec lui, c’est que lorsqu’il s’occupe de moi quand Scouby et Daniel ne sont pas là, il m’achète des boîtes que je n’apprécie pas tellement-tellement… Et pas moyen de lui faire comprendre que ces petites boulettes en gelée, je les aimais à la folie il y a six mois, plus maintenant ! Il ne saisit pas. Il croit que mes goûts sont immuables. Enfin ! Il faut bien que je mette un peu d’eau dans mon vin, comme on dit. C’est comme ça, dans un ménage !...

Ce dimanche, il fait toujours aussi beau, vraiment un temps exceptionnel. Scouby ouvre la porte du jardin et je m’élance vers ma touffe d’herbe favorite. Je mâchonne longuement, tout en inspectant l’horizon d’un œil de lynx : pas d’Orca en vue ! Je m’installe confortablement sous la table de la terrasse. La vie est belle !
Mais pourquoi Scouby et Olivier rient-ils ainsi ?
- Regarde en l’air, Ardoise !
- ?????
- Miââââââ ! approuve une voix bien connue.
Résignée, je lève les yeux et que vois-je ? Une tête de chat à l’envers !
L’ineffable Orca, bien installé SUR la table, se penche pour mieux me considérer. Je suis peut-être subjective (je le suis même certainement), mais là, j’ai vraiment vu une étincelle malicieuse danser dans son regard ! Je n’ai pas bronché, j’ai fait comme si ses pitreries ne m’intéressaient pas ! Et c’est vrai qu’elles ne m’intéressent pas ! Vrai, vrai, vrai !

Il ne m’a pas taquinée davantage. Il est parti se promener, me laissant en famille, et je ne l’ai plus vu jusqu’à l’heure du départ. J’en étais bien soulagée : je n’aimerais pas qu’il me voie emprisonnée dans mon panier de transport. Je dois ressembler à un mini-fauve ridicule dans cette masse de tissu décorée d’innombrables « Félix » ! Quand on me sort pour poser ma prison sur le siège arrière de la voiture, je me tapis tout au fond : je perdrais toute crédibilité aux yeux des chats du voisinage, s’ils devaient me surprendre dans une telle position ! Et j’ai beau protester vigoureusement chaque fois qu’on m’enferme dans ce panier, peine perdue ! C’est comme si je chantais «Au clair de la lune»!

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Chapitre 10 : L'ARBRE DE NOWELE

Tout doucement le temps s’écoule, les mois s’égrènent. L’automne a pris fin et nous voilà qui approchons de la période de Noël.

En ce moment, Scouby et Daniel sont en perte de tonus.
- Fichu hiver ! disent-ils.
- De quoi vous plaignez-vous, fais-je, confortablement allongée sur mon radiateur bien brûlant. « L’hiver c’est une chouette saison, on ne vous demande pas de sortir, yaka manger, dormir, ronronner… »
- Parle pour toi, Mademoiselle Yaka !
C’est bizarre, j’ai parfois l’impression que Scouby s’énerve quand je tiens des discours comme ça. C’est parce que j’ai toujours raison, elle supporte mal. Elle ne comprend pas la chance qui lui a été donnée par le ciel, de partager sa vie avec la perfection incarnée sous forme de chat !

- Mais pourquoi vous travaillez ? insisté-je. « Z’êtes bêtes : faites plutôt comme le Maître-Chat : il chasse, il pêche, il mendie à gauche et à droite et il dort quand ça lui plaît ! »
- Tu nous vois déjà faire la manche dans le métro ? Et tes boîtes de Félix ? Qui les paierait si on se laissait vivre, comme tu dis ? Et le chauffage ? Ca coûte, le mazout !
Là, je réfléchis : oui, bon, mes boîtes de Félix, c’est important ! Que dis-je ? Vital ! Mon radiateur encore plus ! Je ne l’abandonnerais pour rien au monde en cette saison !
- Finalement, la vie est une mosaïque de choix, dis-je rêveusement. Quand vous avez fait un bon choix, c’est en venant me chercher au refuge Veeweyde, ça c’est sûr ! Excellente initiative ! Pouviez pas mieux tomber que sur moi ! Le mauvais choix, c’est quand vous cochez les cases sur votre bulletin de lotto : vous ne tombez jamais sur les six bons numéros. Remarquez, je ne vous en veux pas pour ça… L’un compense l’autre, après tout! Comme vous devez être heureux, en rentrant du travail, de trouver un petit être aimant, sensible et intelligent, qui vous attend avec le sourire…
- … Et qui ne daigne même pas montrer qu’il est content de nous voir, enchaîne Scouby. « Un petit être aimant et sensible qui se contente de tourner la tête en émergeant d’un lourd sommeil et de grommeler : Tiens, déjà six heures ! Comme le temps passe ! »
- Parfois, je me précipite pour vous accueillir…
- Oui, tu te rues sur la table en balayant tout sur ton passage, tu cries : « Keskon mange? » et puis tu fourres ton nez dans mes sacs à provisions !
Je soupire. C’est l’incompréhension universelle, dans ce logis ! Je me dis toujours que, si je préparais pour de bon mon petit balluchon, ils se précipiteraient à mes pattes en les inondant de larmes et en me suppliant de rester. On peut toujours rêver…

L’autre soir, je me reposais béatement sur mon radiateur, comme de coutume.
La soirée s’annonce calme, Scouby et moi sommes seules. Pas de Daniel ni d’Olivier en vue. Je parie que nous allons toutes les deux nous offrir un petit plateau-repas et regarder la télé sur les genoux l’une de l’autre…

Mais keskelle fait, Scouby ?
Elle arrive dans la salle à manger avec un grand carton, elle dégage un coin du buffet.
- Ardoise, comme nous sommes toutes seules ce soir, nous allons en profiter : on va dresser le sapin de Noël !
- C’est quoi ça, un sapin de Nowèle ?
- Tu sais bien, comme on fait tous les ans !
- Tous les ans pour toi, c’est à peu près tous les sept ans pour moi, comment veux-tu que je me souvienne ? Montre ce que c’est, un sapin de Nowèle !
- Bon, moi je travaille et toi, Ardoise, tu t’installes sur ce petit bout de table, là. Assieds-toi sur ton derrière et reste bien sage !
- Mais je veux aider !
- C’est en restant bien tranquille et en admirant silencieusement ce que je fais, que tu vas le mieux m’aider !
Bon, ne la contrarions pas. Je m’assieds sur le petit bout de table, le bout de ma queue bien calé entre mes pattes antérieures, la tête et le dos bien droits, et je regarde, prête à admirer de confiance tout ce qu’on voudra !

D’un grand sac-poubelle, elle tire une tige de plastique et un trépied. Puis elle déploie les « branches » de la tige de plastique.
J’écarquille les yeux. Un arbre, ça ? Un sapin ? Je connais des sapins, nous en avons dans le jardin à la campagne, mais ça n’y ressemble pas ! Ce machin-ci est tout petit, tout malingre, tout rabougri !
- Ce sera plus joli quand ce sera garni, dit Scouby sans conviction.
Chaque fois qu’elle contemple son sapin après onze mois d’oubli, elle ressent un choc : c’est vrai qu’il est tout à fait misérable !
- Nous sommes du même avis, je pense, dis-je sans trop insister.
Mine de rien, j’ai aussi du tact parfois, comme l’Orca Maître-Chat !

D’un autre sac, Scouby tire des boules multicolores, des petits objets en bois, des angelots en tissu… tout cela incassable, bien sûr, à l’épreuve des pattes félines de qui vous savez… Prodigieusement intéressée, j’avance la tête d’un centimètre.
Elle accroche ces jouets aux branches du « sapin ». Puis vient un moment passionnant : elle déploie de longues guirlandes brillantes, bleues, blanches, dorées…
Cette fois, mes bonnes résolutions s’enfuient à tire d’aile. Prestement, je m’approche et d’un coup de patte, mets les guirlandes en mouvement. Ca scintille, c’est beau !
- Ardoise ! Je t’ai dit de rester assise sans bouger !
Mais à qui croit-elle parler ? A un chien ? Je ne suis pas un chien, mais un chat fier et indépendant, comme le dit si bien Sa Seigneurie !… Je continue mon petit jeu.
En désespoir de cause, Scouby trouve le moyen de m’éloigner en me faisant cadeau d’un morceau de guirlande. Tandis qu’elle poursuit tranquillement son travail de décoration, je joue par terre, parsemant le tapis de petits bouts de papier rutilant.
Peu après, ayant épuisé les charmes de ce nouvel amusement, je viens voir où elle en est.
Oh ! Elle a mis des petits personnages au pied du « sapin » et elle est en train de déposer une minuscule poupée dans une sorte de petit nid de paille ! Je tâte la poupée du museau.
- On ne mange pas le petit Jésus ! Pas touche à la crèche !
On le saura, hein ! Je ne peux pas toucher à l’arbre de Nowèle, ni à la crèche, ni aux cadeaux… Les cadeaux, c’est ça le plus dur, parce qu’ils sont tous surmontés d’un ruban doré qui tirebouchonne… et moi j’ADORE les rubans des emballages-cadeau !
Scouby les dispose artistiquement, en dissimulant de son mieux les objets de mon désir. Croit-elle me leurrer ? Je vais attendre qu’elle soit partie et ensuite… Peut-être même cette nuit, tiens !

Avec un air de fausse sagesse, je vais m’installer dans mon fauteuil préféré, près de la fenêtre, et je regarde au-dehors d’un air blasé.
Quoi ? Que vois-je ? Un MERLE sur mon balcon ?
Ma queue se met à fouetter l’air avec vigueur, mes dents claquent de convoitise.
Je me rue hors de mon fauteuil et soulève le rideau avec ma tête. Je suis hirsute et survoltée.
Le merle, bien à l’abri derrière la cloison de verre, me regarde d’un œil moqueur et lance quelques trilles. Puis il s’en va.
Frustrée, je regagne mon siège, la queue basse.
Ensuite, j’ai complètement oublié d’aller farfouiller dans les cadeaux !

Ce que je fais tout de même, de temps en temps, quand ils ne sont pas là, c’est aller jusqu’au sapin et déranger une guirlande dont la disposition ne me plaît pas. Mais apparemment, mes goûts en matière de décoration sont bien méprisés dans cette maison ! Immanquablement, je retrouve la guirlande comme elle était.
Bientôt, dans quelques semaines, Scouby va remiser l’arbre de Nowèle dans son sac-poubelle et le remettre au placard pour sept longues années félines. Pour ce faire, elle devra bien entendu en ôter toutes les guirlandes… et qui sera là, à l’affût ? Devinez !

Au réveillon de Noël, j’ai reçu des crevettes. C’était fameusement bon, j’en redemandais, vous pensez bien ! Puis j’ai mangé du steak. J’ai beau me plaindre de temps en temps, je ne suis pas si mal dans cette maison où le chat fidèle reçoit sa part du réveillon !
Il n’a pas dû se régaler comme moi, le pauvre Orca Maître-Chat, dans la nuit du 24 décembre, au fond de son bled perdu… Mais il se rattrapera au Nouvel An !

Evidemment, l’esprit de la chatte Caramel (Sa Seigneurie) s’est à nouveau montré à moi en cette nuit spéciale. Et elle n’a pas manqué de le critiquer, notre sapin !
- Qu’est-ce que c’est que CA ?
Je chuchote, intimidée comme toujours.
- C’est un arbre de Nowèle, Vot’Seigneurie !
Elle se déplace jusqu’au sapin, le contemple, le renifle…
- Ca ne sent rien… Ah, les choses ont bien changé depuis mon jeune temps !

Elle prend son envol et atterrit délicatement, comme une bulle, à côté de moi. Pendant ce temps, ma famille réveillonne sans soupçonner le moins du monde que j’ai de la visite! On me croit endormie… Ils sont vraiment obtus, ces humains ! C’est bien plus gratifiant d’être un chat !

- C’était comment, dans vot’jeune temps, Vot’Seigneurie ?
- Ah, petite chose, c’était bien mieux que maintenant !
Ca, je l’aurais parié ! Elle poursuit.
- Le Noël de ma jeunesse… Je veux dire, le premier Noël que j’ai passé ici, quelle fête ! Pour moi, je veux dire.
- Comment cela ?
Elle jette un regard désapprobateur sur MON arbre de Nowèle.
- Ils n’ont même pas mis les boules dorées et rouges, toutes brillantes, dans lesquelles j’admirais mon reflet !
- Non, mais y z’ont mis des petits objets en bois !
- En bois ! (elle lève les yeux au ciel). Comment peux-tu t’amuser avec des objets en bois ?
- Mais c’est pas pour moi, je peux toucher à rien, seulement admirer de loin, qu’elle a dit Scouby !
- Et toi, tu obéis comme un toutou ? Et mes leçons, qu’est-ce que tu en fais ?
- Hum, je…
- Enfonce-toi dans la tête que tu es un CHAT ! Un chat fier et libre qui fait tout ce qu’il lui plaît ! La gloire du monde animal ! Pas de compromis, avec un chat : c’est lui le maître !
Elle est tellement convaincante que je finirais par la croire. Je lève la tête, allonge les pattes, prends un air d’extrême dignité. Elle me regarde faire, un tantinet découragée. Apparemment, je ne suis pas très crédible… Parlons d’autre chose.
- Dites quand même comment c’était de votre temps, un arbre de Nowèle, Vot’Seigneurie!
- C’était plus grand que « ça » ! Plus touffu. Garni d’une multitude de boules que j’aimais agiter de la patte et voir s’écraser sur le sol avec un joli petit bruit cristallin. Un arbre de Noël, dans ma jeunesse, c’était fascinant ! Hélas, il y a bien longtemps de cela… J’étais toute petite encore. Après une année de séjour ici, je n’ai plus reçu d’arbre de Noël !
- Pourquoi ça ?
- Demande-leur, pourquoi ! Comment veux-tu que je le sache ? Comme par hasard, les années suivantes, ils déménageaient mon panier et ma gamelle dans une chambre et fermaient la porte qui donne sur la salle à manger ! J’étais confinée dans trois pièces durant plusieurs jours… Inutile de te décrire mon humeur ! Le soir, je pouvais sortir, sous étroite surveillance… et ne crois pas que j’avais les yeux dans la poche : j’ai bien vu qu’ils avaient dressé pour EUX un arbre de Noêl ! Ils voulaient en profiter tous seuls, les égoïstes !
Je compatis, tout en me doutant bien des raisons de cette mise à l’écart toute relative. La pauvre Caramel, avec sa mentalité de princesse chatte, ne pouvait pas imaginer une seconde que tout élément nouveau dans la maison ne fût pas destiné uniquement à son propre amusement ! Et je suppose que mes parents d’adoption n’avaient pas tellement apprécié, en ce premier Noël passé avec elle, d’entendre continuellement le bruit cristallin des boules rouges et dorées s’écrasant sur le sol…
- Vous aviez peut-être des compensations ? dis-je d’une voix encourageante.
- Il n’aurait plus manqué que ça ! s’exclame-t-elle. « Bien sûr, chaque soir, j’avais droit aux plus douces caresses, aux meilleurs morceaux de viande, à des petits carrés de chocolat bien crémeux… »
Je frissonne d’horreur : du chocolat ! Et crémeux, en plus ! Pouah !
Perdue dans ses rêves gourmands, Sa Seigneurie s’amadoue sensiblement.
- Enfin, c’est pas tout ça, dit-elle. « J’étais venue te souhaiter un joyeux Noël , petite chose, ainsi qu’à ma famille ! »
Et frrrrrrt ! Elle s’envole, comme la dernière fois. Moi, je m’endors. Je suis encore trop petite pour rester éveillée jusqu’à minuit !

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Chapitre 11 : FRAYEUR ET HUMEURS

Quelques jours plus tard, Scouby a invité son frère, sa belle-sœur et son petit neveu à passer la soirée chez nous.
En général, je n’aime pas trop quand nous avons de la visite… Ca chambarde ma petite vie bien ordonnée. Mais comme je suis une brave chatte, je ne dis rien.
La soirée s’est très bien passée : le petit garçon m’a gentiment caressée, j’étais assez contente, mais je trouvais quand même que c’était un peu long. Je ne suis pas une couche-tard, en général, je crois l’avoir déjà dit !
Plongée dans un demi-sommeil, j’entendais parler, discuter, rire… Ce n’était pas seulement long, mais un peu bruyant, aussi ! De temps en temps, je poussais un petit soupir agacé en me tournant et me retournant sur le dossier de mon divan.
Parfois j’ouvrais un œil : « C’est pas presque fini, non ? J’veux dormir, moi ! »
Enfin, bien après mon heure de repos habituelle, ils se sont levés, ont mis leurs manteaux…
- Ah ! Je vais pouvoir dormir ! Pas trop tôt !
Mais que se passe-t-il ?
Mon « tonton », habillé pour sortir, me prend dans ses bras. Envisagerait-il de m’emmener avec lui ? Scouby m’aurait-elle donnée ? Comme un vulgaire objet dont on se débarrasse quand on n’en veut plus ?
Je hurle en me débattant de toutes mes forces : « Non, non, j’veux rester ici ! Au secours! Au secours ! »
Je suis devenue une boule de nerfs en l’espace d’un instant ! Effrayé, mon tonton me lâche dans les bras de ma mère d’adoption, à qui je m’agrippe désespérément.
- Voyons, Ardoise ! Philippe ne voulait pas t’emmener ! Il voulait simplement te dire au revoir… Il aime beaucoup les chats !
Justement ! Quand on aime beaucoup les chats, comment pourrait-on résister à kidnapper la merveille que je suis ?
Le petit garçon, ébahi, me fixe avec des yeux ronds. Il a l’air de penser : « Quel étrange animal ! »
Un peu rassurée, je les ai regardés franchir le seuil…
Après, toute ma famille s’est mise en quatre pour me calmer et me consoler.
Quelle méprise… et quelle frayeur !

A présent, je me demande bien pourquoi j’ai réagi comme ça ! Je ne me comporte pas ainsi d’habitude ! Est-ce que j’aurais encore, tapie au plus profond de moi-même, la peur d’être abandonnée ?
Il faut dire aussi que je ne vois pas souvent mon tonton Philippe ! Quand le frère de Daniel, tonton Jean-Marc, et ma tante Chantal viennent à leur tour en visite, je les accueille avec plaisir, parce que j’aime bien leurs vestes ! Ils les posent sur une chaise en arrivant. Moi j’attends quelques instants, qu’on ne fasse pas attention à moi et hop !... je me fourre sous les vêtements, j’essaie d’entrer dans les manches… C’est follement amusant !
- Ardoise !
- Oh, ça n’a pas d’importance, dit ma tante Chantal : « Elle doit sentir l’odeur de Pastelle!»
Elle est bien gentille ma tante Chantal, et moi j’ai bien chaud dans la manche de sa veste. Je m’y endors. C’est vrai que ça sent la « Pastelle » ! C’est une chatte rousse, de mon âge… et je crois qu’elle est aussi délurée que moi !
Comme moi, elle prend souvent un air modeste, mais il ne faut pas s’y fier ! Ainsi, elle adore les bijoux !
Si une dame, ornée comme un sapin de Noël, vient par hasard rendre visite à mon tonton et à ma tante, Pastelle dévisage la nouvelle venue d’un œil émerveillé. Flattée par cette admiration, la dame prend Pastelle dans ses bras… et la rouquine agrippe les bijoux !
- Miaou ! Donne-moi la petite chaîne qui brille à ton cou ! Donne-moi ta belle bague !
Une vraie croqueuse de diamants, cette Pastelle !

Vous avez certainement remarqué que, dans mon genre, je ne suis pas mal non plus. Par exemple…

Olivier rentre à la maison. Comme il peut aussi bien être midi que minuit (il n’a pas d’heure, Olivier, il mène sa vie d’étudiant à fond !), il ne mange que lorsqu’il a faim.
Après lui avoir fait fête, je le suis d’un petit pas décidé dans la cuisine, où je le vois plonger la tête dans le frigo.
Il se prépare des sandwiches ou fait chauffer un plat au four à micro-ondes, selon son envie du moment. Puis, muni d’un plateau copieusement garni, il va s’installer dans un fauteuil.
C’est alors que j’entre en scène.

Je saute sur l’accoudoir du fauteuil, la tête penchée vers le plateau.
- Descends, Ardoise, tu n’aimes rien de ce que j’ai là !
C’est bien possible… c’est même probable, mais qui sait ? Peut-être vais-je me découvrir une passion imprévue pour les cornichons ? J’insiste :
- Allez, laisse-moi renifler ton assiette ! Laisse-moi goûter !
- Non, pas question !
- Un tout petit, petit bout…
De guerre lasse, il me donne un morceau de sa tartine.
Je hume d’un air dégoûté.
- Peut-être que je préférerai autre chose…
- Ardoise, descends de ce fauteuil !

J’obéis, la rage au cœur, et vais m’asseoir sous la table du salon, couvrant mon bourreau d’un œil plein de rancœur. Je fulmine : « Je suis une incomprise, grmmm, personne ne m’aime ici, grmmm, si j’avais su, grmmm… »
- Allons, Ardoise, intervient Scouby, arrête de te monter la tête ! Tu sais très bien que rien de ce que tu penses là n’est vrai ! »
Je la regarde, un peu estomaquée. Comme d’habitude, elle a lu mes pensées dans mes yeux ! Elle prétend que j’ai le regard le plus parlant qui soit ! Si seulement je pouvais me dissimuler derrière d’épaisses lunettes noires, comme Greta Garbo… Je crois l’avoir déjà dit, c’est une réflexion que je me fais souvent.
Evidemment, deux minutes après, je n’y pense plus.

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Chapitre 12 : PETIT DIALOGUE DE CHATS

- Charmante Ardoise…
- Kwâââââ ?
- Est-ce que, moi aussi, je peux écrire quelques mots dans le volume de vos Mémoires ? Histoire qu’on sache qui je suis, quoi ?
- Hein ???? CA VA PAS LA TETE ? Z’êtes RIEN !
In petto : Zut ! Elle est TRES fâchée ! Mais qu’est-ce qu’elle est rigolote quand sa queue fouette l’air comme ça !
- Et puis, faut pas oublier, hein : « Oncques ne cherche noyse… »
- « A la marrante chatte Ardoyse », je sais !
- Vaillante, vaillante, vaillante !!!
- Plaît-il ?
- Vaillante chatte Ardoyse ! Z’avez dit : marrante !
- Oups, quel lapsus ! C’est ma pensée profonde qui inconsciemment est venue à la surface… Je vous prie de m’en excuser ! Mille fois pardon, vaillante Ardoise !
- Ah, comme ça, alors ça va !

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Chapitre 13 : ORCA, MAITRE-CHAT !



Miââââââââ ! Tout le monde !
Je me présente : Orca, maître-chat !
Si vous lisez ce livre, je suppose que vous aimez beaucoup les animaux, les poilus à quatre pattes comme moi ou la marr… ravissante chatte Ardoise.
Je suppose que, de temps en temps, elle vous dit pis que pendre de ma petite personne, non ?

Il ne faut pas croire TOUT ce qu’elle raconte. Parfois, c’est vrai, il m’est arrivé d’être un peu maladroit vis-à-vis d’elle… Que voulez-vous ? Je suis de la campagne, je prends la vie comme elle vient et certaines susceptibilités me sont étrangères ! Ainsi, l’autre jour, je me suis rendu compte qu’elle DETESTAIT ma manière de lever la queue sur les briques de la demeure qu’elle considère comme sienne. Depuis lors, je suis prudent : je le fais quand elle a le dos tourné… Mais je crains fort qu’elle ne soupçonne quelque chose : elle se met à froncer le nez d’une manière dégoûtée, je ne comprends pas pourquoi.

Tact et diplomatie, telle est ma règle de vie. Quand il m’a fallu quitter le giron maternel, ma brave chatte de mère m’a dit en me léchant le museau : « Chaton noir et blanc, tu es un vagabond et tu le resteras sans doute. Pour survivre, use de tact et de diplomatie, et tu recevras toujours à manger ! »
J’ai obéi à ma mère et m’en suis trouvé bien. Elle connaissait la vie, ma Maman !

Il faut dire que j’ai une certaine distinction naturelle : je suis musclé, sans graisse superflue, j’ai un œil plus petit que l’autre, ce qui me confère un regard particulier et un charme inimitable. Tout le monde dit que je ressemble à Depardieu, de visage surtout… Le Depardieu de la meilleure époque, bien sûr.

Il y a quelques mois, déambulant dans le village, j’ai aperçu une dame qui déposait devant sa maison une gamelle bien remplie. Intéressé, je me suis approché, j’ai goûté la mixture et j’ai remercié la dame d’un ronron soutenu.
Ce premier jour, je ne me suis pas incrusté. Je me suis contenté de ce petit compliment et je suis parti. Point trop n’en faut.

J’ai étalé ma conquête sur plusieurs mois : aux mots ont succédé les caresses, puis ces gens que j’appelle « ma famille de week-end » m’ont donné un nom : Orca. C’est joli, n’est-ce pas ? Puis je suis monté sur les genoux pour me faire câliner. Puis je suis entré dans la maison. Maintenant je suis ici chez moi.
Le week-end dernier, j’ai passé la soirée du samedi sur le divan du salon, blotti contre M’dame Scouby, devant le feu ! Je deviens un gentlecat-farmer, vous voyez !

Je dois toutefois faire gaffe à la drôle de petite bête grise qui les accompagne parfois. La vaillante chatte Ardoise, comme elle dit elle-même. Quand elle est là, je marche sur des œufs… Elle est parano à un point impossible ! Il faut que je lui manifeste le plus profond respect, alors « Comme ça, ça va ! », comme elle dit toujours. Mine de rien, je préfère quand elle reste dans son appartement, en ville. Elle aussi, je crois. Elle est spéciale, mais pas du tout méchante, je dois bien le reconnaître. Nous entretenons des relations courtoises, après des débuts un peu difficiles…

Parfois, ma « famille de week-end » reçoit de la visite, alors je me montre encore plus aimable. Tout le monde raffole de mon charme, je l’avoue en toute modestie !!! On me photographie, on me filme… Depardieu, comme je disais !

Certaines personnes sont parfois des réactions bizarres, je vous laisse juger : un monsieur et son épouse sont venus récemment passer un week-end chez nous. Ils semblaient bien aimables, mais chaque fois que je m’approchais d’un air engageant afin de lier conversation, le monsieur faisait : « Atchoum ! Atchoum ! »
Etrange et incompréhensible.

Une autre fois, deux dames de la famille sont venues également.
En écoutant attentivement la conversation, j’ai compris que la première s’appelait Madame « Maman » et l’autre, Madame « Bobonne ». Ah bon ! Entre elles, elles s’appelaient encore différemment, ce que je ne peux comprendre malgré toute mon intelligence. Quand on a un nom, on le garde quand même ! Moi, c’est Orca, un point c’est tout !

Je me suis approché des deux dames et me suis présenté : « Bonjour, Mesdames ! Orca, maître-chat ! »
- Oh, qu’elle est mignonne ! s’est écriée Madame Bobonne.
- Maître-chat ! ai-je insisté : CHAT !
M’dame Scouby m’a servi à manger. J’avais une faim féroce et me suis aussitôt attaqué à la pâtée.
- Comme elle mange bien ! s’est extasiée Madame Bobonne.
- Chat, chat, CHAT ! Pas chatte, CHAT ! ai-je répété en avalant de travers.
- Elle ressemble à ma Scoubidou…
Une atroce angoisse prenait peu à peu possession de mon âme : est-ce que j’ai vraiment l’air de… ? Est-ce qu’on dit de Gérard : «Comme elle est mignonne !» ? Non, n’est-ce pas? Alors, est-ce que je ressemble VRAIMENT à Depardieu ou m’a-t-on trompé depuis tant d’années ? Est-ce que j’ai l’air d’une chochotte, pour appeler un chat un chat ?

M’dame Scouby a eu pitié de moi.
- C‘est un GARCON, Bobonne, a-t-elle dit.
- Ah ? C’est un garçon ?
- C’est même un fameux matou ! Un tombeur !
Alors là, j’étais content. J‘ai terminé ma pâtée, le cœur léger.

Après, je suis allé flairer les divers objets que les visiteuses avaient laissé traîner çà et là…
Un cri terrible m’a glacé le sang. C’est Mme Maman qui l’avait poussé :
- Iiiiiiiiih ! Adèle ! Attention, il va faire pipi sur ton sac !
Mme Bobonne a aussitôt saisi son sac entre ses bras et l’a serré contre son cœur en me foudroyant du regard.
J’étais vexé : pipi, moi ! Je sais me tenir !
J’envisageais simplement de marquer de ma délicate empreinte et de mon subtil parfum cet objet en cuir qui me plaisait bien. C’est étrange, on dirait que cette manifestation d’intérêt déplait…
Quand je déambule dans la maison, il me semble toujours qu’on me suit des yeux avec une certaine méfiance. J’ai bien fini par comprendre que certain geste (si naturel, mon Dieu, si naturel !) n’est pas de mise ici.
Empli de tact et de diplomatie, je me fais discret.
Il paraît que je fais de grands progrès !

A tous petits pas, je me suis introduit dans leur affection. Vous devriez entendre les cris de joie qui m’accueillent le vendredi, quand je passe ma tête sous la haie et leur dédie mon regard si « craquant », comme dit M’dame Scouby !
Alors je vais vers eux, tout beau tout propre (je passe des heures à ma toilette, la dernière fois M’sieur Dan -oui, je l’appelle comme ça, j’aime bien, ça fait américain- m’a même dit que j’avais l’air de sortir du « cat-wash » !), je me fais câliner…
Et même si j’ai très faim, je fais passer les caresses avant la nourriture : « Tact et diplomatie », comme elle disait ma Maman !
Avec « Orca, Maître-Chat ! », c’est ma devise !

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Je continue mon récit… sans le dire à la douce Ardoise, évidemment. Elle me ferait introduire une demande timbrée, en trente exemplaires, que je serais obligé de lui soumettre en me tenant en équilibre sur mes pattes de devant, le temps qu’elle lise tout ça en prenant bien son temps… Sans blague !
Orca maître-chat a plus d’un tour dans son sac, croyez-moi !

Je ne peux résister au plaisir de vous relater les progrès que j’accomplis, régulièrement, dans le cœur de ma famille d’accueil… Qui aurait dit, il y a à peine six mois, que je partagerais à plein temps la vie de week-end de M’dame Scouby et M’sieur Dan ?
A plein temps, je dis bien… Et cela s’est fait si doucement, si naturellement.
Tact et diplomatie… Ah merci, merci Maman !

Jusqu’il y a une semaine, je dormais encore dehors. Je passais le samedi et une partie du dimanche chez eux, bien installé sur le divan du salon, choyé, nourri comme un coq en pâte… Mais lorsqu’ils allaient se coucher, je devais sortir.
Il suffit de si peu pour changer une situation inconfortable, si vous saviez ! Un doux regard blessé, plein de reproche… Un petit gémissement…

Le cœur humain se fend.
- Il pleut… je n’aurai jamais le cœur de faire sortir ce chat sous la pluie !
Je coule un regard mordoré, plein d’adoration, sur la personne qui vient de prononcer ces quelques mots. Je me garde bien de faire remarquer que mon état de SDF me met fréquemment en contact avec les éléments déchaînés…
- On va l’emmener dans la chambre !
J’étais aux anges, vous savez ! Evidemment, dimanche soir, je me retrouverai dehors… mais ne voyons pas si loin : toute nuit de confort est bonne à prendre !

Ils étalent une couverture duveteuse au pied de leur lit. Je m’y étale voluptueusement. Je ne mettrais pas longtemps à m’habituer à tout ça, je crois !
Tiens, qu’est-ce que c’est que ça ? M’dame Scouby m’appelle :
-Orca, viens voir !
Intrigué, je vais voir. Elle est occupée à disposer sur le sol de la chambre voisine une espèce de grand plateau empli d’une matière grumeleuse.
- C’est pour le petit pipi !
- Très joli, dis-je poliment.
Je n’ai rien compris, mais cela n’a sûrement aucune importance. Si la douce Ardoise était là, je lui demanderais, mais elle est absente ce week-end. Paraît que c’est une citadine « invertébrée », comme on dit.
Je retourne me coucher sur la couverture et je dors toute la nuit ! Au matin, je claironne: « Debout, là-dedans, je dois faire mes petits besoins ! ».
Ils soupirent mais se lèvent quand même, ouvrent la porte du jardin. Je sors, me soulage. Je reviens. Comment ? Ils ont fermé la porte !
Je saute sur l’appui de fenêtre, me dresse tout debout. Je miaule désespérément, dépité.
Ils ne me laissent entrer qu’une heure après. Je suis indigné : « Hé, vous auriez pu ouvrir plus tôt ! »
- On s’est rendormis, Orca, désolée…
Le lendemain…

Je ressentais comme une petite lourdeur dans le ventre, mais je n’ai rien dit. Dans le lit, ça ronflait ferme.
Je suis allé renifler le plateau de sable qui ne m’a pas livré ses secrets.
« Dans le doute, abstiens-toi », qu’elle disait aussi, ma Maman !
J’ai déposé un petit cadeau, tout petit, à côté du beau bac à sable bien propre.
Et figurez-vous que, le matin venu, je me suis fait gronder : c’était pas ça qu’il fallait faire !
- Orca ! Petit cochon !
Je me suis senti soulevé, posé dans le bac à sable. M’dame Scouby agitait mes deux pattes antérieures pour me montrer : « Gratt, gratt, gratt… Regarde ! C’est comme ça qu’on fait ! »
Je lui dédie mon plus beau regard doré…. Plein d’incompréhension.
- Qu’est-ce qu’on va faire de ce chat ? Il est peut-être trop âgé pour être éduqué, le pauvre ?

Et subitement, l’illumination est venue ! Eurêka ! J’ai compris ! Comme ça, d’un seul coup!
J’ai été foudroyé par la Révélation !
Maintenant je sais !
Qu’est-ce que je suis intelligent, non ?

Il y a juste eu encore une fausse note… Oh, infime ! Je n’avais pas encore TOUT compris. C’est compliqué cette histoire de bac de sable, vous savez !
Admettez que, pour un chat, apprendre à se servir de cet ustensile en un week-end seulement, c’est déjà une réussite ! Mais je me demandais, pour le petit pipi…
Ce matin à l’aube, ma vessie se rappelait à mon bon souvenir.
Le bac, c’était pour le petit pipi aussi, ou pas ?
Et si je faisais ça discrètement, dans un récipient plus approprié ? Ce serait mieux, non ?
J’ai suivi mon impulsion puis me suis recouché, satisfait.

Deux heures plus tard…
-Mais ! Ma pantoufle est trempée ! s’est étonné M’sieur Dan en chaussant une de ses charentaises. C’était vrai, elle dégoulinait un peu…
Un ange est passé. Je l’ai suivi du regard sur le plafond de la chambre.
Ils ont trop ri pour me gronder. Paraît que je ferai mon apprentissage petit à petit…
Les pantoufles de M’sieur Dan sont dans la poubelle… Apparemment, ce n’était pas le récipient adéquat.

Si je vous ennuie avec ces détails qui peuvent vous paraître bien triviaux, c’est que pour moi, c’est très important ! J’ai grimpé d’un échelon dans l’échelle sociale : moi, le vagabond, peut-être que je vivrai plus tard dans une maison à moi, qui sait ? Les choses sont en bonne voie… je vais recevoir une petite chatière, ce qui me permettra de me mettre à l’abri quand il fera trop froid et que ma famille d’accueil ne sera pas là. Ils ont même dit qu’ils me laisseraient des provisions, des croquettes…

Ah, vraiment, comme j’aime les week-ends ! Le vendredi soir, je vois arriver la voiture, j’arrive, tout frétillant de joie. Je passe deux jours merveilleux, à me faire gâter.
Le dimanche soir, c’est moins drôle : ils me déposent délicatement sur le seuil de la porte du jardin. Dehors, sous un petit abri à ma disposition, ils préparent deux ou trois assiettes bien garnies, deux bols de lait… on dirait des offrandes à un dieu païen.
Ils sont dans tous leurs états, sauf la chère Ardoise (quand elle est là) qui est bien contente de retrouver son appartement.
Moi, l’air désespéré, je les regarde partir en agitant mon mouchoir. Un peu de culpabilité n’a jamais fait de mal à personne et surtout, cela fait avancer mes affaires !
Puis, quand la voiture a tourné le coin de la rue, je vais retrouver ma douce fiancée toute noire, Néfertiti la bien nommée. Grand seigneur, je l’invite à venir se sustenter chez moi, elle est très contente et moi aussi. Nous mâchouillons de concert.
J’ai pris un peu de poids ces derniers temps…

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Chapitre 14 : NOUVEAU DIALOGUE DE CHATS

Orca (souriant) : Bonjour, belle Ardoise !
Moi (décontenancée) : Vou-z-issi ? Dans mon appartement ?
Orca (rassurant) : Mais non, chère Ardoise, je vous parle par télépathie ! En ce moment, je suis assis sur la pelouse de votre jardin, à la campagne !
Moi (soulagée) : J’aime mieux ça !

Je regarde autour de moi : ah, mon appartement douillet et tranquille ! Que je suis heureuse d’en être la seule maîtresse ! Orca ici, ce serait un cataclysme ! Attila ! Un ouragan ! Un cyclone ! La fin du monde ! Pis encore !

Le cyclone Orca : Mais non, ce ne serait pas si terrible !
Moi (stupéfaite) : Comment savez-vous ce que je pen…
Orca (doctoral) : Nous communiquons par télépathie, ne l’oubliez pas !

Si je ne peux plus penser en toute liberté, maintenant ! Comment rompre le contact ?

Orca (souriant) : C’est très facile : il vous suffit d’arrêter de penser à moi !
Moi (véhémente) : Mais je ne pense pas tout le temps à vous !
Orca (conciliant) : Pas tout le temps, non, mais souvent quand même ! La preuve : il m’a suffi de me concentrer un tantinet et… clic ! Contact !
Moi (bougonnant) : Enfin, ce qui compte, c’est que vous ne soyez pas ici en chair et en os, à me pomper l’air jusque chez moi !
Orca (séducteur) : Vous n’avez pas envie de faire la conversation ? Vous devez vous ennuyer là, toute seule !
Moi (volubile) : Non, non, je dors presque tout le temps ! Je fais de la relaxation. Parfois, je joue avec mes petites souris. Puis je vais manger. Puis je me rendors. Puis…
Orca (estomaqué) : Une vraie vie de pacha, dites donc !
Moi (indignée) : Mais si, je suis un chat ! Je vous défends d’en douter !
Orca (vivement) : Loin de moi cette pensée ! Je voulais dire : une vie agréable, pleine de délices…
Moi (blasée) : Oh, ça, c’est beaucoup dire ! Je ne suis pas mal lotie, c’est vrai, mais la gamelle est un peu monotone…Qu’est-ce que vous mangez, là, chez moi à la campagne ?
Orca (illuminé) : Les week-ends, c’est extra ! Des boîtes que m’achète M’dame Scouby : Kitekat, Whiskas et tutti-quanti…
Moi (stupéfaite) : Tiens, vous trouvez ça extra ?
Orca (sur sa lancée) : L’autre jour, j’ai reçu des rillettes ! Et des saucisses de Francfort !
Moi (frissonnante) : Beurk ! Et en semaine ?
Orca (assombri) : Ah, en semaine, faut que je me débrouille tout seul… Je fais les poubelles…
Moi (connaisseuse) : Comme moi quand j’étais petite !
Orca (soupirant) : Parfois, j’attrape un oiseau ou un petit rongeur…
Moi (dépitée) : J’y suis jamais arrivée ! Une seule fois, j’ai tué un papillon, sans faire exprès ! Je me suis fait enguirlander, j’vous dis pas ! Et ici, les oiseaux, je ne les vois que derrière une vitre !
Orca (inquiet) : Dites donc, ça a l’air d’une prison, votre appartement !
Moi (avec feu) : Pas du tout ! C’est le plus adorable endroit du monde ! Un paradis sur terre ! Mais je crois que ça ne vous plairait pas…
Orca (affirmatif) : Je le crois aussi J’ai besoin de ma liberté ! L’idéal, tenez, ce serait week-end tous les jours de la semaine ! La pitance et le lit assuré, et pouvoir sortir quand je veux !
Moi (abasourdie) : Le lit ?
Orca (modeste) : Mais oui, vous ne saviez pas ? Vos parents m’hébergent pour la nuit, maintenant !
Moi (sidérée) : Et quand vous devez sortir ? Pour vos petits besoins ?
Orca (triomphant) : Je les réveille et ils m’ouvrent la porte ! Mais ça n’arrive qu’au matin: en général, je dors comme une souche toute la nuit ! Ils ont dit que j’allais recevoir une chatière au prochain petit Noël ! Peut-être même avant…
Moi (ahurie) : Ils sont zinzin !
Orca (ravi) : Mais non, ils m’aiment bien et je suis très gentil avec eux ! Ils m’ont même donné un diminutif affectueux, comme on parle en Belgique : ils me disent Or-katteke !
Moi (suffoquant) : Kêksaveudire ?
Orca (déconcerté) : Heu… Petit chat en or, à mon avis !
Moi (revancharde) : A moi, ils ont donné tout plein de diminutif-z-affectueux : Mon-Ardoiseke, Grominou, Mamourette, Ptit-bout’chat, Minettadorée… et j’en passe !
Orca (songeur) : Je ne crois pas que ça me plairait qu’on m’appelle « Mamourette » !
Moi (m’esclaffant) : Au fait, ma Bobonne (que vous connaissez, je pense) demande souvent de vos nouvelles. C’est gentil, non ?
Orca (méfiant) : Très !
Moi (me tordant) : Voui, hi hi ! Elle demande comment va la petite chatte Orcatte !
Orca (vexé) : C’est malin ! Bon, c’est pas tout ça, faut que j’aille à la recherche de mon repas, on n’est pas samedi, aujourd’hui ! Dormez bien, « Grominou » !

Contact rompu ! Et comme par un fait exprès, il m’appelle du surnom qui me plaît le moins : Grominou !
Je rumine.
Or-katteke ! Je vous demande un peu ! (Katteke veut dire petit chat en flamand, note de la traductrice)
Si ça ne dépendait que de moi, ce serait : Hors, kat ! Hors, kat ! Dehors le chat ! Du balai !
Grrrr ! M’énerve, ce matou !

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Chapitre 15 : CHOSES SERIEUSES ( ?)

Ma mère d’adoption a posé, sur le dossier du canapé (je suppose que c’est pour dissimuler les traces de mes griffes), un tissu de style « Laura Ashley », avec des petites fleurs. Il ne m’a pas fallu longtemps pour découvrir là une nouvelle occasion de m’amuser.
Je m’approche doucement du canapé, par derrière, et grimpe vélocement (avec mes griffes, bien sûr !) jusqu’au sommet.
- Bouh ! Regarde, Scouby, qu’est-ce que tu vois ?
Elle tourne la tête : une grosse bosse déforme le tissu. La bosse, bien sûr, c’est moi !
Quand j’ai bien ri, je cours dans la chambre, déniche on ne sait comment un sac de plastique et m’y engouffre.
Je reviens dans le salon avec le sac autour du cou. Scouby pousse un cri d’horreur et s’empresse de me débarrasser de mon jouet.
- Ardoise ! Tu vas finir par t’étrangler !
- Beuh non !
- Ces sacs en plastique, ces élastiques que tu mâchonnes… Rien de plus dangereux !
- Je sais ce que je fais, sois tranquille !
J’affecte là une assurance que je ne ressens pas tout à fait. C’est vrai que j’ai parfois du mal à dégager mon cou et mes pattes d’un sac en plastique ! Scouby les cache soigneusement dans un placard, mais comme je suis toujours à l’affût d’un moment d’inattention…

Je grimpe sur ses genoux et m’y étale, avide de caresses.
Elle cache précipitamment ses pieds dans un pan de sa robe de chambre. Elle sait très bien, en effet, que je fais une fixation sur ses orteils. Il suffit que je les voie pour éprouver l’irrésistible besoin de m’y attaquer avec appétit, même dans mes moments les plus sentimentaux ! Je ne sais pas pourquoi, je suis comme ça ! J’ai peut-être en moi les gènes d’un ancêtre tigre ?
Elle décide d’entreprendre une conversation sérieuse. Depuis quatre ans que nous vivons ensemble, je comprends son langage sans effort, à présent. On ne peut pas dire que ce soit réciproque, mais elle fait des progrès, je dois bien l’admettre.
- Ardoise, te rends-tu compte que, l’année prochaine, tu auras sept ans ?
- Et alors ?
- C’est l’âge de raison, dit-elle doctement, il faudrait te montrer moins chaton, moins brouillon, plus adulte…
Je me marre, au point de manquer tomber de mon perchoir.
- Il est vrai que ta puérilité fait partie de ton charme, concède-t-elle, un peu découragée.
- Mais j’ai toujours le visage sérieux : c’est toi qui l’as dit !
- C’est un air que tu as. Mais quand on te connaît…
- Et puis, tu as dit à Daniel, pas plus tard qu’hier : « Notre Ardoise est tellement fantaisiste et intelligente ! » Tu te souviens ? Tu as dit ça parce que je voulais passer la nuit dans le panier du linge à repasser !
Je sais très bien qu’elle admire ma vive imagination. Ce n’est pas elle qui arriverait à passer toute une vie, sans jamais s’ennuyer, dans un espace clos ! Moi, si : je vis des tas d’aventures passionnantes dans cet appartement qui se transforme en parcours d’obstacles, en brousse, en forêt vierge, au gré de ma fantaisie. J’y trouve toujours un élément nouveau qui éveille mon intérêt enthousiaste.
Décidément, je prends le dessus dans cette conversation soi-disant «sérieuse». Taquine, j’assène le coup de grâce :
- Si je calcule bien, à sept ans, j’aurai quelque chose comme 49 ans de vie de chat, et toi seulement 46. Tu me devras le respect… Hi hi hi !
On n’a plus parlé de l’âge de raison. Subitement, ce sujet n’a plus intéressé Scouby.

J’ai eu un moment d’exultation, dimanche passé !
Daniel et Scouby sont revenus de la campagne, le soir. Comme d’habitude, ils sentent le feu de bois mal allumé et traînent des sacs emplis de linge sale. Comment font-ils pour tellement se salir, là-bas ? Est-ce que je tache ma jolie robe grise, moi ?
En brave chatte, je me dresse sur le dossier du canapé pour les accueillir d’un petit «Miaou !» joyeux.
- Eh bien, Ardoise, dit Daniel en me caressant, tu es quand même plus civilisée que ton copain !
Qu’a donc fait l’Orca ? Je suis tout ouïe.
- Il a arrosé la pantoufle de Daniel cette nuit ! s’esclaffe Scouby.
Je hoche la tête avec commisération : quel bouseux, cet Orca !

Si je vous raconte ça, hein, c’est pour que vous sachiez tout, parce que je ne sais pas si le gaillard a osé avouer ça ! Si ? Ah tiens, je n’aurais pas cru…
Arroser une charentaise… Vraiment, quelle drôle d’idée !
J’en conclus avec satisfaction que, décidément, il existe un abîme de différences entre une adorable chatte éduquée à la ville, charmante, distinguée, intelligente etc. etc. etc., et un matou natif d’un village de la Belgique profonde ! Vous ne pensez pas ? Hé hé !!!

Puisque nous en sommes aux choses sérieuses, je vais un peu vous parler de mon «papa», Daniel il se nomme, comme vous le savez déjà ! En général, il est gentil avec moi, mais parfois il fait des remarques que je n’apprécie pas tant, par exemple… (qu’est-ce que vous dites de ça ?)

- Mais ce chat devient ENORME ! C’est effrayant !
Scouby : « Pourtant, elle ne mange pas des quantités astronomiques… »
Moi, plaintive : « C’est vrai, je ne mange presque rien ! Je grignote… »
Visiblement, il ne me croit pas. Pourtant, je suis de bonne foi, vous savez ! Je me contente de toutes petites bouchées, tranquilles, régulières, tout au long de la journée… Est-ce ma faute si l’assiette se vide toute seule ?
- Cette chatte devrait COURIR (Aïe !), faire du SPORT (Ouille !). Où a-t-elle fourré ses petites souris en tissu ?
Bon, je veux bien lui faire plaisir, je suis une bonne fille, moi. Je me mets en position de guet, sous une chaise, le corps tout aplati, prêt à bondir… Mais c’est vrai ça : où sont mes souris ?
Scouby cherche : « Ah, en voilà une ! »
- C’est une blanche, dis-je, déçue. Je préfère les grises. Les blanches m’inspirent moins, allez savoir pourquoi !
- Une seule souris ! Pourtant au départ, tu en avais huit, Ardoise !
Huit ? Tant que ça ? Mais c’est vrai, elle a raison… Mais alors, où sont toutes les autres ?
- Je les ai peut-être mangées ? dis-je spirituellement.
Ils me regardent tous deux avec des yeux ronds. Ils n’ont décidément aucun sens de l’humour : les voilà qui ont pris pour argent comptant ma petite plaisanterie !
Mais que c’est bête, des humains !

Pour montrer ma bonne volonté, je cavale derrière la petite souris qui reste.
Pouf, pouf, pouf !
Je fais le tour du hall, une fois, deux fois (le hall n’est pas très grand, il faut l’avouer) puis je vais m’asseoir sous la table, exténuée.
- Eh bien, Ardoise, tu ne joues plus ?
Mais de quoi donc ils se mêlent, tout le temps ? Bien sûr que si, je joue ! Je joue à hypnotiser la souris de mon regard fascinant et minéral ! Accroupie comme je suis, sous la nappe, je sais très bien que mes yeux prennent un éclat phosphorescent particulièrement inquiétant.
- Vous ne pensiez quand même pas que j’allais courir toute la soirée ! dis-je, indignée. «D’ailleurs, courir me donne faim : c’est un cercle vicieux ! »
Comme mon raisonnement est inattaquable, ils ont fini par me laisser tranquille…

Le dernier week-end, je suis restée avec Olivier à l’appartement, parce que mes parents d’adoption sont allés faire un tour en Bourgogne… Il paraît qu’on y mange bien, qu’on y boit bien… D’ailleurs, je trouve qu’ils avaient un peu grossi quand ils sont revenus : ah, au moins, je ne suis pas la seule ! Et si je leur faisais faire un peu de sport, hein ? Ils seraient contents, à votre avis ?

Ils sont allés visiter des caveaux à vin. Ils nous ont raconté, à Olivier et à moi. Ils pensaient l’expliquer à Olivier tout seul, mais mine de rien, j’écoutais et je n’en perdais rien ! Je pouvais imaginer la scène !

Le vigneron, jovial et visiblement très amoureux de son métier, s’écrie avec un accent musical qui met du soleil dans chacune de ses paroles :
- Voici notre Châtô-La-Pommmpe, quatre-vingnnnt-dissuitte ! Encore jeune, mais qui aura du corps ! Je vous serrrrrs !
- Glou, glou, glou… Il est bon !
- Je vous serrrrs encorrrre !
Sans tenir compte d’un geste de refus poli (uniquement poli, je crois), le vigneron verse « clouche ! » une nouvelle rasade dans les verres !
- Et celui de nonante-sept sera-t-il bon ? demande Daniel.
- Celui de quatre-vingnnnnnt-dissette ? Ah oui ! Vous vous souvenez, on a eu une belle saisong ! Juste assez de soleille, et bô temps pour les vendannnges ! En quatre-vingnnnnt-dissette, il a fait bô, il a fait chô, on allait au raising, en octobrrre, en petites chosssurrrres ! Je vous serrrs du quatre-vingnnnnt-dissette !
- Glou, glou, glou, etc…
Vraiment sympathique, ce vigneron ! Mes parents étaient subjugués…
Heureusement, l’hôtel était situé à côté du caveau à vin ! Parce que je crois que pour reprendre le volant, Daniel n’aurait pas été très frais !

Rien que pour m’assurer s’ils n’étaient pas passés par notre maison de campagne, j’ai soigneusement reniflé le bas de leurs pantalons : aucun effluve de l’Orca, cette fois ! Celui-là, quand il voit mes parents-z-à-moi, faut toujours qu’il se juche sur leurs genoux en ronronnant… rien que pour m’embêter ! Il sait bien que je repère sa délicate petite odeur de maître-chat à cent mètres !

Maintenant, nous venons de passer à l’heure d’été, et je suis toute déboussolée ! Au lieu de me lever avec une heure de retard, comme il serait logique, je suis sur pattes deux heures à l’avance ! A quatre heures du matin, je me rue dans la chambre de Scouby et Daniel et batifole sur le lit. Je vais, je viens, impatiente de les voir se réveiller. Je passe une patte sur la joue de Daniel (en oubliant, exprès, de rentrer une griffe). J’en fais de même pour Scouby. Cette tactique n’ayant pas recueilli le succès escompté (tout juste ai-je obtenu de vagues grognements), je m’installe, bien à l’aise, sur leurs estomacs. Cette fois ils se réveillent, mais croyez-vous qu’ils se lèvent pour câliner le chat fidèle et lui donner à manger ? Même pas ! Une malheureuse, je suis !

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Merci Suzy !

Chapitre 16 : SENSATION AU VILLAGE


Cette scène hautement intéressante se passe dans une rue du village.
- Hiiiiiiii ! Les fiiiiiilles ! Venez… Venez vite ! Je viens de voir… Inouï ! Incroyable mais vrai!
- Qu’est-ce qui se passe ? Quoi quoi quoi ?
- Y a le feu ?
- Eh, approchez, vous autres, Minette a vu quelque chose !
- Allez, Minette, vas-y, explique !

Un cercle de commères chattes dévorées de curiosité se forme autour de Minette qui prend des poses avantageuses, les moustaches encore toutes frémissantes d’émotion.

- Vous savez … Depardieu !
- Depardieu ? L’acteur à deux pattes ?
- Mais non, pas lui ! Son sosie au village : Orca-Depardieu… Vous connaissez, quand même !
- Le mec avec ses petits yeux et son gros pif ?
- Ben oui, Depardieu, quoi ! Avec son regard troublant et irrésistible !
- Moi, je trouve plutôt qu’il ressemble à Salvador Dali !
- Da… Da… Dali ?
- Voui, il a des taches noires si bizarrement posées sur sa figure qu’elles lui donnent un air tout drôle ! Il en a même une de traviole sous son menton ! Vu de face, ça lui fait un demi-menton noir et un demi-menton blanc…Très curieux !
- Tiens, j’ai pas remarqué, moi…
- Enfin, qu’il s’agisse de Gérard ou de Salvador, vous savez qui je veux dire, hein ?
- Oui, oui oui : Orca, le « esse-dé-effe » !
- Eh bien, les enfants, c’est ça la nouvelle : il n’est plus « esse-dé-effe » !

Murmure d’incrédulité.

- Quoi qu’il est, alors ? Il a toujours été « esse-dé-effe » ! Il va casser la croûte chez les autres !
- Il casse peut-être la croûte ailleurs que chez lui, ça peut arriver à tout le monde…
Assentiment général : « oui, oui, oui… »
- … mais il a une maison !
- Ben ça alors ! Où ça ?
- Suivez-moi, passez cette barrière de bois… Pas toutes en même temps, restez pas coincées ! Regardez, qu’est-ce que vous voyez, sur cette porte ?
- On dirait une toute petite fenêtre, à hauteur du sol… C’est bizarre !
- C’est peut-être pour l’aération ?
- Bande d’ignorantes ! C’est une chatière ! Un petit panneau coulissant qui permet à un chat d’entrer et de sortir ! Et devinez qui est le chat en question, hein ?
- Oh, c’est pas vrai ! Orca le « esse-dé-effe » ?
- Il a gagné au lotto ?
- Et il est chez qui, là ?
- Chez l’Ardoise !
- Ah oui, la petite grise toute ronde, aux grosses moustaches tombantes…
- Oui, celle qui ressemble à un phoque !
- Quelle veinarde, cette Ardoise ! Un mec pareil !
- Mais elle n’est pas là, l’Ardoise ! Elle passe l’hiver à Bruxelles, dans sa résidence de ville! Elle a des serviteurs qui travaillent pour elle pendant qu’elle se repose !
- Y en a qui ont toutes les chances : je vois ça d’ici : le bal tous les soirs, le champagne, le caviar…
- Et Orca-Depardieu pour charmer les futures soirées d’été ! Oh, je m’verrais bien à sa place, à l’Ardoise !
- Tiens pourtant… Il n’est pas en ménage, l’Orca-Depardieu ?
- Mais si, c’est vrai, j’y pensais plus : il est avec Néfertiti, vous savez, la noiraude minuscule haute sur pattes ! Celle qui est si timide ! Ils se sont fiancés il y a pas longtemps. Peut-être qu’ils ont rompu ?
- J’crois pas, je les ai vus encore ensemble hier. Mais quelle histoire ! J’en reviens pas !
- C’est un malin, l’Orca ! Comme ça se faire offrir une maison ! Faut l’faire !
- T’es sûre que t’as pas rêvé, Minette ?
- Mais non, regardez, le voilà qui sort justement !

Orca franchit la chatière d’un petit air faraud.
- Salut, les filles ! Venez visiter mon palais, les locataires ne sont pas là pour l’instant… Ne cassez rien, surtout, je suis responsable ! Vous voyez, là c’est la cuisine, avec ma chaise devant le poêle, là, c’est le salon, avec ma petite laine sur le sofa…

Et tandis que l’Orca maître-chat fait les honneurs de sa maison, Ardoise, à 120 kilomètres de là, somnole, confortablement installée sur son repose-pieds préféré, sans se douter le moins du monde qu’aux yeux des chattes du village, elle danse le cha-cha-cha en se gavant de caviar et de champagne tous les soirs !

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Chapitre 17. UNE GRANDE NOUVELLE



J’en ai des choses à vous raconter, z’avez pas idée ! J’espère quand même que la belle Ardoise n’a pas vendu la mèche et que je suis le premier à vous annoncer ce qui m’arrive: malgré toutes les prévisions (même celles de ma brave chatte de mère), j’ai pris du galon ! Je ne suis plus un vagabond ! J’ai ma maison ! A moi !

Qu’est-ce que vous dites de ça ?

Comme vous le savez, jusque tout récemment, ma famille d’accueil me mettait à la porte tous les dimanches soirs, avec mes provisions. Ce n’était pas drôle ! Quand je dormais paisiblement au coin du feu, plongé dans des rêves bleus, le réveil était rude, malgré toutes les caresses dont j’étais gratifié avant leur départ. J’étais obligé de m’en aller tristement, muni de mon petit viatique, dans la grisaille, parfois dans la pluie. Je courbais la tête, traînais la patte, jetais derrière moi des regards désespérés… J’en rajoutais un peu, faut l’avouer.
Cette attitude a porté ses fruits.

L’autre jour, donc, j’étais couché confortablement sur le pull de laine mis à ma disposition sur le divan du salon.
Soudain, qu’entends-je ? Bang, bang, bang ! Des coups de marteau répétés. Puis le bruit d’une scie mordant le bois. Puis M’sieur Dan arrivant à toute vitesse pour chercher un sparadrap. Puis encore tout un remue-ménage, là-bas, dans la petite pièce qui donne sur le jardin.
Que se passe-t-il ? Vais-je y aller voir ? Je suis si bien, ici !
« Dans le doute, abstiens-toi », qu’elle disait aussi ma maman, la sagesse faite chatte.
Je ne bouge donc pas, je me laisse oublier. Si j’y vais, on risque de me mettre à la porte.
Je suis pourtant bien intrigué. Tout en faisant semblant de dormir, je coule des regards curieux vers M’dame Scouby (maintenant je lui dis Scouby tout court, je suis de la famille) qui se tient près de moi. Puis j’entends la voix de M’sieur Dan :
- Orca ! Viens !
- Puis-je vraiment y aller ? dis-je en posant une patte précautionneuse sur le sol.
- Bien sûr, viens avec moi ! dit Scouby en se levant.
Sans plus hésiter, je lui emboîte le pas et nous nous rendons dans la petite pièce qui donne sur le jardin.
Là, assis par terre, Dan me désigne triomphalement une petite fenêtre qu’il vient d’insérer dans la porte, à hauteur de chat.
- C’est pour toi, Orca !
Je m’approche, jette un coup d’œil. C’est amusant, on voit le sol de la terrasse, l’herbe du jardin…
- C’est très joli, mais il ne fallait pas vous donner cette peine pour moi, dis-je poliment. Vous savez, je peux aussi bien regarder à l’extérieur en sautant sur un appui de fenêtre !
- Ce n’est pas pour regarder dehors, Orca ! dit Scouby en riant.
- C’est pour quoi, alors ?
- C’est pour nous prouver que tu es intelligent ! explique Dan.
Je m’interroge. Comment une petite fenêtre peut-elle se révéler l’indice de mon quotient intellectuel ?
Dan me soulève et me pose devant ladite petite fenêtre.
- Passe, Orca !
Et il me pousse en avant.
Il est fou ? Je vais me fracasser la tête ! Je me débats vigoureusement… et me retrouve dans le jardin, sans savoir comment !
C’est de la magie ! Je vous jure que c’est de la magie !
Maintenant, ils sont tous les deux accroupis à l’intérieur de la pièce, me regardant à travers l’étrange fenêtre, et me font de grands signes d’encouragement.
- Reviens, Orca !
Revenir par où ? Je ne sais plus où j’en suis, je pousse des miaulements éplorés.
- Ouvrez-moi, ouvrez-moi ! Ne m’abandonnez pas dans le jardin !
Dan ouvre la porte, se glisse dehors, la referme. A nouveau, mais dans l’autre sens, cette fois, il me pousse vers la paroi.
Cette fois, je proteste vigoureusement :
- Ca va pas la tête ? Vous voulez m’assommer ? C’est ça votre cadeau ?
De guerre lasse, il ouvre la porte. Je rentre dignement, la tête haute.
Pour entendre la cruelle sentence : « Mais qu’il est bête, ce chat ! »
Apparemment, je suis recalé à l’examen !

L’après-midi du même jour…
Une voisine vient sonner à la porte. Scouby lui ouvre, l’invite à entrer. Un peu intimidé, je demande à sortir dans le jardin. Sans plus émettre de commentaires désobligeants, Scouby m’ouvre la porte.
Je vais m’installer dehors, pour attendre le départ de la voisine. Je la connais, celle-là, elle ne m’aime pas trop, un jour je lui ai volé un gros morceau de lard… Vaut mieux que je sois discret.
Mais les heures passent… La voisine est certainement partie, et moi je suis toujours ici. Je m’ennuie, je commence à avoir froid, j’ai envie de me lover au coin du feu…

Par désoeuvrement, je m’approche de la porte et examine attentivement la fameuse petite fenêtre. Je la tâte de la patte, la pousse du museau…
Est-ce que, par hasard… ? Je pousse plus fort.
Victoire ! Je me retrouve à l’intérieur ! Eh bien finalement, il est chouette, le cadeau !
Triomphant, je me précipite dans la cuisine. Comme vous pouvez vous en douter, je suis accueilli par un concert de louanges : « Il a compris, il a compris ! Brave chat ! »
On me caresse, on me complimente. Je me pavane. Mon moral est au beau fixe.
Je ne suis pas si bête que ça, ah ah !

Après, c’est devenu un jeu : pour un rien, j’entre et je sors, je rentre et je ressors… du moins, quand il fait beau. Quand il pleut, j’use de la chatière aussi peu que possible… juste ce qu’il faut pour aller faire mes petits besoins dans la prairie à côté de chez nous. Le reste du temps, je me fais gâter, étalé comme un sultan sur ma chaise, devant le poêle. Ca dure si peu de temps, un week-end, mieux vaut en profiter plutôt que de vadrouiller par-ci par-là !

La première fois qu’ils m’ont laissé seul, en me confiant la maison, cela m’a fait tout drôle, je vous assure ! J’ai fini tranquillement mes provisions, j’ai fait ma sieste devant le poêle encore tiède puis je suis sorti prendre l’air.
C’est ma Néfertiti qui a été étonnée en me voyant surgir du mur ! Elle venait voir si une gamelle avait été préparée pour nous deux, sur la terrasse, et voilà qu’elle assiste à un prodige !
Elle a failli en avaler de travers sa gorgée de lait.
- Mais oui, c’est moi, Nefer ! Viens que je te fasse les honneurs de ma maison !
- Oh, non, j’ose pas, j’ose pas ! Jamais je n’entrerai chez des gens, jamais !
- C’est pas chez des gens, c’est chez moi, Nefer !
Elle n’a rien voulu entendre. C’est fou ce qu’elle est timorée, vraiment d’une manière maladive ! Maintenant que j’ai un divan à ma disposition tous les jours de la semaine, je devrais peut-être lui faire commencer une psychanalyse… si je réussis à l’attirer jusque dans le salon, mais rien n’est moins sûr !

J’ai pris grand soin de la maison. Quand il a commencé à faire froid et qu’il n’y a plus eu que des croquettes à manger, je suis encore passé une fois chaque jour, histoire de vérifier si tout allait bien. J’ai tenu ma chaise et ma petite laine bien propres, je n’ai touché à rien, de peur de casser. … Il fallait bien honorer leur confiance !

Un soir, j’arrive, tout affairé, pour me sustenter de quelques croquettes, lorsque je renifle…
- Oh oh, ça sent le feu de bois, ici !
Je me rue vers la cuisine.
- Vous êtes là ! C’est de nouveau le week-end ? Que je suis content !
Ils m’ont bien complimenté sur mon sens des responsabilités. Mine de rien, ils avaient un peu peur de retrouver leur maison dévastée.
- On pensait que tu avais invité des copains tous les soirs pour faire la nouba, Orca !
Je proteste vertueusement : « Pour qui me prenez-vous ? »
La nuit, c’est devenu une habitude bien établie, j’ai dormi sur ma couverture bleue, dans leur chambre, au pied du lit. Et il en a été de même le week-end suivant… sauf que … heu… J’ai eu un petit accident. Faut dire, je n’ai pas encore vraiment l’habitude du plateau de sable, j’avais cru être discret, mais…

A l’aube, Scouby ouvre les yeux, renifle dans l’obscurité.
- Qu’est-ce que ça sent ?
Elle allume la lampe, regarde autour d’elle. Rien de suspect. Un chat noir et blanc, confortablement couché et émergeant d’un apparent sommeil de plomb, la fixe d’un œil innocent.
L’air innocent, c’est ma spécialité : vous me regardez, vous me donnez illico le bon Dieu sans confession, je vous l’affirme !
Elle se lève, fait le tour de la chambre en inspectant autour d’elle. Légèrement inquiet, je la suis du regard.
Elle va se recoucher. Ouf !
- C’est bizarre, j’avais cru sentir…
Prise d’une idée subite, elle regarde sous le lit : rien.
- J’ai dû me tromper.
- Certainement, dis-je avec empressement.
- Tu es sûr, Orca, que…
- Je suis aussi blanc que neige ! affirmé-je contre toute vraisemblance.
Elle se rendort. Je suis tranquille. Ils ne trouveront jamais !
Dans la seconde chambre, il y a contre le mur un joint mal fait. Ca forme comme un petit trou… Je me suis posté au-dessus du petit trou et j’ai bien visé… Il y a peut-être trois ou quatre gouttes qui sont tombées à côté, pas plus. Mais c’est vrai que mon petit pipi à moi sent mauvais, Ardoise me l’a déjà dit !

Ils l’ont quand même vu ! En ouvrant la porte de la cave, Dan a vu une petite flaque sur l’escalier. Levant la tête, il a vu le trou !
- Orca ! Et le bac de sable ?
Quel bac de sable ? Je l’avais complètement oublié, celui-là ! Il va falloir qu’ils me montrent de nouveau comment on fait…

Je suis un peu confus.
J’espère qu’ils n’ont pas été raconter ça à la charmante Ardoise ! J’entends d’ici ses sarcasmes ! Déjà qu’elle ne se tenait plus de joie après avoir appris le coup de la charentaise !
Enfin ! On ne peut pas être parfait du premier coup ! Mais je m’entraîne, je m’entraîne!... Qu’on me laisse un peu de temps.

Le week-end passé, pour la première fois, je leur ai montré que j’étais vraiment très triste à l’idée de devoir une nouvelle fois me séparer d’eux. Dès que j’ai vu qu’ils commençaient à s’affairer, à emballer… j’ai eu un coup de cafard. Scouby l’a bien vu et ça a augmenté son cafard à elle. Elle m’a pris dans ses bras pour essayer de me consoler, mais j’avais le cœur bien gros.
- N’oubliez pas de revenir très vite !
- C’est promis, mon Orca !

L’année dernière, à pareille époque, ils ne venaient pas tous les week-ends… mais ils ne me connaissaient pas encore ! Maintenant, ils ont des obligations envers moi, même s’ils se doutent bien que je vais chercher ma pitance chez les uns et les autres… Il se peut, bien sûr, que ce soit le cas, mais dès que je vois leur voiture arriver le vendredi soir, pour moi le reste du monde n’existe plus. C’est ici ma maison ! Là où se trouve ma chatière !

Et peut-être bien que je vais inviter quelques copains pour faire la nouba, un soir !

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Chapitre 18 : HEURS ET MALHEURS

Eh bien je ne sais pas ce qu’il se passe, mais je ne la vois, plus beaucoup, ma famille d’accueil, pour le moment !

Au début, je ne me suis pas trop inquiété : ils avaient passé le réveillon de Nouvel An avec moi et, le dimanche soir comme d’habitude, avaient fait leurs paquets. Comme je vous l’ai déjà dit, lorsque je m’aperçois qu’ils sont sur le point de plier bagage, je leur dédie un regard à fendre le cœur… Ils s’en vont, accablés sous le poids de leur sentiment de culpabilité… et moi, je souris dans mes moustaches !

Tandis qu’ils regagnent Bruxelles en pensant avec nostalgie à leur malheureux chat des champs, moi, je reste confortablement étalé sur ma petite laine, pour apprécier les restes de chaleur que dégage le poêle à bois. Puis je termine les provisions et, lorsqu’il fait à nouveau froid et sombre, je m’en vais. Je n’oublie pas de passer dans la maison une fois par jour, pour m’assurer s’ils ne sont pas de retour. Ce serait trop bête si je ratais ne serait-ce qu’une journée de câlins et de friandises !

Les jours ont passé. A un moment donné, je me suis dit : « Bizarre, ils ne reviennent pas… Il y a pourtant longtemps, maintenant ! »
Je commençais à me sentir un peu angoissé… et les jours ont encore passé. Il a neigé, il a plu, il a reneigé… Et pas de famille d’accueil à l’horizon !

Bien sûr, en honorable chat des champs, j’ai plusieurs adresses où je peux me réfugier en cas de coup dur… Mais là, si on ne me laisse pas mourir de faim, on est loin de me gâter comme ici ! On me donne des restants de nourriture… Oui, un jour j’ai reçu du spaghetti à la sauce tomate. J’ai apprécié, mais le poil blanc de mon poitrail est devenu rose à cause de la tomate ! J’étais un peu honteux de devoir me promener dans la rue comme ça… Chez Scouby et Dan, je reçois de la nourriture spéciale pour chat, c’est quand même différent ! Ailleurs, on me tolère mais ici, on m’AIME ! Du moins, je le croyais…

Parce que, si ça se trouve, je me suis trompé ! M’aurait-on abandonné ?
J’ai quand même du mal à le croire : il y a la chatière, la petite laine et tout ça…

Je roulais toutes ces pensées dans ma tête… j’étais très perplexe ! Les chattes qui avaient l’habitude de venir se nourrir à mes frais sur la terrasse (oui, avant de partir, Dan et Scouby déposaient quelques assiettes pour mes copines !), eh bien les chattes, elles commençaient à la trouver mauvaise ! « Hé, Orca-Depardieu, où elle est la tambouille que tu nous as promise ? Tu es fauché ?»
Que répondre à cela ? Mon charme naturel suffira-t-il à les faire patienter le temps qu’il faudra ?

Je commençais à être aux abois quand, enfin, j’ai vu leur voiture remonter la rue ! Ouf ! J’ai couru dans le jardin, bien content, mais quand même un peu rancunier, c’est normal ! Je me suis dit : « Ah, je les ai attendus si longtemps ! Maintenant, EUX m’attendront, na ! Non mais sans blague ! »

Je suis resté là une petite demi-heure. La cheminée s’est mise à fumer : parfait, je rentrerai quand il fera bon !
Scouby est sortie et a posé sur le sol de la terrasse une assiette de victuailles pour mes « invitées ». Visiblement, elle me cherchait du regard, mais ne m’a pas vu : la haie bien touffue me dissimulait parfaitement !

Quand elle est rentrée dans la maison, je me suis approché et ai commencé à manger dans l’assiette, sur la terrasse. Comme je m’y attendais, elle m’a vu par la fenêtre et s’est précipitée dehors. Moi, imperturbable, sans un regard pour elle, je continuais mon repas.

- Orca ! Mon minou ! Pourquoi ne viens-tu pas manger dans ta petite gamelle, à l’intérieur ? Il fait bien chaud !
- J’ignore si je suis encore le bienvenu dans cette maison, Madame, ai-je rétorqué noblement.
Pas de regard « craquant », aujourd’hui ! Orca Maître-Chat a sa fierté !

Après beaucoup de salamalecs et maintes petites manières, j’ai consenti à la suivre dans la cuisine. Du bout des dents (je m’étais déjà empiffré dehors), j’ai goûté au repas préparé amoureusement pour moi. Je commençais à me sentir bien, mais ne voulais pas le montrer !
- Qu’est-ce qu’il y a, Minou ? Tu boudes parce qu’on n’est pas venus la semaine dernière ?
- Moi, bouder, laissons cela aux chats vulgaires, Madame !
Quand je me suis installé dignement devant le poêle, ils se sont mis à deux pour me câliner. Et petit Orca par-ci, et gentil minet par-là…
- Regarde, Minou, la jolie couverture « Sole Mio » que je t’ai achetée !
Je jette un coup d’œil vaguement intéressé. Une petite couverture de bébé, de couleur bleue, bien épaisse, étalée sur le divan. Je l’essaie. Peut-être que je vais me laisser attendrir, après tout. Mais pas immédiatement.

- Mais, mon pauvre Orca, tu es blessé ?
Ah oui, c’est vrai. J’ai une touffe de poils et un morceau de peau en moins sur le haut de la patte droite. Je n’en souffre pas trop, mais ils compatissent.
- Pourvu que ça ne s’infecte pas !
- Bah, dis-je avec désinvolture, ce sont les risques du métier de chat des champs !
Je m’amadoue imperceptiblement… d’autant plus que Scouby m’explique les raisons de leur longue absence.
Madame Bobonne s’est blessée, elle aussi… Vous vous souvenez, la dame qui avait peur que je fasse pipi sur son sac, l’été dernier ? La dame qui demande toujours des nouvelles de la « gentille petite chatte Orcatte » ?
Eh bien, elle est tombée dans l’escalier. Double fracture du crâne, deux semaines dans le coma…
Bon, puisque c’est comme ça, je veux bien leur pardonner… mais pas d’un seul coup, hein, pas d‘un seul coup ! Marquons encore un peu d’éloignement.

Voici venue l’heure du coucher. D’ordinaire, je les accompagne dans leur chambre, tout heureux à l’idée de passer une bonne nuit sur la couverture. Cette fois, je sors pour faire mes petits besoins… et ne reviens pas ! Pour cette nuit, je ne leur ferai pas la grâce de mon auguste présence.

Il est neuf heures du matin quand je déboule, affamé et hirsute, au pied de leur lit. Ils sont en train de se lever… Zut, et moi qui comptais me reposer un peu entre eux deux, dans la bonne chaleur !
Nous descendons au salon. Je fais une drôle de tête, parce que j’espérais vraiment encore goûter quelques heures de sommeil dans la chambre. J’ai peut-être été bête, tout compte fait. Je n’aurais pas dû faire de fugue…
- Allez, je ne suis plus fâché ! La nuit prochaine, je reste avec vous, c’est promis ! dis-je, tout rayonnant.
Ils échangent un regard navré. C’est dimanche aujourd’hui, ils doivent rentrer à Bruxelles cet après-midi. Je devrai l’attendre cinq jours, la « nuit prochaine » !
Qu’est-ce que j’ai été bête, vraiment !

Je me console en faisant le joli cœur avec les chattes qui reviennent se sustenter sur ma terrasse… Elles aussi, elles devront ensuite attendre cinq jours !

Et la semaine se passe… et moi, je me traîne, fiévreux.
Parce que, finalement, elle s’est quand même infectée, ma blessure ! Je me sens horriblement mal, je passe mes journées sur la petite « Sole Mio » bleue, dans le salon. Vais-je me laisser mourir ici ? J’ai les pattes trop cotonneuses pour me lever et aller chasser…
Je suis plongé dans un sommeil agité lorsque, subitement, une voiture s’arrête devant la maison. La porte s’ouvre… Nous sommes à nouveau vendredi !

Dan m’aperçoit couché sur le divan. Immédiatement, il se rend compte que quelque chose ne tourne pas rond.
- Que se passe-t-il, Orca ?
Tout heureux de le voir, je me lève en flageolant et vais jusqu‘à la cuisine pour accueillir Scouby qui pousse un cri d’horreur à la vue de mes pauvres poils ternes et ébouriffés.
La cause du mal est visible : une blessure suppurante le long de ma patte droite. Un souvenir de bagarre, un de plus ! Je ne compte plus mes cicatrices. C’est ça aussi, la vie d’un Maître-Chat !

Ils ont allumé le feu, ils m’ont donné à manger. Je me suis dit que, puisque j’étais blessé, je pouvais bien me montrer un peu difficile.
- Je n’apprécie pas tellement la pâtée à la volaille, dis-je d’un ton languissant.
- Mon Dieu ! Il n’a même plus d’appétit !
- Peut-être que si vous aviez autre chose… Ce n’est qu’une suggestion, vous savez, je ne sais vraiment pas si je pourrais avaler quoi que ce soit…
Je soupire et retourne m’allonger sur ma petite couverture. Il commence à faire bon. On pose une gamelle odorante à côté de moi. Qu’est cela ? J’ouvre un œil.
Une petite terrine de saumon… Je vais faire un effort pour manger, après tout…

En deux minutes, la gamelle est vide. Je ressuscite à vue d’œil.
Ils me couvrent d’un lainage. Il paraît que je ressemble à une poupée, ainsi emmitouflé.
- Il a l’air de se sentir mieux, remarque Scouby.
- Je vais quand même l’emmener chez le vétérinaire, demain !
Qu’est-ce qu’un vétérinaire ? Où veut-on m’emmener ?
Laissant de côté cette question apparemment sans réponse, je fais un bon somme réparateur et me réveille, frais et dispos, en fin de soirée.
Ils se préparent à aller au lit.
- Je vais faire un petit tour dehors et je vous rejoins ! dis-je en filant par la chatière.
Mais… le chat propose et la chatte dispose !
Néfertiti m’attendait sur la terrasse. Néfertiti a des droits sur moi : nous avons eu des petits ensemble. Notez que je ne les ai jamais vus : elle les a cachés soigneusement quelque part. mais il paraît qu’à cause de ces petits, Néfertiti peut légalement me tourner en bourrique autour de sa patte, du moins c’est ce qu’elle dit. Je sais, c’est compliqué, je n’ai pas bien compris non plus, mais je l’aime, ma Nefer ! Alors, je suis tout content de la voir.
- Orca ! On ne te voyait plus !
- J’ai été malade, dis-je d’un petit air important.
- Tu viens ? Regarde la belle neige ! On va se rouler dedans ! On va bien rigoler !
- Heu…
Le jardin est tout luisant, couvert de blancheur. Les étoiles étincellent… Il fait trop beau pour rentrer !

Je repasse la chatière à dix heures du matin.
- Eh bien, mon Or-katteke ? On s’est bien amusé ? Montre la papatte !
Elle est toujours infectée, la papatte ! Heureusement, je mange à présent de bon cœur. Quand l’appétit va, tout va, comme dirait la chère Ardoise, grande spécialiste en la matière !
Dan, cependant, n’a pas renoncé à son idée de me faire soigner de façon énergique et a pris rendez-vous chez une vétérinaire de la petite ville proche.
- Nous avons rendez-vous à deux heures, Orca !
- Je vais juste faire mes petits besoins et je rentre !
Evidemment, une fois dehors, j’ai oublié. Le ciel bleu, l’air vif, la neige étincelante… Je me suis élancé vers de nouvelles aventures.

- Tant pis, dit Scouby, on va aller chez la vétérinaire pour lui dire que le chat n’est pas rentré !
- On n’aurait pas dû le laisser ressortir !
C’est l’évidence même mais… essayez seulement de m’emprisonner durant une heure, si je n’en ai pas envie ! Il y a de quoi devenir fou… Vous comme moi !
Ils s’apprêtent à partir… quand je surgis dans la cuisine pour prendre mon déjeuner !
Pendant que je mange, ils se tiennent derrière moi avec des airs de conspirateurs. Dan ferme subrepticement la porte de la cuisine.

Mais que se passe-t-il ? La dernière bouchée à peine avalée, on me saisit et on me fait entrer dans un petit panier d’osier qu’on referme au-dessus de ma tête !
M’enfermer ainsi, moi ! Ca ne m’est jamais arrivé !
Je me débats : « Vous êtes cinglés ! Délivrez-moi ! »
Je sens qu’on me soulève et qu’on emporte le panier en me susurrant des paroles apaisantes. Puis, on entre dans la voiture. C’est aussi la première fois que je me déplace en voiture : ça ne me plaît pas du tout !
On s’éloigne…
O mon village natal, quand te reverrai-je ? Mon jardin, mes chemins, mes chattes…

Heureusement, le supplice du trajet en voiture ne dure pas très longtemps. On s’arrête, on entre dans une maison qui n’est pas la mienne…
On ouvre le panier et je cligne des yeux sous une lumière crue. Où suis-je ?
Une dame en blouse blanche me tripote. Tous les coins de mon anatomie y sont passés ! Les yeux, les oreilles, le ventre, les pattes… Paraît qu’en général, malgré toutes les traces de bagarres imprimées sur mon épiderme, je suis bon pour le service : chat mâle (je n’en doutais pas), plus très jeune (on ne peut pas tout avoir) mais encore solide !

Dan me maintient fermement pendant que la dame fouille dans ses tiroirs. Elle ne se dépêche pas et moi, je commence à m’impatienter !
Elle revient avec une longue aiguille. Deux piqûres d’antibiotiques et une de vitamines ! Et un joli pansement pour couronner le tout !
Et un vermifuge qu’elle donne à Scouby pour le mettre dans ma pâtée du soir.
- C’est un très gentil chat, dit-elle d’un ton connaisseur : il ne fait pas mine de mordre !
Du coup, Dan et Scouby lui racontent mon histoire : et comment je suis arrivé chez eux, et combien j’ai été patient et gentil avec la Mam’zelle Ardoise, et comment je suis arrivé à me rendre indispensable… Moi, j’attends, immobile comme une potiche. Je veux bien qu’on chante mes louanges, mais je ne suis pas tellement à l’aise, sur cette table d’examen !
Puis, à mon grand déplaisir, on me fourre à nouveau dans le panier trop petit pour moi.
A nouveau un trajet en voiture et enfin, enfin, me voilà de retour à la maison !

Ouf ! Je ferais bien une petite promenade, maintenant !
- Pas pour l’instant, Orca, dit Dan en essayant de prendre un air sévère, il faut garder le pansement quelques heures !
Quelques heures sans sortir ? C’est comme je le disais : ils sont fous !
Puisque c’est le pansement qui m’empêche de m’amuser, je vais m’en occuper sérieusement…

Je prends un air innocent et, au bout de cinq minutes :
- Regardez, Dan ! Mon pansement a glissé, il ne recouvre plus la blessure, je ne comprends pas ce qui s’est passé ! Que vais-je faire ? Essayez de me le remettre, si vous pouvez ! (là je ne risque rien).
- Oh, zut, tant pis, il faut l’enlever…
Une paire de ciseaux entre en action et me voici libre comme l’air !
- Je peux sortir maintenant ? Puisque je n’ai plus mon pansement !
On m’ouvre la porte. Je me précipite dehors, la tête haute, la patte alerte, triomphant !!!
Le soir, j’ai dormi du sommeil du juste et me suis réveillé au grand matin, pelotonné sur la couverture, au pied du lit. Je me sens tout à fait bien et rassuré : puisqu’ils ont fait tout ça pour moi, c’est qu’ils m’AIMENT, évidemment ! Je n’en douterai plus, désormais !

Comme d’habitude, ils sont partis le dimanche soir, en me laissant deux assiettes bien remplies et un poêle encore tout ronronnant. Pourvu que je ne m’esquinte pas une autre patte, cette semaine !

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Chapitre 19 : OÙ EST ORCA ?

Ce mardi, Daniel a pris congé pour une semaine et est parti bricoler dans notre maison de campagne. Il va travailler au jardin et entreposer dans la cave les précieuses bouteilles ramenées de Bourgogne ! Scouby, elle, va au bureau toute la journée et, le soir, elle reste avec moi.

Je ne compte plus trop sur la présence d’Olivier : mon Grand Amour a rompu nos fiançailles et s’est entiché de quelqu’un d’autre, quelqu’un à deux pattes… C’est un monde ça, quand même !
Bien sûr, il nous a présentées l’une à l’autre avec diplomatie : « Ardoise, je te présente Nathalie. » et « Voilà Ardoise, la chatte de ma vie ! »
Bon, cette façon de parler de moi a mis un peu de baume sur mon cœur meurtri. La personne à deux pattes m’a trouvée très jolie. Toutefois, elle ne m’a pas caressée parce qu’il paraît qu’elle craint un peu les chats… ce qui m’a fait plaisir : personne n’a jamais eu peur de moi jusqu’à présent, alors je pourrai me défouler de mes frustrations en terrorisant cette pauvre fille…
Espoir vite déçu : à sa seconde visite, elle se sentait déjà complètement à l’aise avec moi ! Ce n’est quand même pas de ma faute si je suis une vraie gentille… et si ça se voit !

Deux jours après son départ, voilà Daniel qui téléphone à Scouby : « Je n’ai pas encore vu Orca ! »
C’est l’angoisse. Qu’est devenu le chat des champs ?
Olivier, à sa manière, se veut encourageant : « M’enfin, maman, il faut s’y attendre, avec un chat en liberté ! Il peut arriver n’importe quoi ! »
- Ben oui, renchéris-je, confortablement installée sur mon fauteuil favori. « Il s’est peut-être fait mordre par le chien du voisin… ou enfermer dans une grange… ou… »
- Ardoise, merci de me remonter ainsi le moral !
- Ben kwâ ?
Qui vivra verra. Vendredi prochain, Scouby va prendre le train pour passer le week-end dans notre masure. Elle espère que les nouvelles seront bonnes. Entre-temps, elle contemple d’un œil désespéré la photo d’Orca qui trône sur un meuble, à côté de ma photo à moi.
« Kwâ » qu’il en soit, je ne suis pas aussi tranquille que je voudrais le faire croire. C’est vrai qu’il m’agace, le maître-chat, mais je ne voudrais pas qu’il lui arrive quelque chose : je m’ennuierais sans lui… Je n’aurais plus personne à tyranniser, qu’est-ce que je deviendrais ?

Bientôt, quand il fera meilleur, je pourrai à nouveau accompagner mes parents à la campagne, mais avant cela, je devrai subir mon supplice annuel : une visite chez le vétérinaire. A cause de toutes les chattes (sans compter l’Orr-katteke) qui viennent minauder sur ma terrasse, il va falloir me vacciner, moi ! Contre la leucose féline, il paraît…
Pauvre Ardoise ! Comme je suis à plaindre !
Un de ces jours, je vais écrire une tragédie (antique) sur ma vie. Et tout le monde sera bien étonné ! Mes malheurs étalés au grand jour… Ma photo dans le journal… La gloire !

Ben kwâ, on peut toujours rêver !

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Chapitre 20 : DEUX NOUVELLES VOISINES



Salut tout le monde !
Eh bien oui, c’est moi ! Je suis de retour ! La chère et douce Ardoise vous avait sûrement dit que j’avais disparu, hein ?
Je n’avais pas disparu du tout, mais comme personne n’avait pensé à m’aviser des vacances de Dan, je me suis présenté à la maison avec deux jours de retard.
Il aurait pu m’avertir, non ? Au moins mettre un petit mot sur la table : »Cher Orca, je serai en congé à partir de mardi, attends-moi, je te servirai de la bonne pâtée. Signé Dan. »
Mais rien, rien ! Croit-il que je possède une boule de cristal ? Que je me nomme Orca Soleil ?
Au lieu de quoi, moi, bêtement, j’ai encore crié famine le mardi et le mercredi, avant de m’apercevoir que la voiture était stationnée devant ma maison !

Je suis entré en poussant de grands « Miââââââ ! » réprobateurs.
- Ah, Orca, j’étais inquiet, j’ai même fait le tour du village en voiture pour essayer de te trouver ! » s’est exclamé Dan en me voyant surgir.
Je lui jette un petit regard oblique. Dit-il vrai ? Il semble sincèrement soulagé de me voir. Je remballe mes reproches.
- Tu comprends, dit-il, continuant à se justifier, tu es TOUJOURS là, alors…
Je soupire. Pour une fois que je déroge à mes habitudes !
Mais est-ce ma faute si j’ai fait la connaissance de deux nouvelles voisines ?

Cela s’est passé il y a quelques jours, un dimanche pour être précis. Comme vous le savez, Scouby dépose toujours, pour mes copines les chattes de la rue, un peu de nourriture sur la terrasse. En faisant ma promenade quotidienne pour me dérouiller les pattes (en fait, j’avais rendez-vous avec Néfertiti mais elle m’a posé un lapin…), j’ai aperçu une inconnue qui avait le nez fourré dans la gamelle. Elle mangeait (si je n’étais pas si courtois, je dirais même « bâfrait ») avec une conviction absolue.

- Bonjour, Mademoiselle ! ai-je modulé d’une voix flûtée.
- Gloumph ! Miam ! Miam !...
- Je me présente : Orca, Maître-Chat !
- Miom ! Ourk ! Ourk !
- C’est moi le maître de cette maison…
Elle ne relève la tête que lorsque l’assiette est soigneusement nettoyée et pousse un profond soupir de bien-être.
- Pardon ? dit-elle en s’essuyant délicatement les moustaches.
Je tombe sous le charme. Quel amour de chatte ! Tricolore (roux, blanc, gris, ce qui s’appelle écaille-de-tortue, je crois), un peu dodue (ça ne m’étonne pas), elle a une ravissante petite bouche en forme de cœur et des yeux verts qui brillent d’une lueur candide et amicale.
Je roucoule : «Vous habitez chez vos parents ? »
Elle minaude : « Oui, ma fille et moi-même occupons la maison du bout de la rue. Si le cœur vous en dit, passez donc nous dire bonjour un de ces quatre ! »
La maison du bout de la rue… Ah, je vois ! C’est la maison où piaillent constamment des enfants humains. Un peu bruyant pour mon goût, en général j’évite, mais la chatte tricolore mérite bien un petit sacrifice !
Je susurre : «Et où se trouve Mademoiselle votre fille ? »
- Là, sous la haie, répond-elle avec un naturel parfait. Elle attend que j’aie fini de manger pour se nourrir à son tour…
Effaré, je contemple la gamelle. « Mais… vous avez tout vidé ! »
- Oh, votre locataire… Cmment s’appelle-t-elle, au fait ?
- Scouby.
- Mme Scouby viendra bien remplir à nouveau cette gamelle, vous ne croyez pas ?
Si, je crois. Il suffit d’attendre ici que ladite locataire nous remarque. Mais voici la fille de Mme Tricolore qui se fraie précautionneusement un chemin jusqu’à nous.
J’apprécie d’un coup d’œil : un chaton gris, un peu tigré, qui a la même allure que sa mère, avec une épaisse fourrure et des petits yeux vifs et taquins. Me voici en bonne compagnie !
Je me rengorge.

Ah ! Voilà Scouby, porteuse d’une boîte de pâtée pour chats. Mes deux compagnes frétillent de la tête à la queue. Avec un ensemble parfait, elles plongent la tête dans l’assiette qui se remplit.
- A moi ! A moi ! crie le chaton. Tu as déjà mangé !
- Non, d’abord à moi ! Tu dois le respect à ta mère !...
Sachant très bien que, s’il se laisse intimider, il ne lui restera plus rien, le chaton fait la sourde oreille et continue à manger en donnant des coups de tête pour écarter son envahissante génitrice.
La gamelle vidée pour la seconde fois…
- Ah ! C’était bien bon ! Une adresse à retenir, hein fillette ?
- Oui maman ! Pour un petit en-cas, l’après-midi…
Elles se pourlèchent les babines. Un petit en-cas ! Je suis confondu…
Pourtant, je continue à faire bonne figure.
- Madame, Mademoiselle… Heureux d’avoir pu vous accueillir chez moi… Puis-je me permettre de vous demander votre nom ?
- On me nomme Gourmande, et la fillette, c’est Petite-Goulaffe. Sois polie, dis bonjour au monsieur, Petite-Goulaffe !

Après leur départ, je demeure rêveur. Comment vais-je faire pour continuer à assurer la subsistance de Néfertiti ? Là où passent Mme Gourmande et Mlle Petite-Goulaffe, plus question de trouver une miette de nourriture. C’est la razzia !
Heureusement, j’ai ma chatière et mon assiette à moi est bien à l’abri !

Il faut avouer qu’elles sont bien mignonnes malgré leur phénoménal appétit ! Nous nous retrouvons bons amis et souvent, Scouby et Dan me voient déambuler dans la rue, accompagné de la jolie Gourmande. Nous marchons, très sérieux, l’un à côté de l’autre en devisant… Sûrement, je me trouvais près de « la maison du bout de la rue » quand Dan est arrivé en vacances, c’est pour ça que je l’ai raté.

La Petite-Goulaffe, elle, a établi son quartier général dans notre haie. Quand elle voit Scouby sortir dans le jardin, elle se précipite vers elle en faisant des mines aguicheuses. Elle sait très bien, la futée, ce qui ne peut manquer d’arriver : « Oh, le joli chaton ! Bonjour, Petite-Goulaffe ! Je vais t’apporter quelque chose de bon… »

Néfertiti ne prend pas ombrage de mes nouvelles amitiés. Elle sait très bien qu’elle reste « pour toujours mon seul amour » comme dit la chanson. Nous nous rencontrons sous le grand sapin (elle persiste à trouver ce lieu de rendez-vous très romantique, même quand il pleut et que l’herbe vous trempe les pattes). Nous nous embrassons sur le museau. La vie est belle !

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Chapitre 21 : Mme BOBONNE EN CONVALESCENCE



Vendredi dernier, Scouby est arrivée par le train et a poussé un cri de joie en me voyant. Décidément, la nouvelle de ma disparition s’était répandue !

« Madame Bobonne » est aussi venue passer le week-end chez nous. Elle sort de l’hôpital et est encore très faible. C’est le fils de la maison, Olivier, qui l’a conduite jusqu’ici. A peine s’est-elle installée sur une chaise, dans la cuisine, que je bondis sur la table à ses côtés.
- Tiens ! dit Olivier. Tu es revenu ?
Décidément ! Il suffit que vous tourniez le dos un instant pour que ça devienne une nouvelle interplanétaire !
- Oh ! dit Madame Bobonne en m’examinant d’un œil attendri, la petite chatte est là !
Mon sourire de maître-chat faiblit un brin. Ah c’est vrai, c’est la dame qui s’obstine à me croire du sexe féminin ! Si mes copines entendaient ça, elles rigoleraient bien !
Je crois qu’il va me falloir composer, parce qu’elle ne veut pas en démordre, Mme Bobonne !
Enfin, en brave chat que je suis, je me pose sur ses genoux pour qu’elle guérisse plus vite. Je vais lui infuser une partie de ma formidable énergie et elle sera vite sur pieds, Mme Bobonne ! Personne n’a jamais pu résister au flux d’énergie, d’enthousiasme, de joie de vivre qui m’amine et que je distribue généreusement. On n’est pas maître-chat pour rien, c’est un art !
- Quelle gentille petite minouchette ! s’exclame-t-elle.
Je soupire. Je boirai le calice jusqu’à la lie mais n’en montrerai rien.
- Voyons, maman, on t’a déjà dit que c’est un garçon ! intervient Dan.
Je prends mon air le plus patibulaire, mais apparemment, le message ne passe pas. La convalescente n’est absolument pas sensible à mon charme viril !

Tout le week-end, elle m’a prodigué des compliments. J’en aurais pavoisé, n’était le malentendu fondamental qui nous sépare…
- Minette ! Minette ! Où es-tu ? Oh, elle est installée sur le frigo !
- Oui, IL est très intelligent ! IL sait où se trouve le pâté que je viens d’acheter, dit Scouby en insistant bien sur le « il ».
Puis est venue l’heure de la piqûre quotidienne : Mme Bobonne souffre d’un diabète.
Je me plante devant elle pour l’encourager.
- Vous en faites pas, dis-je. A moi aussi on a fait une piqûre quand je suis allé chez la vétérinaire ! Regardez comme je suis requinqué ! Ca va vous remettre en moins de deux, vous verrez !
Il est vrai que moi, je suis sensiblement plus jeune que Mme Bobonne… La guérison sera peut-être plus lente pour elle.

Comme toujours, la fin du week-end arrive trop vite.
- On revient dans cinq jours, mon Orca ! Regarde toute la bonne pâtée dans ton assiette !
- Au revoir, petite minette ! dit Mme Bobonne.
Et les voilà partis. J’attends que la voiture se soit éloignée et je cours au jardin. Ah, la voilà !
-Je suis un peu en retard, mes locataires n’arrivaient pas à décoller, dis-je.
- Ce n’est pas grave ! répond gracieusement la jolie Gourmande. Si nous allions faire une petite promenade ?
Cinq jours… ils passeront peut-être très vite : j’ai tant de rendez-vous !

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Chapitre 22 : IMAGINONS UN PEU…

Confortablement étalée sur le dossier de mon fauteuil préféré, les yeux clos, je semble dormir… En fait, je médite profondément. J’imagine, je rêve, je souris dans mes moustaches…

Je vois une grande scène de théâtre tout illuminée. C’est la répétition générale de mon œuvre grandiose et immortelle.

Au centre de la scène se tient l’héroïne. Elle n’est pas seulement l’Actrice Principale, mais aussi l’Ecrivaine-Metteuse en scène. Rien que ça ! Elle est reconnaissable entre toutes : comme les héroïnes de Barbara Cartland, elle a une petite figure ravissante, en forme de cœur. Mais elle est la seule qui soit vêtue d’une robe grise, rayée et chatoyante. Son séduisant visage s’orne de superbes moustaches tombantes. Elle a aussi de grands yeux verts dont elle est très fière, avec raison d’ailleurs ! Elle dirige la scène et miaule sur un ton d’autorité qui en impose à tous les acteurs de seconde zone qui l’entourent, muets d’admiration.

Fantasmons, fantasmons et ne faisons pas les choses à moitié ! Les acteurs de seconde zone, béats d’admiration pour notre noble héroïne (mais oui, mais oui !), ne sont autres que Daniel, habillé en Zeus courroucé avec des éclairs en carton doré qui lui entourent la tête (c’est très, très joli ! D’un chic ! D’une classe !), Scouby, déguisée en Héra (Héra, paraît que c’est la déesse épouse de Zeus. On l’appelle « Héra aux yeux de génisse ». Scouby n’était pas contente, mais je lui ai fait remarquer que si on dit ça d’une déesse, c’est que c’est très beau, des yeux de génisse ! Oui, hein ! C’est vide mais beau !), avec une robe blanche dont le bas traîne par terre, ce qui nettoie le plancher du théâtre (la Grande Metteuse en Scène, avec toutes ses qualités, a également le sens de l’économie : elle ne doit pas faire l’achat d’un aspirateur, dans ces conditions). Gourmande et Petite-Goulaffe (oui, tout le monde est réquisitionné !) se tiennent devant le micro pour faire le choeur (antique comme il se doit) et enfin, Orca, dans le rôle du Chevalier Noir et Blanc, à la dévotion de la belle héroïne. Pour enjoliver les choses, je lui ajoute un plumet sur la tête. (« Il faut vraiment que je me montre comme ça, chère Ardoise ? » La Grande Metteuse en Scène, chat-égorique : « Voui ! »)

Voilà, la distribution est au complet ! Reste à savoir ce que l’on va jouer.
La Grande Ecrivaine-Metteuse en Scène-Vedette annonce le titre de la pièce : « Les malheurs de la pauvre Ardoise ». Aussitôt, les acteurs commencent à protester : « Ardoise, tu exagères ! Tu mènes une vie de pacha chez nous ! »
- Ce n’est pas de la vérité, c’est de l’Art ! déclame l’intéressée en levant vers le ciel ses magnifiques yeux verts. « C’est de l’art avec à peine un zeste de vérité, un soupçon ! Vous allez voir ! »

Au premier tableau, on admire la jeune Ardoise (« Ben oui, je suis une éternelle adolescente ! » assène la Sarah Bernhardt à moustaches sur un ton péremptoire, en percevant les murmures étonnés de l’auditoire), on voit donc la jeune Ardoise (oui, on sait ! je vais finir par me vexer !) au désespoir devant ses gamelles aux trois-quarts vides. Elle se tord les pattes antérieures en un geste théâtral (c’est de circonstance) et pousse des miaulements déchirants (Mais non, je ne miaule pas, je chante !) :

La jeune Ardoise

Miââââââââou ! Miââââââââou ! Triste sort !
Ici-bas tout m’abandonne !
Ma pitance n’est pas bonne
Et dans ma famille, personne
N’en éprouve du remords !
Miâââââââââou ! Miââââââou ! Triste sort !

Zeus
(étonné)

Mais qu’est-ce donc que ce chat
Qui hésite entre ses plats,
Qui ne sait lequel choisir
Et ne pense qu’à gémir ?

La jeune Ardoise
(bouleversante de vérité)

Goûte, toi, et tu verras !
C’est tout sec et raplapla !
Miââââââââ ! Miâââââââ !

Zeus
(inspectant les gamelles)

Et ce colin d’Alaska ?

La jeune Ardoise
(pathétique)

Aujourd’hui, ça m’inspire pas !
J’y peux rien, je suis comme ça !
Tu me laisses mourir de faim,
C’est trop triste à la fin !

Le chœur
(antique mais cacophonique)

Hélas, hélas, pauvre Ardoise !
La voilà toute pantoise !
Hélas, hélas, pauvre Ardoise,
Comme Zeus lui cherche noise !

Héra
(apitoyée)

Pauvre minette adorée,
Quitte donc ces airs frustrés,
Cesse de te lamenter,
Que souhaites-tu manger ?


Zeus
(sévère)

Ce chat n’en fait qu’à sa tête,
Il finira son assiette !
Ainsi l’ai-je décidé
Et ne le veux répéter !

Le chœur
(s’égosillant)

Hélas, hélas, pauvre Ardoise !
Etc etc…

Orca
(s’éclipsant)

Moi je pars en catimini,
Ils sont tous cinglés ici !
Cette chatte qui chante
Me dispense le tournis !
Combien m’est plus reposante
La douce Néfertiti !

La jeune Ardoise
(vexée)

Fréquenter un chat génial
N’est quand même pas si mal !
Va, retourne dans ton terroir,
Et attrapes-y la gale !
Quel beau chevalier blanc et noir,
Vraiment ! Au revoir !


Après quoi, la Grande Ecrivaine-Metteuse en Scène, de très mauvaise humeur, houspille le chœur pas assez dynamique à son gré. Puis elle décrète « Relâche ! » et chacun de s’esquiver…

Je rouvre les yeux. Je m’y voyais réellement ! Il est vrai que cette scène dramatique n’est pas le reflet de ma vie tranquille. Zeus-Daniel ne me tourmente pas, au contraire. Si j’ai souhaité la gale à l’Orca, c’était pour la rime… et pour la frime ! Je ne suis pas si agressive, en réalité, je suis même plutôt bonasse (comme dirait sa Seigneurie Caramel). Peut-être que je devrais m’affirmer davantage…

Tandis que je médite, l’heure a tourné et la porte de l’appartement s’ouvre.
- Bonsoir, mon gentil petit chat ! dit Scouby.
Je lui dédie un sourire angélique, purement ardoisien. Emue, elle me caresse le haut du crâne.
- Si mignonne et si discrète ! s’extasie-t-elle.
Si elle connaissait les rêves qui me trottent par la tête !
Mais connaît-on jamais le chat avec qui on vit ?

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Chapitre 23 : BAIGNOIRE ET JALOUSIE

La semaine passée, Scouby et moi étions à nouveau toutes seules dans l’appartement. Daniel est parti bricoler à la maison de campagne : il monte les murs de la future salle de bains.

Je ne vois vraiment pas pourquoi ils tiennent tant à disposer d’une salle de bains ! S’ils étaient raisonnables, comme moi, il suffirait qu’ils passent des heures, chaque jour, à se lécher et ils seraient tous propres sans se ruiner ! Evidemment, pour Scouby, se laver ne suffit pas. Elle est un peu narcissique à mon avis. Sur la tablette de son lavabo, il y a toutes sortes de petits pots qui ne servent à rien… si ce n’est à me faire sourire avec commisération. Quand elle s’enduit le visage d’une matière gluante, je n’assiste pas à une métamorphose fracassante, contrairement à ce qu’on pourrait croire : le lendemain matin, malgré tous ses efforts, les petites rides sont toujours là. Elle a la même tête qu’hier et avant-hier, elle n’est toujours que Scouby et pas Claudia Schiffer !
Moi seule, je conserve un air d’éternelle jeunesse : un vrai chaton (la sveltesse en moins). Il paraît que cela vient de la candeur de mon regard…

Et puis, pourquoi prendre des bains, au risque de se noyer ? Je sais de quoi je parle : j’ai failli glisser dans la baignoire, un jour que je batifolais sur le bord en toute innocence !

- C’est vrai ! approuve Caramel surgie mystérieusement, rien de plus dangereux que les baignoires ! Ainsi, moi-même…
- Z’avez bu la tasse, Seigneurie ?
Je suis pleine d’espoir. Un faux pas la rendrait plus accessible, moins intimidante…
Elle me lance un éclair de son regard bleu et renifle.
- Non, non, pas si bête ! (Merci, Vot’Seigneurie !) mais il fallait que je veille sur Daniel quand il prenait son bain. J’étais chargée de sa sécurité, tu comprends ? Comme je savais qu’il avait tendance à s’endormir béatement dans l’eau chaude, ce qui n’est pas bon pour la peau, je me plantais près de la baignoire, je miaulais de toutes mes forces, jusqu’à ce qu’il en sorte ! Ah, je l’ai sauvé de nombreuses fois… malgré lui ! Figure-toi que par la suite, il a imaginé de prendre son bain tout seul, en fermant la porte de la salle de bains et me laissant à l’extérieur ! Tu imagines !
Elle est frémit encore, la pauvre siamoise. J’ai toujours entendu dire qu’elle était très possessive à l’égard de Daniel. Une chatte abusive, tyrannique… mais allez comprendre les hommes ! Il l’adorait ! Cela le flattait d’être l’objet d’un amour à ce point exclusif…

Heureusement, moi, je suis plus raisonnable ! Avec mon Olivier, je me conduis de manière subtile, mais oui, mais oui !
J’ai bien dû comprendre que l’épisode Roméo-Juliette, entre lui et moi, ce n’est plus vraiment ça. J’accepte ses câlineries et ses déclarations d’amitié d’un petit air réservé, ce qui l’inquiète, ah ah ! Il se dit : « Ardoise m’aimerait-elle moins ? » Et il redouble d’attentions.
Ma rivale, Nathalie, me dédie elle aussi de charmants sourires.
- Bonjour, Ardoise !
En réponse, je hoche la tête avec politesse et, ensuite, fais semblant de m’absorber dans mes pensées.

Quand ils sont tous les deux assis sur le divan, je me juche sur les genoux de Scouby et contemple, les yeux mi-clos, le petit couple qui se murmure des tendresses. Parfois, je lève les yeux au ciel et pousse un profond soupir, moqueur et explicite.
Vous vous direz peut-être, là : « Allez, c’est de l’exagération ! Un chat ne se conduit pas comme ça ! » Eh bien, vous vous tromperiez fameusement : mes mimiques sont claires comme de l’eau de roche !
- Ardoise, chuchote Scouby, arrête ton cinéma ! Qu’est-ce qu’elle va penser de toi, à la fin, Nathalie ?
- Kwâ, keskelle va penser Nathalie ? Je peux quand même regarder en l’air et respirer fort, non ?
- Elle va penser que tu es une vilaine chat-louze !
Une vilaine chat-louze ! Moi !
Outrée, j’ai proféré un gros mot, en cinq lettres : « Miaou ! »

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Chapitre 24 : JE ME FACHE !...



Pour le moment, j’ai du travail, mais du travail ! Je ne sais plus où donner de la tête. D’ailleurs, paraît que j’ai l’air fatigué.
Le week-end passé, Scouby m’a regardé dans le vert de l’œil avec inquiétude.
- Qu’est-ce qui t’arrive, Orca ? Tu ne manges presque pas… Tu es toujours aussi maigre !
- Je cours tout le temps ! Comment pourrais-je prendre du poids, avec la vie que je mène ?
- Tu as pourtant une maison, maintenant… Malgré cela, tu ressembles de plus en plus à un clochard ! Comment cela se fait-il ? Tu me fais penser à quelqu’un…
- Depardieu, je suppose. Les filles du quartier disent…
Elle secoue la tête, navrée.
- Non, pas Depardieu, mon pauvre minou ! Columbo !!!
La paupière tombante, le pelage avachi, je la regarde sans comprendre. C’est qui, d’abord, ce Columbo ?

En bon propriétaire terrien, je suis obligé de surveiller mon territoire toute la journée, pour éviter les intrusions inopportunes d’autres matous désireux de prendre ma place. Le statut de « Maître-Chat » fait des envieux… Je suis même obligé de garder un œil sur Scouby pour éviter qu’elle ne fasse des bêtises, vous imaginez !

Ainsi, dernièrement, une créature ondulante et soyeuse est apparue sur la terrasse où se trouve le très sélect (et très privé) restaurant que fréquentent mes amies les chattes.
- Oh, s’est écriée Scouby, la jolie chatte grise ! Elle ressemble un peu à Ardoise ! Viens manger, minette !
La créature ondulante-et-soyeuse ne se l’est pas fait répéter et a fait honneur au repas si gracieusement offert.

Sur ces entrefaites est apparue mon amie Gourmande, grande habituée du restaurant. Poliment, la créature grise s’est effacée pour laisser manger Gourmande. Là, Scouby aurait pu se douter de quelque chose, vous ne trouvez pas ? Cette galanterie…
Moi, je commençais à sentir mon poil se hérisser.

La créature ondulante-et-soyeuse a commencé une sorte de danse de charme pour le bénéfice de Gourmande. Peine perdue ! Quand Gourmande prend son repas, le monde pourrait crouler autour de son assiette, elle ne s’en apercevrait même pas !

- Regardez comme je suis agile ! a dit la créature.
Avec vélocité, elle a grimpé au sommet du grand sapin et en est redescendue gracieusement en se promenant sur chaque branche et en se balançant. Applaudissez l’artiste !
- Miam, miam ! faisait Gourmande pendant ce temps.

Dan a commencé à avoir la puce à l’oreille. Mes puces à moi dansaient le cha-cha-cha sur mon crâne. J’entrais en ébullition.
- J’ai l’impression que ta jolie chatte grise… c’est un jeune CHAT ! a-t-il dit.
La créature ondulante-et-soyeuse dûment examinée, il a bien fallu se rendre à l’évidence. Un CHAT, même adolescent, dans MON jardin ? Inacceptable ! Un grondement est venu tout seul au fond de ma gorge.
- Oh, il est si beau ! a dit Scouby, sans se rendre compte de ma rage croissante.
Subrepticement, elle l’a caressé, à un moment où je détournais la tête. Si j’avais surpris ce geste, vous pensez bien que les choses ne se seraient pas passées comme ça ! On aurait mangé du civet de créature ondulante ce soir !
Le jeune chat s’est esquivé sans insister… il a bien fait.

Il paraît pourtant que, lorsque je suis absent, il passe de temps en temps dire un petit bonjour, mais ne s’attarde pas. Je crois qu’il se méfie du maître des lieux (moi) !
En quoi il n’a pas tort !

J’ai encore d’autres soucis !
Vous savez quelle affection j’éprouve pour mes chattes. Je dois reconnaître qu’elles me le rendent bien et jusqu’à présent, jamais je n’avais eu à me plaindre d’elles.

Néfertiti, toujours douce et timide, occupe la première place dans mon cœur. Quand on voit Néfertiti, je ne suis jamais très loin : sans moi, elle n’oserait jamais sortir de la tanière qu’elle s’est aménagée dans le fourré de l’autre côté de la rue, à l’abri des regards indiscrets. C’est bien agréable d’être ainsi indispensable à quelqu’un, aussi j’en rajoute : en sa compagnie, je plastronne et elle bée d’admiration. Chère Néfertiti !

Gourmande non plus ne me pose pas de problème majeur, encore que… vous verrez tout à l’heure. C’est une bonne copine, agréable, toute mignonne avec sa robe tricolore et sa petite bouche en forme de cœur. Son principal défaut, c’est la gourmandise, justement. Quand elle voit une assiette pleine, il faut qu’elle la vide impérativement, même si elle n’a pas faim. C’est pathologique. Elle engouffrerait dix fois son poids. Pourtant, je ne l’ai jamais vue malade et elle garde la ligne. Comment fait-elle ?

La chère Ardoise, bien sûr, est un cas à part… Pas méchante, mais un peu snobinarde. Peut-être a-t-elle un complexe d’infériorité qu’elle s’efforce de compenser ? Elle passe son temps à me surveiller comme si j’allais lui escamoter sa maison. Pourtant, il y a largement place pour deux ! Elle n’a pas l’air de le comprendre… Bah, malgré ses humeurs changeantes, elle est brave fille au fond !

C’est Petite-Goulaffe qui m’a donné du fil à retordre, récemment.
Au début, je ne me suis pas méfié. Vous imaginez, un chaton ! Une créature minuscule qui marchait benoîtement à côté de sa mère Gourmande et qui affectait un petit air effacé… du moins jusqu’au week-end dernier.
C’est samedi passé qu’elle a pris une initiative qui m’a déplu !

D’abord, elle arrive, toute frétillante : « Bonjour, M’sieur Orca ! »
Moi, débonnaire et paternel : « Bonjour, Petite-Goulaffe ! »
Après coup, je me dis que j’aurais dû remarquer depuis longtemps ces yeux brillants et moqueurs, cette petite physionomie intelligente… Mais comment aurais-je pu me douter que cette brindille était une forte tête ?
- Oh, constate-elle, ma M’man est déjà passée ! Il n’y a plus rien dans l’assiette !
- Je vais m’en occuper, dis-je.
Tout pénétré de mon importance de maître de maison, je m’apprête à signaler à la cuisinière (Scouby) que ma petite protégée attend quelques miettes à se mettre sous la dent.
- Oh, pas la peine de vous déranger, M’sieur Orca, je sais ce que j’ai à faire ! s’écrie l’effrontée.
Je suis déjà un peu vexé. Petite-Goulaffe ne me couve pas d’un regard extasié, comme les autres, mais bon ! Ce n’est pas encore trop grave : elle est jeune, elle ne connaît rien. Mais voilà qu’elle envisage maintenant de se passer de ma protection, offerte de si bon cœur ! Moi qui me montre toujours si dévoué à l’égard de mes chattes !
Eh bien, qu’elle se débrouille, je ne fais rien. Je suis curieux de voir… Ah ! Ah !

C’est tout vu : elle trottine vers Scouby et se frotte contre ses jambes avec de petits miaulement ravageurs.
- Petite-Goulaffe ! Tu as faim, ma pauvre chérie ?
Et voilà : une bonne pâtée est présentée à l’insolente qui se régale.
Je bous, j’écume, mais je me contiens.
- Il vaut mieux s’adresser au Bon Dieu plutôt qu’à ses saints ! fait Petite-Goulaffe, hilare, en me regardant.

Un feulement s’échappe de ma gorge.
- Orca ! Que se passe-t-il ? demande Scouby, toute surprise.
Moi qui me fâche si rarement, j’explose !
Je me rue sur la Petite-Goulaffe qui détale sans demander son reste. Je la rattrape sous la haie.
- Mon Dieu, il va la massacrer ! s’exclame Scouby.
Me prend-on pour un sauvage ? Je me contente d’abattre la patte sur l’épaule de la minuscule enquiquineuse en vociférant : « Toi ! Ecoute-moi ! »
Elle s’immobilise et lève les yeux au ciel.
- Ici, c’est comme partout ailleurs, il y a une hiérarchie, dis-je pompeusement. Quand on s’appelle Petite-Goulaffe, on ne s’adresse pas directement à Mme Scouby, on soumet respectueusement ses desiderata à Monsieur Orca qui transmet. Pigé ?
- Voui, M’sieur Orca ! Mais…
- Y a pas de mais !
- Mais… vous trouvez pas ça complètement stupide ?
- Même si c‘est stupide, c’est la règle ! dis-je d’une voix décidée, peu désireux de me lancer dans une discussion oiseuse et, surtout, de me mettre en péril de devoir défendre des arguments pas tellement solides, tous comptes faits…
- Pourtant, ma M’man…
- Ta maman aurait bien dû t’apprendre les bonnes manières ! dis-je avec réprobation.
- Ma M’man, elle fait aussi tout ce qu’il lui plaît ! Elle est même déjà entrée dans votre maison pour manger dans votre assiette ! Quand Mme Scouby regardait pas ! Et elle m’a dit, ma M’man : « Faut profiter de l’absence du grand hé-chat-là !!! » C’est vous le grand hé-chat-là, M’sieur Orca !

Mes moustaches frémissent dangereusement, mes illusions sont mises à mal. La charmante Gourmande aurait-elle un double visage ?
- Ta maman, je lui secouerai les puces, la prochaine fois que je la verrai !
- Elle en a pas, des puces, M’sieur Orca ! Elle et moi, on est très propres !
Je manque abandonner. Je me reprends.
- Quoi qu’il en soit, Petite-Goulaffe, tu m’obéis, sinon c’est la raclée !
- Oh, vous pouvez pas, M’sieur Orca ! s’écrie la Minuscule, très sûre d’elle.
- Et pourquoi cela ? dis-je, ébahi.
- Parce que je suis un NENFANT, m’assène-t-elle triomphalement, et que les droits d’un NENFANT, c’est sacré !
J’en reste comme deux ronds de fan. Je n’ai encore jamais rencontré une Petite-Goulaffe comme ça ! Je m’efforce, sans trop d’espoir, d’avoir le dernier mot.
- Eh bien, j’attendrai que tu sois grande !
- Je grandirai pas, M’sieur Orca, je préfère rester petite ! Vous pourrez attendre longtemps !
- Tu préfères rester… ?????? Tu n’as pas peur des animaux plus gros que toi ?
- Oh, j’suis costaud, M’sieur Orca, je sais me défendre toute seule ! Je suis une chatte de la nouvelle génération : une self-made-cat !
Et elle arque d’un air fiérot sa minuscule colonne vertébrale, fait onduler sa superbe queue d’écureuil.
J’en reste bouche bée. Si elle est aussi indépendante et volontaire dans son jeune âge, que sera-ce quand elle sera adulte ! Une révolutionnaire dans notre petit village !

Nous regagnons la terrasse, côte à côte. Scouby soupire de soulagement.
- Ah, il ne lui a pas fait de mal ! Brave chat ! Il faut être gentil avec les chatons sans défense !
A mon tour, je lève les yeux au ciel : si elle savait !

Depuis lors, j’ai capitulé. Je ne dis plus rien quand la Petite-Goulaffe vient quémander directement sa nourriture à Scouby, sans passer par mon intermédiaire. Faut dire que je suis un peu dépassé par les événements ! La maigrichonne n’a pas menti : j’ai vu, de mes yeux vu, la charmante Gourmande entrer chez moi comme chez elle. Scouby l’a croisée dans l’escalier alors que la nouvelle visiteuse venait d’explorer le grenier.
- Gourmande ! Que fais-tu là ? Ce n’est pas ta maison ici !
La friponne a le bon goût de feindre la confusion. D’un saut alerte, elle regagne la terrasse.
- Il faut faire attention vous deux ! dit Scouby d’une voix sévère. « Si vous vous trouvez à l’intérieur de la maison quand nous la fermons un dimanche soir, vous resterez une semaine sans manger ni boire ! »
Ce qui serait déjà un supplice pour un chat normal serait la fin du monde pour Gourmande, privée de ses dix repas quotidiens ! Et ce n’est pas moi qui lui montrerai comment fonctionne la chatière, ah non alors ! Je la laisserai mijoter, ça lui apprendra !
Foi de grand échalas !

Dimanche passé, quand Scouby est repartie à Bruxelles, les deux phénomènes, mère et fille, se reposaient sur ma terrasse, au soleil.
Dans la maison du bout de la rue, les enfants commencent à se poser des questions : « Où sont notre chatte et son chaton, on ne les voit plus ? »
- Elles ont fugué, dis-je, elles sont en ce moment en train de squatter mon jardin ! Venez les chercher !
Ils ne me comprennent pas
Paraît que je parle avec un accent.

Bon, autant faire contre mauvaise fortune bon cœur : je vais devoir encore supporter longtemps les petites mines de ces deux traîtresses…
Avec mes chattes, je ne m’ennuie jamais !

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Chapitre 25 : LE BANANIER

L’autre jour, Scouby et moi étions un peu en froid…
Nous avons eu des « mots » à cause d’un stupide bananier !
Vous allez comprendre !

Il s’agit d’un vrai bananier, en pot, que nous a offert un membre de la famille, il y a déjà longtemps.
Scouby l’a installé dans le salon. On se croirait dans un pays exotique, avec cette espèce de palmier dont les feuilles se balancent doucement !

Moi, ça m’intéresse, vous pensez ! J’ai commencé par effleurer les feuilles du bout de la patte. Après, j’y ai planté mes griffes quand j’avais envie de me défouler sur quelqu’un. Je vous conseille de faire de même : votre patron vous tape sur les nerfs ? Prenez à votre tour une tête de Turc, ça fait un bien fou !
Chaque fois que Scouby m’avait grondée pour une raison ou pour une autre, crrrrr ! Un coup de griffe dans une feuille du bananier : tiens, attrape ça !!!

Malgré ces petites avanies, le bananier a prospéré. Un jour, miracle ! Il a eu un bébé bananier qui poussait à sa base ! Puis, quelque temps après, un deuxième petit !
Intriguée, je suis allée regarder ça de plus près.
Quelle jolie petite pousse vert tendre, à la fois moelleuse et croquante ! Ce qui devait arriver arriva : je n’ai pu résister à la tentation, j’ai mangé le bébé-bananier.
- Sale bête ! Mon pauvre bananier !
C’est rarissime qu’on me traite de « sale bête » (ce qui me vexe beaucoup, parce que je ne suis ni sale, ni bête), mais là, c’était vraiment ma fête ! Scouby a voulu déplacer le bananier de manière à me le rendre inaccessible, mais ce que chatte veut… Je me débrouillais toujours pour contourner les obstacles posés sur mon chemin.

Au bout d’un certain temps, la maman-bananier s’est mise à dépérir. Par ma faute peut-être. Puis, elle est morte, il a fallu l’enlever. Ne restait plus dans le pot que l’aîné des deux bébés bananiers.

Juchée sur mon fauteuil, je le contemplais rêveusement, les yeux mi-clos, en chantonnant distraitement, sur un air des sixties :

« J’m’en vais te bouffer bananier, yé yé !
Crois-en Ardoise la tigrée, yé yé ! »

Le bananier ne disait rien. D’une patte gourmande, j’ai soulevé une feuille et en ai approché mon museau.
- Ardoise ! Sale bête !
Ca y est : on me sonne les cloches ! C’est Pâques ou quoi ?
Prise d’une inspiration subite, Scouby saisit le pot et installe le bananier sur la terrasse. Puis elle referme la porte vitrée.
Le bananier frissonne un peu, mais du moins est-il à l‘abri de mes entreprises. Je le vois agiter ironiquement dans ma direction ses petites feuilles tendres et juteuses.

Je fredonne : « Bon sang ne me saurait manquer, yé yé !
Je te boufferai bananier, yé yé ! »

Il murmure : « Essaie donc de m’attraper, hé hé ! »

Je rétorque : « Attendons la fin de l’été, hé hé ! »

Avec les premières gelées nocturnes, le bananier réintégrera, contraint et forcé, notre salon. Et alors, on verra ce qu’on verra !
Parlons d’autre chose… mais n’oublions pas !

Pour le moment, Olivier (vous savez, hein, l’ex-grand-amour-de-ma-vie) est en période d’examens à la fac. C’est sa dernière année d’études… si tout va bien !
Je prends grand soin de ne pas le déranger. Parfois, je le vois passer dans la cuisine, l’œil halluciné. On dirait un fantôme. Il révise sa matière.
C’est tout juste si j’ose me placer devant le frigo quand il se sert à manger. Je pousse un tout petit « Mia-ou ! » presque inaudible, pour ne pas troubler le travail qui s’effectue dans son cerveau. Pour un peu, j’en entendrais les rouages grincer.
- Mia-ou ? Si tu me vois… Tu veux bien me donner un peu de steak haché ?
Il réagit vaguement : « Tiens, un chat… »
Parfois, il manque de m’enfermer dans le frigo.
- Hé, ça va pas ?
- Oh, pardon, Ardoise…
Je n’ai pas reçu mon steak haché. Il m’a oubliée ! Il retourne dans sa chambre où la lumière brille jusque tard dans la nuit et se rallume avant l’aube.
Scouby émerge à peine de ses plumes que son rejeton est déjà sur pieds, vêtu d’un costume-cravate, le visage blême comme s’il avait rendez-vous avec la guillotine : il a un examen oral ce matin.
Les jours où l’examen n’est qu’en « écrit », l’étudiant est légèrement plus détendu : vieux T-shirt usagé, visage non rasé, il se perd dans la masse de ses semblables.
Heureusement, il n’est pas solitaire dans cette épreuve : Nathalie (vous savez, ma rivale à deux pattes), qui suit les mêmes études que lui, traverse aussi les mêmes affres ! C’est mieux de souffrir à deux.

Je ne savourerai jamais assez la chance qui m’est échue d’être une chatte ! Pas d’examens, pas d’études… Le farniente du matin au soir ! Plus je connais les humains et leur façon de vivre, plus j’apprécie mon statut d’animal aimé, chouchouté, cajolé… Ah elles sont loin mes premières années de galère !!!

J’ai même écrit un petit poème en mon propre honneur :

Ils m'ont donné pour nom "Ardoise",
Séduits par mon pelage gris...
Et je me dis, un peu narquoise,
Que si mes plats sont bien servis,
Ils peuvent m'appeler Framboise,
Ou même, pourquoi pas ? ... Souris !

De mon regard feuille-de-saule,
Je les observe sans ciller.
Tour à tour tragique et drôle,
Experte dans l'art d'étonner,
Je puis, connaissant bien mes rôles,
A tout instant me transformer

En Cendrillon version féline,
Robe poussière et oeil inquiet...
En roucoulante Colombine
Miroitant de mille reflets...
En pythonisse sibylline,
Les yeux mi-clos sur mes secrets.

Adossée d'humaine manière,
- Voit-on un chat s'asseoir ainsi ? -
Je songe, ronronnante et fière,
Au chemin suivi jusqu'ici.
Vrai ! Pour être née "de gouttière",
Je n'ai pas si mal réussi !

Suis-je vraiment simple et naïve,
Ou de subtile réflexion ?
Ma candeur est-elle native
Ou façonnée par la raison ?
A volonté placide ou vive,
Je me ris de leurs déductions...

Et à leurs muettes questions,
Jamais, jamais je ne réponds !

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Chapitre 26 : HISTOIRE DE PELADES


Ils se sont absentés quelques jours. Au retour…
Cri d’horreur :
- Orca! Que t’est-il arrivé ? Tu es tout pelé !
- Affreux ! Littéralement hideux, s’exclame Dan, péniblement impressionné par mon aspect.
Et il ajoute pour faire bonne mesure, tandis que je courbe la tête sous le poids de la honte : « Répugnant ! »
C’est pas gentil ça ! Je trouve quand même qu’il exagère un peu !

Bon, c’est vrai, ma belle fourrure s’en est allée. N’en subsiste qu’un poil ras qui repousse peu à peu. On dirait que j’ai fait mon service dans l’armée américaine.

Scouby et Dan, remis de leur stupeur, m’examinent : « Oh, pauvre Orca ! Il y a plein de petites bêtes sur ton poil ! Où es-tu allé te promener ? »
- Je n’en sais rien, dis-je lamentablement, j’ai attrapé ça tout à coup !
- Et ta figure toute sale ! Et ton museau ! C’est du sang séché ?
- Mais non, c’est de la sauce tomate ! Il faut bien que je me nourrisse quand vous n’êtes pas là ! La voisine a fait du spaghetti à la Bolognaise et elle m’en a donné une assiette…
- Tu es quand même maigre, mon pauvre minet ! Nous allons bientôt venir en vacances, Orca, on te remplumera !
Ouf ! Ils m’aiment encore, malgré mon aspect si peu engageant ! J’en ronronne de plaisir. Tant pis si, pour le moment, je suis le chat le plus affreux du village !

Passons à autre chose, ça vaudra mieux.

La timidité de ma pauvre Néfertiti me sidérera toujours !
Comment peut-on être timorée comme ça, alors qu’on connaît depuis des années tout son entourage, hommes et bêtes ?
Néfertiti se conduit en tous points comme si elle vivait dans une jungle peuplée de monstres féroces n’ayant en tête qu’une idée fixe : la dévorer toute crue !

Ainsi, l’autre jour…
Vous savez comme je suis prévenant avec ma fiancée toute noire, hein ? Je l’accompagne dans ses promenades, quand elle mange je fais le guet… Vraiment un chevalier servant irréprochable, je suis !
Scouby a déposé une assiette de nourriture à son intention dans le passage entre notre maison et celle du voisin. Les autres chattes viennent manger sur la terrasse, en notre compagnie, mais pas Néfertiti ! Ou alors elle attend que la terrasse soit déserte… Mais à ce moment-là, Mme Gourmande et Mlle Petite-Goulaffe sont déjà passées et la gamelle est vide. C’est pourquoi on lui a mis un petit couvert à part.
Bon, l’autre jour, donc, elle arrive, se faufile jusqu’à l’assiette avec d’infinies précautions et commence à manger.
Moi, gentiment, sans penser à mal, je penche la tête en avant pour la contempler.
A peine le temps de dire ouf, la voilà qui détale à toutes pattes !

- Qu’arrive-t-il à Néfertiti ? demande Scouby toute étonnée.
- Elle a eu peur, dis-je. Peur de moi ! Ca alors !
Il faut dire qu’à ce moment-là, je n’étais pas encore pelé. J’étais tout ce qu’il y a de normal.
Je m’en vais retrouver l’éplorée dans sa tanière, au milieu d’un bosquet très feuillu et enchevêtré, situé devant notre maison, de l’autre côté de la rue. Entre parenthèses, c’est comme ça que Néfertiti est toujours avertie la première de l’arrivée de ma famille le vendredi soir : dans son fourré, elle est aux premières loges pour voir arriver la voiture !
- Qu’est-ce qui t’a pris, Néfer ?
- C’est horrible ! hoquette-t-elle… J’ai vu… Une effrayante bête noire de l’autre côté du mur, qui me regardait fixement !
- Ta bête noire, c’était moi, Néfer !
- C’est pas vrai, t’es pas tout noir !
- Justement, ton imagination te fait voir des trucs qui n’existent pas, Néfer ! Faut faire un effort, ou alors aller voir un psy-chat !
- J’ai peur des bêtes noires, murmure-t-elle.
Pourvu qu’elle ne se retrouve jamais devant un miroir !

Elle a décidé de faire un effort, un gros effort !

Un soir, tandis que Dan et Scouby admiraient les étoiles sur la terrasse, la porte du jardin étant ouverte, Néfer a plongé : subrepticement, elle s’est introduite dans le fenil pour l’explorer. Comme son cœur devait battre !
Hélas ! Voilà qu’au même moment, Scouby, prise d’un besoin naturel subit (le petit coin se trouve dans le fenil), s’est rendue au même endroit en… refermant la porte derrière elle. Pauvre Néfertiti !
Elle s’est mise à pousser des gémissements lugubres. Très étonnée, Scouby, qui regagnait le jardin, a scruté l’obscurité. Elle n’a rien vu, Néfertiti se confondant avec l’ombre environnante. Au dernier moment, elle a cependant discerné deux yeux apeurés qui brillaient comme de petites lampes. Elle a évidemment laissé la porte ouverte en regagnant la terrasse. Aussitôt, elle a vu filer près d’elle une petite fusée noire et terrorisée qui s’est précipitée au-dehors et a disparu dans la nuit.
Une nouvelle fois, je suis allé raisonner l’infortunée, blottie dans son nid de feuilles et de branchages.
- Tu as voulu en faire trop d’un seul coup, Néfer ! Un pas à la fois, tu finiras bien par y arriver !

J’ai été récemment confronté à un mystère.

- Orca, me dit Scouby, la pauvre Néfertiti a attrapé les mêmes petites bestioles que toi : je l’ai vue tout à l’heure, son encolure est toute pelée !
- Pas possible ! dis-je. Je ne m’en suis pas aperçu !
Dans la soirée, alors que Scouby lisait tranquillement sur la terrasse, mon copain le chat gris (vous savez, la créature soyeuse et ondulante avec un long, long dos ? Eh bien oui, il est devenu mon copain ! Vous voyez que je ne suis pas si terrible avec les jeunes chats!) mon copain le chat gris, donc, est venu me dire bonjour. Néfertiti le suivait, mais comme le crépuscule était tombé, je n’ai pas pu distinguer sa pelade. Tous trois, nous nous sommes tranquillement assis en rond, sur des pierres plates, pour deviser.
Mon attention a été attirée, à ce moment, par Petite-Goulaffe qui essayait de s’intégrer à notre cercle.
- Non, Petite-Goulaffe ! Laisse les adultes tranquilles ! Va jouer !
- Mais je peux bien parler avec vous ! J’suis aussi maligne que vous trois ensemble, non?
Je la regarde de travers. Je crains fort qu’elle n’ait raison, la petite délurée !
- Cela ne change rien à l’affaire, dis-je sans me fâcher. Tu es un NENFANT et tu ne te mêles pas de nos affaires !
- C’est pas juste !
- C’est ta faute : tu refuses de grandir !
Mouchée, la petite s’en va, un peu confuse. Je parie qu’elle va sérieusement réviser sa position et qu’elle aura gagné quelques centimètres bientôt !

Le lendemain, en plein jour, je revois Néfertiti.
- Vous vous êtes trompée, dis-je à Scouby, Néfer n’est pas pelée du tout !
Elle est sidérée.
- J’avais pourtant bien cru voir…
Une heure plus tard, Néfertiti mange, entre les deux maisons. Je m’approche, incrédule : elle a l’encolure toute mitée !
C’est Dan qui a trouvé la réponse à cette énigme.
- C’est bien simple, se rengorge-t-il. Il y a deux Néfertiti, voilà !
Deux Néfertiti ! Laquelle est la mienne ? L’amour de ma vie ?
- A mon avis, celle qui a un tout petit triangle blanc sur la gorge, me renseigne aimablement Dan.
Eh bien ça alors ! Deux Néfertiti, toutes deux aussi timides l’une que l’autre, toutes deux habitant dans la même tanière et ne se montrant qu’à tour de rôle, jamais ensemble !

- Tu aurais pu m’avertir ! dis-je à « ma » Néfertiti, celle qui heureusement, n’est pas pelée.
- Oh, Orca, c’est tellement amusant d’intriguer ainsi les gens ! minaude-t-elle.
Incroyable, vous ne trouvez pas ?

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Chapitre 27 : UNE CHATTE NORMALE

Et maintenant, c’est presque le départ en vacances… mais pas en ce qui me concerne : Olivier et Nathalie vont me garder et me dispenser toute la nourriture, la boisson et l’affection dont j’aurai besoin durant les trois semaines où Scouby et Daniel iront travailler dans la vieille maison de campagne avec, toutefois et s’il fait beau, un intermède de trois ou quatre jours en France !

Pourquoi ne puis-je les accompagner ? Eh bien, en premier lieu, parce que je déteste voyager en voiture, comme chacun sait, et en second lieu… parce que l’Orca a attrapé des parasites dans sa fourrure et que Scouby a peur de la contamination pour moi ! Pauvre Orca, il en est tout traumatisé ! C’est vraiment la grande affaire de sa vie en ce moment !

Je dois avouer que je suis plutôt embêtée… Vous vous en souvenez peut-être, j’avais composé, il n’y a pas longtemps, des vers de mirliton souhaitant la gale à mon chevalier noir et blanc… Et si c’était la conséquence de mon vœu si peu charitable ? Serais-je une sorcière jeteuse de sorts sans m’en douter ? Je me contemple dans le miroir : a-t-on jamais vu une sorcière tigrée et toute ronde, avec des yeux naïfs et un petit museau rose ? Je serais bien la première de ce style mais… on ne sait jamais !

Une fois de plus, Daniel est parti pour quelques jours dans notre vieille maison et je me retrouve seule avec ma mère d’adoption.

Le soir, ma compagne à deux pattes nettoie et fait du repassage en prévision de son départ. Moi, confortablement étalée sur le dossier de mon fauteuil, je la regarde, les yeux mi-clos, image vivante de la béatitude. Ca a du bon, la vie de chat ! Au fond, je suis à l’hôtel toute l’année, moi !

Quelque chose ne me convient pas ? J’appelle le personnel de cuisine : « Hep ! Scouby ! Veuillez remplacer cette infâme tambouille par du colin d’Alaska bien frais, je vous prie ! Je ne mangerai plus une miette d’ici-là ! Hep ! Veuillez remplacer ma litière ! Il y a comme une petite odeur qui m’incommode ! »
- Tout de suite, Votre Altesse !
Je ne garantis pas la véracité absolue des dialogues, mais c’est quand même à peu près ça… Il paraît que mes mimiques sont tellement expressives que tout le monde comprend ce que je veux dire ! Et tout le monde se met en quatre pour me satisfaire car « Pauvre Ardoise ! Tu as été si malheureuse quand tu étais petite ! Tu mérites bien une bonne vie douillette, maintenant ! »

Après avoir repassé son linge, Scouby pense aux loisirs. Elle s’installe bien à son aise et regarde une cassette-vidéo qu’elle n’a pas encore vue. Il faut vraiment profiter de l’absence de Daniel pour regarder un programme : quand il est là, il est constamment vissé devant le petit écran et il zappe ! Il adore ça, regarder plusieurs chaînes à la fois. Pendant ce temps, Scouby s’énerve. Moi, je m‘en fous.

Si je suis satisfaite des services de mon maître d’hôtel, je grimpe sur ses genoux et fais mine de regarder, moi aussi, la cassette. Sinon, je me réfugie sur une chaise glissée sous la table et me rends invisible, dissimulée par la nappe qui recouvre mon museau. Ah, Scouby ne m’a pas acheté de bœuf haché ! Je ne lui ferai pas l’honneur de ma compagnie, na !

A neuf heures, ni plus tôt ni plus tard, je vais me coucher sur un vieux repose-pieds (MON lit) et je m’assoupis, satisfaite de ma journée. Je somnole, en entrouvrant de temps en temps les yeux pour surveiller ce qui se passe. Vers dix heures du soir, je me réveille pour casser la croûte, puis reviens me coucher. Une bonne petite vie de chat, vraiment !

Mon ex-grand amour, Olivier, a terminé ses études et cherche du travail. Nathalie, elle, en a déjà trouvé. De temps à autre, le tout récent diplômé ne peut dissimuler ses craintes : et s’il ne trouvait rien ? Il aurait l’air fin, vis-à-vis de sa dulcinée !
- Ne t’en fais pas, lui dis-je réconfortante, si tu ne trouves pas de boulot, tu resteras avec moi. Tu partageras ma petite existence confortable, tu me soigneras, on mangera du colin d’Alaska, puisque maintenant on ne peut plus rien manger d’autre, avec ces histoires de vaches cinglées et de poulets dioxinés. On restera ensemble toute la journée pendant que Nathalie travaillera…
Déjà je fais des rêves roses, mais la vie idyllique que je lui décris ne semble pas sourire au principal intéressé. Lui qui, il y a deux ans à peine, prétendait tellement m’aimer !
Je râle. Scouby s’en mêle : « Je t’ai déjà dit, Ardoise, qu’Olivier ne veut pas mener une vie de chat ! »
- Mais pourquoi ? Pourkwââââââ ?
Vraiment, je ne comprends pas !

Les humains sont tout à fait étranges, vous ne trouvez pas ? Toujours à courir après ce qu’ils n’ont pas ! Ils devraient faire comme moi, je suis contente de ma situation actuelle et n’en veux pas changer… Bon, il m’arrive de bouder, c’est vrai, mais ça ne dure jamais bien longtemps…
- En quoi tu as tort, murmure une voix désapprobatrice près de mon oreille.
- Tiens, vous voilà, Vot’Seigneurie ?
- Un chat digne de ce nom (moi, par exemple) sait bouder longtemps, très longtemps !
- C’est fatigant, ça, Vot’Seigneurie !
- Tu n’as pas assez de suite dans les idées ! Comment veux-tu qu’on te respecte, si…
- J’veux pas qu’on me respecte ! J’veux qu’on m’aime ! Qu’on me fasse des petites caresses, qu’on me grattouille le menton !
- Oh, dans cette famille, ce n’est sûrement pas ça qui te manque ! Je me souviens, moi, je me prêtais en général de bon gré à leurs manifestations d’affection (il faut avouer que c’est assez agréable) mais quand j’en avais assez des caresses, je levais une patte en guise d’avertissement : « Fini, maintenant, sinon je mords ! » et ils me laissaient tranquille. Il faut leur montrer que tu as de la PERSONNALITE !
- Voui, Vot’Seigneurie !
- Que tu n’es pas un animal en peluche !
- Non, Vot’Seigneurie ! Mais soyez tranquille, avec tout ce que je bouffe, je leur coûte cher et ils voient bien que je ne suis pas une peluche !
- Bon ! Continue à suivre mes conseils et dans très, très longtemps, tu ressembleras peut-être à une chatte normale. Tu n’auras jamais mon quotient intellectuel, mais personne ne te demande d’être une surdouée, ne t’en fais pas ! »
Sur ces paroles de réconfort, elle s’évanouit dans l’air, tandis que je rumine : c’est quoi, une chatte normale ?

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Chapitre 28 : CE DEMON DE PETITE-GOULAFFE !


Bof, je ne suis pas très chanceux en ce moment…
Récapitulons : l’année dernière, à cette époque, j’étais presque borgne. Puis, quelques mois plus tard, je me suis esquinté une patte. Maintenant, j’ai attrapé je ne sais où des petites bestioles féroces qui s’attaquent à mon pelage ! Si c’est pas de la poisse, ça !
Dur dur, le métier de chat des champs !

Parfois, je me surprends à envier la belle Ardoise. Elle ne change pas, elle ! Elle garde un visage de chaton, sa fourrure est brillante et épaisse, les coussinets de ses pattes sont propres et intacts…
Mais toute médaille ayant son revers, je suppose que parfois elle doit s’ennuyer ! Elle prétend que non, que son imagination lui fait vivre une foule d’aventures extraordinaires dans l’espace restreint de son appartement, mais je doute… Moi, je n’ai pas une imagination débridée, mes aventures m’arrivent vraiment, je n’ai ni le temps ni l’envie de fabuler ! Lequel de nous deux est le mieux loti ?

Faut dire que je ne me pose la question que lorsque je suis un peu déprimé, comme en ce moment. En temps ordinaire, je suis très heureux de ma condition : je vais, je viens, je fréquente qui je veux, je suis mon seul maître. Les week-ends, je suis alimenté comme un pacha et, en semaine, je chasse pour me nourrir, ce qui entretient la sveltesse de ma silhouette et la souplesse de mes articulations. Si j’ai envie de faire une sieste au soleil, couché de tout mon long dans le potager de Dan, je le fais. Si je préfère grimper au sommet d’un arbre pour explorer les alentours, personne ne songe à m’en empêcher. Si d’aventure on me cherche des puces, je ne suis pas obligé de le supporter, je m’en vais…

Ah, satanées bestioles ! Elles me chatouillent, me gratouillent…
Le mois dernier, j’avais perdu tout le beau poil de mon encolure, presque jusqu’au milieu du dos ! Heureusement, il repousse, tout doux et soyeux, mais encore un peu court à mon idée. Quand elle me caresse, Scouby dit que je suis en velours, ce qui me console un peu. Il faut avouer que j’ai vraiment une allure bizarre en ce moment : le haut tout maigre et déplumé, le bas hirsute… je ressemble à un vautour de bande dessinée.

Durant leurs vacances, Dan et Scouby se sont donné beaucoup de mal pour me faire grossir, sans beaucoup de succès. Pourtant, je mange avec un appétit d’ogre. Faut croire que je dépense toutes les calories que j’avale.
Ils se sont aussi attaqués à mes horribles petites bêtes et j’ai constaté une réelle amélioration de mon état. Je n’ai pas retrouvé mon look de jeune premier, je ressemble toujours plus à Columbo qu’à Depardieu, mais patience ! Ma beauté reviendra, du moins je l’espère !

Je n’ai pas encore digéré l’épisode « Néfertiti ». Quand je vais retrouver ma fiancée dans son abris de feuillage, je me sens étreint par un doute : laquelle vais-je rencontrer ? Dans l’ombre environnante, je ne vois pas très bien la petite étoile blanche qui, paraît-il, distingue la mienne de l’autre ! Et si cette dernière vient de boire un bol de lait, la ressemblance est tellement frappante qu’il me faut la pleine lumière du jour pour déterminer à qui j’ai affaire !

Ma Néfertiti à moi me semble plus mince, haute sur pattes. L’autre est un peu plus trapue et son pelage noir prend des reflets roux au soleil. Mais elles ont exactement le même petit visage craintif, la même expression timide ! Dire que j’ai mis tant de temps avant de comprendre ! Et encore, si Néfertiti n° 2 n’avait pas attrapé les mêmes petites bestioles que moi, je n’aurais peut-être jamais rien su !

- Je ne peux pas continuer à vous appeler toutes les deux Néfertiti ! dis-je à la mienne sur un ton agacé.
- C’est bien simple, rétorque-t-elle, appelle-nous Néfer et Titi !
- Mais dans le noir, comment puis-je savoir qui est Néfer et qui est Titi ?
Pas de réponse. Je la soupçonne de ne pas très bien savoir elle-même laquelle des deux elle est !

Lors de sa dernière visite chez nous, Mme Maman m’a trouvé vieilli. Il est vrai que mon visage patibulaire a pris une expression soucieuse. Avec mon allure dégingandée et mes pattes qui ont foulé d’innombrables chemins, je ne ressemble certainement plus au jeune chat à qui sa mère conseillait : « Tact et diplomatie ! ». Doucement, j’avance en âge et mon existence aventureuse n’est pas de tout repos ! Mes nombreuses cicatrices témoignent de multiples bagarres avec des intrus briguant mon territoire… et s’il n’y avait encore que des intrus !
Z’imaginez pas ce que je souffre avec UNE intruse !

Bien sûr, vous avez deviné de qui je veux parler : Petite-Goulaffe, alias Attila, le fléau de Dieu !

Non contente de faire fi de mon autorité et de me rire au nez chaque fois qu’elle en a l’occasion, elle s’est carrément installée chez moi !
Elle entre, elle sort, elle va flairer ma gamelle dans la cuisine…
L’autre jour, je l’ai surprise à arpenter le salon à petits pas.
- Que fais-tu ici, Petite-Goulaffe ? dis-je d’un ton sévère.
Avec les enfants, il faut être ferme ! Surtout ne jamais se laisser déborder, sinon ils ne feront qu’une bouchée de vous !
- Je visite les lieux, répond-elle d’une petite voix sereine. Quand M. Dan et Mme Scouby viendront habiter ici, qu’est-ce que nous allons être heureux tous les deux, M’sieur Orca !
- Tous les deux ?
- Ben oui, vous-z-et moi, M’sieur Orca !
Enfer et damnation ! Envisagerait-elle… ? Je n’ose penser la suite !
- Mais, Petite-Goulaffe, tu n’es pas chez toi, ici !
- Ca sera chez moi !
Si ! Elle envisage… ! Je crois que je vais me sentir mal !
- Petite-Goulaffe, je ne suis pas d’accord ! Et M’sieur Dan et M’dame Scouby non plus ! Et la noble chatte Ardoise non plus !
Elle fait onduler sa superbe queue touffue d’un petit air moqueur et ne daigne pas prendre acte de ma désapprobation.
- Ce sera bien, dit-elle d’un ton pénétré. Dans quelques années, quand je serai devenue célèbre, on mettra une plaque sur la porte : « Ici vécut la grande Petite-Goulaffe qui rêve-volutionna le village. » Ca ne vous plairait pas, M’sieur Orca, de vivre avec quelqu’un de célèbre ?
Et quoi encore ? Je suis déjà servi avec la chatte Ardoise !
Je n’ai pas la force de répondre. Comme je suis d’avis que la meilleure des défenses, c’est l’attaque, je mets ce principe en application : je bondis vers Petite-Goulaffe qui s’enfuit à toutes pattes.
Je la raccompagne ainsi jusqu’à la porte du jardin et la regarde s’éloigner à petits bonds.
J’espère lui avoir fait peur, mais je ne me fais pas d’illusions : elle reviendra !

- Pauvre Orca, dit Scouby, elle te fait tourner en bourrique, celle-là ! Tu en as perdu ta légendaire patience avec les chattes !
Je renchéris : « Cette Petite-Goulaffe viendrait à bout d’un saint ! Ca une chatte ? Me faites pas rigoler, c’est un véritable démon ! »

Au crépuscule, je suis tranquillement couché sur le rebord du muret séparant la terrasse de notre jardin. Je goûte un peu de fraîcheur après la canicule du jour.
- Bonsoir ! me susurre Petite-Goulaffe.
C’en est trop ! Mes nerfs cèdent. De curieux petits cris s’échappent de mon gosier.
- Grouuuuuïk ! Grooooouuuuuuiiiiik !
- Que se passe-t-il, mon Orca, s’inquiète Scouby, toujours en retard d’une guerre.
Sans répondre, je me dresse comme un ressort et me rue sur la petite insolente qui détale une fois de plus. Comme je suis un chat civilisé malgré la colère qui me secoue, je veille à ne pas la rattraper et me contente de la pourchasser jusqu’aux limites de mon domaine. Puis je retourne sur mon muret.
Pas pour longtemps !
A peine me suis-je confortablement installé qu’une longue queue grise et touffue vient ondoyer à quelques pas de moi. C’est qui, devinez !
- Groooouuuiiik !
Et c’est reparti pour un tour !

Il va falloir que je trouve une solution.
Que faire ? Sermonner Gourmande et la prier de surveiller étroitement sa progéniture ? Inutile ! Ca fait longtemps que j’ai évalué à leur juste valeur ses talents d’éducatrice !
Rallier la chère Ardoise à ma cause ? Comme je la connais, elle ne supportera jamais la présence d’une Petite-Goulaffe chez elle ! C’est une idée à creuser. Je pourrais lui envoyer une lettre anonyme parsemée de subtiles fautes d’orthographe :

« Jollye Ardoys,

Sessi pour vous dir qu’une créatur sanguinèr et sans scrupul veut vous voler votre méson. Orka essè de l’ampaicher mais rien à fère ! Ouvrez l’œil et le bon ! Dite à Scoubi qu’il en è pas kestion ! S.O.S. c’è urgen, Orka en devien singlé ! Prené pitié du chat des chants ! Le monstre sappell Petite-Goulaff et est daiguisé en chaton !

Signé : un ami qui vous veut du bien. »

Pas mal, qu’en pensez-vous ? De quoi mettre le feu aux poudres, sans me mouiller ! Personne ne devinera jamais que c’est moi l’expéditeur et la belle Ardoise fera tout le boulot !

J’en étais là, à envisager des mesures extrêmes, quand le ciel m’a exaucé : Petite-Goulaffe est devenue persona non grata dans mon domicile. J’en pavoise !
Cela s’est passé d’une manière bien indigne de l’intelligence de l’infernal chaton.
Dans la salle à manger, Scouby a placé sous la table un tapis rouge qui ornait jadis le salon de Mme Maman. Pour une raison obscure, Petite-Goulaffe, reniflant ce tapis, l’a trouvé à sa convenance.

- Tiens, c’est bizarre, il y a comme une trace humide sur mon tapis ! dit Scouby en se penchant.
Je cours vérifier : les énigmes me passionnent !
- C’est Petite-Goulaffe qui a fait pipi ! dis-je frénétiquement.
Horreur ! Scouby n’a pas l’air de comprendre mes paroles… et Petite-Goulaffe, débouchant du jardin comme si de rien n’était, vient se faire caresser en me décochant un coup d’œil triomphant.
- Jolie Petite-Goulaffe ! dit Scouby.
Je voudrais bien savoir pourquoi tout le monde tombe dans le panneau et considère la rusée comme un mignon petit animal sans défense ! Ca m’énerve, vous ne pouvez pas comprendre à quel point !

Deux jours plus tard…
Petite-Goulaffe s’oublie sérieusement sur le tapis !
Elle aurait pu prendre ses pattes à son cou et sortir vite fait, puisque personne ne l’avait vue ! Scouby était dans le fenil et Dan au salon, en train de regarder le tour de France cycliste. Le désastre n’aurait été constaté que plus tard et… aurait-on même soupçonné Petite-Goulaffe ? J’aurais fait un suspect plus probable…
C’est alors que la friponne a fait une grosse bêtise. N’écoutant que son instinct qui la poussait à dissimuler un objet si répugnant, elle s’est mise à gratter bruyamment le tapis… avertissant Dan qui est sorti du salon pour se rendre compte de ce qui se passait.

Je dois avouer que ce qui suit fut une musique bien douce à mes oreilles :
- Petite-Goulaffe ! Cochon ! Dehors ! Les chats qui ne savent pas se servir d’un bac de sable n’entrent plus dans la maison !
Le tapis a été nettoyé et l’assiette de Petite-Goulaffe déménagée sur la terrasse. Grandeur et décadence…
- Pauvre Petite-Goulaffe ! dit Scouby en lui servant un petit morceau de viande pour la consoler.
Je triomphe silencieusement : je sais me servir d’un bac de sable, moi !
Mais vous savez quoi ? J’ai l’impression que mes ennuis ne sont pas terminés : le petit démon reviendra !

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Chapitre 29 : ARDOISE = ORSON WELLES

Et voilà, les vacances sont passées et Scouby a repris le travail avec l’entrain qu’on lui connaît en ces circonstances. Encore attendre 11 mois avant les prochaines vacances ! Pffft !
Ces trois semaines de détente se sont bien vite écoulées pour moi aussi, d’ailleurs, car je les ai passées à sommeiller, confortablement étendue, ma petite silhouette déjà grassouillette prenant tout doucement une ampleur à la Orson Welles, si vous voyez ce que je veux dire…

Comme Nathalie avait commencé son activité professionnelle, Olivier et moi étions seuls. C’était vraiment idyllique… sauf qu’il s’est montré vraiment mal inspiré en ce qui concerne le choix de mes aliments ! Vous savez, c’est bien beau de vivre d’amour et d’eau fraîche, mais il faut y ajouter du consistant !

- C’est abominable ce que tu me donnes là ! Montre voir : « Foie et cœur en pâtée » !!! Pouah ! Tu sais très bien que je n’aime pas les abats, le cœur et le foie ! Encore moins la pâtée ! Pourquoi tu ne m’achètes pas du colin d’Alaska ? Bon, il faut bien que je me dévoue… Je vais manger… mais juste assez pour ne pas mourir de faim, je t’assure !
Je suis finalement venue à bout de toutes ces denrées. Mes siestes digestives se sont faites de plus en plus longues. Je crois qu’à présent, ma petite personne emplit le fauteuil du salon. Je vous laisse imaginer les cris d’horreur de Scouby et Daniel quand ils m’ont vue !
- Ardoise ! Mon Dieu ! On dirait un ballon de football avec une petite tête et une queue !
- Moi ?
- Quel dommage qu’on n’ait pu t’emmener, on t’aurait fait un peu courir ! Mais on n’a pas osé prendre le risque, avec les petites bêtes d’Orca…
- Il en a encore, des petites bêtes, l’Orca ?
- Beaucoup moins qu’avant les vacances !
Zut, si l’Orca redevient nickel, je n’y couperai pas : sport intensif dans notre jardin à la campagne ! Pauvre, pauvre Ardoise !
Je m’insurge : « Je ne suis pas SI énorme ! C’est parce que l’Orca est maigre comme un clou que la vue d’une chatte épanouie, en pleine santé, vous semble bizarre ! Tout est relatif ! »
Qu’à cela ne tienne, à présent, tous les soirs, Scouby me fait jouer avec mes petites souris factices. Un cadeau empoisonné, ces souris !
- Cours, Ardoise ! Où elle est, la souris ? Hop, je la jette, la souris ! Cours !
Et je cours, pour lui faire plaisir. On dira encore que je ne suis pas une brave chatte !
En récompense, je le reçois enfin, mon colin d’Alaska ! Il faut rendre cette justice à Scouby, elle comprend bien mon langage gestuel.

Ainsi, elle me sert de la pâtée…
Je regarde mon assiette, renifle, affecte un air dégoûté.
- C’est pas bon, le miam-miam ? Mais si ! Y a bon miam-miam !
Dédaigneuse, je tourne le dos, sors de la cuisine sans me presser, la tête et la queue bien droites, une sorte de petite lassitude désenchantée dans la démarche…
- C’est si mauvais que ça ?
Elle se penche, prend la gamelle, renifle à son tour… Je surveille les opérations de loin, sans en avoir l’air. Je fais semblant de ne pas être là.
Elle ne sent rien. Aucune odeur suspecte. Aucune odeur du tout, d’ailleurs : Scouby a le rhume des foins en ce moment. Dans le doute, elle jette le tout à la poubelle, ouvre le frigo…
Réapparue comme par magie, à la vitesse de l’éclair, je roucoule en me frottant contre ses jambes.
Elle prend une boîte de « Félix ». Après un bref regard sur l’étiquette, je me détourne d’un air accablé, amorce une nouvelle sortie.
Elle hésite, ouvre le compartiment à glace. Je bondis à ses côtés en miaulant fiévreusement.
Enfin, elle a compris ! Elle prend un paquet de poisson surgelé ! En dépose deux morceaux dans une assiette ! Ouvre le four à micro-ondes !
Je ne me lasse pas de ce spectacle, je manifeste bruyamment ma joie.
Bzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzz ! L’appareil est en marche ! Je bondis allègrement sur la tablette, devant la porte du four, et je contemple avec ravissement mon colin d’Alaska qui baigne dans une lumière dorée. Un délicieux parfum emplit l’atmosphère.

Bzzzzzzz ! Ding ! C’est prêt ! Mais où est Scouby ?
Je saute sur le sol, me mets à chercher. Que fait-elle dans la salle de bains alors que mon poisson est cuit ? C’est un monde ça !
Je fais irruption dans la pièce en poussant des cris aigus.
- Que se passe-t-il, mon Ardoise ?
C’est pas possible ! Elle n’a quand même pas oublié !
- Iiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiih ! Iiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiih !
- Ah, ton poisson !
Ouf ! Je la précède triomphalement jusque dans la cuisine, la regarde ouvrir le four.
Je me précipite à la place où, dans quelques secondes, elle va déposer ma gamelle odorante…
Et voilà que, sans raison apparente, elle fourre mon poisson dans le frigo !
Elle me fait toujours le même coup ! Je brame de déception.
- C’est encore trop chaud, Minette, tu brûlerais ta petite langue ! Faut que ça refroidisse quelques instants !
Quelques instants ! Cela s’éternise… Emplie de découragement, je vais me coucher.
Enfin, enfin, quand elle le juge bon (c’est très subjectif), elle sort le poisson du frigo et le pose sur mon assiette.
Alors, le roi n’est pas mon cousin !
Mais que de peines et d’anxiété pour en arriver là ! Je suis épuisée…

… et un peu inquiète !
Hier soir, j’ai entendu Scouby dire à Daniel :
- J’ai rencontré le voisin du cinquième étage avec son chien, tu sais, le toutou qui était si gros ? Qu’est-ce qu’il a maigri ! C’est la vétérinaire qui habite un peu plus loin, qui a réussi cet exploit… On n’y emmènerait pas Ardoise ?
Au cours d’une communication téléphonique, ma « mamie » (la maman de Scouby) y va de son grain de sel :
- Tu sais, Mimiche (surnom de Scouby dans sa famille), le chat de Didine (surnom de la sœur de Scouby) avait aussi grossi et maintenant, il est au régime. Il passe ses journées à regarder le frigo !
J’en flageole sur mes pattes. Mon Dieu , mon Dieu, qu’est-ce qui m’attend encore ?
- Je ne suis pas si grosse que ça, dis-je pour la centième fois. C’est ma superbe fourrure à trois épaisseurs qui fait illusion.
Scouby m’a prise au mot : elle s’est emparée d’un peigne spécial et a ratissé allègrement la magnifique fourrure. Elle en a tiré un fameux paquet de poils.
- Tu vois ? dis-je lamentablement.
- C’est vrai que tu as beaucoup de poils morts dans ta fourrure… Dorénavant, je te peignerai tous les soirs !
Je soupire. Choisir entre deux supplices, la faim ou le toilettage, tel est mon lot ! Et je crains fort que le peigne soit impuissant à éliminer mon excédent de poids. La faim ET le toilettage, quelle triste destinée ! Ayez pitié de la pauvre Ardoise !

Quand fera-ton une étude scientifique sérieuse sur la question ? Je vois déjà les articles qui ne manqueront pas d’attirer l’attention de ma mère d’adoption, par exemple : « Les dernières découvertes en la matière prouvent indiscutablement que les chats bien enveloppés sont plus intelligents, plus doux et plus résistants que les avortons ! » ou alors : « Titre de l’article : JAMAIS DE REGIME POUR LES CHATS ! Les dernières découvertes en la matière ont indiqué que les félins mis au régime peuvent devenir enragés… »

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Chapitre 30 : PETITE-GOULAFFE REVE

Bien sûr, Petite-Goulaffe n’attache aucune importance au fait que le Maître-Chat la prenne pour un suppôt de Satan. Toutefois, cette pensée a dû insidieusement lui trotter dans la cervelle car, étendue assoupie au pied d’un saule, Petite-Goulaffe rêve… qu’elle arrive aux portes dorées du paradis.

Orca, le Maître-Chat est là, lui aussi, ainsi que les autres chattes du village. Et même Ardoise, dites donc ! Tout le monde veut assister à l’examen d’entrée de l’ « infernal chaton ».
Va-t-elle réussir ?

Morte de peur, Petite-Goulaffe voir venir vers elle le grand Saint Pierre, tout de blanc vêtu. Tiens, physiquement, le grand Saint Pierre ressemble un peu à Orca, comment cela se fait-il ? Comme lui, il a de superbes moustaches blanches et des oreilles noires et pointues. Son regard amical se pose avec bienveillance sur la Petite-Goulaffe toute tremblante.

- Voyons, dit-il en consultant son ordinateur (Saint Pierre s’est mis récemment à l’informatique, il faut progresser avec son temps !), voyons, qui donc nous arrive là ? Quel est votre nom, joli chaton gris ?
Petite-Goulaffe (très émue et bafouillant) : Je suis… Pppppetite-Gou… Hou ! Hou !...
Saint Pierre (consultant son PC, perplexe) : Petite Gouhou… Drôle de nom. Il ne me semble pas l’avoir vu dans les archives ?
Orca (s’en mêlant) : Vous ne le trouverez pas, grand Saint Pierre ! Ca m’étonnerait que Petite-Goulaffe ait une place au paradis ! C’est le diable en personne, croyez-moi !
Saint Pierre (conciliant) : Même si tel est le cas, il reste au chaton gris assez de temps à vivre pour s’amender… Voyons, jeune Gouhou…
Petite-Goulaffe (faiblement) : Pe… Pe… Petite-Goulaffe, grand Saint Pierre !
Saint Pierre (dur d’oreille : c’est normal à son âge) : Voyons, Gou… ha ? Comment vous définissez-vous, en cette vie ?
Quelle question difficile ! Petite-Goulaffe réfléchit à toute allure.
Petite-Goulaffe : Heu… Je suis chaton… et philosophe, grand Saint Pierre !
Saint Pierre (tapotant sur le clavier de son PC) : Pas mal, pas mal… Et quelle est votre ambition, jeune Gouha ?
Petite-Goulaffe (mise en confiance) : Je veux devenir… rêve-volutionnaire, grand Saint Pierre !
Saint Pierre (très surpris) : Rêve-volutionnaire… J’en ai vu défiler ici, des chatons, mais c’est le premier qui me dit ça !
Orca (triomphant) : C’est normal, la Petite-Goulaffe n’est pas un vrai chaton, grand Saint Pierre ! C’est un esprit malin envoyé sur terre pour me harceler ! D’ailleurs, regardez sa figure, est-ce que c’est une figure de chat, ça ?
Tout le monde regarde attentivement Petite-Goulaffe qui se sent rougir. Voyons, ces yeux un peu petits, ce nez un rien trop long…
Saint Pierre : C’est vrai, la jeune Gouha n’a pas vraiment un visage de chat… On dirait plutôt un lionceau. Très bizarre ça…
Petite-Goulaffe (étonnée) : Pourtant j’ai pas de lion dans ma famille ! Va falloir que je demande à M’man ! D’ailleurs y a que ma figure qui cloche, hein ? Le reste, c’est du chat ! Garanti !
Saint Pierre : Sans aucun doute. Voyons, mon bon Orca, ne vous laissez pas emporter par votre imagination. La mignonne Gouha n’a rien d’un démon ! C’est tout juste un chaton turbulent !...
Orca (peu convaincu) : Pourtant, vous avez bien vu que son nom ne figure pas sur votre liste, grand Saint Pierre !
Saint Pierre : Voyons que je vérifie… GOU… GOU… Pas de Gouhou ni de Gouha…
Petite-Goulaffe (dans un cri) : Faut regarder à la lettre P, grand Saint Pierre ! Je m’appelle Petite-Goulaffe comme on dit Marie-Thérèse ou Anne-Sophie ! C’est un prénom composé !
Saint Pierre : Ah, je comprends mieux, maintenant… Voyons, Pa… Patou… Pastis, Pastelle…
Ardoise (sursautant) : Pastelle ! Je la connais, c’est la chatte de ma tante Chantal !
Saint Pierre (poursuivant) : Pistou, Petiot, Petit… Ah, voilà, Petite-Goulaffe, fille de Mme Gourmande ! C’est bien vous, chaton gris ? Eh bien, j’ai le plaisir de vous apprendre que votre place est réservée au paradis ! Félicitations !
Orca (médusé) : C’est pas possible, grand Saint Pierre ! Quand je partirai pour l’autre monde, ne me dites pas que la Petite-Goulaffe m’y rejoindra un jour ! Ce ne serait pas le paradis, pour moi ! Une enquiquineuse pareille !
Ardoise (réalisant à son tour) : Et moi, je devrai passer mon éternité avec l’Orca ? Plutôt mourir… Heu, plutôt aller en purgatoire, ce sera moins stressant !
Saint Pierre (apaisant) : Le paradis est si grand, mes amis, que vous ne serez pas obligés de vous rencontrer si vous ne le souhaitez pas !
Petite-Goulaffe (ravie) : Mais moi j’veux rester avec M’sieur Orca ! Je veux pas le quitter, M’sieur Orca ! Il est si comique !... Moi je l’aime bien, M’sieur Orca !
Un ange passe…
Néfertiti (d’une voix timide) : Il y a beaucoup de chats au paradis ?
Saint Pierre : Oui, beaucoup, petit chat noir ! Beaucoup plus d’animaux que d’humains à mériter le paradis !

Ceci étant dit (et bien dit), il les bénit tous et disparaît.

Ardoise : Je me demande quand même pourquoi le grand Saint Pierre a parlé si longuement avec Petite-Goulaffe alors qu’il ne m’a dit qu’une phrase, à moi, quand je suis arrivée et que je lui ai dit bonjour ! Pourtant je suis beaucoup plus importante que Petite-Goulaffe !
Orca (courtois) : Que vous a donc dit le grand Saint Pierre, jolie Ardoise ?
Ardoise : Il a dit « Heureux les simples en esprit, le royaume des cieux est à eux ! ». Ca veut dire quoi, dites, ça veut dire quoi ?
Orca (pris au dépourvu) : Heu…

C’est alors que Petite-Goulaffe se réveille, bien contente d’avoir mérité le paradis !

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Chapitre 31 : NEFER ET TITI



Me voilà de retour pour déverser dans votre oreille attentive les petits heurs et malheurs de mon existence quotidienne… C’est pas bien dit, ça ?

Malheur n° 1 : vous vous souvenez, Petite-Goulaffe, ignominieusement chassée de mon home sweet home ? Eh bien, elle est de retour, la tête haute et la queue en panache ! Qu’est-ce que vous dites de ça ?

Je ne comprends vraiment pas Dan et Scouby : ils se font littéralement rouler dans la farine par cette petite chipie. Moi, à leur place, croyez-vous que je me serais soucié des mines sucrées et des roucoulements de la perfide créature ? « Dehors ! » aurais-je dit sur un ton sans réplique, avec une intense satisfaction. Mais il paraît que ce n’est pas encore moi qui commande ici… Cela changera quand nous nous installerons dans cette maison à demeure, Dan, Scouby, l’Ardoise et moi !
Qu’est-ce que vous dites ? Que c’est Ardoise qui sera le chef ? Vous croyez ?

Malheur n° 2 : je suis toujours aussi affreux ! Comment est-ce possible ? Je me sens pourtant bien, je suis souple et vigoureux… J’étais patraque le week-end passé, mais il a suffi que Scouby et Dan retournent à la ville pour que moi, je reprenne du poil de la bête. Ils n’y comprennent rien !
- Donnerions-nous à notre pauvre Orca une nourriture débilitante ? s’inquiète ma mère d’accueil.
Apparemment non, puisque Néfer et Titi (ben oui…), Gourmande et Petite-Goulaffe profitent largement du contenu de ma gamelle et ont l’air en pleine forme. Je suis le seul à me promener tête baissée, avec tout le poids du monde sur mes épaules.

Dan a entrepris de me raisonner.
Après avoir remarqué des cicatrices nouvelles sur ma fourrure déjà si mitée, il a voulu me faire comprendre, en douceur…
- Comment ? Je ne serais plus le Maître-Chat du village ?
- Il faut commencer à te rendre compte que tu vieillis, mon petit Orca. Tu as plus de mal à t’imposer ! Pourquoi ne te reposerais-tu pas un peu, au lieu de faire le caïd chaque nuit ?
- Me reposer ? Jamais de la vie !

« Orca Maître-Chat
Toujours prêt au combat,
Plutôt mourir que fléchir,
Non mais des fois ! «

Ils sont bien gentils de s’inquiéter pour moi, mais le boulot de chat des champs a ses exigences ! Je ne peux pas démissionner comme ça, je tiens à mon poste ! Pas question qu’un matou quelconque se pavane sur mon territoire sans que je réagisse, j’ai ma fierté ! Et puis, vous me voyez déjà vivre aux crochets de mes chattes ? De quoi j’aurais l’air ?
Alors, même s’il est vrai que je ne suis plus de la première jeunesse, je ne suis pas encore croulant au point de prendre ma pension de retraite.
- Avant l’hiver, on emmènera Orca chez la vétérinaire, pour une bonne cure de vitamines, dit Scouby.
Parfait, comme ça, j’aurai encore plus d’énergie pour la bagarre ! Tremblez, jeunes matous aux dents longues ! Orca le super-chat vitaminé vous réserve des surprises !

- De toute façon, en hiver on te laissera beaucoup de nourriture, Orca, avec le froid elle va se conserver !
- Et s’il gèle dehors, tu peux toujours te réfugier à l’intérieur de la maison, maintenant qu’il y a une chatière. Même s’il n’y a pas de chauffage, c’est mieux que rien. Sauf peut-être s’il fait moins vingt…
Cela s’est passé, paraît-il, il y a quelques années, je ne les connaissais pas encore à ce moment-là.
Il y a eu un hiver dur, mais dur ! La preuve : Scouby avait oublié au fond de son lit une bouillotte. Quand, le week-end suivant, elle a soulevé la couette, la bouillotte était toujours là, dure comme un roc : l’eau était entièrement gelée ! La même année, le compteur d’eau a éclaté. J’espère que l’hiver qui vient ne me réservera pas de semblables surprises : je risquerais de me retrouver dans le rôle-titre de « Hibernatus » ! Enfin, si j’ai la jouissance de la maison, je pourrai toujours m’enfouir dans ma petite couverture « Sole Mio » bleue pour me réchauffer.
Et ils ont promis de revenir chaque week-end, qu’il neige ou qu’il gèle, rien que pour moi ! Avant de me connaître, ils venaient très peu en hiver…
C’est beau l’amour !

En attendant, il fait toujours splendide dehors. Les feuilles commencent doucement à tomber, mais les arbres sont encore bien verts. Les hirondelles, toutefois, parlent de départ.

Chaque fois que ma famille d’accueil se pointe à l’horizon, j’arrive à fond de train, vous pensez bien ! Je ne veux pas refaire la même boulette que la dernière fois : figurez-vous que j’ai fait irruption dans la cuisine en poussant les miaulements rauques par lesquels j’avise traditionnellement Dan et Scouby de ma présence.
- Miâââââââââ ! Miââââââââ ! C’est moi ! Bonjour, on est déjà vendredi ? Chic alors !
Dan soupire.
- On est dimanche, mon pauvre Orca ! Ca fait deux jours qu’on se demande ce qu’il est advenu de toi !
Zut ! Deux jours sans pâtée, sans caresses, sans mots doux… Qu’est-ce que j’ai été distrait, quand même !
Après, bien sûr, j’ai fait attention : j’ai gardé l’œil sur ma maison. Si je vois la voiture, j’accours et je ne quitte plus Dan et Scouby. Si je suis TOUJOURS là, les suivant pas à pas, peut-être qu’ils ne partiront plus ? Hélas, jusqu’à présent, ce naïf espoir a toujours été déçu. J’ai pourtant fait un gros effort, l’avant-dernier week-end : j’ai renoué avec une habitude de l’année passée et j’ai dormi dans la chambre, sur ma petite Sole Mio. J’ai été très sage, je me suis servi de mon bac de sable avec toute la discrétion d’un chat bien élevé. Le matin, je ne les ai pas réveillés, j’ai attendu qu’ils se lèvent. Y a pas à dire, quand je veux, je suis vraiment un gentlecat civilisé !

Petite-Goulaffe, elle, ne quitte plus notre jardin. La raison de cette soudaine fidélité est visible : Petite-Goulaffe est amoureuse !
Mais non, pas de moi ! Qu’allez-vous penser là ?
Petite-Goulaffe, qui ne sait rien faire comme tout le monde, n’a pas eu le coup de foudre pour un chat, comme on pourrait le croire. Non, Petite-Goulaffe aime… un arbre !

L’heureux élu (si l’on peut dire) est un petit saule qui pousse sur notre pelouse. C’est encore un enfant-arbre, comme Petite-Goulaffe est un enfant-chat.
Parfois, confortablement allongé sur le muret qui sépare le jardin de la terrasse, j’observe l’étrange manège de Petite-Goulaffe qui converse avec son saule. Dans un élan d’amour, elle entoure le tronc de ses pattes antérieures, fait des petits bonds autour de l’arbre. Puis, elle saute légèrement jusqu’à la naissance des branches, redescend dans une cabriole. Je l’ai même vue s’élever dans l’espace pour s’agripper aux feuilles les plus basses. Un vrai Tarzan ! Elle passe des heures entières à contempler son arbre, à jouer avec lui. Je vois les choses d’un bon œil : pendant qu’elle est ainsi occupée, elle ne pense pas à me poursuivre de ses agaçantes diableries, ce qui est bien reposant pour moi !

Je commençais à me détendre, pensant en avoir provisoirement fini avec toutes les émotions qui m’ont assailli ces derniers temps, lorsque…
- Je commence à bien pouvoir distinguer Néfer de Titi, remarque Scouby.
- Moi aussi, ai-je approuvé nonchalamment. « Titi a la fourrure un peu plus rousse que Néfer ! »
- Tu as remarqué, Orca, on les voit ensemble, maintenant !
C’est vrai ! Pour la première fois depuis au moins trois ans, et sachant que leur ruse a été éventée, Néfer et Titi daignent se présenter ensemble à nos regards. Toujours aussi timides, cela va de soi ! Mais enfin, il y a de l’amélioration, ce n’est plus de la névrose, comme naguère.
- Oui, elles commencent à devenir raisonnables, dis-je.
Scouby prend l’air étonné.
- Elles ? Tu sais Orca, je crois que Titi est un garçon !
Je manque m’évanouir.

Me voici dans l’abri de feuillages de ma dulcinée. Elle est seule.
- Nefer, tu es une menteuse-née ! Pourquoi as-tu prétendu que Titi était ta sœur, alors qu’il est ton frère ?
Quel mélo ! J’ai l’impression de jouer un mauvais vaudeville.
- Parce que je ne voulais pas te traumatiser, Orca ! Et puis, quelle importance ?
- Comment, quelle importance ! Je me suis couvert de ridicule en minaudant quelquefois avec un MATOU, dans l’illusion qu’il s’agissait de toi !
- Justement, Titi a été très touché de ta gentillesse à son égard ! Et puis, je ne sais pas si tu as remarqué, Orca, mais Titi est un peu retardé… il a gardé une âme de chaton ! Il est adorable, très doux, mais si innocent ! Et tellement timide !
Je suis estomaqué. C’est elle qui dit cela ? Elle qui ne supporte pas qu’un humain l’approche, elle qui se réfugie à l’abri des regards pour manger, elle qui a peur des bêtes noires que lui montre son imagination débridée ! Tiens, au fait, pourquoi alors n’a-t-elle pas peur de Titi qui est ténébreux comme la nuit ? Insondable mystère de la psychologie féminine féline ! Je n’y comprendrai jamais rien !

Au moins, la situation a son avantage : je ne me croirai plus bigame, puisqu’il n’y a ici qu’une seule chatte : elle est superbe, toute noire avec une petite cravate blanche, c’est Elle, ma Néfer ! Mon grand amour est sauf ! Ouf !

Je suis rasséréné et décidé à me conduire en frère avec le dénommé Titi, l’alter ego de ma Néfer. Je vais continuer à le tolérer dans mon jardin, je ne dois pas perdre de vue qu’il est mentalement un peu à la traîne… Justement, le voilà qui rampe sous la haie, dans l’espoir de trouver la gamelle pleine. C’est vrai qu’il a un peu l’air d’un innocent de village, le pauvre animal !
Je me dévoue.
- Scouby, regardez, voilà Titi qui a faim !
- Eh bien, donnons un peu à manger à Titi !
J’assiste à l’opération. Scouby va porter la gamelle entre les deux maisons, là où l’attend déjà Titi.
Mais que vois-je ? Ce dernier se met à roucouler et accepte de se laisser caresser ! Je me rue chez ma fiancée : « Regarde, Néfer ! Le plus timide des deux n’est pas celui qu’on pense, pas vrai ? »
Elle ouvre des yeux grand comme des soucoupes ! Visiblement, elle n’en revient pas.
- Allez, Néfer, un peu de courage ! Tu ne vas quand même pas te laisser distancer par Titi ? Il n’a plus peur de Scouby, lui !
D’une voix expirante, elle me dit qu’elle va réfléchir.
- Ne réfléchis pas trop longtemps, Néfer ! Pendant que tu es ici, Titi vide la gamelle !
A bon entendeur…

Je crois avoir fait une bêtise, hier matin, dimanche …
Après une bonne nuit passée sur ma petite Sole Mio bleue, je me suis réveillé à l’aube, assailli par quelques crampes d’estomac.
- Scouby, Scouby, j’ai faiiiiiiim ! Miââââââââ !
Dan pousse du coude la forme béatement assoupie à côté de lui.
- Michèèèèèèèèle ! Le chat a faim !
Pas bien réveillée, elle se lève et me sert mon petit déjeuner. Puis nous retournons nous coucher.
J’ADORE dormir dans cette chambre, sur la petite Sole Mio ! Au point que…
- Orca ! Il est neuf heures ! Grand temps de se lever !
- Noooooooooon ! Je dooooooooors !
- Orca !
Rien à faire ! De toutes mes forces, je me cramponne à mon lit. Je fais semblant de dormir profondément.
Elle me soulève. Je suis furieux et proteste à grands cris indignés.
- J’ai encore sommeil ! Je veux dormiiiiiiir !
- Tu pourras continuer ta sieste en bas, dans le salon, si tu veux !
Elle me pose sur le sol. Je suis raide comme un piquet, tétanisé par l’indignation.
- Allez, Orca, avance ! On va dans la cuisine !
A contrecoeur, je me traîne jusqu’à la porte de la chambre, m’immobilise sur le palier. Scouby descend les escaliers en me faisant signe de la suivre.
Feignant de ne pas comprendre, je reste là. Plus moyen de rentrer dans la chambre, elle a fermé la porte ! J’ai une petite lourdeur dans la vessie, mais pas envie de descendre l’escalier, pas envie de sortir au jardin ! Je fais quelques pas sur le chantier de la future salle de bains et m’aventure sur une poutre surplombant le fenil.
De gros ballots de foin, vieux d’au moins vingt ans, sont posés sur les chevrons, au-dessus du fenil. De la paille… Si j’y faisais mon petit besoin, ni vu ni connu ?
Sitôt pensé, sitôt effectué.

D’une patte légère, je dévale les escaliers et vais rejoindre Scouby à la cuisine. Je prends un second petit-déjeuner, la vie est belle !
Un peu plus tard…
Dan se rend au fenil, renifle : « Bizarre ! Ca sent le chat ! »
Que voit-il au milieu du passage, bien en vue ? Une petite flaque de liquide ambré…
Le pipi discret avait traversé la paille pour terminer sa course là.
Ma réputation de gentlecat en a pris un coup !

Pourquoi est-ce que ça m’arrive TOUJOURS, à moi ?

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Chapitre 32 : GYM ET REGIME

Et moi, pendant ce temps, qu’est-ce que je deviens ?
Bah, rien de bien nouveau : je mange, je dors, je mange, je dors… Dans les intervalles, je joue un peu avec ma balle de tennis, histoire de prouver à Scouby que je fais bien ma gymnastique quotidienne.

Elle aussi, chaque matin, elle fait sa gymnastique ! Je trouve ça à mourir de rire, d’ailleurs. Moi je suis au spectacle, je m’installe confortablement sur mon fauteuil, en face d’elle et je regarde en arborant une petite expression sérieuse.
- Ardoise, si tu me fixes comme ça avec tes yeux en boule de lotto, je ne pourrai pas faire ma gymnastique à mon aise !
Impavide, je ne réponds pas. Elle soupire et commence ses exercices.
Elle s’est acheté une sorte d’appareil en plastique garni d’élastiques, idéal, paraît-il, pour les muscles abdominaux et ceux des bras.
- Un, deux, trois, quatre… compte-t-elle.
- Tchac , tchac, tchac, tchac, fait l’appareil.
Ca devrait aller comme ça jusque cent. Ca se ralentit toujours vers la fin, avec le souffle qui manque.
- 96… pffff ! …97 … 98 … pffffffffft ! 99 … 100 ! Pouffff pouffff ! Ne te moque pas de moi comme ça, Ardoise !
- Je ne dis rien, moi !
- Tu n’as pas besoin de parler, je lis tes pensées dans ton regard goguenard !

Si les résultats de la gym sont concluants ? Heu… au bout d’un mois, je ne vois toujours pas la différence !
- Si, si, Ardoise, je sens que mes muscles durcissent !
- Si tu le dis… Moi aussi, ma gymnastique fait de l’effet ! Tu ne vois pas une minuscule amélioration quand je suis de profil ?
- Tu appelles ça de la gymnastique : gigoter sur le dos en agrippant une balle de tennis des quatre pattes ? Tu ferais peut-être mieux de courir dans l’appartement comme tu le faisais avant !
- Je le fais encore, Madame, mais z’êtes pas là pour le voir ! La preuve : quand vous rentrez le soir, la nappe de la table est toute plissée, parce que je me suis entraînée dessus !
Non mais !

La sadique a trouvé le moyen de me faire suivre un régime sans en avoir l’air : elle m’achète des boîtes que je n’aime pas ! C’est vicieux, ça, hein les amis ?
Comme cela me met de très mauvaise humeur, j’use d’arguments mordants : « gnac ! »
- Aïe, Ardoise, arrête de me grignoter les orteils !
- Tu ne me donnes rien de bon à manger, faut bien que je me rabatte sur autre chose ! Je sens que je deviens orteillivore ! dis-je en la considérant de mon œil le plus belliqueux.

Je suis une crème de chatte, mais faut pas qu’on touche à mes menus ! Je vais hisser le drapeau de la rébellion ! Organiser une grande manifestation : 100 participantes grises (selon les syndicats) une seule (selon la police) ! Arpenter l’appartement de mon pas le plus martial, avec une banderole déployée au-dessus de ma tête : « A BAS LES TYRANS ! J’VEUX DU COLIN D’ALASKA ! »

Scouby, mine de rien, est impressionnée par ma détermination. Elle tente pourtant de discuter.
- Mais Ardoise, la dernière fois que tu as reçu du colin d’Alaska, tu l’as avalé si gloutonnement que tu l’as vomis directement après !
- C’est ta faute, je mourais de faim !
Là, je suis un peu de mauvaise foi, mais si peu ! C’est vrai que j’ai l’habitude de me précipiter comme un bolide sur mon assiette de colin et de tout avaler en une bouchée… C’est vrai aussi que mon estomac a tendance à rejeter ce que j’y enfourne de manière si brutale…
Le colin d’Alaska, censé m’apporter des protéines (pour la régénération des cellules de mon petit corps potelé) et du phosphore (pour me rendre encore plus intelligente que je ne le suis) finit ainsi tristement son destin dans la poubelle. Moi, pas très fière, je me réfugie sous la table de la salle à manger pour me faire oublier.
Même si je suis très, très sage, je devrai me contenter d’une boîte de pâtée ce soir !

Scouby a trouvé un compromis : elle m’achète de nouveau du colin d’Alaska mais m’en sert très très peu à la fois, de manière à ce que je ne puisse avaler de trop grosses bouchées. Dans une autre assiette elle met de la pâtée. Evidemment c’est le colin qui part en premier lieu, mais je ne suis plus malade. Mon humeur est de nouveau au beau fixe. Il en faut si peu pour me rendre heureuse !

Nous avons eu une aventure, l’autre jour ! Faut dire que s’il avait fallu compter sur moi pour éviter la catastrophe…

Scouby et Olivier étaient partis visiter ma Mamie (la Mme Maman d’Orca) qui est fortement grippée. Daniel est rentré à la maison comme d’habitude après le travail (et peut-être aussi après le bistrot avec les collègues), il a enfilé un short et un T-shirt pour être à l’aise et il a mangé du rôti qui restait du souper d’hier.
Comme il y avait un fond de sauce durcie dans la casserole, il a allumé la cuisinière par-dessous, pour liquéfier la graisse avant de la jeter.
Puis, se sentant un peu fatigué (peut-être l’effet des bières bues avec ses collègues ?), il s’est étendu sur son lit… et s’est endormi.
Moi, impavide, tapie sur une chaise de la salle à manger (un de mes postes de guet favoris), j’ai regardé d’un œil intéressé une épaisse fumée grise envahir l’appartement, accompagnée d’une horrible odeur de sauce brûlée.
J’étais dans l’expectative : j’attendais les flammes.

Soudain, une espèce de fusée en short est sortie de la chambre, se précipitant vers la cuisine. Puis Daniel, toussant et suffoquant, a ouvert les fenêtres et la porte de la terrasse. Après quoi, se souvenant du chat fidèle et bien-aimé, il a tenté de le découvrir dans la brume ambiante.
- Ardoise ! Réponds ! Tu n’es pas asphyxiée ?
- Mais non, tu ne devras pas me faire de bouche-à-bouche, dis-je en soulevant de mon museau le bout de la nappe qui me dissimulait.
- Tu es un beau chat de garde, toi !
- Ben kwâ ?
- Tu aurais pu m’avertir que ça sentait le brûlé !
- Mwâ ?
Je suis sincèrement surprise. Il n’a pas insisté.

M’aurait-il fait du bouche-à-bouche si la fumée m’avait intoxiquée ? J’en doute fort ! Il m’aurait fourrée dans mon panier et transportée illico-presto chez la vétérinaire qui habite sur le boulevard. Vous savez, la fameuse vétérinaire qui a fait maigrir le chien du cinquième étage ? Je l’ai échappé belle !
D’un autre côté, une fois ranimée, j’aurais pu dire, comme les stars : « Je reviens d’une cure de désintoxication ! »
Histoire de produire son petit effet au village où je vais passer chaque week-end ! Mine de rien, ça vous pose une chatte ! L’Orca en serait vert de jalousie !

Méditant là-dessus, je sors sur la terrasse, histoire de prendre un peu l’air pur de notre boulevard.
Que vois-je ? Le petit bananier qu’on avait mis là à l’abri de mes dents… eh bien à son tour, il a eu un bébé ! Une petite feuille toute verte et vigoureuse qui jaillit de terre. Je m’approche pour contempler ce phénomène de près.
- Y a bon bananier !
- Ardoise ! Rentre !
Quand je ne fais rien, on me critique ! Quand je bouge, on me gronde ! Quelle famille !

L’ex-Grand-Amour-de-Ma Vie, Olivier pour ne pas le nommer, est sur le point de me quitter et d’aller s’installer ailleurs avec une bipède nommée Nathalie…
O trahison !
Alors moi, j’ai bien réfléchi et j’ai pris une grande décision.

Comme je suis une chatte sensée, équilibrée, pas masochiste pour un sou, n’ayant pas la vocation du martyre, je ne vais pas être assez bête pour me payer un chagrin d’amour et une dépression nerveuse, par-dessus le marché !
Alors, je vais changer de « Grand Amour de Ma Vie » !

Mais sur qui jeter mon dévolu ? Daniel ? Il est tellement distrait, quand il regarde la télé, que je devrais toujours faire des efforts pour attirer son attention… Sa Seigneurie Caramel, elle, n’y allait pas par quatre chemins : quand il ne passait pas son temps libre à l’admirer, elle lui tapotait impatiemment les joues de sa patte, afin de le remettre dans le droit chemin : « Hé, c’est pas la télé, c’est moi que tu dois regarder ! MOI ! »
Suis-je prête à déployer la même énergie, la même opiniâtreté ?
Non. J’aime mes aises et ne tiens pas à être constamment sur le qui-vive : « Que fait-il ? Où va-t-il ? S’il n’est pas rentré dans cinq minutes, je fais une scène ! »
La chatte Caramel excellait dans ce rôle. Rien n’était excessif pour elle, elle se donnait à fond dans ses passions.
Très peu pour moi, merci !

- En attendant de rencontrer un autre prince charmant, je te nomme « Amour de Ma Vie » par intérim, dis-je à Scouby très étonnée de cette décision.
Du jour au lendemain, je lui accorde donc une particulière attention. Partout où elle va, je vais. Je m’affale sur ses genoux quand elle lit son livre, je me couche sur le lit (dans le sens de la largeur, bien sûr) quand je souffre de solitude en plein cœur de la nuit, je m’installe allègrement sur son estomac quand j’entends sonner le réveille-matin : « Hep, hep ! Il est temps de te lever et de me donner à manger ! »
- Encore cinq minuuuuuuuutes, Ardoiiiiiise !
Je me promène de long en large sur le lit, imbue de mon importance. Si je n’étais pas là, tout irait à vau-l’eau dans cette maison. Sévère, je réplique :
- Non pas cinq minutes, sinon je vais faire des bêtises, je le sens !
Les bijoux qu’elle a enlevés hier soir traînent sur la table de nuit. Il suffirait d’un bon coup de patte… Et ses appareils auditifs ! Ben oui, elle en a, sinon elle n’entend rien…
J’en ai volé un, une fois. Subrepticement, je l’emportais dans ma gueule pour jouer avec lui, quand j’ai appuyé, par inadvertance, sur un petit bouton. L’appareil s’est mis à siffler, avertissant Daniel qui m‘a bondi dessus pour me confisquer mon nouveau jouet. Après cette émotion, Scouby dissimule chaque soir ses appareils dans un endroit inconnu de moi… Il faudra que je cherche sérieusement. Je me demande bien quel goût ça a, un appareil auditif ! Est-ce que ça craque sous la dent ? Est-ce que mon estomac se mettrait à faire bip-bip ? Je brûle de faire de nouvelles expériences…

L’autre soir, Scouby et Nathalie étaient en train de papoter. Les deux hommes étaient partis étaler une ultime couche de peinture dans le nouveau petit appartement du jeune couple. Moi je somnolais sur le dossier de mon fauteuil préféré.
- Je n’ai plus peur de votre Ardoise ! a dit Nathalie.
- Zut alors, me suis-je dit.
- … mais j’ai un peu peur de votre chat des Ardennes ! Il est si bizarre !
Il faut avouer qu’elle a du bon sens parfois, cette Nathalie ! Décidément, il n’y a que Scouby et Daniel pour ne pas s’apercevoir que le chat des champs est in-fré-quen-ta-ble ! Il y a longtemps que je me suis fait mon opinion là-dessus !
- Oui, dit Scouby, c’est vrai qu’il a un peu une tête de gangster…
Ah ! Quand même ! Je ronronne.
- … mais il est tellement gentil ! Tellement affectueux !
Je m’arrête de ronronner.

Et voilà, le petit couple a déménagé !
La vie me semble toute bizarre sans Olivier…
Parfois, j’ai le cœur lourd, spécialement quand il revient nous dire bonjour. Il me câline, je lui chuchote des gentillesses à l’oreille, je recommence à y croire… Et puis il s’en va ! Faut que je me secoue, je suis une chatte raisonnable, je ne dois pas oublier ça !

L’autre fois, il est venu me nourrir le samedi et le dimanche, parce que Scouby et Daniel devaient faire des travaux dans notre maison des champs et je ne pouvais pas les accompagner cette fois-là. Quand il est reparti chez lui, je me suis quand même sentie un peu solitaire…
Lorsque mes parents d’adoption sont rentrés, le dimanche soir, je n’étais pas trop contente. Pour les accueillir, j’avais comme d’habitude, frémi de la truffe dans tous les sens et, bien sûr, il y avait comme un petit parfum d’Orca dans l’air.
Maussade, je me suis installée sur le dossier de mon fauteuil en leur tournant ostensiblement le dos.
- Ardoise ! Psssst ! Pssst !
- … (Silence dédaigneux, regard lointain).
- Viens ici, belle minette !
- … (Tenir le coup ! Ne pas se laisser embobiner !)
- Viens dire bonjour !
Je leur jette un regard furtif. Ils me sourient d’un air engageant. Les traîtres !
Bien sûr que je vais me laisser amadouer, mais pas maintenant ! Pas trop vite ! Qu’ils mijotent encore dans le jus de leur culpabilité pendant quelques minutes !
Malheureusement, ils connaissent tous les trucs : Scouby agite une de mes petites souris (une verte que j’affectionne particulièrement) et la fait glisser sur le sol. Je me rue à sa suite et me mets à jouer de bon cœur. C’est le problème avec moi : je ne sais pas rester fâchée !

Le week-end prochain, je les accompagnerai à nouveau à la campagne, il faudra que je mette le gangster au pas !

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Chapitre 33 : MOUVEMENTS D’HUMEUR



Je me suis aperçu que la chatte Ardoise a encore ajouté quelques pages à la grande histoire de sa vie ! Diplomatie oblige, je prends la suite, honneur aux dames d’abord, n’est-ce pas ?

Mais qu’est-ce qu’elle peut bien vous raconter ? Elle reste cloîtrée dans un appartement toute la sainte journée et elle noircit des pages, des pages… Quelle bavarde ! Ce n’est pas comme moi !... Moi, je parle quand j’ai des choses intéressantes à dire !
- Alors, taisez-vous, qu’elle me dit comme ça.
Non mais, de quoi je me mêle ?

Il paraît que ses séjours dans ma maison vont se faire de plus en plus fréquents. Honnêtement, cette perspective ne me laisse pas très chaud. Ma petite vie est si bien réglée, si confortable ! C’est au point que Dan et Scouby me trouvent chaque vendredi soir devant la maison, à guetter l’arrivée de la voiture. Plus question que j’en perde une miette, de mes précieux week-ends !

Le vendredi soir, donc, je suis là, dans la maison ou sur le seuil. Mes gamelles sont vides depuis mardi, j’ai chassé ou mendié mercredi et jeudi et j’attends une nouvelle ration de victuailles et de tendresse.

Titi attend, lui aussi, dans son abri de feuillages. J’ai pris le malheureux sous ma haute protection, après m’être aperçu que, non content d’être l’innocent du village, le pauvre matou avait perdu une partie de ses dents ! Et un chat sans canines ne mange pas souvent à sa faim, je vous le garantis ! C’est pourquoi Titi attend avec impatience que Scouby s’occupe de lui.

Il se laisse même caresser, à présent !
Je lui marque mon auguste satisfaction.
- Titi, je te félicite, tu fais de gros efforts pour vaincre ta timidité !
- Merci, Orca !
- Ce n’est pas comme ta sœur Nefer ! Elle boude ou quoi ? Je ne la vois plus !
- Je ne sais pas, Orca !
- Evidemment, tu ne pourras jamais entrer dans la maison, c’est mon privilège absolu… Mais la terrasse, ce n’est déjà pas si mal !
- Je suis très content comme ça, Orca ! Je suis très content quand Petite-Goulaffe n’est pas là !
Apitoyé, je lui donne un coup de langue amical sur l’oreille.

Mais oui, le pauvre garçon ! Il a une peur bleue de ce monstre de Petite-Goulaffe qui n’a pas hésité à le pousser brutalement du museau pour s’approprier le contenu de sa gamelle ! Quand il voit, de loin, arriver la petite peste, Titi s’éloigne et fait un grand détour pour l’éviter. Evidemment, la coquine use et abuse de son avantage ! J’ai beau la sermonner, rien n’y fait ! Elle me dévisage de son petit air espiègle et en fait absolument à sa tête. Le samedi et le dimanche, elle entre dans ma maison comme chez elle, inspecte le contenu de mes assiettes… Il est vrai que si elle me surprend occupé à manger, elle ne pousse pas l’outrecuidance jusqu’à me pousser du museau, moi. Elle attend son tour ou tourne les talons. Je dois lui inspirer un soupçon de respect, c’est déjà ça !

Elle habite toujours avec sa mère, dans la maison du bout de la rue, mais passe ses week-ends chez nous. La nourriture est meilleure, paraît-il…
Comme elle est intelligente, elle ne salit plus le tapis, elle se conduit correctement … en apparence ! Mais je ne me départis pas de ma vigilance, car je pense être le seul à avoir décelé le côté démoniaque de sa nature.

Gourmande vient nous voir de temps en temps, mais moins souvent qu’avant, me semble-t-il. Tant mieux, parce qu’après son départ, toutes les gamelles semblent passées au lave-vaisselle ! Dan et Scouby l’ont surnommée « l’aspirateur universel ». La chatte tricolore ne s’en offusque pas, rien ne la vexe. Son estomac est la plus grande préoccupation de son existence. Comme elle est jolie et plaisante, avec sa belle robe écaille-de-tortue et ses grands yeux clairs, elle n’a qu’à demander pour recevoir.

Je trouve ça particulièrement injuste : mon Titi, lui, n’a pas cette chance. Comme il lui manque des dents, il a une figure bizarre et quand il a bu du lait, son menton tout barbouillé de blanc ne lui confère pas un air très intellectuel. En outre, il a le regard craintif et s’enfuit à la vue de tout être vivant. Il commence seulement à s’habituer à Scouby, après tant d’années ! Il a enfin compris qu’elle ne veut pas le dévorer, bien au contraire, elle lui donne de la bonne pâtée. Aussi ose-t-il lui témoigner sa reconnaissance en se frottant contre ses chevilles et en acceptant de se laisser câliner. Parfois, il se pose sur le rebord de la fenêtre du salon et regarde à l’intérieur de la pièce en arborant son air le plus sentimental. Il se conduit un peu comme moi au début, mais le problème pour lui c’est qu’il arrive second, la place est déjà prise. Il devra se contenter, comme domicile, de son abri dans le bosquet d’en face, tandis que moi je peux me prélasser sur ma petite couverture « Sole Mio » bleue.
C’est le premier arrivé qui est le mieux servi.
Le monde appartient à ceux qui se lèvent tôt, comme on dit.

Et à propos de se lever tôt…
Dernièrement, Scouby et moi avons été un peu en froid. Je vous explique !
Comme vous le savez déjà, j’adore me prélasser au lit le matin. Allongé de tout mon long sur ma couverture, je me crois au paradis. Il fait agréablement tiède, l’endroit est confortable, je me sens bien… Il faut vraiment utiliser la force pour me faire émerger de mes plumes !
Dernièrement, donc, Scouby et Dan se sont levés de très bonne heure parce qu’on venait livrer et installer une cassette (un insert, je crois que c’est le mot), pour le feu ouvert du salon. En rechignant, j’ai bien dû descendre à la cuisine avec eux. Scouby ne veut pas me laisser seul dans la chambre, elle se méfie de mes idées farfelues en matière de petits pipis.

Les ouvriers sont arrivés dans une camionnette qu’ils ont garée devant la maison.
Déjà, je me préparais à sauter dans ce véhicule quand Scouby m’a récupéré in extremis.
- Orca, on ne t’aurait pas vu, tu te serais retrouvé à des kilomètres d’ici, ce soir !
- Monte-le dans la chambre, il est toujours dans nos pieds et il empêche les gens de travailler, a décrété Dan, impatienté.
- C’est vrai, je peux retourner au lit ? me suis-je exclamé, ravi.
Aussitôt dit, aussitôt fait ! Les ouvriers ont mis deux heures à installer la cassette, tandis que je ronflais comme un bienheureux sur ma couverture.
Vers onze heures du matin, Scouby a voulu me tirer du lit.
- Nooooooooon ! Pitiéééééééé ! Je suis si bien !
- Il est tard, il faut te lever, Orca, je vais faire le lit !
La cruelle, la sans-cœur ! J’obtempère, la mort dans l’âme.
Je me vengerai !

De retour dans le salon, tandis que Dan et Scouby admirent la cassette fraîchement installée, je regarde autour de moi, arborant un petit air sournois qui ne m’est pas habituel, loin de là. D’un pas de crabe, je me dirige vers un coin de la pièce… Evidemment, c’est toujours quand vous ne voulez pas vous faire remarquer que toutes les paires d’yeux de la pièce convergent vers vous.
En l’occurrence, ils peuvent me voir, je m’en fous. C’est même mieux comme ça.
- Orca ! Que fais-tu ?
- Je me venge ! Regardez !
Je les fixe dans le blanc de l’œil et dépose, bien en vue sur le sol, une petite crotte de protestation.
- Ah ! On a osé me tirer du lit !
Ils sont scandalisés. La tête et la queue hautes, je sors dignement, sous les insultes.
Ils devront me supplier, pour que je revienne !

Cinq minutes plus tard, je suis de retour, l’œil joyeux et amical.
- Dan, Scouby, ne pleurez plus, c’est moi, votre Orkatteke ! Je reviens, je ne suis plus fâché !...
Tiens, c’est bizarre, ils n’avaient pas l’air si désespéré que ça !

C’est vrai qu’elle fonctionne bien, la nouvelle cassette. Il fait à présent une température agréable dans la pièce, ce qui n’a jamais été le cas auparavant. Quand le feu brille, je me pose sur la table du salon, devant la cheminée, et je me laisse hypnotiser par les flammes, tout en me chauffant. Le roi n’est pas mon cousin, je vous assure !

Il y a quelques jours, nous avions de la visite : le fils de Dan et Scouby, accompagné de sa fiancée.
Vous savez comme je suis irrésistible, hein ? Eh bien, j’ai eu beau déployer toutes mes séductions, je ne suis pas arrivé à conquérir ladite fiancée ! Chaque fois que j’approchais d’elle avec un sourire engageant, la malheureuse se recroquevillait sur elle-même en me surveillant d’un œil terrorisé.
La nuit, de me savoir si près d’elle, elle a fait des cauchemars ! Je n’en revenais pas !
Il fallait absolument que je fasse un geste pour qu’on m’apprécie. Si je lui offrais un petit présent ?
Je suis allé chercher une grosse boulette de « Kitekat » dans ma gamelle et l’ai déposée à ses pieds alors qu’elle regardait d’un autre côté.
- Siouplaît ! Mademoiselle Nathalie : « Bouchées tendres bœuf et foie » ! Cadeau !
Je me suis ensuite diplomatiquement éloigné, en attendant qu’elle remarque mon initiative amicale.
Hélas, les amis, pas de chance ! Elle n’a pas vu mon cadeau et a marché dedans !
Elle était un peu confuse. Olivier, lui, a éclaté de rire : « Quel bête chat ! Répandre sa nourriture partout ! »
Je suis un incompris !

- Pauvre Nathalie, a dit Scouby par la suite, je ne savais pas qu’elle avait peur des chats à ce point !
- Et surtout de MOI ! C’est incroyable ! me suis-je écrié.
- Euh, mon Orca, si on ne te connaissait pas, on te prendrait facilement pour un brigand des grands chemins !
Bon, je suis maigre, d’accord. Grand et maigre. Et noir. Et un peu pelé. Et j’ai une mine patibulaire. Et un nez de boxeur et de larges pattes. Admettons.
Mais j’ai un regard si bon ! Doré et tendre. Je crois que ça rachète tout le reste.
- Tu sais, Orca, tu n’es pas en cause, dit Scouby pour me tranquilliser. Nathalie a peur de tous les chats, pas seulement de toi ! La prochaine fois qu’elle viendra, fais-toi très discret, d’accord ?
Discret, moi ? Pas très évident… Ce n’est pas ma faute si je suis un chat remarquable !

Que je vous raconte encore une petite chose…
Vous savez que Scouby me laisse chaque semaine une bonne quantité de nourriture ainsi qu’un grand bol de croquettes. Je ne suis pas un fana des croquettes et j’en mange très peu. Pourtant, ces derniers temps, le contenu de mon bol diminuait de manière sensible. Et même la nourriture dans ma gamelle, dites donc ! Je me posais des questions : Petite-Goulaffe avait-elle pénétré le secret de la chatière ? Dans ce cas, je n’avais plus qu’à me faire hara-kiri !
Vendredi passé, je me reposais sur les genoux de Dan, presque assoupi devant le feu. Qu’est-ce que je me sentais bien ! C’était le soir. Scouby lisait un livre, lorsqu’elle a distraitement levé les yeux vers la cuisine.
- Daniel, a-t-elle dit, incrédule. Est-ce bien une souris que je vois là ?
- Impossible, dis-je en me réveillant à moitié. Là où je me trouve, il n’y a pas de souris, croyez-moi ! Vous pouvez faire confiance à Orca Maître-Chat !
Et je me suis rendormi, la conscience en paix. Des souris ? N’importe quoi !
Pendant ce temps, Dan et Scouby contemplaient deux petites silhouettes bien typiques qui festoyaient dans ma gamelle !
- Ce ne sont pas des souris, a dit Dan, ce sont des musaraignes !
Qu’est-ce que je disais ! Impossible que ce soient des souris ! Les musaraignes, c’est différent, hein ? Rien ne m’empêche de prétendre que j’ai signé un pacte de non-agression avec les musaraignes ! Pour sauver la face…

Pourquoi est-ce que tout se ligue pour me tourner en ridicule, ces derniers temps ?
J’entends déjà la chatte Ardoise ricaner dans ses moustaches…

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Chapitre 34 : VACANCES

J’ai enfin quitté mon appartement douillet pour aller passer quelques jours de vacances dans notre cabanon, à la campagne ! C’est pas que ça m’amuse particulièrement, mais comme vous le savez, fallait que j’aille inspecter les lieux et mettre fin à certains abus : quand le chat est parti, les souris dansent, c’est bien connu ! Et encore, je ne parle pas de vraies souris, mais d’un certain matou qui a certainement profité de mon absence un peu prolongée pour prendre ses aises…

Moi si délicate et citadine jusqu’au bout des griffes, j’ai fait une plongée dans le terroir. « Il faut que tu t’habitues ! » a dit Scouby.
Contre toute attente, je me suis bien amusée, mais commençons par le commencement.

Et le commencement n’a pas été très drôle, je vous le jure !
Quelques jours avant le départ, hop ! Scouby m’empoigne et me fourre dans mon panier.
Je pousse des braiments indignés : « Ca va pas, non ? Tu veux me faire sortir, moi ? Où allons-nous ? »
- Chut mon Ardoise ! Guili-guili joli minou !
C’est fou ce qu’elle peut être mielleuse quand il s’agit de me torturer ! Je me débats furieusement, tandis qu’elle saisit le panier, prend l’ascenseur… Tout cela ne me dit rien de bon, mais alors, RIEN !
Nous sortons dans le crépuscule, moi toujours hurlant et gigotant. Je l’ai déjà dit : je déteste le bruit des voitures, les vapeurs d’essence… Je déteste qu’on me traite comme ça !
- Je ne suis pas un vulgaire paquet, je suis un animal libre ! glapis-je bien inutilement.
Tiens, nous ne prenons pas la voiture… Bizarre. Nous remontons le boulevard, bifurquons… Devant nous, un immeuble avec une plaque rutilante. Je déchiffre, non sans stupeur : « Docteur Annabelle A…., Vétérinaire ».
Le docteur qui a fait maigrir le chien du cinquième étage !!! Argh ! Argh ! Je suffoque, je meurs !
Nous entrons, moi contrainte et forcée, bien sûr.
Une blondinette souriante nous accueille dans la salle d’attente et nous invite à pénétrer dans le cabinet médical. C’est la vétérinaire !
Hou la la ! Elle ne ressemble pas du tout à mon précédent médecin, chez qui nous allions quand Scouby avait encore sa vieille voiture pour me transporter. Celle-ci habite à côté de chez nous, c’est bien ma veine !
- Quel est le problème ? demande la blondinette.
- il n’y a pas de problème. Je me porte très bien et je voudrais m’en aller, siouplaît ! dis-je, pitoyable, tandis que Scouby, sans prendre garde à mes miaulements, explique le topo : je suis une chatte d’appartement mais, sous peu, je vais me retrouver en présence d’un chat des champs (peut-être même de plusieurs) et il serait préférable que je reçoive les vaccins nécessaires contre toute attaque virale ou microbienne !
Sans me demander mon avis, on m’extirpe du panier et on me pose sur la table d’examen.
- Elle est trop grosse, peut-être qu’elle devrait suivre un petit régime… insinue Scouby.
La traîtresse, l’abominable ! Je lui voue une haine éternelle !
-Mais non, dit la vétérinaire. « Elle est très bien, pour une chatte d’appartement ! »
O douce musique ! Choeur céleste ! J’en flageole de soulagement. Scouby n’en croit pas ses oreilles. Elle regarde ma luxuriante fourrure qui s’étale complaisamment sur la table d’examen et elle pense que, tout de même, je prends beaucoup de place…
- Il est vrai qu’elle a un pelage très épais, concède-t-elle sans conviction.
- Mais oui, sourit la vétérinaire en me palpant.
Au risque de me répéter (je sais que je l’ai déjà dit, m’enfin !...), tous les vétérinaires ont la même manie : ils me tirent les oreilles, examinent ma langue, me scrutent le fond de l’œil… Si je me mettais à loucher subitement, que dirait celle-ci ? J’y vais ? J’y vais-t-y pas ? Sans doute un peu dangereux : pour un moment de rigolade, elle me prescrirait des lunettes, ils n’ont pas le sens de l’humour ces gens-là !
Elle prend une seringue et m’injecte un cocktail de vaccins. Je devrai revenir dans un mois pour le rappel. Je suis une pauvre victime…
- Et il faudra aussi, continue la vétérinaire tout naturellement, prendre un rendez-vous pour un détartrage !
Scouby ouvre des yeux ronds. Moi aussi.
- Regardez, dit le docteur.
Elle m’ouvre la bouche. Je commence à en avoir marre, mais marre !
- Vous voyez, votre chat n’a déjà plus de dents d’un côté…
Elle s’enquiert de mes antécédents et, une fois de plus, Scouby brosse un tableau terrifiant de ma malheureuse petite enfance, maltraitée, affamée… puis de mon sauvetage par l’équipe de Veeweyde.
Il est vrai que, dans les refuges pour animaux abandonnés, on pare au plus pressé. On ne s’occupe pas principalement de dentisterie et il est plus que probable que je ne possédais déjà plus mes dents du côté droit quand j’ai été adoptée.
Heureusement, j’ai encore mes dents de devant ! Mes superbes canines ! Elles ne me servent pas à grand-chose, mais mon sourire est intact.
La visite s’achève… Nous sortons, et tombons nez à nez avec le chien du cinquième étage, venu lui aussi en consultation. Du fond de mon panier, je le jauge d’un œil expert : il me semble qu’il a repris du poids… ça ne sert à rien, les régimes !
Heureusement, j’en suis dispensée !

Après cela, blindée contre les microbes et les maladies insidieuses, je suis partie en vacances dans la cambrousse.
Mon enthousiasme était mitigé, mais Scouby a décrété que j’avais besoin de me changer les idées après la désertion d’Olivier et je n’ai pas eu le choix. La situation d’animal de compagnie, si elle a certains côtés appréciables, a ceci d’ennuyeux que, même quand on est adulte, on ne fait pas encore ce qu’on veut ! C’est toujours les autres qui décident : Ardoise va faire ceci, va aller là-bas… et si Ardoise n’a pas envie, c’est le même prix ! Aucune indépendance, je vous dis ! Et les ligues de défense des animaux s’avouent incompétentes dans ces cas-là. A quand la déclaration universelle des droits du chat d’appartement ?
- Si tu crois qu’au bureau, je fais ce que je veux ! rétorque Scouby.
Ce n’est quand même pas pareil, à mon avis…..

Donc, bon gré mal gré, ils m’ont embarquée dans la voiture. Comme d’habitude, j’ai agrémenté le voyage de mes chants les plus mélodieux : « Miâââââââ ! Oôôôôôôôôô ! Aââââââââââââââââh, je riiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiis… »
Eux ne riaient pas. Ca console un peu.
- Ardoise, espèce de casse-pieds !
- Ouiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiin !

Nous arrivons. Toujours dans mon panier, je suis transportée à l’intérieur de la maison. Et là, devinez qui attendait, incontournable ?
- Orca ! Mon minet chéri !
Je pousse un profond soupir. Lui, naïvement, s’approche du panier pour voir ce qu’il y a dedans.
A peine m’a-t-il reconnue qu’il roule des yeux en boules de lotto.
- Tiens ! Chère Ardoise ! Quelle… heu… agréable surprise !
- B’jour, dis-je sobrement.
On me libère. Je m’étire en prenant tout mon temps, puis je considère de près l’animal figé à quelques centimètres de moi. Est-ce bien l’Orca ?
- Z’avez maigri ! constaté-je. Et z’avez les poils courts, maintenant ! Permettez que je vérifie si c’est bien vous ?
- Faites, balbutie-t-il.
Je fourre mon museau dans les poils rabougris et me mets à flairer. Chaque centimètre carré de l’animal y passe.
- C’est bien votre petite odeur, concédé-je.
Comme j’entreprends de vérifier une nouvelle fois, il s’écarte pudiquement et va s’asseoir sur le tapis du salon. Il ne dit rien : il me surveille du coin de l’œil.
- Les retrouvailles ont l’air de bien se passer, chuchote Scouby.
Rassurée, elle prend deux assiettes qu’elle garnit de colin d’Alaska et les pose sur le sol.
L’Orca et moi nous précipitons d’un seul élan.
- C’est bon ! s’exclame-t-il.
- C’est mon plat préféré ! souligné-je.
En un clin d’œil, son assiette est vide. Il reste un peu de poisson dans la mienne, mais j’avertis : «Pas touche à MA gamelle ! Je suis LA CHATTE de cette maison, ne le perdez surtout pas de vue ! C’est MOI qui commande ici, vu ? »
Il baisse le nez.

Scouby m’a acheté un bac à sable tout neuf, un bleu. Je vais le flairer : pas question que je pose mon délicat séant dans le bac de l’Orca, quand même !
- Et pas touche à MON bac ! ajouté-je pour faire bonne mesure.
Il consent à tout. Y a pas à dire, il est coopératif. Ma méfiance se relâche, je me radoucis.

Qu’y a-t-il encore de changé, ici, depuis que je ne suis plus venue ? J’explore. Ah, ils ont déplacé quelques meubles ! Ah, ils ont installé…
- Tiens, une chatière ! dis-je d’un air connaisseur.
Daniel et Scouby se regardent, éberlués.
- Tu sais ce que c’est, TOI, Ardoise ?
- Bien sûr, dis-je, j’en avais une chez Veeweyde, vous ne vous souvenez pas ? Y avait une chatière entre la grande cage et le petit jardin où je courais !
Je n’oublie jamais ce qui pourrait un jour m’être utile !
D’ailleurs, les amis, je vous rassure : au moment où j’écris ces lignes, je ne me suis JAMAIS servie de cette chatière. L’entrée de service, c’est pour les autres ! Moi, il faut qu’on m’ouvre la grande porte !

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Le soir, le poêle brûle dans la cuisine, il fait bien chaud. Scouby installe deux chaises devant le feu, pour Orca et pour moi. Nous y grimpons et nous mettons à l’aise, Orca roulé en boule, moi étalée, ma luxueuse fourrure occupant toute la surface de la chaise, les pattes de devant pendantes. Ah, que nous nous sentons bien !

Tout à coup, mon œil à demi-ouvert surprend quelque chose, une petite chose minuscule qui court dans la cuisine. Je me redresse.
- Vous bilez pas, charmante Ardoise, ce n’est qu’une musaraigne, grommelle Orca sans bouger.
- C’est kwâ ça ? m’ébahis-je.
- Une toute petite souris des champs. N’allez pas l’effrayer, elle ne vous a rien fait !
- J’veux pas l’effrayer, j’veux la voir de près ! dis-je en me levant.
La petite chose court dans le salon, je la suis. Elle se faufile sous la cassette du feu ouvert, dans une fissure entre les briques. Je m’approche pour y jeter un coup d’œil. Il fait sombre là-dedans !
- Tiens, je crois qu’Ardoise a flairé une musaraigne, dit Scouby.
- Elle est peut-être meilleure chasseresse que notre chat des champs ! commente Daniel.
C’est kwâ, chasseresse ?
Comme il n’y a plus rien à voir, je retourne sur ma chaise.

Un peu plus tard, il me vient une petite faim. Je trottine vers mon assiette, y enfouis le museau.
- Bonzour ! C’est de nouveau vous, zoli çat gris ?
- Il me semblait bien vous avoir reconnue ! dis-je joyeusement.
Ma petite copine de l’autre fois ! J’aime bien quand elle m’appelle « zoli çat gris » !
- Alors comme ça, z’êtes pas une souris ordinaire, z’êtes une musaraigne, vraiment, voui ? dis-je émerveillée.
- Mais zoui ! confirme-t-elle avant de s’attaquer une nouvelle fois à mon repas… que je partage sans regret, vu qu’elle est toute petite et ne mangera sûrement pas grand-chose, la pauvre !
Nous nous régalons de concert, tandis que Scouby se plaint bruyamment d’ENCORE avoir oublié la caméra pour immortaliser l’instant.

Après le repas, nous regagnons nos pénates, moi la chaise au coin du feu et la musaraigne, son petit trou dans le mur.
Daniel, armé d’une balayette et d’une boîte en carton, a bien essayé de l’intercepter au passage, mais elle a été plus rapide que lui.
- Pourquoi veut-il l’attraper ? m’étonné-je.
- Il veut la relâcher au fond du jardin. Il espère qu’ainsi elle ne retrouvera plus le chemin de la maison et qu’elle ira ailleurs, daigne m’expliquer l’Orca, les yeux toujours clos.
Je médite sur la question. Et si on me faisait ça à moi, que deviendrais-je ?
J’espère que la musaraigne ne va pas se laisser capturer !

J’ai à peine eu le temps d’assimiler ces informations nouvelles, que j’ai eu une autre surprise !
Scouby avait ouvert la porte du jardin, histoire de prendre l’air. Moi je préférais rester dans la cuisine, il y faisait bien chaud et puis, ma gamelle s’y trouvait. Il faut bien que je garde l’œil sur ma gamelle !

Subitement, quelque chose déboule dans la pièce, manquant me heurter.
Je regarde et crois avoir une hallucination : cette couleur grise… cette petite taille… Non, non, ce n’est pas mon amie la musaraigne, c’est une autre Ardoise ! Tout mon portrait, il y a quelques années !
Médusée, l’autre chatte s’est immobilisée dans son élan. Elle me contemple fixement.
- C’est qui, vous ? fait-elle en me flairant le museau, l’air méfiant.
Ce ton ! Je monte sur mes ergots.
- Je suis Ardoise, la chatte de cette maison ! clamé-je, ayant repris du poil de la bête.
Maintenant que je la vois mieux, je trouve qu’elle ne me ressemble pas tellement, tellement. Bon, elle a une belle grosse fourrure grise avec de vagues reflets roux, mais sûrement pas à triple épaisseur, comme moi ! Elle a une queue d’écureuil, ce qui est un peu incongru pour un chat… et des yeux en amande, dites donc ! Pas de beaux grands yeux ronds comme les miens !

Apparemment, ma réponse ne la satisfait pas, car elle prend un air féroce.
- Grrrrrrrr ! Grrrrrrrrr !
- Scoubyyyy ! Elle me grogne dessus ! gémis-je, pétrifiée de surprise.
Ma mère d’adoption survient et se saisit de la créature.
- Allons, Petite-Goulaffe, au jardin ! dit-elle. Tu ne peux pas rester ici si tu es méchante avec la pauvre Ardoise !
Elle a déposé dehors une assiette bien garnie pour la dénommée P’tite-Goulaffe.
Je suis allée dans la salle à manger et me suis posée sur le rebord de la fenêtre pour mieux voir.
Elle a un appétit d’ogre, cette P’tite-Goulaffe !
- Tu dois la comprendre, dit Scouby, elle est toujours dehors, exposée à toutes les rencontres… Il faut bien qu’elle se fasse respecter, alors elle grogne ! A part ça, elle est adorable, cette petite chatte, tu verras !
Derrière mon dos, j’entends l’Orca réprimer un petit ricanement. On dirait qu’il en sait long sur la bestiole, je le soumettrai à un interrogatoire en règle sitôt que j’en aurai l’occasion.
Décidément, il s’en passe des choses, à la campagne !

Un peu plus tard…
- Michèle, il est temps d’aller se coucher. Je prends les chats, tu prends les gamelles…
Daniel nous soulève, l’Orca et moi, et se dirige vers l’escalier, un chat sur chaque bras.
- Je sais marcher ! proteste dignement l’Orca.
- Oui, c’est ça, et puis tu vas faire un tour dans le fenil et on ne te voit plus ! rétorque Daniel.
Tiens, l’Orca serait-il indiscipliné ?
- Orca, Maître-Chat, sa volonté fait loi ! clame l’animal, les poils hérissés.
J’achève la citation : « Sauf quand Ardoise est là ! »
Non, mais des fois !

- Vous prenez quel côté du lit, en général ? m’enquis-je, méfiante.
- Je dors au pied, sur ma petite couverture bleue, répond la bestiole avec précaution.
- Ah bon, alors comme ça, ça va ! Bougez pas de là, surtout !
- Et vous-même, où allez-vous dormir ?
- A Bruxelles, j’ai mon lit personnel, mais ici c’est la vie rustique, je devrai faire avec ! Je vais me trouver une petite place confortable sous les couvertures… Ne me marchez pas dessus la nuit, hein ?
- Soyez tranquille, répond-il précipitamment, je ne me lève que pour utiliser mon petit bac de sable !
- N’allez pas dans le mien, surtout ! Le bleu tout neuf, c’est le mien ! Le brun usé, c’est le vôtre !
- J’essaierai de m’en souvenir, dit misérablement la créature, prête à tout pour conquérir mes bonnes grâces.
Satisfaite, je me coule au pied du lit, tout contre Daniel qui n’ose plus bouger.
Et je dors d’une traite jusqu’au matin.

- Za y est ! L’est encore là avec zon carton et za ramazette ! maugrée la musaraigne en levant le nez de son petit déjeuner, que nous sommes occupées à partager.
- Il veut vous lâcher au fond du jardin, dis-je, la bouche pleine.
- Ze sais. La dernière fois, z’ai mis deux zours pour revenir ! Z’avais perdu le nord. L’est un peu zadique, votre papa ! Heureuzement, ze cours plus vite que lui !
Du coin de l’œil, j’observe Daniel à l’affût. Il attend que la musaraigne ait terminé son repas pour tenter de la capturer. Sadique peut-être, affameur quand même pas.
Je pousse un profond soupir : « Ils sont fous ces humains, il paraît que mon rôle serait de vous poursuivre, comme la dernière fois, vous vous souvenez ? »
Pourtant, si je faisais mine de dévorer la petite créature, je suis sûre que Scouby et Daniel s’interposeraient. Ils ne savent pas ce qu’ils veulent !
- Bah, faut pas les croire, votre copain ne m’agrezze pas non plus ! dit la musaraigne en haussant les épaules. « Tout za, z’est des bobards ! »
C’est vrai, l’Orca est assis bien tranquillement sur sa chaise, les yeux mi-clos. La visiteuse ne semble guère l’intéresser.

Et voilà, Daniel a capturé la musaraigne ! Il est passé à côté de moi avec le carton duquel sortait une petite voix piaulant : «Zut ! Ze suis cuite ! Au revoir, zoli çat gris, à la semaine proçaine !»
- A bientôt ! dis-je en agitant la patte.
Et j’ajoute, pour faire bonne mesure : « Revenez vite ! Bon voyaze ! »
Tiens, voilà que ze zozotte, moi aussi !

- Ardoise, tu n’es pas un véritable chat ! soupire (une nouvelle fois) mon père d’adoption.
Pas un véritable chat, moi ? Je me chauffais au coin du feu quand, prise d’une impulsion irrésistible, je me suis retournée, présentant à la flamme mon dos et ma belle queue.
- Allez Ardoise, espèce de folle, a poursuivi aimablement le bipède, arrête d’imiter les chats qui annoncent la neige ! Le temps est splendide !
- Patience, ai-je dit sans me fâcher.
Deux jours après, il neigeait.

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Chapitre 35 : LA FUITE DES ANNEES



J’espérais avoir des nouvelles plus glorieuses à vous raconter, eh bien c’est pas vraiment réussi, vous allez voir !

D’abord, l’autre jour, j’ai eu un choc.
J’étais tranquillement assis sur la table de ma cuisine, quand une fermière amie de Scouby est entrée pour blablater avec elle. Comme elle me regardait, je lui ai fait mon plus joli sourire. C’est normal, hein, « Tact et diplomatie ! » qu’elle disait toujours ma maman !
- Oh ! s’est exclamée la fermière, je ne savais pas que vous aviez un vieux chat !
J’ai sursauté : vieux, moi ?
- Je ne sais pas quel âge il a, dit Scouby d’un ton incertain. La vétérinaire pense une bonne douzaine d’années…
La fermière me jauge d’un œil expert. Elle a l’habitude, avec les vaches…
- Oh non, il a bien quatorze ans, dit-elle. Mon frère a un vieux chat comme ça, eh bien il a exactement la même tête !
Scouby a verdi. Elle calcule que la vie moyenne d’un chat dure quinze ans et que par conséquent, il ne nous reste plus tellement de temps à être ensemble…
Moi, je suis anéanti !
Tant et tant d’années ! Qu’en ai-je fait ? Je me croyais encore si jeune ! Où sont passés tous ces printemps, tous ces étés ? Ai-je été si insouciant, pour ainsi gaspiller mon temps ?
Vous me direz que tout le monde fait pareil. Ce n’est pas une consolation.

Je pose la question à ma Néfer.
- Depuis combien d’années nous connaissons-nous ?
Elle est ébahie.
- Comment veux-tu que je le sache, Orca, je ne suis qu’un petit chat, je ne sais pas compter ! Il y a très longtemps, en tout cas !
- Est-ce que tu me trouves vieux ?
- Mais non, Orca, quelle idée !
Peut-être veut-elle me faire plaisir ? Si je demandais à quelqu’un d’autre ? Pas à Petite-Goulaffe, non : elle me prend pour Mathusalem. A Gourmande peut-être ?
- Si je vous trouve vieux ? Heu…
Aucune certitude. Il faut avouer que, depuis l’avant-dernier été, je ne me sens plus aussi pétulant qu’autrefois. Je dors davantage, je reste plus longtemps à la maison, même quand Scouby et Dan ne sont pas là. Je n’arrose plus, d’un mouvement de la queue plein d’orgueil, les arbres de mon territoire, je tolère la présence d’autres chats et même, parfois, j’y prends plaisir. Bref, je deviens philosophe. Vieux ?
- Ne t’inquiète pas, Orca, me dit Scouby, tu as beaucoup changé depuis l’année passée, parce que tu as perdu tes poils à cause de vilains petits parasites, tu es un peu plus maigre d’accord, mais nous allons te donner des vitamines, tu verras !
Il faut bien que je me contente de cette consolation, néanmoins mes doutes demeurent.
L’année passée, j’étais peut-être un vieux chat qui ne faisait pas son âge ? Qui sait ?

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Chapitre 36 : VACANCES BIS



A peine étais-je remis de cette émotion que j’ai eu un deuxième choc !
Un vendredi soir, j’étais bien paisiblement assoupi dans cette maison que je considère comme mienne, quand j’entends la voiture s’arrêter devant la porte.
- Chouette, Scouby et Dan sont là ! Je vais recevoir un bon souper, des caresses, des paroles gentilles ! Allons les accueillir !
Je me lève et vais les attendre à la porte du fenil. Oui, ils entrent toujours par là, allez savoir pourquoi ! Je crois que la porte de rue, trop vermoulue, est condamnée à cause des courants d’air et des coups de froid. D’ailleurs ça n’a pas d’importance, vous serez d’accord avec moi.
La porte s’ouvre, ils sont là, portant leurs sacs de vêtements et de provisions et aussi un panier auquel, d’abord, je ne prête pas attention.
Embrassades, exclamations : « Orca, mon gentil chat-chat ! » «Miââââaâââ ! »
Après ces effusions, je remarque un mouvement dans le panier. Je m’en approche, regarde… Ciel ! L’animal gris qui me fixe sans ciller n’est que trop reconnaissable !
- Glups ! C’est vous, chère Ardoise ? fais-je, sidéré.
Depuis le temps qu’elle n’était plus venue, j’avais un peu fini par l’oublier. Il va falloir que je sois prudent, ce week-end ! Que je prenne des gants blancs pour m’adresser à la charmante qui, elle aussi, se considère comme la légitime propriétaire des lieux ! Que, plus que jamais, j’use de tact et de diplomatie !
Mais comme ça va être barbant !
Je m’arme de courage.

Elle sort du panier, me considère d’un œil abasourdi.
- C’est bien vous ? Je vérifie !
Elle flaire, flaire, flaire… Je reste immobile, résigné. Je l’entends murmurer dans ses moustaches : « C’est lui ? Pas lui ? L’est devenu affreux ! Maigrichon ! »
- Mais enfin, chère Ardoise, je sais bien que je suis moi !
- Bien sûr que z’êtes vous, mais z’êtes bien l’Orca ? C’est ça que je vérifie !
Et zou ! Elle fourre son petit museau froid dans mon cou. Stoïque, je la laisse faire encore un instant, puis, quand elle a acquis la quasi-certitude de mon identité, je m’éloigne avec une fausse nonchalance et vais m’allonger à quelques pas.
Il va falloir que je tourne sept fois ma langue dans la bouche avant d’articuler un mot, ces deux jours-ci ! Elle est tellement susceptible…
- Je ne suis pas ici pour le week-end, précise-t-elle avec une lueur narquoise dans le regard, je suis en vacances ! Pour neuf jours !
Ca promet ! Pourquoi Dan et Scouby me jouent-ils un tour pareil, à moi, leur vieux chat ?

La mignonne daigne m’expliquer : « Olivier a déménagé et mes parents peuvent pas me laisser à la maison toute seule ! D’ailleurs, il paraît que je dois m’habituer ! »
S’habituer à quoi ? J’ai peur de comprendre…

Au souper, nous avons partagé du colin d’Alaska. J’adore ! L’Ardoise vous a d’ailleurs certainement déjà raconté notre soirée, alors je ne vais pas tout redire après elle. Peut-être juste préciser ce qu’elle aurait oublié…

Scouby remplit consciencieusement nos assiettes et les pose par terre, sur deux sets de table qui nous sont destinés et sur lesquels sont dessinés des chats.
Ardoise vérifie si je ne suis pas mieux servi qu’elle et si mon chat n’est pas plus beau que le sien.
Rassurée sur ce point, elle commence son repas à petites bouchées. Je vide mon assiette mais n’ose pas toucher à la sienne, bien qu’elle y ait laissé du poisson, ce qui est du gaspi à mon avis. Je m’éloigne donc à regret de notre coin-repas et je saute sur ma chaise, devant le feu.
Ardoise s’approche de sa propre chaise et renifle le journal qui y est déposé. Avec une moue dégoûtée, elle s’éloigne dignement.
- Elle ne veut pas de ce journal parce que, tout à l’heure, je me suis déjà assis dessus, dis-je à Scouby, sans m’émouvoir outre mesure (J’ai eu mon compte d’émotions, maintenant je récupère !)
J’ajoute quand même, désapprobateur : « Elle est un rien snob, votre chatte ! »
- Mais non, Orca, dit Scouby. Ardoise essaie de dissimuler sa timidité naturelle sous des allures de matamore, voilà tout ! »
Timide, l’Ardoise ? Je suis sceptique, mais je ne demande qu’à voir : l’avenir me fournira bien une réponse !
Scouby change le journal. La chère Ardoise revient, renifle et consent à installer son auguste popotin sur le papier non pollué. Nous nous regardons en chats de faïence.
J’ai comme l’impression que nous sommes vaguement ridicules.

J’en ai la certitude lorsque, nous éloignant du poêle dont la chaleur se fait suffocante, nous sautons d’un même élan sur la table de cuisine et nous immobilisons de part et d’autre d’un vase de fleurs artificielles. Dignement posés sur nos derrières, nous ressemblons à deux potiches.
Heureusement, Dan a encore oublié sa caméra à Bruxelles. J’aurais DETESTE que ces instants soient immortalisés sur pellicule !

Et les jours passent…
Visiblement, la chatte Ardoise « s’habitue ». Elle se montre même, à certains moments, relativement amicale à mon égard. Toutefois, elle ne peut s’empêcher de me gifler régulièrement l’oreille lorsque, d’aventure, je me trouve à ses côtés.
- Clap !
- Aïe !
- J’y peux rien, m’explique la gracieuse sans l’ombre d’un remords, c’est nerveux ! Quand je vous vois approcher, ma patte se détend toute seule !
- A ce compte-là, vous auriez pu donner une claque à la Petite-Goulaffe, l’autre jour, ça m’aurait fait plaisir !
- Ca va pas, non ? Pour me faire massacrer !
Ses réactions « nerveuses » ne visent manifestement qu’un inoffensif chat noir et blanc !

L’une des distractions préférées de la créature consiste à se jucher sur le rebord de la fenêtre de notre salle à manger et de détailler mes copines qui viennent prendre un petit en-cas sur la terrasse. Quand la visiteuse lui semble particulièrement intéressante, elle va carrément se poster devant la chatière pour regarder de plus près.
- Oh, une noire ! Oh, une rouquine tricolore ! Qu’est-ce qu’elle mange, celle-là !
Toujours serviable, j’explique : « C’est Gourmande. Elle est charmante, et si je n’étais pas déjà fiancé à Néfer, j’aurais bien fait ma vie avec elle… mais elle a commis un jour une grande bêtise, quelque chose d’irrémédiable : elle a donné naissance à Petite-Goulaffe. Je ne connais PAS UN CHAT AU MONDE qui accepterait de devenir le beau-père de la Petite-Goulaffe ! Surtout pas moi ! »

L’Ardoise enregistre mes informations. Un fait surtout l’intrigue.
- Pourquoi la chatière ne fonctionne-t-elle que dans un sens ?
Il est vrai qu’elle m’a surpris plus d’une fois alors que, revenant d’une petite promenade digestive, je franchissais allègrement la porte par le moyen qui m’est propre. Elle s’est approchée de la chatière, l’a poussée du nez… Rien à faire ! Elle se perd en conjectures. Je sais très bien que Dan a bloqué la chatière de l’intérieur pour qu’elle ne puisse pas sortir, mais pas question que je vende la mèche ! Quand je veux, moi, faire un petit tour dehors, je le signale discrètement à Scouby qui m’entrouvre la porte. Pour rentrer, pas de problème, la chatière fonctionne dans le bon sens.
Je tourne sept fois ma langue dans la bouche, comme je me le suis promis, puis je me lance.
- C’est une chatière spéciale, dis-je. Une chatière sélective.
- Kèksèksa ?
- Elle enregistre mon empreinte génétique, dis-je d’un air inspiré. Elle ne laisse passer que moi. D’ailleurs, personne d’autre n’est entré ici, n’est-ce pas ?
Forcément, aucune de mes copines n’ayant encore compris à quoi peut servir cette drôle de petite fenêtre ! Heureusement, d’ailleurs…
La belle Ardoise en reste bouche bée.
- Demandez-leur de vous acheter, à vous aussi, une chatière sélective, suggéré-je.
- C’est une idée, dit-elle. C’est vrai, kwâ ! Pourkwâ les autres peuvent vagabonder dehors et moi pas ? Moi aussi, j’aimerais sortir pour aller croquer de l’herbe fraîche. Et quand je le lui dis, Scouby me met mon collier et je dois faire le tour du jardin avec elle, comme une malheureuse prisonnière !
Je compatis ostensiblement. Pas plus tard qu’hier, Petite-Goulaffe m’a, elle aussi, fait part de ses doléances : « C’est scandaleux ! Pourquoi cette drôle de chatte grise peut rester à l’intérieur de la maison alors que moi, on me donne à manger dehors ? Moi aussi, je veux m’asseoir au coin du feu ! C’est de la discrimination ! Du racisme ! »
J’ai pris un petit air pénétré, sans faire de commentaire. Avec ces chattes, il vaut mieux se tenir à carreau.

A peine pensais-je que nos relations allaient s’améliorant, que la chère Ardoise a tenté de m’assassiner !

Bon, après coup, je pense qu’elle ne l’a pas fait exprès. Mais ça m’a quand même fait un drôle d’effet, je vous assure ! Je vous explique.

Quand Ardoise n’était pas là, j’avais l’habitude de me prélasser sur les genoux de Scouby, dans un fauteuil du salon. Avec l’arrivée de la charmante, les choses ont mal tourné : dès que Scouby s’installait confortablement avec son livre, qui arrivait en courant pour bondir sur ses genoux ? Devinez ! Et qui s’amenait toujours second ? Devinez encore ! Quand j’arrivais sur les lieux, la bête à fourrure grise était déjà installée, me considérant avec un petit sourire supérieur parfaitement insupportable.

L’autre jour, elle était distraite, elle est arrivée avec un rien de retard. Moi, j’étais déjà couché sur les fameux genoux, tout content.
L’Ardoise saute sur l’accoudoir du fauteuil, me flaire.
- Kèske vous faites là, vous ? C’est MA place !
Je ne réponds pas. Je fais mine de regarder ailleurs.
- Allons Ardoise, dit Scouby, laisse un peu ce pauvre Orca tranquille !
- M’enfin !
Comme je suis maigre, il restait encore un peu de place sur les genoux de Scouby. Un tout petit peu de place.
Quelle idée est passée par la tête de l’étrange et imprévisible bestiole ? A-t-elle pensé s’asseoir à côté de moi ? Ou nourrissait-elle de sombres desseins ? (c’est fou ce que je cause bien !)
Toujours est-il que, d‘un seul coup, elle s’est affalée, pouf ! Sur moi ! De tout son poids !
Hou, j’ai cru qu’un autobus me passait dessus ! En un instant, je me suis senti écrasé, enseveli sous des montagnes de fourrure à triple épaisseur ! J’ai poussé une clameur déchirante : « A l’aide, j’étouffe, j’étouffe ! Keuf, keuf ! »
En me débattant, je suis arrivé à me dépêtrer de ce piège mortel et, en deux bonds, me suis réfugié sur ma chaise. Ici au moins, je ne risque rien !
- Ardoise ! Tu n’as pas honte ? gronde Scouby, sidérée.
Les choses s’étaient passées si vite qu’elle n’avait même pas eu le temps de réagir !
- Ben kwâ ? marmonne la créature en écarquillant des yeux innocents.
Meurtrière par intention ? Ou par distraction ? Je m’interroge.

En tous cas, prenons nos précautions ! J’ai décidé de ne plus dormir au pied du lit quand elle est là, dissimulée sous les couvertures. Prudence étant mère de Sûreté, je me suis trouvé une couchette à ma taille : je dors à présent sur un gros pull de Scouby, dans une vasque de faïence placée sur un meuble. De là-haut, je peux voir venir ! Déjouer les coups bas !

Je dois reconnaître qu’elle n’a pas récidivé. Au terme de ses neuf jours de vacances, elle est repartie et j’ai poussé un grand soupir de soulagement. Mais, hélas, elle revient chaque week-end, maintenant !
Le vendredi soir et le samedi matin, je ramasse force coups de patte ; « J’y peux rien, c’est nerveux ! »
Le samedi après-midi et le dimanche, elle s’adoucit, mais à peine ai-je le temps d’apprécier cette trêve, qu’ elle repart ! Et cinq jours après, tout recommence !
- Vous ne pouvez pas lui donner un calmant ? ai-je suggéré à Scouby.
Une bonne dose de soporifique dans son Félix… J’aurais la paix !
C’est un cas, la chère Ardoise, je vous le jure ! Oh la la !

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Chapitre 37. JEUX DE MAUX


Les deux protagonistes de cette scène sont majestueusement assis sur leurs derrières, côte à côte, sur une table de cuisine campagnarde.


La Divine (distraitement) : Gratt, gratt, gratt…
Le Charmeur (compatissant) : Une puce, chère Ardoise ?
La Divine (sursautant) : Une puce, moi ? Jamais de la vie ! Kiséki vous dit que je pourrais avoir des puces ?
Le Charmeur (accommodant) : Ah, je me disais… En vous voyant vous gratter…
La Divine (mentant comme une arracheuse de dents) :
J’ai pas de puces, moi ! Ca m’est jamais arrivé d’avoir des puces, à moi !
Le Charmeur (sincère, lui) : A moi non plus. Quand j’attrape des bestioles, c’est des tiques ou des poux, pas des puces.
La Divine (imbue de son importance) :
Moi, ce que j’ai, c’est de l’aigue-zéma !
Le Charmeur (éberlué) : De l’aigue-zéma ? C’est quoi ça ?
La Divine (supérieure) : C’est une maladie psykosomatik ! Parce que j’ai eu un grrrrrand chagrin d’amourrrrr !
Le Charmeur (stupéfait) : Un grand chagrin d’amour ????
La Divine (énervée) : Arrêtez de répéter tout ce que je dis ! Vous savez quand même qu’Olivier a déménagé, non ?
Le Charmeur (visité par la lumière) :
Ah oui ! Mais oui ! Bien sûr ! (Tout ce qu’il ne faut pas entendre !)
La Divine (gravement) : Alors moi, j’en ai eu un tel chagrin, que j’ai attrapé de l’aigue-zéma ! De l’urtikèr, quoi !
Le Charmeur (dubitatif) : Vous êtes sûre que vous n’avez pas de puces ? Ca me semble un peu gros à avaler, votre urtikèr !
La Divine (modestement) : C’est parce que je suis un chat spécial ! Mes maladies sont toujours très aigue-zotiks ! Quand j’étais petite, j’ai eu le coryza !
Le Charmeur (piétineur d’illusions) :
Mais ce n’est pas une maladie exotique, le coryza ! C’est tout ce qu’il y a de plus courant !
La Divine (sidérée) : Comment ? Une maladie avec un si joli nom ?
Le Charmeur (doctoral) : Ca ne veut rien dire, le nom ! Même s’il se termine par i ou par a ! Le coryza, c’est un bête rhume !
La Divine (offensée) : Pourtant, j’ai été TRES malade ! J’ai ATROCEMENT souffert ! J’éternuais tout le temps ! C’était juste avant que je fasse la connaissance de ma famille !
Le Charmeur (mettant les choses au point) :
De NOTRE famille…
La Divine (coupant les poils en quatre) :
De MA famille à plein temps et de NOTRE famille à temps partiel ! Ca vous va comme ça ?
Le Charmeur (ergotant) : Oui, mais alors admettez qu’ici, c’est MA maison à 100 % ! La NOTRE à 20 % ! Hein ?
La Divine (se trouvant en terrain glissant) :
Oh, et puis, arrêtez de discuter, vous ne racontez que des bêtises ! Chaque fois que vous écrivez un chapitre, je suis obligée de corriger vos éculu… vos élucu… vos fadaises, quoi !
Le Charmeur (offusque) : Je n’écris jamais que la stricte vérité !
La Divine (cat-égorique) : Eh ben, votre vérité n’est pas la mienne, voilà !
Le Charmeur (sentencieux) : Ca, je n’en ai jamais douté ! Peut-être y a-t-il un malentendu entre nous ? Pourtant, si nous voilà côte à côte sur cette table, sans nous entre-déchirer, cela doit quand même vouloir dire quelque chose !
La Divine (terre-à-terre) : Voui, ça veut dire que c’est le seul endroit pour bien profiter de la chaleur du poêle ! Et comme je suis une chatte pacifik, je vous laisse une partie de la place, puisque je peux pas couvrir la table à moi toute seule ! Dommage, d’ailleurs…
Le Charmeur (ironique) : Vous faites pourtant de votre mieux…
La Divine (avec candeur) : Voui, j’ai une belle fourrure, hein ? Superbe qualité, triple épaisseur… Regardez comme elle s’étale ! C’est pas comme la vôtre !
Le Charmeur (soupirant) : Hélas !
La Divine (généreuse) : Parfois, je vous plains vraiment, vous savez ! Quand je suis à Bruxelles, sur mon radiateur, et que je regarde la pluie et la neige dehors, je me dis comme ça : « Et l’Orca qui est dans le froid ! faudrait peut-être que je sois un peu plus gentille avec lui quand on va se voir ! »
Le Charmeur (incrédule) : Vous pensez ça, vous ?
La Divine : Mais voui !
Le Charmeur (ému) : Z’êtes une brave fille, au fond ! Tout au fond !
La Divine (réaliste) : Je me dis ça quand vous n’êtes pas là ! Quand je vous vois, j’oublie… et ma patte se détend toute seule ! C’est nerveux ! Psykosomatik !
Le Charmeur (résigné) : Il va falloir que je m’habitue… Heureusement, vous ne tapez pas très fort ! je préfère quand même quand vous restez chez vous, à la ville, sur votre radiateur, soit dit sans vous offenser !
La Divine (mélancolique) : Moi aussi, je préfère… mais maintenant qu’Olivier a déménagé… (soupir). Et puis, je DETESTE la voiture ! C’est bien simple : quand je me retrouve dans cet engin qui roule, c’est nerveux, faut que je hurle ! Comme ça : AAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAH ! OOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOH ! (plainte lugubre).
Le Charmeur (ébouriffé) : C’est affreux !
La Divine (dramatique) : Et puis quand je me retrouve ici et que je vous vois, vous devinez dans quel état sont mes nerfs ! En charpie !
Le Charmeur (hypocrite) : Je compatis.
La Divine (frénétique) : Gratt, gratt, gratt… Tiens, keskesêksa ?
Le Charmeur (joyeusement) : Une puce ! Réjouissez-vous, chère Ardoise ! Vous ne souffrez pas d’aigue-zéma psychik !

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Chapitre 38. C’EST A NOUVEAU NOEL !

Nous voilà déjà en décembre, Noël se profile à l’horizon. Comme d’habitude, Scouby a ressorti du placard son arbre de Nowèle en plastique tout rabougri et l’a décoré avec de petits objets en bois.
Cette fois, je n’ai pas assisté à l’opération : j’étais fatiguée et je dormais paisiblement sur mon radiateur. Et puis, ce n’est pas un spectacle à déplacer les foules, vous savez : il est si petit, cet arbre de Nowèle !

Je pensais que nous allions paisiblement passer le réveillon à nous trois, Daniel, Scouby et moi, mais hélas ! Dans la soirée du 23 décembre, j’ai été brusquement arrachée à mes rêves heureux.
- Ardoise, réveille-toi, on part en week-end !
- On part en… Où ça ?
J’étais encore à moitié endormie, vous comprenez, sinon j’aurais tout de suite réalisé où nous allions ! Ils ont profité de mon état d’esprit cotonneux pour me fourrer dans mon panier. Alors là, je me suis réveillée : j’avais saisi l’horreur de la situation !
- Non ! Ne me dites pas qu’on part à la campagne ! Dans le frrrrrrroid !
- Allons, Ardoise, quand le feu est allumé, il fait bon !
- Faut d’abord qu’il accepte de s’allumer, le feu ! Pendant ce temps-là, moi j’ai frrrrroid ! Et en plus, faut que je subisse la présence de l’Orrrrrrrrca !
Ils m’ont laissée récriminer à plein gosier sans se soucier de ma pauvre petite personne. Ils ont chargé la voiture (je suis considérée comme faisant partie des bagages, c’est honteux !) et nous voilà partis.

Sur la route, j’ai continué mes lamentations : « Pourkwâ me faire çaaaaaaaaaa, à mwâââââââ ? Aaaaaaaaaah ! Quel malheuuuuuuuuuuur ! «
- Ardoise, tais-toi ! Ce chat m’énerve !
- Oooooooooooh désespwâââââââââr !
Pour couvrir ma voix éplorée, Daniel a augmenté le son de la radio. J’ai été obligée d’endurer la voix miaulante d’une chanteuse nouvellement éclose : « Lalalalalalala ! Ooooooh lâââââ ! »
- Miâââââââââ ! sangloté-je de concert, anéantie par la rigueur de mon sort.
Scouby me décoche un regard qu’elle détourne aussitôt : si mes yeux étaient des mitraillettes, elle serait à présent raide morte sur son siège ! Daniel, en termes imagés, parle de m’étrangler. Je sais bien qu’il n’est pas sérieux mais quand même, ce n’est pas agréable à entendre ! Il est loin, le respect dû au chat d’appartement ! Les voilà maintenant qui discutent à propos de leur réveillon de Nowèle. Je tends l’oreille.
- J’espère que les chats seront sages, s’inquiète Scouby.
- Compte là-dessus, dis-je.
- Ardoise, nous avons des invités, alors ne me fais pas honte !
- Moi ? questionné-je innocemment.
- Oui, toi ! Je te connais ! Pendant le réveillon, ne saute pas sur la table et n’énerve pas Orca !
- MOI, j’énerve l’Orca ? dis-je, suffoquée d’indignation. Ca c’est la meilleure ! C’est plutôt Orca qui passe sa vie à m’énerver, moi ! Par sa seule présence ! Par sa petite odeur ! Par ses miââââââ !
- Arrête de miauler de cette manière sauvage !
- J’imitais les miââââ d’Orca ! C’est un bavard, Orca !
On me laisse ronchonner. On sait très bien que je suis toujours de mauvaise humeur en voiture. On attend que ça passe.
Et, effectivement, ça passe ! Quand nous nous immobilisons, je me sens renaître à une vie plus agréable.
On sort les paquets (moi comprise). Quand les portes extérieures sont bien fermées, la chatière bloquée (de mon côté), on me rend à la liberté.

Je sors de mon Titanic, je m’ébroue… puis, comme chaque week-end, je commence une minutieuse exploration.
Rien ne semble avoir bougé pendant mon absence… Ah, si ! Les gamelles d’Orca sont vides. Quel goinfre, cet Orca !
Oui, je sais, je suis de mauvaise foi. De TRES mauvaise foi ! Et alors ?
Oh ! Il a visité MON bac à sable ! Va falloir que Scouby le change, pas question que je pose mon joli derrière à l’endroit où ont valdingué ses pattes de bouseux.
Oui, je sais, je suis snob !

Daniel va chercher du bois dans le fenil. Je le suis du regard avec nostalgie. Malgré toute mon ingéniosité, je n’arrive JAMAIS à explorer ce fenil ! Chaque fois que j’arrive, on me ferme la porte au nez. On a peur que je me perde, que je me blesse, que je reste bloquée sous un tas de bois, de paille ou d’outils de jardinage, que sais-je ? J’ai beau protester de ma parfaite prudence, personne ne me croit !

Daniel allume le poêle à bois de la cuisine, puis un petit radiateur à pétrole dans le salon. L’insert, ce sera pour demain.
Je m’étends sur le tapis devant le petit radiateur et commence une toilette approfondie, pour me remettre de mes émotions.

- Miââââââââââ !
Evidemment ! On ne peut même pas se reposer une minute, dans cette maison ! Quand le chat des champs fait son entrée en miaulant d’allégresse, la brave chatte des villes peut se mettre au boulot !
Je vous vois venir… Vous allez me dire que je ne suis pas OBLIGEE de passer mes week-ends à surveiller les moindres faits et gestes de l’Orca ! Vous me direz que l’Orca est assez grand pour se conduire convenablement ! Vous me direz ce que vous voulez, je ferai la sourde oreille : il est de mon DEVOIR d’empêcher le chat des champs de se croire maître de mon territoire à moi, un point c’est tout !

Vous me direz encore qu’avec un appartement pour moi toute seule (ce qui veut dire : sans autre chat), je dispose déjà d’un appréciable espace vital. Je répondrai qu’étant la chatte attitrée de Daniel et Scouby, la première dans l’ordre de préséance, il est normal que leurs lieux de séjour soient les miens ! L’Orca ne sera jamais qu’un sans-abri que, dans mon infinie bonté, j’accepte d’héberger dans ma maison de campagne. Il en sera de même pour tous les chats qui suivront ! Même si le matou est d’un autre avis, je suis dans mon droit le plus strict… et les gens qui ne me comprennent pas ne connaissent rien aux chats (race dont je suis l’une des plus dignes représentantes).
Compris ?

Après cette petite parenthèse destinée à mettre les choses au point, je poursuis mon récit.
- Miââââââ ! Bonsoir ! s’écrie l’Orca rayonnant, Comme j’aime les week-ends !
Et il frotte affectueusement sa tête contre les chevilles de mes parents. Moi, bien sûr, comme à chacune de nos rencontres, je le flaire consciencieusement de la tête à la queue pour m’assurer qu’il s’agit bien de lui.
On lui donne à manger. Ma gamelle à moi est déjà pleine, mais je crois que mes leçons commencent à porter leurs fruits : Orca attend d’être servi, sans plus oser mettre le nez dans mon assiette en plastique sur laquelle s’égaie un petit clown. Il sait très bien où est son plat à lui, moins joli que le mien comme il se doit.
Après s’être rassasié, le chat des champs poursuit ses effusions. Il est toujours comme ça, le vendredi soir : tout fou ! Il va et vient, ne sachant où donner de la tête. Il sautille. Moi, pendant ce temps, lovée devant mon feu ou couchée sur un vieux journal, je considère toutes ces gesticulations d’un petit air supérieur.
- Ardoise, quelle poseuse tu fais ! s’esclaffe Scouby.
Je fais semblant de n’avoir pas entendu. La bave du crapaud n’atteint pas la blanche colombe !

Ici aussi, il y a un arbre de Nowèle ! Il est plus intéressant qu’à la maison. Il est plus grand (ça, ce n’est pas difficile), il sent le vrai sapin et il est couvert de boules brillantes et de petites lumières. J’irais bien l’examiner de près, mais à chaque fois que je vais me mirer dans une grosse boule jaune (Oh ! une Ardoise toute dorée !), Daniel frappe dans ses mains ou m’appelle près de lui. Je veux bien qu’on m’applaudisse et qu’on recherche ma compagnie, mais on pourrait aussi me laisser vivre ma vie, tout de même !

La nuit, nous avons bien dormi, moi tout contre Daniel et l’Orca de l’autre côté du lit. Il apprend vite, l’Orca, je dois bien l’admettre : le premier jour de notre cohabitation forcée, quand il a essayé de me réveiller d’un coup de langue affectueux (quelle familiarité !), j’ai réagi avec une vivacité frappante.
- Vlan !
- Ouille !
- N’encombrez pas mon espace vital ! Sinon…
Il se l’est tenu pour dit. Maintenant, quand nous dormons dans la chambre, il prend soin de laisser une distance de trois mètres au moins entre nous. Cela me satisfait.

Le lendemain, nous avons assisté aux préparatifs du réveillon. Une nouvelle fois, on nous a fait la leçon.
- Soyez sages, hein, les chats ! Ne sautez pas sur la table !
- Pourquoi ? s’ébahit l’Orca.
- Ils en font une idée fixe, dis-je. J’espère quand même qu’on va recevoir un peu de foie gras !
- Du FOIE GRAS !
Il est aux anges. Il n’a pas oublié que, l’année dernière, il a reçu sa part de réveillon de Nouvel An, ça lui a laissé une telle impression que, durant des mois, il a abordé mes parents avec des yeux pleins d’espoir : « Dites, c’est bien bon ce que vous mettez dans mes assiettes, mais z’auriez pas un peu de foie gras ? Ou, encore mieux, des rillettes ? ». Orca ADORE les rillettes !

Dans l’après-midi, les invités arrivent. L’oncle et la tante de Scouby.
- C’est ma grand-marraine et mon grand-tonton, dis-je à l’Orca.
- NOTRE… rectifie-t-il automatiquement.
Quelle outrecuidance ! Voilà qu’il s’approprie toute ma famille, maintenant ! Je ravale ma fureur : comme nous sommes le soir de Noël, j’ai décidé de me montrer bonne fille.

Je me suis très bien comportée durant toute la soirée ! Je me suis installée sur les genoux de mon grand-tonton. Quel beau pantalon en velours il avait ! Je mourais d’envie d’y essayer mes belles griffes bien pointues, mais je me suis dit que ce serait peut-être mal vu. Alors, je me suis abstenue.

Sous ma surveillance, Orca a pris garde d'observer son maintien. Après l’apéritif, il s’est toutefois emparé des zakouskis qui restaient. Il a mangé la mousse de saumon et les œufs durs aux filets d’anchois, mais a dédaigné les œufs de lompe et le pain grillé.
- Tant qu’à faire, z’auriez pu tout manger ! dis-je d’un ton désapprobateur.
- J’aime pas le caviar, rétorque-t-il.
Ben tiens ! Chipoteur, avec ça !

Vers dix heures du soir, toute la compagnie est partie pour la messe de minuit et nous sommes restés seuls, le sans-abri et moi. On en a profité pour faire un petit somme, mais d’abord on a regardé partout s’il n’y avait pas des restes de réveillon à se mettre sous la dent, mais non, tout était sous clé, dans le frigo ! Pas grave, on n’avait plus tellement faim, on avait déjà fait honneur à tous les plats.
Quand la famille est revenue, nous nous sommes organisés pour la nuit. Daniel a dormi dans le salon avec Orca et moi, et Scouby et les invités à l’étage. Nous, on avait bien chaud, c’était chouette ! Couchée en escargot au fond d’un fauteuil, j’ai fait des rêves pleins de boules dorées !

Le lendemain, ma grand-marraine et mon grand-tonton nous ont fait leurs adieux, à l’Orca et à moi, et sont rentrés chez eux. Nous avons encore dormi devant le poêle de la cuisine, tout l’après-midi. Le soir, nous avons reçu des restes d’entrecôte, cadeau de ma grand-marraine. Je dois dire que nous étions assez euphoriques et, pendant quelques heures, j’ai oublié ma mission de haute surveillance… Malgré ce défaut d’attention, rien d’irrémédiable ne s’est produit, heureusement ! Je l’ai échappé belle ! Imaginez que l’Orca ait profité de ma distraction pour escamoter d’un tour de patte ma maison et ma famille ! Que serais-je devenue ?

Et un jour plus tard, nous sommes, à notre tour, rentrés à la maison. Au moment de faire les paquets, Scouby et Daniel étaient assez déprimés. Orca lui aussi, avait un air triste, comme toujours quand il voit qu’on vide le frigo et qu’on va le laisser seul.
- Mon pauvre petit Minou, nous serons vite de retour ! a chuchoté Scouby à l’éploré.
- C’est vrai, vous-z-en faites pas, je serai bientôt re-là ! dis-je dans un grand élan de générosité.
Cela ne semble pas le consoler.

Je suis un peu mal à l’aise : c’est vrai, moi j’ai une petite vie bien organisée, bien tranquille, bien douillette, et lui n’a que les week-ends pour se payer du bon temps. Il a beau m’exaspérer parfois, je trouve ça triste.
- Dommage qu’on ne puisse pas l’emmener ! a soupiré Scouby.
L’Orca à Bruxelles ? Dans un espace clos, sans son jardin, sans ses promenades, sans ses points de repère ? Sans ses copines les chattes ?
Avec moi pour seule compagnie tout au long du jour ?
Je crois que pour lui, ce serait l’enfer !

Je vous laisse imaginer la joie du vagabond noir et blanc quand il nous a vus revenir, quelques jours après. Bien sûr, ses gamelles étaient bien nettoyées comme d’habitude, ses croquettes étaient mangées et il avait même renversé la poubelle (vide) pour en explorer l’intérieur. Je crois que c’est un grand spécialiste des poubelles… Un peu comme moi quand j’étais petite et abandonnée, avant de me retrouver dans un refuge !

L’autre jour, j’ai eu une surprise : parmi le courrier que nous dépose le facteur, il y avait une enveloppe à mon nom : « Mlle Ardoise »… Tiens, mais c’est moi, ça !
Scouby l’ouvre. Un de ces jours, faudra quand même que je lui dise de ne pas fourrer son nez dans mon courrier personnel, ça ne se fait pas !
- Oh, s’exclame-t-elle, regarde la belle carte, Ardoise !
C’est une carte représentant des cloches rouges et dorées, avec des petits chats gris qui me ressemblent…
- C’est ta grand-marraine et ton grand-tonton qui te souhaitent une bonne année 2000, avec 365 jours de bonne nourriture : Félix, Sheba, Whiskas… Bref, tout ce que tu aimes… et que tu vas recevoir.
- Formidable ! dis-je, ravie.
Mais pourquoi Scouby a-t-elle ce petit sourire moqueur ?
- Cela implique aussi que, pendant un jour entier, je ne te nourrirai pas du tout, enchaîne-t-elle, étant donné que 2000 est une année bissextile…
J’en demeure la bouche ouverte… je pense bien qu’elle plaisante, mais dans le doute…

La prochaine fois que je verrai ma grand-marraine, je lui demanderai un petit avis rectificatif : « En 2000, Ardoise a droit à 366 jours de bons petits plats ! »
Je serai quand même plus tranquille !

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Chapitre 39 : ARDOISE ET LA PETITE-GOULAFFE

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Vous avez lu le dernier chapitre d’Ardoise Quand elle raconte notre réveillon ? Quand elle bavasse comme ça, elle est toute gentille, mais en réalité elle a un caractère… aïe aïe aïe !

Scouby dit que j’exagère. Qu’Ardoise est une adorable petite chatte grise, charmante et affectueuse. Moi je veux bien !... Mais je ne sais pas si les coups de patte dont je me vois si souvent gratifié sont vraiment des signes d’affection. Personnellement, j’en doute. Bien sûr, il suffit d’être prudent. De lui dédier des regards pleins de soumission et d’adoration ! De ne pas piétiner son espace vital. Mais il est grand, son espace vital, si vous saviez !

Je dois avouer que je me sens un peu frustré. Comme je suis un chat poli, je lui cède la plume avant de vous écrire et voilà ! Elle raconte tout. Et jacasse… et bavasse… Il ne me reste rien à dire ! Avant, c’était facile, elle avait son univers, moi le mien. Mais depuis quelques semaines, elle partage mes week-ends et a décidé de tout régenter !
Bien sûr, moi, j’essaie d’éviter les histoires. Je m’aplatis comme une crêpe, lui susurre des « chère Ardoise » par-ci, des « jolie Ardoise » par-là, je me fais plus discret qu’une ombre… et elle trouve ça tout naturel !

Bon, maintenant que je me suis déchargé le cœur, je dois reconnaître qu’elle n’est pas méchante pour un sou. Parfois elle se dégèle et nous passons d’agréables moments en tête-à-tête, sur la table de la cuisine, devant le feu. Mais n’imaginez pas que je puisse donner un coup de langue amical sur sa belle fourrure à triple épaisseur ! Ca, pas question ! Pourtant moi, je suis un chat très physique : quand j’aime bien quelqu’un, humain ou animal, je distribue les lélèches, les bisous, les caresses… Elle n’est pas comme ça.
Pourtant, quand il s’agit de s’assurer que je suis bien moi, elle n’hésite pas à fourrer son petit nez tout froid dans mon cou ! Ensuite, elle flaire le contenu de ma gamelle, elle saute sur ma chaise de cuisine (alors qu’elle en possède une, elle aussi !) et moi je ne dis rien. Avouez que je suis bonne pâte, quand même !

Elle vous a raconté le réveillon. Est-ce qu’au moins, elle vous a dit que j’étais beau ? Non ?
Enfin, beau n’est pas vraiment le mot. Mais avec ma sveltesse, mon pelage noir et blanc, j’avais de l’allure, de la classe. Je portais un smoking… Je me suis tenu bien droit avec, dans l’allure et le regard, un petit air intellectuel qui, je crois, a fait grand effet sur les invités.
Je n’ai perdu ma dignité qu’un tout petit moment, quand je me suis précipité sur le plateau de zakouskis abandonnés, après l’apéritif. Mais je me suis repris bien vite… En définitive, je suis assez fier de moi.

L’Ardoise, elle, s’était affalée sur les genoux de Monsieur Grand-Tonton. Elle se nettoyait consciencieusement, baillait, s’étirait… Aucun savoir-vivre ! Et c’est moi qu’on traite de bouseux ! Enfin, ce n’est pas mon rôle de lui faire des observations : elle a des parents qui devraient l’éduquer convenablement. Faut dire qu’ils ne sont pas assez sévères avec elle, ils lui passent tout, sous prétexte qu’elle a été très malheureuse quand elle était petite ! C’est pas comme ça qu’on élève une Ardoise, je dis ! Maintenant, bien sûr, il est trop tard…

La charmante est méfiante, comme vous le savez. Mais sa naïveté ne lui permet pas de voir plus loin que le bout de son museau rose, sinon elle comprendrait bien de qui elle doit se méfier ! Pas d’un pauvre chat des champs noir et blanc, non, non ! Elle se trompe d’adresse… mais vous, vous avez déjà deviné de qui je veux parler, pas vrai ?

J’ai assisté l’autre jour à une scène dont l’hypocrisie (ou devrais-je dire « la haute diplomatie » ?) m’a laissé rêveur.
J’étais tranquillement couché sur ma chaise, tandis qu’Ardoise batifolait çà et là. Se perchant sur le rebord de la fenêtre (son poste d’observation favori), elle a regardé le jardin.
Il avait neigé, tout était blanc. Ardoise, pas habituée, était très intriguée par ce spectacle.
Tout à coup, son attention a été attirée par une petite silhouette qui évoluait péniblement dans la neige.
- Oh, s’est écriée Scouby, c’est la pauvre Petite-Goulaffe ! Elle s’enfonce jusqu’au ventre dans cette neige ! On ne la laisserait pas un peu entrer, Ardoise ?
- C’est celle qui m’a grogné dessus l’autre jour, a marmonné l’intéressée, peu enthousiaste.
- Z’avez raison, chère Ardoise, dis-je sans bouger de mon lieu de repos, faut pas se laisser grogner dessus ! Surtout par une espèce de Petite-Goulaffe ! Laissez-la dehors, ça lui fera les pattes !
Je dis ça comme ça, mais il ne faut pas me prendre pour un sans-cœur. Je sais très bien que Scouby ne va pas laisser ce fléau de Petite-Goulaffe enfoui dans la neige glacée ! Evidemment, elle ouvre la porte et Petite-Goulaffe entre, les yeux baissés, l’allure modeste. La chère Ardoise est dans l’expectative : le dos raide comme la justice, le regard soupçonneux, elle ne quitte pas l’intruse de l’œil.
- Bonjour, noble Demoiselle Ardoise, chuchote le diabolique chaton.
Plus de grognement ni de poil hérissé, cette fois ! Petite-Goulaffe a compris la leçon. En un quart de tour, elle a reconsidéré la situation et établi sa stratégie.
- B’jour, maugrée la légitime propriétaire des lieux.
Petite-Goulaffe se dirige à pas menus vers la cuisine, suivie de près par ma gracieuse compagne de week-end qui ne la quitte pas de l’oeil.
- Puis-je me permettre de me chauffer les pattes à votre feu ? minaude la petite peste avec un regard implorant.
La bonne pomme hésite, puis permet. Je la vois se détendre à vue d’œil.

Je me dois de l’avertir.
- Faites attention, chère Ardoise, ne baissez pas votre garde, dis-je. Donnez le bout d’une griffe à la Petite-Goulaffe et elle vous saisira toute la patte ! Donnez-lui une patte et il ne vous restera même plus la queue !
- M’sieur Orca aime plaisanter ! roucoule le monstre en me décochant une œillade.
Je n’insiste pas : comme d’habitude, on donnerait à Petite-Goulaffe le Bon Dieu sans confession !
Elle s’accroupit près du poêle, dans une pose pleine d’humilité. Lorsqu’elle entrouvre les yeux, j’y vois toutefois danser la petite flamme coutumière qui ne me dit jamais rien de bon !
- C’était bien aimable de votre part, je m’en vais maintenant, dit-elle au bout de cinq minutes.
Scouby s’inquiète.
- Tu es sûre de vouloir repartir, Petite-Goulaffe ? Tu ne veux pas rester encore un peu devant le feu ?
- Merci, non, je ne veux pas abuser… Encore grand merci, noble Demoiselle Ardoise. A bientôt, j’espère…
- Mais voui, répond la pauvre bestiole proprement roulée dans la farine en deux temps trois mouvements.

Je suis le seul ici à rester lucide au sujet de la Petite-Goulaffe. Mais ce n’est pas la peine d’essayer d’en convaincre Scouby, Dan et la chère Ardoise, ils ne me croiraient pas !
Malgré moi, je ne puis m’empêcher d’admirer le tour de force de la minuscule créature. J’ai mis des mois avant de me faire accepter et aimer par ma famille d’accueil, et elle obtient un résultat presque similaire en quelques instants ! Evidemment, moi, je n‘ai pas l’aspect trompeur d’un bébé-chat perdu dans un monde cruel ! J’ai l’air de ce que je suis, ni plus ni moins : un honnête chat des champs !

- Mais, me direz-vous (dupes comme chacun), tu es peut-être de parti pris, Orca. Pourquoi tiens-tu pour acquis que Petite-Goulaffe jouait la comédie ?
- Eh bien, mes amis, sa première visite a duré cinq minutes. La seconde dix, la troisième vingt... Le week-end suivant, la Petite-Goulaffe en a eu assez d’attendre sur la terrasse que quelqu’un la remarque. Elle a fait le tour de la maison, a sauté sur l’appui de fenêtre du salon (où se tenait ma famille) pour manifester sa présence en faisant de grands gestes désespérés.
- Mais, Orca, cela prouve simplement que Petite-Goulaffe est très intelligente, ce qui a toujours été évident ! Mais peut-être n’avait–elle aucune arrière-pensée…
- Vous n’y êtes pas, les amis ! Figurez-vous que le week-end passé, Ardoise n’était pas là…
- Tiens ? Où était-elle ?
- Elle était restée dans son appartement. Son Grand Amour venait la garder, paraît-il, et en l’absence de sa rivale à deux pattes partie visiter sa propre famille, Ardoise espérait bien le convaincre de reprendre la vie commune…
- Je suppose qu’elle n’a pas réussi ?
- Non, bien sûr ! Mais, vous savez, l’amour se nourrit d’illusions… Enfin, toujours est-il que, le week-end passé, j’étais bien content : je n’aurais pas besoin de surveiller chacun de mes gestes, de peser chacun de mes propos… Je pouvais dire tout ce qui me passait par la tête, sans être bâillonné par la censure…
- Tu exagères un peu, Orca, non ?
- A peine un tout petit peu ! La bestiole grise est d’une susceptibilité, si vous saviez ! Ca, Petite-Goulaffe l’avait compris instantanément !

Samedi, donc, Petite-Goulaffe arrive à la porte, arborant ses nouveaux petits airs penchés et chat-fouins…
Sitôt entrée dans mon logis, elle renifle discrètement, lève un tantinet la tête.
- Tiens ! Votre proprio n’est pas là, M’sieur Orca ?
- Pas aujourd’hui ni demain, Petite-Goulaffe.
Et j’ajoute, pris d’une légère inquiétude : « Ce n’est pas une raison pour… »

Je parle dans le vide. La transformation est radicale : Petite-Goulaffe se dresse sur ses ergots, toute humilité oubliée, se rue sur ma gamelle…. et la vide en un clin d’œil.

Puis, elle vient flairer la chaise sur laquelle je me prélasse voluptueusement, bien installé sur un tas de vieux journaux.
- Oh, vous n’avez pas envie d’aller faire un petit tour, M’sieur Orca, que je puisse m’installer sur votre chaise ?
- Pas question, Petite-Goulaffe, dis-je flegmatiquement. Assieds-toi dans le panier d’Ardoise ou retourne d’où tu viens, à ta meilleure convenance.
Elle inspecte le panier bien rembourré, fait la moue.
- J’aurais préféré votre chaise… avec le tas de vieux journaux !
L’air olympien, je regarde au loin.
- Eh bien, pauvre Petite-Goulaffe, tu ne sais pas où t’asseoir ? demande Scouby en caressant l’exaspérante créature qui se tortille en poussant des miaulements roucoulants.
Et voilà ! Un nouveau paquet de vieux journaux est déposé pieusement devant le feu. Petite-Goulaffe s’y installe, le regard triomphant.
Elle est restée toute la matinée…

Parfois, elle se levait et arpentait la cuisine et le salon d’un petit air de propriétaire, comme elle le faisait déjà l’été dernier. Visiblement, en pensée, elle dispose ses meubles, change les papiers peints. Elle ne m’a pas dit, cette fois : « Comme nous allons être heureux ici, M’sieur Orca ! »
Non. Je crois que dans son for intérieur, elle a décidé de me donner mon congé.
« Merci et adieu, M’sieur Orca, reprenez votre baluchon de vagabond et allez chercher refuge ailleurs ! »
Quel sort réserve-t-elle à la malheureuse Ardoise ? Va-t-elle continuer à lui manifester un profond et faux respect, tout en l’entortillant autour de sa minuscule patte ? Ou va-t-elle tenter un coup d’Etat ?

- Bon, je m’en vais maintenant, sinon M’man va s’inquiéter, décide la créature au bout de quelques heures.
Comme d’habitude, elle est cérémonieusement reconduite jusqu’à la porte par Scouby qui lui prodigue des mots gentils. Heureusement, Petite-Goulaffe ne connaît pas le mécanisme de la chatière ! Pourvu qu’elle ne le comprenne jamais ! Vous imaginez, elle viendrait manger toutes mes provisions de la semaine ! Peut-être même montrerait-elle le mécanisme à « M’man », justement surnommée « l’Aspirateur Universel » !
J’en frémis !

Enfin ! A chacun ses petits problèmes ! Pas la peine d’envisager des catastrophes, j’aviserai s’il y a lieu, le moment venu. Pour l’heure, mon « modus vivendi » me convient : vie de chat en semaine, vie de « pas-chat » le week-end ! Bombance du vendredi soir au mardi soir (en comptant sur les provisions) puis régime du mercredi soir au vendredi ! Ca, c’est vraiment ce qu’on appelle « mener une double vie » !

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Chapître 40 : JE REMETS LES HORLOGES A L'HEURE !

Je suppose que l’Orca s’en est donné à cœur joie pour vous raconter, en long, en large et en travers, tout ce qu’il a fait durant les deux jours où je l’ai laissé, seul et sans surveillance, jouir de la compagnie exclusive de mes parents-z-à-moi. En ce qui me concerne, vous comprendrez bien que je ne pouvais pas les accompagner à la campagne ce week-end-là : Olivier venait me garder ! Je m’en faisais une joie ! Nous avons renoué notre amour idyllique et platonique, mais pour très peu de temps hélas… Le dimanche soir venu, il est retourné roucouler avec sa Nathalie et je me suis retrouvée abandonnée, pauvre chatte solitaire et incomprise.

Scouby m’a dit par la suite que si je continue à arborer un petit visage si triste à chaque fois que mon Grand Amour est venu me tenir compagnie, il est préférable pour mon moral que j’accompagne systématiquement ma famille à la campagne ! Propos auxquels je n’ai répondu que par un soupir accablé. C’est vrai que je suis un peu déprimée quand je me sens ainsi délaissée… Et puis, je ne comprends vraiment pas comment on peut me préférer une créature sans superbe fourrure, sans belle queue et sans magnifiques moustaches tombantes… Vraiment, ça me dépasse ! Mon genre de beauté serait-il passé de mode ? Aurais-je perdu ma séduction ?

- Voyons Ardoise ! Je te répète pour la millième fois qu’Olivier n’est pas un chat !
- Je sais ! C'est-à-dire que je le sais intellectuellement, mais c’est tout ! Comme nous avons pratiquement grandi ensemble, je l’ai adopté pour compagnon de vie ! expliqué-je pathétiquement.
Puis je vais me coucher sur le tapis de la chambre du déserteur, ou sur son fauteuil de bureau et je me plonge dans des pensées moroses…

Pas de ça, Ardoise ! Assez ruminé ! Mon optimisme naturel reprend le dessus.
En un sursaut d’énergie, je saute sur mes pattes, subitement toute guillerette et je fais le tour de l’appartement en courant, histoire de m’échauffer les muscles. Puis, le soir venu, je me blottis sur les genoux de Daniel ou de Scouby. Eux, ils ne me quitteront jamais !
- Tu n’aurais pas un peu de steak haché pour mwâââââ ? miaulé-je en roulant des yeux langoureux.
Mais oui, il y en a ! Scouby me sert copieusement, toute contente que j’aie repris du poil de la bête (sans jeux de mots, hein ! Ne me dites pas que la bête, c’est moi !).
Quand l’assiette est vide…
- Ca fait longtemps que je n’ai plus reçu du colin d’Alaskââââââ ! (nouveau regard noyé).
Il y en aura demain, c’est promis ! Je suis comme l’héroïne de la pièce « Le mariage de Mademoiselle Beulemans » : on ne peut rien me refuser ! Et j’en use, et j’en abuse…

Le week-end suivant, Mademoiselle Ardoise Beulemans était du voyage, calée dans son panier.
Ca n’a pas commencé très brillamment ! A peine roulons-nous depuis dix minutes que Daniel a l’impression que ses freins ne répondent pas aussi bien que d’habitude. Pour en avoir le cœur net, il s’engage dans une petite rue calme pour stopper brusquement, histoire de tenter l’expérience.

Boum ! Le panier (contenant le trésor que vous savez) posé sur le siège arrière, décolle pour accomplir une gracieuse pirouette dans l’air et achever sa course (à l’envers, bien sûr !) sur le plancher de la voiture. Je me retrouve sur la tête, complètement abasourdie.
- Le CHAT !!!!! piaule Scouby, horrifiée.
Elle descend de voiture en coup de vent, ouvre la portière arrière et remet le panier bien à l’endroit sur le siège.
- Ma pauvre Ardoise ! Malheureux petit amour ! Comment te sens-tu ?
Je ne réponds pas. J’ai le sifflet coupé.
- Elle ne peut pas s’être fait mal, dit Daniel d’un air faussement dégagé (au fond, bien embêté quand même), elle a atterri sur du tapis ! Et puis, le panier est rembourré…
- Quel sauvage ! me chuchote tendrement Scouby en serrant le panier contre son cœur.
Nous nous remettons en route, moi toujours hébétée et muette d’émotion.

Régulièrement, Scouby se retourne sur son siège, au risque d’attraper un torticolis, pour vérifier si je ne suis pas tombée dans les pommes. Mais non, j’arbore ma bonne tête de tous les jours. Toutefois, jusqu’à Charleroi, aucun miaulement déchirant ne retentit dans la voiture, ce qui est tout à fait exceptionnel. Cela prouve à quel point je suis perturbée.
Ensuite, mes cordes vocales se décoincent providentiellement et ma mère d’adoption se sent complètement rassurée sur mon sort lorsque, retrouvant toute la vigueur de ma voix de soprano, je me mets à vocaliser avec énergie pour me plaindre de la longueur du trajet.
- On y est presque, mon Minou !
- Miââââââââââ ! Non, on n’y est pas presque ! Je sais bien où nous sommes : on a à peine dépassé Charlerwâââââââââ ! Aaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaah !

Mais toutes les choses ont une fin, même les trajets en voiture ! Au bout d’une heure, j’ai enfin pu me dégourdir les pattes dans la cuisine de notre petite maison ! Qu’est-ce que j’étais contente à la perspective de passer mes nerfs sur l’Orca, vous ne pouvez pas savoir ! Ah ! il allait voir ce qu’il allait voir, le matou !

Je levais déjà une patte vengeresse quand je me suis avisée… qu’il n’était pas là ! Ca, c’était vraiment bizarre… et frustrant, vous pouvez me croire : vous vous tapez un interminable trajet en voiture avec commotion cérébrale et tout, pour pouvoir exercer sur quelqu’un vos dons de haute surveillance et lorsque vous arrivez, prête à remplir votre mission, il n’y a personne à surveiller !
Il aurait pu faire un effort ! Etre coopératif ! C’est vrai quoi !

Pendant une longue demi-heure, je me suis postée près de la chatière, dans l’espoir de voir surgir ma victime. Peine perdue !
- Il n’a pas compris qu’on est vendredi et il sera allé dormir dans quelque grange, a supposé Scouby. On le verra bien demain !
- Mais en attendant, qu’est-ce que je fais, moi ?

- Bonzour !
Je me retourne vivement vers mon assiette, allonge le museau, pleine d’excitation. Mais oui, c’est bien mon amie la petite musaraigne ! Ou peut-être une autre, je ne suis pas très physionomiste, pour moi toutes les musaraignes se ressemblent !
Nous nous flairons mutuellement le bout du nez. Oui, comme vous vous en doutez, la caméra était restée une nouvelle fois à Bruxelles, je crois que cela ne vaut plus la peine d’être répété…
- Ca fait longtemps que je ne vous avais plus vue ! dis-je avec mon plus gracieux sourire.
- Pourtant, z’ai touzours mon petit nid dans un trou de votre ceminée ! Z’aime bien vivre ici, le zentil çat noir et blanc me laisser manzer ses croquettes !
La petite musaraigne grimpe dans le bol de croquettes. J’en renifle le contenu et fronce délicatement le nez.
- C’est des croquettes bon marché, peuh ! Je préfère les Félix ou les Whiskas ! dis-je d’un ton connaisseur.
- Ah ? Moi z ‘aime bien ! Croc-croc-croc… Allez, z’ai fini, ze vais me coucer ! A demain, zoli çat gris !
En se dirigeant tranquillement vers le salon, ma petite compagne passe sans broncher entre les pieds de Scouby qui nous observait de la porte, frôle Daniel sans manifester la moindre appréhension avant de se faufiler dans son petit trou sous la cheminée.
Cette fois, Daniel n’a pas essayé de la capturer au moyen d’une ramassette et d’une boîte en carton : il fait trop froid dehors pour une petite bête comme ça. Et puis, elle revient toujours…
Au moins, j’ai eu un peu de compagnie, l’absence de l’Orca me pèse moins… Et je suis sensiblement de meilleure humeur que lors de mon arrivée !

A notre tour, nous sommes montés nous coucher, moi dans les bras de mon père d’adoption, bien au chaud.
Il peut en témoigner : j’ai dormi d’une traite jusqu’au matin. Lui avait des crampes parce qu’il n’avait pas osé bouger de peur de me déranger. C’est toujours comme ça.

Le lendemain était, bien sûr, un autre jour ! Je me suis levée en pleine forme, prête à vivre un tas d’aventures passionnantes. Mon humeur était combative, aussi, lorsque j’ai vu la P’tite-Goulaffe entrer dans ma cuisine comme chez elle, me suis-je offusquée.
En quelques jours, j’avais eu le temps de réfléchir et de m’aviser que j’avais été plutôt naïve la dernière fois que j’avais laissé l’autre chatte grise se chauffer devant mon feu.
J’ignorais en effet (ce que m’a ensuite confié l’Orca) que la petite impudente envisageait de s’installer chez moi à demeure, quand nous viendrons habiter définitivement ici. Or, si je suis bien forcée d’admettre la sempiternelle présence du célèbre chat des champs, il n’est pas question que j’accepte d’héberger une autre CHATTE ! Car chatte il y a, même si la P’tite-Goulaffe se fait encore passer pour un chaton.

- Tu as mille fois raison ! miaule à mon oreille une voix nasale bien connue. Enfin, tu commences à tirer profit de mes leçons !
- Oh, bonjour, Vot’Seigneurie ! Ca faisait bien longtemps !
- Que veux-tu, petite chose, il y a tellement à faire dans l’au-delà !... Et puis, je m’éloigne petit à petit dans le temps, je n’ai plus tellement envie de m’intéresser aux choses terrestres. Toujours est-il que tu as raison ! Pas question d’accepter la présence d’une autre chatte chez toi ! Une créature dont on ne sait même pas d’où elle vient…
- Oh, si, P’tite-Goulaffe vient de la dernière maison de la rue…
- Et elle s’appelle P’tite-Goulaffe, en plus ! soupire la céleste siamoise en levant les yeux. « Si elle est bien nommée, elle s’emparera de toute ta nourriture ! »
- Voui ! Et en plus elle a le culot de me ressembler presque comme une sœur ! Sauf sa tête : elle a des yeux d’Orientale et un long nez !
- Elle te ressemble, en plus ! Imagine le danger que tu cours : par distraction, tes parents pourraient ramener P’tite... heu… Machin à ta place, dans l’appartement !
- Oh, quand même pas ! Moi je suis vraiment unique, on peut pas me confondre avec un autre chat ! Regardez les jolies petites plumes sur mon ventre, elles volettent quand je marche. Ca, c’est vraiment spécial !
Je fais une démonstration, en ondulant des pattes.
- D’où cela vient-il ? demande sa Seigneurie éberluée.
- Oh, tout simplement, le vétérinaire qui m’a stérilisée ne fait pas de chirurgie esthétique. Il m’a recousue en laissant dépasser une petite poche de peau avec de longs poils blancs ! C’est ça qu’on dirait des plumes !
- Beurk ! Je ne trouve pas ça particulièrement joli…
- Moi bien ! On dirait presque que je porte un petit pagne ! Une moitié de tutu !
- Enfin !... Des goûts et des couleurs… Il y en a bien qui se font fixer un diamant dans le nez, alors…
- Un dia… Oh, ça me plairait ! Mais je ne crois pas que Scouby m’offrira un diamant pour mon anniversaire…
- Peu importe, je ne suis pas venue ici pour bavarder à bâtons rompus avec une croqueuse de diamants, mais pour t’encourager dans tes bonnes résolutions : pas d’autre chatte chez toi, c’est bien compris ?
- Voui voui, Vot’Seigneurie ! Pas d’autre chatte sauf vous !
Mais elle, évidemment, elle a un statut à part… Les purs esprits sont chez eux partout !

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Donc, quand P’tite-Goulaffe est apparue, je l’attendais de patte ferme, remontée à bloc.
- Bonjour, noble Demoiselle Ardoise, minaude l’intruse, sans remarquer ma mine rébarbative.
- P’tite-Goulaffe, dis-je, j’ai bien réfléchi !
- Aïe ! Quand les gens commencent avec une phrase comme ça, c’est toujours pour dire des choses désagréables ! Alors c’est quoi, Demoiselle Ardoise ?
- Plus question d’entrer chez MOI comme dans un moulin ! Ta place, c’est dehors, la mienne, dedans, compris ? Pas de chatte ici ! Seulement moi !
- Mais vous disiez pas ça l’autre week-end, noble Demoiselle Ardoise !
- On n’est plus l’autre week-end ! On est aujourd’hui, et aujourd’hui, j’ai décidé que…
- Ah, si c’est que ça, j’attendrai demain ou un autre jour, quand vous aurez changé d’avis, Demoiselle Ardoise !
- Je changerai pas d’avis ! Allez, dehors ! Ksssssssss ! Ksssssss ! Grrrrrr ! (Là, je fais mon cinéma ! Très impressionnant, du moins je l’espère !)

Alarmés par mes grognements menaçants, Daniel et Scouby se mêlent une fois de plus de ce qui ne les regarde pas.
- Sépare ces chats ! crie Daniel, ils vont se battre !
Scouby se précipite vers nous… mais, sur le carrelage de la cuisine un peu obscure (il fait gris dehors), elle ne distingue que deux formes figées, dans une pose aplatie. Deux chattes grises, brumeuses… Laquelle est la chère Ardoise ? Ce n’est pas le moment de se tromper, oh la la !
Ni d’empoigner au hasard un de ces charmants félins, au risque de se faire griffer dans le feu de l’action !
Elle ne voit d’autre solution que d’ouvrir toute grande la porte de la cuisine. Aussitôt, la situation se décante. P’tite-Goulaffe bat dignement en retraite, tête et queue hautes, pas démoralisée pour autant.
- Bon, je m’en vais, dit-elle. Un autre jour, vous serez certainement de meilleure humeur, noble Demoiselle Ardoise !
- Ce n’est pas une question d’humeur, c’est une question de principe ! dis-je avec emphase.
Je suis très contente de moi !

Quelques instants plus tard, enfin, l’Orca fait une entrée triomphale dans la cuisine. Bizarrement, il semble ravi de me voir, ça je ne l’aurais jamais cru !
- Bonjour, la charmante ! s’écrie-t-il. On est déjà vendredi ?
- On est SAMEDI, dis-je avec raideur, et je voudrais bien savoir où vous étiez passé hier, parce que moi je vous ai attendu devant la chatière !
- Sans blague ? Si j’avais su !
Et il se dirige paresseusement vers sa gamelle pour mastiquer quelques bouchées. Visiblement, il n’a pas faim. Où va-t-il se ravitailler quand nous ne sommes pas là ? Il ne me l’a jamais révélé, sans doute de crainte que je ne donne toutes ses bonnes adresses aux autres chats errants du village…
Maintenant, il est sur sa chaise et il dort. Je suis à nouveau frustrée ! Ce n’est pas très exaltant de passer sa journée à surveiller un chat qui, visiblement, n’a pas envie de bouger de son siège ! Il est trop sage, si seulement il faisait quelques bêtises, j’aurais matière à m’occuper. Mais rien !

Le soir, nous allons nous coucher. Cette fois, le vagabond est de la partie. Et c’est alors qu’il déroge à ses habitudes.
Au lieu de s’éloigner précautionneusement du lieu de mon auguste repos, le voilà qui vient s’affaler tout près de moi ! Je claque des oreilles, étonnée.
Arrière, manant !
Ne me craindrait-il plus ? Comment cela est-il possible ?
- Je ne vous dérange pas, belle Ardoise ? demande-t-il (tout de même !).
Je lâche du lest, mais tiens solidement le gouvernail.
- MOI, je dors SOUS les couvertures, dis-je avec fermeté. Si vous voulez rester près de moi, j’ai la bonté d’y consentir, mais faudra que vous restiez AU-DESSUS !
Et il l’a fait ! Il a dormi toute la nuit sur la couette, à deux centimètre du petit monticule bien matelassé qui révélait ma présence.

Ce n’est pas tout !
Le lendemain, nous attendions du monde. Beau-frère, belle-sœur, cousine…
Quand ils sont arrivés, l’Orca et moi étions assis côte à côte sur la table de la cuisine. C’est notre place préférée en hiver.
- Oh, les beaux chats ! Quels amours ! a roucoulé la cousine en nous apercevant.
Les invités ont fait cercle pour nous admirer. C’est alors que j’ai tourné innocemment la tête vers le vagabond qui se tenait tout près de moi, histoire de vérifier s’il se comportait bien.
SLURP !
Une langue large et râpeuse me gratifie, sur le nez, d’une caresse qui me laisse suffoquée, muette de surprise et de saisissement.
- Quel beau petit couple ! Comme ils s’entendent bien ! entonne le chœur des spectateurs, tandis que Scouby, je le vois, a du mal à garder son sérieux…
Comme tout le monde se dirige vers le salon, je me ressaisis et allonge quelques taloches bien senties au téméraire personnage.
- Z’avez pas honte ? Va falloir que je me nettoie, maintenant ! Je venais juste de terminer ma septième grande toilette de la journée !
- Que voulez-vous, s’excuse-t-il, pas repentant pour un sou mais prenant prudemment la fuite hors de portée de mes griffes, « je suis d’un naturel affectueux, c’est plus fort que moi ! »
C’est pas possible ! Il prend de l’assurance, ma parole !
Il faudra que je remette les horloges à l’heure, dans cette maison ! Il a suffi que je m’absente un seul week-end pour que le chat des champs s’émancipe et prenne des airs de matamore !
Quel sans-gêne ! Quelle familiarité !
Je vais revenir tous les week-ends, dorénavant ! Je dois garder le contrôle de la situation !

Mais si Olivier propose de me garder, hein, qu’est-ce que je fais ?
Cruel dilemme !

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Chapitre 41 : JE SUIS BIEN A PLAINDRE !



Le temps s’écoule doucement et à présent, le printemps pointe le bout du nez… Je suis bien content, vous pouvez me croire !
Bien sûr, en hiver c’est agréable de se pelotonner devant le feu (malgré le regard inquisiteur de la célèbre Ardoise), mais pour moi ce plaisir ne se présente que deux jours par semaine, vous le savez bien ! Le reste du temps, je vadrouille… J’ai bien une maison où me réfugier, mais il n’y a pas de chauffage central et en plus, je ne possède pas une superbe fourrure à triple épaisseur, MOI ! Suivez mon regard…

Donc, lorsque se présente le mois de mars, je me sens tout requinqué ! Les jours se font plus longs, les rayons du soleil deviennent presque tièdes, l’herbe recommence à pousser… Excellent pour mon moral tout ça ! Je commence à rêver de nouvelles aventures… Je ne suis pas si vieux, après tout !

Ma jolie Néfer, après s’être éclipsée tout l’hiver, a refait son apparition dans ma rue… et dans ma vie ! A ma grande surprise, j’ai constaté qu’elle avait pris du poids. Où s’était-elle donc réfugiée ? Chez qui ? Aurait-elle suffisamment vaincu sa timidité pour se dénicher une famille humaine ? Je m’apprêtais à courir vers elle pour l’assommer de questions, mais elle ne m’en a pas laissé le temps et s’est à nouveau esquivée. Je n’ai pas encore rencontré Titi, mais je suppose qu’il ne va pas tarder à se manifester.
En hiver, vous ne voyez personne dehors mais il suffit d’un souffle de vent printanier et zou ! Tout se repeuple ! J’aime bien !

Dernièrement, je vous ai relaté l’un de mes agréables week-ends « sans » Ardoise, mais à présent, je suis bien forcé de constater que ma vie future devra être envisagée « avec » ! La semaine passée, elle accompagnait ses parents ! La semaine d’avant, aussi ! La semaine prochaine, idem, je parie ! Et tous les autres jours ! Faudra que je m’y fasse, mais je ne vais quand même pas continuer à lui faire de profonds saluts et des salamalecs ad vitam aeternam. Courtoisie et diplomatie, d’accord ! Mais il faudra bien que la charmante comprenne que j’ai ma dignité de maître-chat et que je n’aime pas à être tourné en bourrique au gré de ses humeurs changeantes ! Le plus dur, ce sera de lui faire admettre que sa maison est aussi la mienne… Il va me falloir beaucoup, beaucoup de tact !

Il y a quinze jours, j’ai de nouveau laissé passer le vendredi sans m’en rendre compte. Ce n’est que le samedi midi que je me suis avisé que la voiture était devant la maison et que la cheminée fumait. Nom d’un chat, Orca, quel distrait tu es !

J’arrive à fond de train. Dans le jardin, je croise Petite-Goulaffe qui, visiblement, sort tout juste de chez moi. La queue bien droite, la tête haute, un air de dignité outragée répandu sur toute sa personne.
- Que se passe-t-il, Petite-Goulaffe ? dis-je en m’arrêtant, étonné. Tu ne t’incrustes pas dans ma maison, aujourd’hui ?
- Paraît que je n’y suis pas souhaitée, répond la Petite-Goulaffe en me décochant un regard noir. Votre proprio, la drôle de bête grise, m’a mise à la porte. Elle a un de ces caractères, dites donc !
Quand on parle de la paille et de la poutre… Je ne dis rien.

Elle pousse un profond soupir.
- Et ce n’est pas tout ! Hier, le matou du coin de la rue m’a dit « Petite-Goulaffe, tu deviens vraiment une ravissante jeune fille ! »
- Eh bien, dis-je sans comprendre, ce n’est pas un compliment, ça ?
- Vous n’y êtes pas, M’sieur Orca, réfléchissez ! Si on me dit ça, c’est que je ne suis plus un chaton ! C’est que je GRANDIS !
Quel drame pour Petite-Goulaffe, si attachée à sa condition d’enfant et aux avantages qui en découlent ! Moi, brave chat comme toujours, je compatis, je m’efforce de la réconforter.
- En ce qui me concerne, Petite-Goulaffe, je te considérerai toujours comme le plus abominable de tous les chatons de ma connaissance !
- Ca me console un peu, M’sieur Orca, merci !

Elle s’éloigne à petits pas, réfléchissant déjà à une nouvelle tactique pour investir mon home sweet home. Je la considère pensivement : c’est vrai qu’elle a beaucoup grandi, ces dernières semaines. Elle est aussi longue que ma « proprio », à présent. De loin, on pourrait presque les confondre.

Ayant éjecté proprement l’indésirable, la chère Ardoise a-t-elle prouvé qu’elle possédait quand même un gramme de bon sens dans sa tête ronde ?
J’entre, prêt à la féliciter. A peine ai-je le temps de la saluer qu’elle me passe un savon. Ca alors ! Elle m’attend depuis hier soir ! Elle m’a guetté devant la chatière ! Je n’en reviens pas. Un espoir m’effleure : aurait-elle quelque affection pour moi ? Je n’ose trop y croire.

De l’affection peut-être, mais en tout cas, aucune indulgence ! Elle me fait littéralement marcher à la baguette, vous imaginez ! Une deux, une deux !

La voilà qui saute sur ma chaise, devant le feu. La chaise de droite, la mienne. Et elle me jette un regard narquois.
Je suis tout déboussolé. Je ne me sens pas aussi bien sur la chaise de gauche (la sienne), mais je fais contre mauvaise fortune bon coeur. Sans rechigner, je m’y installe et ferme les yeux, douillettement enveloppé par la chaleur du poêle.

Le douce et gracieuse me surveille étroitement. Je sens son regard fixé comme de la glu sur chaque centimètre carré de mon corps. De la pointe des oreilles jusqu’au bout de la queue.
Je m’endors. Je suis sûr qu’elle continue à guetter. Peut-être n’ose-t-elle même pas fermer l’œil une seconde, de peur d’une incartade de ma part ? Elle me couve d’un regard inquiet et vigilant. Il ne peut rien m’arriver avec un garde du corps comme ça.
Je ne puis m’empêcher d’être ému.
Chère Ardoise ! Comme elle prend soin de moi !

Evidemment, le soir venu, elle est assommée. Vannée. Anéantie. A peine entrée dans la chambre, elle s’enfouit sous la couette, après m’avoir indiqué ma place. Je voulais dormir près d’elle, pour profiter de la chaleur que dégage en continu la luxueuse fourrure à triple épaisseur, mais il paraît que ce serait mal vu. Me voilà prié de demeurer au-dessus des couvertures. J’obéis, naturellement.
Elle ronfle jusqu’au matin.

C’est le lendemain que j’ai fait la gaffe. Elle a déjà dû vous en parler comme d’un crime. Mais, vraiment, j’avais des excuses !...
Nous étions côte à côte sur la table de cuisine. Il faisait bon, mes pensées ont pris un tour sentimental. Je suis une midinette dans le fond…
J’étais content aussi parce que des gens étaient en train de nous admirer et une gentille dame blonde s’est exclamée : « Oh, quel mignon jeune chat noir et blanc ! »
Quand on connaît mes précédentes angoisses, on ne s’étonnera pas que je me sois senti fondre en entendant ces mots !

Ardoise paraissait un peu fatiguée, elle baissait le regard. Tout attendri, je réfléchissais : « Pauvre Ardoise ! C’est du travail pour elle, venir en week-end ! Voilà qu’elle ne mange plus ! Elle maigrit ! Elle dort à peine ! Tout ça pour veiller consciencieusement sur moi ! Pauvre gentille Ardoise ! »
Comme elle tournait la tête vers moi, je n’ai écouté que l’impulsion que me dictait mon bon cœur : SMAC ! Un gros bisou sur son nez rose !
Elle en est restée muette un instant, mais après ! Quel cinéma !
Elle m’a poursuivi sur la table, patte levée, toutes griffes dehors ! Moi, je fuyais pour sauver ma vie. Elle n’a pas voulu entendre mes explications ! Et j’étais un grossier, un dégoûtant, et encore ceci et cela ! Et elle devait se laver à nouveau, maintenant, et gnagnagni et gnagnagna !

Je ne voyais pas en quoi cela pouvait l’incommoder, vous savez ! Elle passe SA VIE à se nettoyer, avec la plus évidente satisfaction. Elle aurait dû être contente que je lui en donne encore une fois l’occasion !

Faut dire que j’étais un peu vexé de l’accueil réservé à ma tentative de rapprochement. Je ne suis pas sale, quand même ! Je me lave aussi, moi ! Elle dit que j’ai une petite odeur. J’ai beau renifler, je ne sens rien. Je commence à croire qu’elle essaie de me déstabiliser.

Il va de soi que je lui ai caché ces secrètes pensées. Je me suis fait tout petit, humble et insignifiant, ce qui est un exploit pour un maître-chat ! Mais nécessité fait loi…

Le week-end suivant, j’espérais qu’elle avait retrouvé sa bonne humeur et j’avais pris soin d’arriver dès le vendredi soir pour ne pas la froisser.
Peine perdue ! Elle a été littéralement infernale avec moi ! Scouby a dû intervenir plusieurs fois pour l’empêcher de me dévorer tout cru ! Ah, je suis bien à plaindre, les amis !

Bon, je dois avouer que j’avais mangé tout son steak haché. Je lui en avais même chipé un bout sous le nez, dans sa sacro-sainte assiette à laquelle je ne peux jamais toucher ! Mais c’était tellement succulent et je n’ai que deux jours par semaine, moi, pour prendre du bon temps ! Elle ne veut pas le comprendre.
C’est une rancunière, je vous dis !
Combien de week-ends passeront-ils avant que je sois pardonné ?

Si je partais quelques jours ? Si je m’exilais ? Peut-être qu’à la longue, elle me regretterait ? Tout avait bien commencé, pourtant, il y a une quinzaine de jours ! Il a suffi d’un bisou innocent et sincère pour tout gâcher.
Ah, la douce Ardoise, ce n’est pas la Belle au Bois Dormant ou Blanche-Neige ! Ou alors, c’est moi qui n’ai rien d’un Prince Charmant ?
Pourtant, les filles du village disent que je ressemble à Depardieu… Ce physique serait-il trop rébarbatif ?
Faudra peut-être que j’emprunte à Scouby son « Rexona » pour faire la chasse à la « petite odeur » ? Que je me lave les dents ? La demoiselle de céans me considérerait peut-être d’un œil moins féroce ?

S.O.S. ! Donnez-moi des conseils ! Je les attends par le prochain courrier ! Vous pouvez mettre sur l’enveloppe : « Orca, Prince pas Chat-rmant » !

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[Chapitre 42 : MON BOUT DE TAPIS

Nous sommes à présent au début du printemps 2000…
Au bout de cinq années de cohabitation quotidienne avec les humains que je me suis choisis, j’arrive encore à les étonner par mes multiples inventions et mon comportement hautement fantaisiste. Notez que mon apparence est trompeuse : si vous me regardez, vous ne voyez rien de spécialement particulier : un petit visage gris au menton couleur crème, au regard rêveur, à l’expression sérieuse… Vous diriez un chat ordinaire, mais attendez de me connaître mieux ! D’ailleurs, si vous êtes en train de lire mes aventures, je suppose que vous avez déjà votre petite idée sur la question…

Et je ne possède même pas un immense espace vital pour donner libre cours à mon imagination débordante ! Je me contente d’un appartement de dimensions restreintes, que je connais par cœur mais où je ne m’ennuie jamais !

En ce moment, ma nouvelle place de prédilection se situe dans la chambre de Scouby et Daniel. Je m’assieds, me couche, médite de longues heures durant, sur quelques centimètres carrés de tapis, devant la garde-robe. Pas question que je dévie d’un millimètre ! D’ailleurs, un petit cercle de poils gris sur le tapis bleu témoigne de mon assiduité.

- Ardoise, regarde donc ces poils sur mon tapis ! Tu ne peux pas te mettre ailleurs ?
- Non, Madame, j’y suis j’y reste ! Non mais, de quoi j’ me mêle ?
Elle passe l’aspirateur. Ca fait un bruit pas possible, je déteste ça ! Si cette machine rugissante allait m’aspirer, par erreur, comme un vulgaire « minou » de poussière ? A regret, je quitte ma place de prédilection pour me mettre à l’abri sur le seuil de la porte, mais mon regard inquiet suit attentivement les va-et-vient du monstre. Sacrilège ! Il passe sur ma place ! Une fois, deux fois… S’il continue, les délicats effluves ardoisiens que j’ai disséminés là vont se dissiper ! Je ne me sentirai plus chez moi, sur ces quelques centimètres-carrés de tapis !

Heureusement, mes poils tiennent bon. Alléluia ! L’aspirateur s’essouffle (il n’est pas très performant). Scouby aussi (elle non plus !).
- La prochaine fois … Pfffft ! Pffffft !... si j’en ai le courage… Pfffft ! Pffffft ! … je passerai une raclette humide sur ce tapis. C’est radical.
Je suis tranquille. Si je dois attendre qu’elle ait du courage, il me reste pas mal de beaux jours pour profiter de mes acquis !

D’un pas solennel, je regagne ma place inviolée et m’y installe pour faire ma toilette. De nouveaux poils fins et légers s’accrochent au tapis. Scouby soupire mais va passer l’aspirateur ailleurs.

Le soir, mes parents d’adoption se sentent un peu seuls… Où est donc passé l’animal dit « de compagnie », censé les distraire par ses mille cabrioles ?
Pour m’attirer dans le salon, ils allument le radiateur.
- Viens ici, minette, il fait bien chaud ! Viens sur ton petit coussin !
- Pas maintenant, dis-je sans bouger. Je n’ai pas encore épuisé tous les charmes de ma nouvelle place favorite !
Je ne consens à les rejoindre, pour leur faire plaisir, que tard dans la soirée… quand ils s’apprêtent à aller au lit. Nous nous croisons dans le corridor. Conciliante, je fais demi-tour et je les suis, d’un petit pas obéissant. Je me réinstalle sur mon bout de tapis et ferme les yeux, heureuse de cette nouvelle journée passionnante que je viens de vivre.

Durant la nuit, bien sûr, je vais à la cuisine prendre un petit en-cas. Zut… des boulettes de lapin en gelée. J’en ai marre de cette boîte, Scouby devrait bien me cuire un petit bout de colin d’Alaska ! Si elle était réveillée, je lui dirais comme elle devient écoeurante, cette boîte… Bon, d’accord, il y a deux heures je l’adorais, mais maintenant j’ai changé d’avis. Gratt, gratt, gratt… Avec mes pattes de devant, je fais des mouvements rythmés autour de l’assiette, pour bien manifester mon ras-le-bol. En pure perte, hélas, personne n’est là pour prendre acte de ma désapprobation. Gratt, gratt, gratt… Je n’aime pas manger la même chose aux trois repas. Il faudrait varier mes menus… Tiens, ces croquettes ne sont pas mauvaises… Je crois bien que je vais vider le bol… Un petit coup d’eau, à présent… Ah, j’ai bien mangé ! Je peux retourner dormir sur mon coin de tapis.

J’ouvre un œil. L’aube n’est pas loin, je le sens.
Fraîche et dispose, je bondis sur mes pattes et, d’un saut léger et aérien, je me propulse sur le lit.
Ca ronfle. Ils dorment. Peut-on dormir alors qu’il est déjà… Quoi ? Cinq heures du matin ?
Je me hisse sur l’estomac de Scouby, histoire de la réveiller en douceur. Je ne m’occupe pas de Daniel : il ne m’intéresse que le week-end, à la campagne, quand je me blottis contre lui pour passer la nuit au chaud. Ici, pas besoin d’un chauffage d’appoint !

Elle pousse une sorte de couinement, mais ne se réveille pas. Elle rêve qu’un bulldozer lui passe dessus.
J’insiste, me promenant de long en large sur le monticule qu’elle forme sous la couette.
Je frotte ma tête contre son menton, lui tapote les joues d’une patte insistante.
Finalement, elle ouvre les yeux, tâtonne des deux mains pour identifier le bulldozer. Un bulldozer tout doux, à l’épaisse fourrure bien reconnaissable.
- Ardoiiiiiiise ! Tu as vu l’heure qu’il est ? On fait encore dodo !
Je me place, stratégiquement, entre elle et son réveille-matin. Elle est obligée de se redresser pour lire l’heure sur le cadran lumineux.
- 5 heures 10 ! glapit-elle. Tu es folle, Ardoise !
- Puisque tu es déjà assise, tu pourrais peut-être te lever pour me servir mon petit déjeuner ? suggéré-je, pleine d’espoir.
L’égoïste refuse. Elle tient à dormir encore une heure avant de devoir se lever pour aller travailler. Tant pis pour elle : je reste campée devant le cadran du réveil, ça lui apprendra !

Je vois qu’elle n’est pas tranquille. Quand elle entrouvre un œil pour vérifier si elle a encore un peu de temps devant elle, elle ne distingue qu’une énorme masse sombre, comme un rocher, qui lui dissimule le paysage. Je corse encore les choses en piétinant sur la table de chevet. Elle se demande quelle bêtise je suis en train de faire mais, stoïque, reste couchée. Elle veut profiter de sa dernière heure de repos, na !
Elle est têtue comme une mule, je vous dis !

Parfois, n’y tenant plus, elle lève une main languissante et me grattouille le cou, histoire de me distraire de ma tâche. Elle susurre : « Viens, minette, viens chez maman ! » pour que je dégage la place, mais moi aussi, j’ai de la suite dans les idées. Je reste de marbre, occultant toujours de ma silhouette dodue le cadran du réveil.

Finalement, sonne l’heure de se lever. Je saute de la table de chevet pendant que Scouby enfile ses pantoufles à tâtons.
Je sautille : « Tu vois que ce n’est pas si terrible, se lever ! »
- Si, c’est terrible, dit-elle.
- Je suis bien levée depuis des heures, moi !
- Oui, mais toi, tu vas maintenant te remplir la panse et après, tu vas retourner dormir ! Pendant que moi, je travaillerai !
Rien de plus vrai. Le statut de chatte au foyer a de ces avantages …

Pendant que je me sustente avec gravité et recueillement (Scouby a ouvert une nouvelle boîte de boulettes en sauce, d’une autre variété), ne voilà-t-il pas que je sens comme une petite humidité sur le cou !
- Tiens, pleuvrait-il ? Dans la cuisine ? Bizarre…
Je rumine la chose, en même temps que ma bouchée de boulettes.
Plouc !
Je me secoue, lève les yeux. Que vois-je ?
Le bananier ! Vous vous souvenez du bananier de l’année passée ? Il est devenu grand et Scouby l’a placé près de l’évier de la cuisine, sur l’armoire qui surplombe justement mon coin-repas.
Ce que nous ignorions tous (et que j’apprends à mes dépens), c’est qu’un bananier, qui boit beaucoup d’eau, en perd une partie par les feuilles. Et l’une de ces feuilles, ornée d’une énorme goutte scintillante, se penche malignement sur votre malheureuse petite Ardoise !
Le bananier, qui me considère de haut, n‘a pas perdu son air fanfaron ! Il chantonne :
« Tiens, v’là Ardoise la tigrée, yé yé,
Le chat bouffeur de bananiers, yé yé ! »

Moi, vous pensez bien, depuis le temps, je l’avais complètement oublié, ce végétal ! Je ne m’étais même pas aperçue qu’il avait réintégré l’appartement après son long séjour sur la terrasse ! Et puis, un bananier devenu adulte, dépourvu des charmes de l’âge tendre, cela ne m’intéresse pas. Moi j’aime les jeunes pousses croquantes comme de la laitue.
Je n’ai donc pas répliqué. J’ai traité ses moqueries par le dédain et, impavide, je me suis remise à manger. Faudra que je dise à Scouby qu’elle doit tourner le pot de cet énergumène de manière à ce qu’aucune de ses grosses feuilles ne menace d’arroser ma nuque lorsque je suis attablée devant mon repas… Faudra aussi qu’un de ces jours, je saute sur l’armoire pour en avoir le cœur net : ce bananier pourrait se mettre à avoir des petits, lui aussi…
Le problème, c’est que si Scouby s’aperçoit de la chose avant moi (et il y a des chances : elle est à la bonne hauteur, elle !), je serai chocolat bleu pâle, comme on dit ! Elle va de nouveau mettre hors de portée de mes dents l’objet de ma convoitise !

On m’a déjà comparée à pas mal d’objets ou d’animaux divers : à un camion, à un autobus, (voire un bulldozer), à une grosse souris, à un nounours…
L’autre jour, en rentrant de la campagne, Scouby s’est exclamée en me prenant dans ses bras : « Bonjour, mon adorable jeune dinosaure ! »
- Ca va la tête ? ai-je demandé, éberluée.
Bon. Il paraît que ce week-end, on donnait à la télé une émission sur les grands sauriens. Une émission très bien documentée, avec des dinosaures, des brontosaures, des tyrannosaures… Bref, toute la galerie en or ! Vraiment comme si on y était !
L’héroïne du troupeau sur l’écran était une jeune dinosaure pleine de charme. Scouby regardait distraitement lorsque, soudain, la silhouette de la bestiole lui a paru étrangement familière : voyons, cette petite tête, cette ligne du cou, si particulière, cette queue ondulante… mais oui, Ardoise, bien sûr ! La jeune dinosaure ressemblait à Ardoise !
Ravie de cette découverte d’une autre des innombrables facettes de ma personnalité, Scouby a ajouté ce surnom à la liste déjà longue de mes multiples identités.
Bon, je veux bien admettre qu’ il s’agisse d’une appellation affectueuse, mais je ne peux m’empêcher d’être un peu vexée quand Daniel, me voyant déambuler dans la salle à manger, me traite de « gros brontosaure » !
Il y a des limites, non ?

Parfois, je suis dispensée du week-end à la campagne, mais cette semaine, je n’y ai pas coupé. C’est quand même incroyable : j’ai beau m’époumoner de toutes mes forces pendant le trajet, Daniel et Scouby persistent à m’emmener respirer l’air pur de la Belgique profonde !
- Je pourrais bien rester à la maison toute seule, dis-je. Regardez Orca : vous lui laissez trois assiettes de nourriture et il se débrouille ! Moi aussi, je suis capable d’en faire autant !
- Oui, mais en règle générale, Orca sort pour se promener et s’oxygéner ! Ce que tu ne ferais pas, vu que tu vis en appartement ! Et puis, tu as besoin de compagnie, tu es si sensible !
- Moi ?
- Oui, nous ne voulons pas que tu deviennes neurasthénique… Que ferais-tu sans nous ? Ou sans Olivier pour te soigner ?
- Je ferais ce que je fais maintenant : je me coucherais en boule sur mon bout de tapis et je dormirais.
- Mais non, Ardoise, abandonne cette idée ! D’ailleurs, tu ne veux pas l’admettre, mais tu ADORES te trouver à la campagne !
- Moi, ça alors !
- Tu n’aimes pas le trajet en voiture, mais quand tu es sur place, tu revis !
- Bien sûr, puisque j’ai été à l’agonie pendant près de deux heures ! Je ne peux que me sentir mieux !
- Et quand tu vois Orca, tu rayonnes ! Avoue : tu ADORES surveiller et tyranniser ce malheureux animal !
- Bof, bof…
Bon, admettons : l’Orca apporte du piment à ma petite vie si confortable, mais parfois un peu fade. Toutefois, point trop n’en faut !

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Chapitre 43 : WEEK-END « SANS », WEEK-END « AVEC »…



Il y a une huitaine de jours, Dan et Scouby ne sont venus au village que le samedi, en début d’après-midi. Moi, j’étais déjà tout déçu ! J’étais allé faire un petit tour dans la maison, mais il n’y avait personne ! Tout était morne et froid, mes assiettes vides…
- Eh bien ? M’auraient-ils oublié ?
Je suis sorti et me suis précautionneusement glissé sous un talus afin d’éviter une voiture qui remontait la rue.
Je m’étais à peine éloigné de quelques pas, que j’ai entendu des appels : « Orca, Orca ! »
La voiture, c’était eux ! Je suis évidemment accouru de toute la vitesse de mes pattes.
- Me voilà, me voilà ! Vous arrivez plus tard que d’habitude !
- J’ai dû travailler ce matin, Orca ! Un samedi par mois, tu sais cela !
Je jette un coup d’œil dans la voiture, saute dans le coffre ouvert. Pas de panier Félix « Titanic » en vue. Pas de chatte furibonde non plus.
- Elle n’est pas là ? Chouette ! C’est pas que j’aime pas votre bestiole, croyez bien, mais elle est un peu coincée, non ? Un peu ronchon… Je vais pouvoir prendre mes aises, ce week-end !

Ils déchargent le coffre, entrent dans la maison. Je les suis d’un pas gaillard, sans arrêter mes miaulements de bienvenue et mes commentaires avisés.
- Comme vous voyez, j’ai presque tout mangé… J’ai laissé un tout petit peu de la pâtée au lapin parce que je n’aimais pas tant, et puis quand j’ai eu envie de la manger, j’ai trouvé qu’elle était un peu faisandée… Je la jetterais, si j’étais vous. Faut pas se rendre malade avec de la pâtée de lapin faisandée ! Oh, et puis, j’ai utilisé le beau bac à sable bleu, celui de vous savez qui… C’est celui que je préfère, quand même… Vous voulez pas m’en acheter un pour moi tout seul ? Et puis aussi…
Un vrai moulin à miaous !

Je suis tellement content que c’est à peine si je touche à la nouvelle pâtée qu’on met dans mon assiette. La vieille pâtée un peu moisie, ils l’ont mise dehors « pour les bêtes ». Ca veut dire les pies et autres volatiles voraces qui se baladent dans le jardin.
En regardant un peu plus tard par la chatière, j’ai pourtant vu mon amie Mme Gourmande se régaler… J’espère qu’elle ne sera pas malade.
La suite des événements balaiera mes inquiétudes : Gourmande peut avaler n’importe quoi, elle n’est JAMAIS malade ! Un estomac d’autruche, cette chatte !

Dan allume le poêle à bois. De le voir ainsi à quatre pattes, occupé à souffler sur la flamme pour que j’aie bien chaud, un grand élan de tendresse me submerge. Je saute allègrement sur son dos. Je ne vois pas pourquoi on me le défendrait, la chatte Ardoise le fait aussi, je l’ai déjà vu !
- Ca ne va pas la tête, Orca ? Viens sur ta chaise !
Pas encore, pas encore ! J’attends que le feu soit allumé et lorsque Dan s’assied dans le salon, je m’installe sur ses genoux et piétine des pattes de devant sur son pantalon.
Ce mouvement bien rythmé a une signification évidente. Il signifie : « Je-suis-con-tent, je-suis-con-tent, je-suis-con-tent… »
- Mais oui, Orca, on le sait, que tu es content ! Arrête maintenant, dit Dan qui craint un peu pour le tissu de son pantalon.
Inlassablement, je poursuis : « Je-suis-con-tent-je-suis-con-tent-je-suis-con-tent… »
- Tiens, tu n’aurais pas un peu grossi, Orca ? remarque Scouby.
- Vous croyez ? dis-je, plein d’espoir.
On me tâte. Je me laisse faire.
- Je sens comme un soupçon de viande entre la peau et les os, commente Scouby. Evidemment, il y aura encore de grands efforts à faire, Orca !

Aïe ! Je crains fort que ce très léger progrès ne se trouve vite anéanti. Vous comprenez, les amis, nous sommes au printemps, c’est la saison des amours. Je suis invité partout ! Mme Gourmande me fait les yeux doux, Néfer m’attire dans son bosquet… La seule indifférente, bien sûr, c’est ce monstre de Petite-Goulaffe qui continue à se prendre pour un chaton. Mais notez bien, ce n’est pas moi qui ferais la cour à Petite-Goulaffe, pas si fou ! Je laisse cela aux autres qui oseront s’y frotter… Et je ricane intérieurement.

Quand on parle du loup…
Qui vois-je arriver, toute frétillante et souriante ? Devinez !
- Bonjour, M’sieur Orca ! J’peux entrer ?
Sans attendre la permission que je ne lui aurais pas donnée, elle se faufile par la porte entrouverte.
- Oh, mais c’est la charmante Petite-Goulaffe ! Bonjour, Petite-Goulaffe ! s’exclame Scouby en caressant l’animal qui fait des petits bonds de satisfaction.
- Si j’ai bien compris, votre proprio revêche n’est pas là aujourd’hui ! me lance joyeusement ce fléau d’Attila avant de se ruer sur ma gamelle qu’elle vide en trois bouchées.
Après quoi, elle se met à tourner à toute allure autour d’un pied de la table de cuisine.
- Que fais-tu là, Petite-Goulaffe ? dis-je, ébahi, en me penchant pour suivre du regard ses évolutions.
- Je fais du charme, M’sieur Orca ! Ca ne se voit pas ?
Et de tourner de plus belle.
J’en reste comme deux ronds de flan. Jusqu’à ce jour, je n’aurais jamais choisi pour définition du charme, une sorte de tourbillon gris autour d’un pied de table ! Ca doit être de l’art abstrait…
La jeunesse actuelle se révèle décidément incompréhensible…

- Petite-Goulaffe, ta maman est venue te chercher ! prévient Scouby.
- Oh, la barbe ! soupire la jeune effrontée. Je m’amusais si bien !
Elle sort. Sur la terrasse, Gourmande termine un petit en-cas offert gracieusement par la maison. Sans conviction, par pur devoir parental, elle tance sa progéniture : « Ca ne se fait pas de s’imposer comme ça chez les gens ! »
- Mais, M’man, toi aussi…
- Moi c’est différent, je suis ta mère ! Allons, raccompagne-moi, on rentre !
Je les vois qui s’éloignent côte à côte. Gourmande, la tête tournée vers son chaton boudeur, semble lui tenir un long discours.
Je suis sceptique : malgré des efforts occasionnels et louables, la pauvre chatte tricolore n’a pas l’autorité voulue pour introduire un soupçon de discipline dans le comportement de son rejeton ! Il y a comme ça des gens qui ont des enfants alors qu’ils sont absolument incapables de les prendre en main… pardon, en patte ! Gourmande en est un frappant exemple.
Mais par ailleurs elle est si charmante, dotée d’un caractère tellement agréable ! Je l’estime beaucoup.

J’apprécie aussi énormément les week-ends sans la divine Ardoise ! Je me laisse dorloter, cajoler… Je joue même un peu à l’enfant gâté… C’est si bon ! Evidemment, ces moments ne sont jamais qu’une parenthèse, puisque, immanquablement, au bout de quelques jours, la chère et tendre est de retour ! Enfin ! J’ai acquis une philosophie de vie qui me permet de toujours voir le bon côté des choses. Ainsi, je me dis : « Bon, elle est un peu sciante, mais pas méchante ! Et puis, avec elle, je ne m’ennuie pas ! J’apprends à m’observer, à me contrôler ! C’est positif ! »
Et j’endure avec le sourire ses petites avanies…

Enfin, quand je dis « avec le sourire », j’exagère un peu !
L’autre vendredi, j’arrive, tout heureux de pouvoir me faire caresser. Je vais sauter sur les genoux de Scouby quand je m’aperçois, in extremis, que la place est déjà prise. La créature grise pelotonnée là me jette un coup d’oeil triomphant.
Cette fois, je le prends mal. C’est quand même injuste, vraiment !
Je m’installe sur l’accoudoir d’un autre fauteuil et contemple ma famille d’accueil d’un œil désespéré.
- Pauvre Orca, viens chez moi, mon gamin ! dit Dan, touché par ma détresse.
Je ne me le fais pas dire deux fois ! Me voilà, à mon tour, perché sur une paire de genoux accueillants. J’essaie de capter le regard de la chère Ardoise… peine perdue !
Elle a dédaigneusement détourné les yeux et s’est mise à contempler le plafond, apparemment très intéressée par les fissures qu’elle y découvre. Je n’ai pas droit à un seul coup d’œil, elle fait exactement comme si je n’existais pas !
On a beau être un chat philosophe, ça fait un drôle d’effet d’être snobé comme ça !

Et puis, ce n’est pas tout !
Vous vous souvenez comme elle avait magistralement mis à la porte cette péronnelle de Petite-Goulaffe, il y a quelques semaines ?
Eh bien, figurez-vous qu’elle a changé d’avis !

Samedi passé, nous étions, elle et moi, béatement allongés sur nos chaises, devant le feu. J’avais les yeux fermés. Elle, selon sa chère habitude, me surveillait. Oui, j’existe, dans ces cas-là ! Même quand je dors, elle m’observe, prête à réprimer dans l’œuf toute tentative de rébellion !
On voit vraiment qu’elle a une très haute opinion de sa petite personne. Moi, je suis le bouseux, même pas digne de respirer le même air qu’elle… Parfois, je ne peux m’empêcher de me sentir froissé, puis je me raisonne : « Du calme, Orca ! Ce n’est pas en prenant la mouche que tu feras avancer tes affaires ! Laisse dire, ce n’est jamais que de la roupie de sansonnet ! »
Ce qu’il y a de bien quand on se tient à soi-même ce genre de discours, c’est qu’on se sent très évolué, très sage, très supérieur à la bestiole là, en face ! Une bestiole qui, à ses moments perdus, oublie toute dignité pour jouer comme une folle avec des élastiques ou des sacs en plastique ! Encore un peu bébé, cette Ardoise malgré ses grands airs ! Est-ce que je joue, moi ? En ce qui me concerne, j’emploie mon temps utilement : je médite, je réfléchis…
Qu’est-ce que vous dites ? Que j’ai, moi aussi, un petit complexe de supériorité ? A peine, voyons, à peine…

Toujours est-il que nous étions bien tranquilles, lorsque la porte s’ouvre. Petite-Goulaffe n’attendait que cette occasion pour bondir à l’intérieur de la cuisine tandis que Scouby s’interpose : « Petite-Goulaffe, reste dehors aujourd’hui ! Ardoise est là et tu sais qu’elle n’admet pas la présence d’une autre chatte chez elle ! »
Moi, faux jeton au possible, je souris dans mes moustaches en affectant un petit air détaché. Ah, elle va voir ce qu’elle va voir, la Petite-Goulaffe !

La charmante Ardoise s’étire, laisse tomber sur le cyclonique chaton un regard serein.
- Bonjour, noble Demoiselle Ardoise ! minaude la visiteuse, soucieuse de ménager la susceptibilité de ma « revêche proprio ».
Ceci étant dit, Petite-Goulaffe plonge le nez dans la gamelle de la maîtresse de céans et se régale, tout en surveillant la noble Demoiselle du coin de l’oeil…
Aucune réaction.
Enhardie par ce succès inespéré, le satanique chaton se dirige vers le salon et se love dans un fauteuil en faisant mine de fermer les yeux. En réalité, elle est très attentive : jusqu’où peut-elle aller ?
La chère Ardoise regarde paresseusement dans sa direction, sans faire montre de la moindre agressivité.
Quelle girouette, cette chatte !
Je suis ulcéré.

Ce n’est que vers le soir qu’elle a défini sa position… et la nôtre.
Petite-Goulaffe s’est réveillée de son somme et se joint à nous, dans la cuisine. Elle veut s’asseoir devant le poêle, quand une petite tape sur la tête la met en alerte. Moi aussi, j’ai droit à une tape sur le sommet du crâne, mais pas une petite, une grosse ! Paf !
- Ecoutez bien ! claironne la chère et douce, le chef de meute ici, c’est MOI ! MOI, je fais ce que je veux et vous, vous faites ce que JE veux ! Compris ? MOI, je mange en premier lieu et vous me suivez ! Pigé ?
Petite-Goulaffe et moi baissons la tête. Moi par habitude, pour avoir la paix, et elle par calcul… car personne ne me fera jamais croire à l’humilité de la révolutionnaire à quatre pattes !
En y réfléchissant bien, je crois avoir découvert le motif du revirement de la charmante Ardoise : en tolérant la présence de Petite-Goulaffe, ça lui fait encore quelqu’un à SURVEILLER… Elle adore ça ! Et comme, au printemps, je recommence à mettre le nez dehors et à faire de longues promenades quotidiennes, elle s’ennuie pendant mon absence. Le chaton gris est donc une solution de rechange !

Grande nouvelle !
- M’sieur Orca, vous savez quoi ? J’vais avoir des petits frères et sœurs !
Le premier choc passé, j’exprime ma haute désapprobation.
- Enfin, Petite-Goulaffe ! Ta mère est déjà incapable de t’élever, toi ! Que va-t-elle faire avec d’autres moutards, je te le demande !
- Faut le lui demander à elle, M’sieur Orca !
- J’ai peine à concevoir l’idée qu’elle puisse mettre au monde un autre exemplaire de ton espèce ! Si on me gratifie d’une nouvelle Petite-Goulaffe, je m’expatrie, je quitte le village !
Alors là, je suis bien résolu ! J’enfonce encore le clou.
- Quel manque de sens des responsabilités ! Comment est-ce possible ?
La Petite-Goulaffe se permet un regard entre deux airs… Que va encore me sortir cette jeune peste ?
- Heu… M’sieur Orca, quand les chatons naîtront…
- Oui ?
- Je regarderai s’il n’y en aurait pas un noir et blanc dans le tas !
Je proteste vertueusement.
- Petite-Goulaffe, je ne suis pas le seul matou du village !
- Bien sûr, je disais ça comme ça… Faut pas vous inquiéter, M’sieur Orca !
- Moi, m’inquiéter ? Peuh ! Et puis, Petite-Goulaffe, ne te mêle pas des affaires des grandes personnes ! Va jouer avec ton saule, il commence à avoir des feuilles…
La regardant s’éloigner en sautillant, je ne peux m’empêcher de m’interroger : et s’il y en avait « un noir et blanc dans le tas » ? Notez, ce n’est pas sûr, pas sûr du tout ! Mais si… ?

Non, non, je ne m’inquiète pas ! Qu’est-ce que vous allez chercher là ?

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Chapitre 44 : LA POUPEE

Pour le moment, Scouby déprime un peu parce qu’il n’arrête pas de pleuvoir. C’est fou ce que les conditions météorologiques ont de l’influence sur le caractère de votre copine à deux pattes ! Votre amie à quatre pattes, elle, est toujours de bonne humeur (sauf quand elle roule en voiture mais là, c’est justifié !).

Ma mère d’adoption a commencé ce qu’elle appelle son « nettoyage de printemps », ce qui veut dire qu’en un grand sursaut d’énergie, elle a lavé les rideaux et s’est attaquée aux vitres de la cuisine et de la salle à manger. Du coup, on dirait qu’il fait plus clair chez nous… Les fenêtres des deux chambres, ce sera pour après. Après quoi ? Mystère…

J’ai observé, avec une légère inquiétude, qu’elle a mis mon panier « Titanic » dans la corbeille à linge sale. Dans quel état va-t-elle me le rendre ? Encore plus mou qu’avant, et dépouillé de ma si délicate odeur féline, je parie ! Enfin, il faut bien que je supporte Scouby telle qu’elle est : imparfaite. A son âge, ce n’est plus la peine que je me charge de son éducation. D’ailleurs, tout étant à revoir, une vie de chatte n’y suffirait pas ! Et puis, en la matière, je ne possède pas le savoir-faire de Sa Seigneurie Caramel !

J’ai délaissé ma « place favorite » du mois dernier. Durant deux jours, je n’ai pas prétendu sortir de la cuisine où j’avais élu domicile sur un sac à provisions. Puis je m’en suis lassée et, après mûre réflexion, me suis hissée sur le petit fauteuil Louis XV (faux, bien sûr) du salon. C’est une bonne place, j’ai vue sur la porte d’entrée et le couloir qui mène à la cuisine. Il est impossible de se faufiler jusqu’au frigo sans que je le voie ou l’entende. Et pour le moment, il y a un paquet de steak haché dans le frigo…

Quand je m’endors, étendue de tout mon long sur le fauteuil, Daniel a la détestable manie de me tirer brusquement de mon sommeil par des cris d’effroi : « Ardwâââââse ! Tu vas tomber ! Attention ! »
Tout ça parce qu’il voit ma belle queue et mon arrière-train glisser insensiblement sous l’accoudoir et se retrouver dans le vide !
- Mais non, je ne vais pas tomber ! dis-je, fâchée d’être ainsi réveillée en sursaut. « J’ai le sens de l’équilibre ! »
- Sens de l’équilibre ou pas, le poids de ton derrière t’entraîne ! Tu vas te retrouver par terre !
Dédaignant de répliquer, je referme les yeux et, bien que la position de mon corps brave toutes les lois de la physique et de la logique, je ne tombe pas !
Daniel n’y comprend rien. Scouby lui dit de prendre les choses avec philosophie : venant de moi, RIEN ne peut plus les étonner !

J’ai à présent délaissé mon fauteuil Louis XV (faux comme chacun sait) pour un fauteuil Voltaire (tout aussi faux ; s’il était vrai il y a longtemps qu’il serait écroulé) placé contre un mur du salon, entre les deux fenêtres. Oui, vous avez raison : je suis une lunatique doublée d’une fantaisiste, mais que voulez-vous ? On ne se refait pas !
Cette nouvelle « place favorite » était déjà occupée quand j’ai décidé de m’y établir. L’intruse, une poupée de porcelaine assise sur l’accoudoir, ne semblait pas déterminée à me laisser le champ libre.

Qu’elle a l’air bête, cette poupée, vraiment ! Elle me dévisage de ses yeux bleus à l’expression bovine, tandis que ses longs cheveux blonds mousseux frisent autour de sa tête. Histoire de la faire enrager, je saisis une mèche entre mes dents et je tire. La poupée tombe à la renverse dans le fauteuil… et y reste, cette idiote, avec sa robe à fleurs et son minuscule pantalon de dentelle ! J’ai encore moins de place que tout à l’heure. Je soupire et me pose précautionneusement à l’avant du siège.
- Tiens, ma poupée a basculé ?
Scouby repose la poupée en équilibre sur l’accoudoir de MON fauteuil. Cela ne me satisfait pas : quand je veux me mettre à l’aise, les longs cheveux (a-t-on idée de porter des cheveux pareils !) me chatouillent le dos. Et puis, quand je me retourne, le spectacle de cette créature stupide, dans ses ridicules vêtements, me donne de l’urticaire : c’est bien simple, je ne peux pas la voir en peinture ! Est-ce que je me promène avec des pantalons en dentelle, moi ?
Une nouvelle fois, je lui tire les cheveux. Elle re-bascule.
Scouby a compris : maintenant la poupée est assise dans un coin du divan. Elle se fait discrète. Et moi, j’occupe somptueusement toute la surface du fauteuil Voltaire.
Pour combien de temps ? Vous avez déjà compris que mes « places favorites » ne font pas long feu…

Le week-end passé, je ne suis pas allée à la campagne. Zut, pour une fois que j’en avais envie ! Quand j’ai vu Scouby et Daniel rassembler leurs affaires, je ne me suis pas cachée dans un petit coin, comme je le fais d’habitude. Je me suis dirigée vers eux, certaine qu’ils allaient m’apporter mon panier.
- Eh bien Ardoise ? Que se passe-t-il subitement ? s’est étonnée Scouby.
- Mais… nous partons à la campagne, non ?
- Pas toi, ma minouchette ! Olivier va venir te soigner… Ce n’est pas la peine de venir cette fois-ci, nous serons tout le dimanche à l’extérieur. Tu t’ennuierais, toute seule avec Orca !
Ca alors ! Moi qui voulais, précisément, passer deux jours entiers à surveiller scrupuleusement ma meute ! Un chef, ça doit montrer son autorité ! Si je m’adonne à l’absentéisme, la discipline de la troupe va en souffrir ! La nouvelle recrue nommée P’tite-Goulaffe n’est pas encore suffisamment formée pour que je puisse relâcher mon attention à son endroit. Bon, d’accord, elle m’admire et me respecte, mais c’est oublieux un chaton !
Je suis contrariée et ça se voit.
Ils s’en vont, sous mon regard noir de reproches.

Quand ils sont rentrés, le dimanche soir, j’ai voulu leur montrer ma désapprobation. J’ai essayé de bouder… mais je n’ai pas tenu le coup. Cinq minutes après leur arrivée, je m’étais déjà étalée sur les genoux de Scouby, à ronronner comme un petit moteur. Je suis trop bonne fille, trop sentimentale au fond… malgré mes petits airs déterminés !

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Chapitre 45 : JE FAIS UN CAUCHEMAR



L’autre vendredi, j’étais bien tranquille, allongé sur la table de la cuisine. Il n’y avait personne, la maison était à moi tout seul pour plusieurs heures encore. Je me suis endormi…
Et j’ai fait un rêve… Z’imaginez pas ! Un rêve affreux !

La chère Ardoise, subitement matérialisée, prenait place à côté de moi sur la table. Quand je vous disais que c’était affreux !
Je la dévisage. Son petit air narquois a vraiment le don de me mettre mal à l’aise !
- Permettez, dis-je dans mon rêve, le week-end n’a pas encore commencé. Z’avez pas le droit d’être là !
- Z’ai tous les droits ! répond-elle.

Comme vous voyez, jusque-là c’était un rêve assez proche de la réalité. Dans la vie réelle, j’aurais peut-être tourné sept fois ma langue dans la bouche avant de lui parler sur ce ton, mais la réponse de la belle elle-même est bien dans sa manière : « Je-suis-le-chef-de-la-meute » !

Puis le rêve est devenu vraiment étrange, au fur et à mesure que mon sommeil se faisait plus profond.

La douce Ardoise s’est mise à claquer des pattes de devant, en cadence. Et j’ai vu que mes copines les chattes du village, elles aussi, étaient là ! Elles entouraient la table et claquaient également des pattes ! Un boucan infernal que ça faisait ! Clap ! clap ! clap !
Elles avaient l’air de bien s’amuser. Moi pas.

Puis la chère Ardoise s’est mise à chanter. Et là, ça dépassait tout ! Je voulais me boucher les oreilles mais j’étais comme paralysé ! Quel cauchemar !

Ardoise

Yé yééééééééééé ! Yé yéééééééé !
J’suis la plus belle minette du monde civilisé,
La plus adorable bête qui se puisse imaginer,
En ma superbe fourrure toute de gris habillée,
Je porte la tête haute et les moustaches rebiquées !
Yé yééééééééééé ! Yé yéééééééé !

Les chattes (en chœur)

Yé yéééééééééé !
(Elles se trémoussent en cadence)

Ardoise

Inutile de le dire et pourquoi le répéter ?
(Elle a l’air de se poser la question mais le dit et le répète quand même !)
Je suis la prima donna et la coqu’luche du quartier !
La chérie de ma famille et des chats la célébrité !
La plus bell’d’entre les bêêêêêêêêlles, c’est Ardoise la tigrée !
Yé yééééééééééé ! Yé yééééééééééé !

Moi (hagard)

Horreur !
(Elle chante faux, ça me grince dans les oreilles !)
Pitiéééééééé !

Les chattes (en chœur)

Pitiééééééééé !
Yé yéééééééé !

Moi (suppliant)

Mais soyez raisonnables ! Le yé yé, c’est fini depuis les années soixante ! Vous n’étiez pas nées, vos mères, vos grand-mères et arrière-arrière-arrière non plus !

Les chattes (claquant des pattes)

Pas néééééééééées !
Yé yééééééééé !


Elles se mettent à tourner autour de moi. Je vais avoir une migraine, je le sens. Même ma Néfer, toujours si placide, semble survoltée aujourd’hui !
Comme toujours quand la situation me dépasse, je baisse la tête, l’air accablé, dans l’espoir d’attendrir mes tortionnaires.
Elles s’en fichent. J’ai un petit (tout petit) sursaut de révolte.

- Et puis, je me demande bien pourquoi la bête grise à grosse fourrure pourrait clamer sur tous les tons qu’elle est le chef de la meute, la plus bêêêêêêlle, la plus charmante et tout et tout et tout… et pourquoi moi, je ne pourrais pas en faire autant !

La bête grise à grosse fourrure me fixe de ses grands yeux étonnés.
- Mais tout simplement parce que c’est vrai ! s’exclame-t-elle ? C’est moi la plus belle, c’est objectif, indiscutable, comme deux et deux font trois ! Vous pouvez pas dire que vous êtes beau, quand même, ce serait un mensonge !
Elle me dévisage.
- Un ENORME mensonge, précise-t-elle pensivement.
- Je suis si moche que ça ? dis-je, douloureusement surpris.
- Oh non, c’est encore pire ! fait-elle avec la plus absolue sérénité.

Pourtant, j’ai déjà essayé de me rendre compte, je le jure ! Après m’être aperçu que je ne pouvais pas atteindre les rares miroirs de ma maison (ils sont fixés trop haut), je me suis penché sur l’eau de l’étang. Je n’ai vu qu’une ombre de tête de chat, avec deux oreilles pointues. Mais je me suis bien aperçu que les poissons fuyaient dans tous les sens, terrifiés par le spectacle.
Suis-je si effrayant ?

Maintenant, elles sont toutes là à me regarder sous le nez.
- Le malheureux ! s’exclame l’une.
- Est-ce possible ? fait l’autre.
- A ce point-là, il doit le faire exprès ! opine une troisième.
Et de faire des réflexions sur ma ligne-spaghetti, la couleur éteinte de mon poil, l’aspect étrange de ma queue (cassée au bout), la couleur de mon nez (gros et parsemé de petits points rouges comme celui d’un buveur de beaujolais… Non, ce n’est pas une maladie : ce sont les égratignures que m’infligent les ronces quand je traverse les haies)…

Je suis tout déconfit. Prêt à me croire le monstre le plus hideux de l’univers félin. La créature de Frankenstein faite chat !
Une lueur d’espoir, soudain, traverse les ténèbres de mon cerveau.
- Scouby dit que j’ai de très beaux yeux ! dis-je fébrilement.
- Ah, les yeux, peut-être, concède l’une.
- Vous aimez les yeux jaunes, vous ? demande une autre (cette peste de Petite-Goulaffe).
- Ils sont pas jaunes, ils sont dorés ! rétorque la troisième (merci Néfer !).
- Et puis, faut avouer qu’ils ont de l’expression…
- Voui, ça rachète un peu le reste !
- Ce mec, l’est peut-être pas bô, mais l’a un regard sympa !

Le cauchemar s’adoucit, se dilue. Dans mon sommeil, je pousse un soupir de soulagement et me retourne sur la table. Insensiblement, les chattes se transforment en nuages, s’éloignent, se dissolvent…

J’émerge.
Et me retrouve couché, tout seul dans ma maison bien tranquille. Quel rêve ébouriffant, ça alors !

Quel jour sommes-nous ?
Comme je me pose paresseusement la question, j’entends une voiture s’arrêter devant la porte, un brouhaha de voix. On entre. Quelle agitation, subitement, dans ma paisible retraite !
- Orca, mon minou, hou hou ! On est làààààà !
- Mwââââââââ aussi, je suis làààààààààà ! clame dans mon propre langage une petite voix bien connue.
« J’vais vous surveiller tout le week-end, chouêêêêêtte ! Z’êtes content de me voir, hein ? "

Bien sûr que je suis content !

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